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Les quatre saisons de Rimbe: Les enquêtes du Poète libertaire
Les quatre saisons de Rimbe: Les enquêtes du Poète libertaire
Les quatre saisons de Rimbe: Les enquêtes du Poète libertaire
Livre électronique172 pages2 heures

Les quatre saisons de Rimbe: Les enquêtes du Poète libertaire

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À propos de ce livre électronique

Dans la plaine de la Bièvre, rongée par les lotisseurs, dans un temps où l’informatique efface la valeur du geste accompli, des hommes disparaissent…
Rimbe, le poète libertaire, après avoir élucidé les meurtres de Saint Antoine L’Abbaye, reprend du service sur les traces des « évaporés ».
Avec ce nouvel opus, Gilbert Vincent Caboud met en scène un monde en déséquilibre où la peur de l’éphémère côtoie une envie de survivre à tout prix.

EXTRAIT

– Allô, Rimbe ?
En un instant, mon surnom de lycéen me revint à la mémoire : « Rimbe ». C’est ainsi qu’ils m’avaient surnommé. Ignorant la nuance ironique de ce rapprochement, je m’appliquais, dans un mimétisme aussi méticuleux que malsain, à calquer le poète. Caricature pubère, je traînais des chaussures ostensiblement démantelées, fumais un brûle-gueule âcre et m’efforçais d’arborer des moues provocatrices qui se voulaient nihilistes. C’était jadis, quand mes pattes de mouche vaniteuses clamaient une révolte dithyrambique. Et, voilà que, dans une matinée de février qui s’annonçait fade et ordinaire, les gouttelettes cristallines d’une voix que je n’avais pas oubliée ravivaient le passé :
– Rimbe, c’est toi ? Ici, c’est Lucie.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1953 au Grand Lemps en Isère, Gilbert Vincent Caboud est un « poète ouvrier », employé de France Télécom, romancier et jongleur de mots. Il est conseillé artistique du festival « Textes en l’air » de Saint Antoine l’Abbaye pour le volet poésie. Il est l’instigateur des pérégrinations poétiques.
LangueFrançais
Date de sortie3 janv. 2017
ISBN9782846793322
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    Aperçu du livre

    Les quatre saisons de Rimbe - Gilbert Vincent Caboud

    Verhaeren

    Chapitre 1

    Je m’étais juré qu’on ne m’y reprendrait plus, de rester à jamais cantonner dans mon statut d’accidenté du travail et de « polardeux » médiocre, vivant chichement de ma rente et de quelques droits d’auteur. La conclusion dramatique de ma dernière enquête, où un fou manipulé avait éclaté d’un coin d’acier mon amour naissant, m’avait repoussé à la limite de l’autisme.

    Depuis la mort horrible de Delphine je tournais en rond dans mon appartement, remuant des poussières érotiques et subissant une déprime qui m’exilait dans une solitude d’où je ne désirais pas sortir. Alors, quand le téléphone, si longtemps silencieux vibra, j’hésitai à décrocher.

    – Allô, Rimbe ?

    En un instant, mon surnom de lycéen me revint à la mémoire : « Rimbe ». C’est ainsi qu’ils m’avaient surnommé. Ignorant la nuance ironique de ce rapprochement, je m’appliquais, dans un mimétisme aussi méticuleux que malsain, à calquer le poète. Caricature pubère, je traînais des chaussures ostensiblement démantelées, fumais un brûle-gueule âcre et m’efforçais d’arborer des moues provocatrices qui se voulaient nihilistes. C’était jadis, quand mes pattes de mouche vaniteuses clamaient une révolte dithyrambique. Et, voilà que, dans une matinée de février qui s’annonçait fade et ordinaire, les gouttelettes cristallines d’une voix que je n’avais pas oubliée ravivaient le passé :

    – Rimbe, c’est toi ? Ici, c’est Lucie.

    Lucie, corsage de soie et chaînette dorée. Lucie au père obtus, dubitatif au bout de la longue table de bois, Lucie, par-dessus les saisons mortes, me parlait.

    – Allô, c’est toi Rimbe ? Je suis bien au 04 76 36 19 17 ? Je me secouai, le passé raz de marée affluait par les persiennes entre ouvertes et pour la première fois depuis six mois le visage de Delphine s’écarta un instant de mon champ de pensée et je me surpris à répondre d’une voix enjouée.

