La Secte des Cauchemars

Par M. A. Pronossard

La Secte des Cauchemars est de retour et elle a pris Seth
Langlois pour cible. Wilson fera de son mieux pour protéger le Monstre qui n’en est pas un. Cependant, ce dernier s’aventure dans sa quatrième année d’étude à Magistra, et rien n’est comme avant. Alors que Cupidon s’amuse à tirer ses flèches ici et là, Seth se retrouve en danger de mort, et la menace vient de l’intérieur du Sanctuaire. Seth devra faire confiance à ses vrais amis pour rester en vie, tandis que le Roi des Cauchemars est prêt à tout pour l’anéantir.

• Langue: Français
• Éditeur: Éditions AdA
• Date de sortie: 10 sept. 2015
• ISBN: 9782897527693

Aperçu du livre

Sécurité maximale

Ce n’était pas la première fois que Seth Langlois se ­réveillait en sursaut suite à un cauchemar. Depuis quelques semaines, une menace planait au-dessus de sa tête, et Seth ne pouvait pas nier sa peur, une peur que la plupart des habitants du village partageaient avec lui.

Les premiers rayons de soleil franchirent la fenêtre de la chambre du jeune homme et s’étendirent sur le sol. Seth resta un moment assis sur son lit avant de se lever. Il savait pertinemment qu’il serait incapable de se rendormir.

Lentement, Seth se leva et alla se poster devant sa fenêtre. Les mains sur le rebord de bois, Seth ferma les yeux et essaya de se remémorer son rêve si étrange. Il arrivait à revoir des centaures au galop, un homme ténébreux à la posture imposante, et l’air effrayé d’un autre homme avec une face de singe… Seth ouvrit les yeux. Ce n’était pas un rêve ; il avait plutôt revu ce qui s’était déroulé il y avait maintenant quelques semaines…

Seth laissa son regard errer sur les maisons qu’il voyait par sa fenêtre. Aucune n’avait été construite selon un plan normal. Elles étaient toutes éparpillées dans le village, et leurs façades arboraient toutes une couleur différente. Ce village aurait pu sembler étrange pour n’importe qui, mais il était tout à fait normal pour Seth Langlois et tous les habitants. Car aucun villageois n’était humain. En effet, Seth vivait dans un Sanctuaire nommé Monstrum, et ici, seuls des Monstres pouvaient y vivre. Il s’avérait donc que Seth en était un.

Du moins, c’était ce que croyait le Monstre-ô-mètre (une machine ayant pour but de détecter les Monstres avant qu’ils ne soient aperçus par les Humains), sauf que personne ne savait vraiment comment fonctionnait cet appareil. Toutefois, Seth n’avait aucune caractéristique d’un Monstre : il était le Monstre qui n’en est pas un, l’Exception. Seth n’aimait pas beaucoup être mis ainsi à part des autres Monstres, mais il avait fini par l’accepter.

Seth avait vécu une vie normale, faute de meilleur terme, durant les 17 premières années de sa vie. Ses parents, Kim et Gabriel, étaient excessivement riches, et Seth possédait une belle part de leur fortune dans un compte en banque. Il n’était donc guère surprenant de voir des élèves de son école secondaire venir lui offrir leur amitié alors que tout ce qu’ils voulaient était l’argent de Seth (sauf deux personnes qui avaient été les meilleurs amis de Seth : Joanne et Tommy). Après un moment, Seth s’était senti souillé et avait fini par se percevoir comme un vrai monstre.

Il n’aurait pas pu mieux penser.

L’existence de Seth avait pris un tout autre tournant quand Craig Wilson et Gary Lachance étaient venu le chercher dans le monde des Humains pour l’emmener à Monstrum dans le but d’assurer son éducation de Monstre. Craig Wilson était le Gardien du Sanctuaire Monstrum et Gary, le directeur de l’école Magistra.