    – Oui, c’est bien moi. Quelle surprise ! Au bout de trente-deux ans de silence, t’entendre m’émeut, c’est le moins qu’on puisse dire…

    – Quelle précision ! Je ne te connaissais pas si matheux ! Comment vas-tu ?

    – C’est une question qui mériterait un sacré développement, depuis le temps ! Mais disons que ça va. Et toi ? Sa voix s’attardait dans une humidité feutrée, puis elle déglutit.

    – Pareil, on fait avec, avec la routine.

    Je me tus, jugeant inutile des commentaires qui seraient pour le moins indécents, incongrus, inutiles et voyeurs.

    – Tu dois te demander la raison de mon appel ?

    – En effet, en dehors d’une nostalgie soudaine et bien tardive, je ne comprends pas.

    – J’ai appris par un ami, que dans la série de meurtres qui a eu lieu à Saint-Antoine, tu avais participé à l’enquête. Je me suis dit que tu pourrais m’aider pour élucider une histoire bizarre.

    Elle dut sentir mon recul téléphonique car elle abandonna mon surnom.

    – Gilles, tu n’as pas raccroché…

    J’articulai difficilement ma réponse.

    – Concours de circonstance, pur hasard… J’avais du temps et j’étais là. Et puis, si je me suis acharné à la fin de cette aventure terrible, c’était lamentablement pour me venger. S’immerger dans les histoires humaines n’est jamais bénin. Je n’ai pas envie de recommencer.

    – Écoute, viens me voir. On en parle tranquillement et tu décides. Quelle que soit ta décision je ne t’en voudrai pas.

    Succombant aux charmes de ses mots ciselés, je balbutiai un accord furtif.

    Il ne lui restait plus qu’à me préciser son adresse.

    – J’habite toujours le même village, mais j’ai acheté la tour du docteur derrière l’église, tu trouveras sans difficulté, je suis certaine que tu n’as pas oublié les rues de derrière.

    Incroyable, son entrain était celui d’une fillette sautant à la corde et pourtant elle frôlait la cinquantaine.

    – J’imagine que tu as dû la restaurer, car de notre temps, c’était plutôt une ruine malgré son allure altière.

    – Tu verras, mais viens vite, ça urge…

    Impossible de reculer, un crabe de velours remontait ma poitrine. J’étouffais sous mes vieilles poutres en chêne et rêvais soudain de chemins de traverses. Ma voix, enfin posée, étaya ma décision.

    – Demain quatorze heures, ça te va ?

    – Parfait. Justement demain il n’y a pas cathé, j’aurai tout mon temps. Formidable ! Allez, au revoir.

    Je murmurai un « bisou » timide en crachotant dans l’écouteur. Je retrouvai peu à peu mes esprits, tandis que le téléphone emplissait la salle à manger de son signal d’occupation.

    Février se terminait en apothéose, un soleil blanchâtre occultait l’hiver et je léchais mes plaies dans ma tanière de chien dépité. Le froid estompait les meurtres, le village cicatrisait lentement. Je me remettais de la mort de Delphine en dévorant un monceau de livres. Antalgiques délivrés sans ordonnance, ils grignotaient la douleur qui insensiblement s’atténuait et, en dehors de quelques insomnies lancinantes, elle n’était plus que murmure dans mon quotidien café tiède.

    Fort de cette convalescence entrevue, je m’étais juré de ne plus remettre les pieds dans la vie de quelqu’un d’autre que moi. Et pourtant, il a suffi que Lucie se pointe, déversant un wagon de souvenirs desséchés pour que je reparte vers je ne sais quel enchevêtrement de corps, de fric et d’âmes.

    La décision était prise, il fallait l’assumer, secouer ma carcasse, reprendre contact avec l’extérieur. Tout cela n’était pas si simple techniquement car depuis Noël, la 2 CV n’avait pas roulé. Absorbé par ma régénération, je n’avais pas éprouvé le besoin d’ailleurs. Connaissant sa faiblesse de batterie, j’étais sûr qu’elle allait faire la gueule. J’entrebâillai les portes du garage avec appréhension et découvris un voile de farine grisâtre qui recouvrait toutes les aspérités de la carrosserie. J’ouvris le capot et titillai la pompe à essence pour alimenter le carburateur, puis je m’introduisis dans le monticule ovoïde et je me concentrai sur les pédales. Je n’avais droit qu’à un seul coup de démarreur sinon les accus allaient rendre l’âme.