Seth se trouva de nouveaux amis en peu de temps. Ici, personne ne savait qu’il était riche et, même s’ils l’apprenaient, cela ne changerait rien puisque dans le monde des Monstres, la monnaie des Humains était inutile. Il fallait payer avec des Mons (de petites pièces en or). Il se lia donc d’amitié avec Alan, un métamorphe ; Fay, une Fée ; et Pachyderme, un homme avec une trompe d’éléphant à la place du nez.

Évidemment, la vie de Seth ne pouvait pas être paisible, et il dut vite affronter de terribles dangers. Lors de sa première année, Seth avait confronté un Traqueur, une créature qui voulait absolument dévorer le jeune homme pour avoir osé mettre les pieds sur son territoire. Grâce à l’aide de ses amis, Seth avait réussi à vaincre le Traqueur et cru qu’il pourrait enfin mener une vie paisible.

Une grave erreur, évidemment.

Lors de sa deuxième année, Seth avait participé à un Transfert étudiant et était allé étudier un an à Prodige, le Sanctuaire de Monstres en France. Là, son amie Fay avait été kidnappée par un professeur fou dans l’espoir de ramener à la vie l’Esprit du Mal : Ouaganda.

Il va sans dire que Seth n’avait rien laissé de tout cela arriver. Encore une fois avec l’aide de ses amis, il avait réussi à percer le mystère de l’Esprit du Mal et volé au secours de Fay. Il était donc parvenu à tuer Ouaganda une bonne fois pour toutes.

Bien sûr, chaque geste a des conséquences. La mort ­d’Ouaganda avait eu pour effet qu’un certain Jessie Lachance, père de Gary, avait formé un groupe qu’il appelait les « Rebelles de la Secte ». Jessie avait mené cette petite association jusqu’à Monstrum dans l’espoir de convaincre Wilson que la Secte des Cauchemars (une société fondée par Ouaganda en personne) était de retour. Wilson ne l’avait pas cru, il en allait de soi. Malgré l’insistance des centaures qui affirmaient également que la Secte était de nouveau en fonction, Wilson croyait plutôt que Jessie manigançait quelque chose de sombre pour s’emparer de Monstrum. Il était tout de même resté sur ses gardes et avait fait quelques recherches qui n’avaient pas porté fruit. Jessie, à bout de patience, avait décidé de concrétiser les peurs de Wilson et pris réellement le pouvoir sur le Sanctuaire. Seth avait alors dû jouer le tout pour le tout, poussé un peu par Emma et Hayden, et ils avaient sauvé Monstrum tous ensemble. Par contre, ce simple geste de la part de Jessie s’était avéré révélateur d’un fait important : la Secte des Cauchemars était bel et bien de retour.

Voilà ce qui était la cause des cauchemars de Seth. Il n’était pas rare qu’il se réveille après avoir rêvé que Jessie lui sautait à la gorge en hurlant la victoire de la Secte. Chaque fois, Seth essayait de repousser les images dans un coin sombre de sa mémoire et se concentrait sur autre chose. Il ne servait à rien de s’inquiéter à propos de la Secte pour le moment ; personne ne pouvait l’arrêter, à moins de découvrir l’identité de celui qui la dirigeait : le Roi des Cauchemars. Seth aurait pu mettre sa main au feu qu’ils ne le trouveraient pas de si tôt.

Comme il le faisait chaque fois qu’il faisait un mauvais rêve, Seth s’empara du livre qu’il gardait maintenant sur sa table de chevet, s’assit sur son lit et se mit à feuilleter l’Encyclopédie des Monstres de l’Ombre. Il s’agissait d’un livre que Gillian Ewilan, la Gardienne de Prodige, lui avait donné en cadeau pour avoir tué Ouaganda. Inlassablement, Seth tournait les pages une à une dans l’espoir de trouver quelque chose sur la Secte des Cauchemars, même s’il savait qu’il ne dénicherait rien là-dessus, comme dans n’importe quel autre livre du Sanctuaire, d’ailleurs.

Seth resta un bon moment à feuilleter l’encyclopédie dans sa chambre. Un corbeau s’était perché à sa fenêtre et croassa. Seth sursauta et échappa le livre. Quand il vit l’oiseau, il s’approcha de la fenêtre et l’ouvrit brusquement.