    Un craquement déchirure, les lampes du tableau de bord s’allumèrent, puis diminuèrent dangereusement d’intensité ; dans un hoquet métallique le moteur s’emballa enfin. J’ouvris les portes en grand, courus chercher ma sacoche, enclenchai la première et pris la direction de Saint-Marcellin où je pourrais laver la voiture et m’habiller correctement pour le lendemain…

    En chemin, je remontais le temps et retrouvais l’atmosphère délétère de cette dernière année de lycée.

    Lucie, en ma compagnie dans une symbiose de révolte commune, tentait d’échapper à l’emprise terrienne de ses parents puissants de granges emblavées jusqu’à la gueule. Elle affrontait, candide, leurs membres noueux, croûteux de travail, de fumier séché et de morale rigide.

    L’infinie longueur de la table de cuisine symbolisait cette propriété supérieure qui en se métastasant effaçait du paysage les petites exploitations et écrasait de l’épaisseur de ses murs de ferme, les salariés besogneux des usines de godasses voisines. Il était évident que ces familles citadelles n’admettaient pas la mésalliance et que la seule façon de passer le pont-levis, pour un quidam ordinaire et sans terre, était d’arborer l’escarcelle enchanteresse des troubadours, de l’étourneau de passage. Saltimbanque inoffensif et éphémère, il figurait alors la part de rêve, l’ultime concession à la futilité accordée aux jeunes filles avant le mariage sérieux et sa kyrielle d’obligations lourdes et fatales. Englués dans ce contexte patriarcal, nous formions Lucie et moi, un couple étrange qui cultivait les frôlements et les silences, persuadés tous deux que ce ballet tauromachique cesserait tragiquement dès l’instant où nous établirions un point de contact physique. Coincé dans une timidité excessive, j’écrivais et mon personnage de poète virulent, dans lequel je me complaisais, dissimulait mes failles. Seule Lucie connaissait ma déprime perpétuelle et mes utopies révolutionnaires. Dans le car de ramassage scolaire, elle recueillait les cendres de mes insurrections nocturnes. Puis, elle me contait à son tour l’autorité du père, la rudesse de la table commune, la touffeur de son monde clos mais aussi la sérénité qu’apporte l’argent toujours disponible. J’étais sa virgule clandestine, le jardin secret de son destin programmé.

    Un après-midi de juin, nous cheminions le long du Barbaillon, ruisseau industriel vêtus de filaments bleuâtres. Ignorant ces lambeaux insolites, fidèle à sa culture ancestrale, l’eau musardait entre frênes et joncs. J’aidais Lucie à franchir touffes de cressons et vases inquiétantes. Ses joues rougissaient, baudruches affolées, et mes mains palpitaient, oiseaux blessés. Le ciel se fendait d’un orage de circonstance, complice et narquois. Un dixième de millimètre séparait nos doigts. Une sombre forteresse, soudain, écrasa mon futur. J’eus peur de cette table immense où s’asseyaient des hommes silence et pierre, des visages buisson et des brodequins blessant. Je me redressai, rimailleur fier et droit. Anar imperturbable, je la raccompagnai jusqu’à la grille de fer forgé où je l’abandonnai après un bisou inconsistant. L’adolescent flamboyant n’avait plus qu’à se taper une queue de boutonneux sous les ricanements d’une lune sans paupière. Le lendemain, boursouflé de regrets, je retournai vers la grille, mais la fourche à fumier grinçante et les chiens enchaînés qui suintaient de fureur, eurent raison de ma volonté. Je fis demi-tour écrasé par la certitude de la solitude. Et la suite de Rimbe fut fuite devant la femme offerte et sa conséquence : le don de soi ; retranchement derrière une écriture convulsive apparaissant les soirs de morne appétence envers l’ordinaire.

    Ressassant ces effluves d’hier, je vaquais alignant le concret : garagiste, maison de prêt-à-porter, magasin de chaussures. Mais il me fallut bien, le soir tombant, affronter mon deux pièces, son désœuvrement et l’acuité de son silence beaucoup plus perfectible depuis l’appel de mon béguin d’antan. Tout s’effritait, les murs de la chambre, la rue basse, les angles de briques et les ruelles montantes. Je n’étais plus ce villageois accroché fermement aux parois de molasse, mais, un homme sans amour à demeure.

    Au petit matin suivant, lourd d’une nuit sans rêve, je me douchai méticuleusement, récurant avec précision tous les orifices. Je me rasai avec des gestes chirurgicaux. L’œuf au plat s’inscrivit au centre de la poêle à frire et je fis la vaisselle avec une minutie d’horloger. Ainsi, je maintenais fermement mon radeau à l’amarre. Certes, dans une heure je reverrai Lucie, mais uniquement pour régler un problème étranger à nos relations personnelles. J’attaquai la montée, calé dans mon véhicule antédiluvien. Je gravis la colline dans une torpeur que je prolongeai un maximum, refusant d’envisager le futur immédiat. Après Roybon et ses courants d’air perpétuels, je plongeai dans la combe « Maceau ». Au détour d’un virage, la plaine de la Bièvre me sauta aux yeux avec ses champs géométriquement parfaits, ses routes rectilignes qui menaient sans coup férir au bourg de La-Côte-Saint-André, volée de graviers immobilisée au pied d’un coteau. De là, je pris la direction du Grand-Lemps. Apparemment, rien n’avait changé. À l’entrée Ouest, « la place des cochons » offrait toujours son square orphelin de présence enfantine, son jet d’eau pissotant au centre d’un cercle de béton. Cet espace vert jouxtant les grands parcs à bestiaux symbolisait l’incongruité surréaliste d’une municipalité rurale en mal d’identification citadine. Il paraît, par contre, que côté Est, ce ne sont plus qu’immeubles, lotissements, dortoirs.

    Je garai ma deux pattes sur la « Grand Place » et m’approchai de la tour fatidique. Je mâchais une salive filandreuse. La sonnette scellée dans le mur me regardait imperturbable. Mon index l’écrasa. Un oui distordu résonna dans l’interphone.

    – C’est moi, Rimbe. Le surnom me revint, fantôme suranné. La porte en chêne glissa sur la pierre. Elle était là, identique de douceur et d’ouverture de bras. Son sourire illuminait le hall. J’osai porter les yeux sur sa poitrine. Un corsage blanc à boutons de nacre la tenait fermement serrée. Elle m’examina elle aussi sans vergogne, et prit la parole la première.

    – Eh bien, on peut dire que tu n’as pas changé. Un peu grisâtre peut-être, mais on a toujours envie de te prendre par la peau du cou pour te caresser en évitant la morsure.

    Ces mots me laissèrent pantois. Il y avait de quoi. On reprenait, comme si de rien n’était, une conversation interrompue depuis trente-cinq ans. Le temps se diluait et nos âges, un tantinet respectables, oubliaient les nécessaires préambules et scratchaient les années écoulées. Je repris dans le même style :

    – Je te retourne le compliment. Toujours aussi perspicace et merveilleusement croquante.

    – Quel bel esprit de répartie, en terminale tu étais, il me semble, plus malhabile, moins loquace. Allez, arrêtons nos vacheries, c’est gentil d’être venu, monte, je vais t’expliquer l’histoire.

    L’escalier en colimaçon, généreux, m’offrait les délices d’un bouquet de soie froissée et de peau tendue. Je m’évertuais à la sérénité, le passé était le passé. Le visage de Delphine tressautait à son tour devant mes yeux. Un sentiment de culpabilité m’assaillit d’un coup, me réduisant à l’état larvaire. Je me secouai, j’avais envie de revivre et je m’accrochais avec hargne à ces rondeurs qui disparaissaient dans la salle à manger en orme massif. Napperons tricotés au crochet, gravures originales, suspensions en laiton et minuscule fenêtre, rappelaient une cabine de bateau. Tout était de bon goût et une petite bibliothèque complétait le mobilier. Je parcourais ravi cet univers patiné, quand soudain, au détour d’une aquarelle, un christ en bois tourmenté exhiba un visage

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