— Va-t’en ! cria-t-il à l’oiseau qui s’éloignait déjà.

Il ferma la fenêtre et reposa l’encyclopédie sur sa table de chevet. Après avoir vérifié l’heure (il était maintenant 6 h 50), Seth décida de faire sa toilette et de descendre déjeuner.

Seth vivait dans l’auberge Freak, un commerce dirigé par un Monstre du nom d’Yvon. Habituellement, à cette heure-ci, Yvon était déjà debout et préparait son restaurant pour ses futurs clients. Seth fut heureux de l’apercevoir lorsqu’il descendit l’escalier en colimaçon.

Sans dire un mot, Yvon servit le déjeuner de Seth, soit des rôties avec des saucisses, un œuf, du bacon et un bon jus d’orange. Ce dernier mangea en écoutant le silence qui régnait dans l’auberge. Seth devait se forcer à penser à autre chose pour ne pas se remémorer sans cesse son cauchemar. Bientôt, il le savait, ses amis se réveilleraient, et il oublierait ses tourments.

À peine avait-il terminé son déjeuner que quelqu’un descendit les marches en courant. Les yeux mauves de la jeune fille croisèrent les yeux bruns chocolat de Seth. Ses ailes dans son dos frémirent légèrement.

— Fay ! s’exclama Seth.

Fay commanda son déjeuner avant de rejoindre son ami.

— Tu as passé une bonne nuit ? demanda-t-elle.

— Pas vraiment. Toi ?

— J’ai dormi comme un vrai bébé ! Je me sens d’attaque pour la journée !

Yvon déposa une assiette bien remplie devant Fay qui commença à manger sans attendre.

La porte de l’auberge s’ouvrit, et les premiers clients entrèrent. Bientôt, un léger brouhaha envahit le commerce. Seth et Fay se mirent alors à parler de tout et de rien.

Seth vit quelqu’un d’autre descendre l’escalier en colimaçon. Les cheveux blonds, les yeux bleus, un charme fou… ce garçon était nul autre qu’Alan Lajoie, le meilleur ami de Seth, le premier qu’il s’était fait en arrivant à Monstrum.

— Bon matin, lança Alan en se laissant tomber sur une chaise à côté de Seth.

Encore une fois, Yvon vint déposer une assiette à leur table (une fois de plus, il s’agissait du même repas) et s’empara de l’assiette vide de Seth avant de retourner derrière son comptoir.

— Bon matin, répondirent Seth et Fay à l’unisson.

Alan se mit à engloutir tout ce qui se trouvait dans son plat. Seth et Fay échangèrent un regard. Alan mangeait tout le temps ! S’il allait à une fête et qu’il y avait un buffet, il était inutile de le chercher : il était là où la nourriture se trouvait.

Peu de temps après, la porte de l’auberge s’ouvrit, et Pachyderme entra. Il repéra ses amis et ne perdit pas une seconde pour les rejoindre.

— Bon ma…, commença Seth.

Mais Pachy avait quelque chose d’urgent à dire qui ne pouvait pas attendre.

— J’ai parlé avec Alia, ce matin, annonça-t-il.

Alia Durand était la petite amie de Pachy. Elle vivait en France, et ils s’étaient rencontrés lors du Transfert.

— Va-t-elle bien ? demanda poliment Fay.

— Oui, bien sûr, assura Pachy. Elle m’a dit qu’Ewilan avait terminé de posé une dizaine de gargouilles autour de Prodige.

— Eux, au moins, ils se protègent, lança Seth.

Le jeune garçon ne comprenait pas pourquoi Wilson n’avait rien fait pour sécuriser Monstrum. Après tout, Seth semblait être au cœur de tous les malheurs ; il était donc logique de défendre le Sanctuaire, non ? De plus, avec le retour de la Secte des Cauchemars, plus personne n’était en sécurité.

— Je dirais plutôt qu’Ewilan fait à sa manière, rectifia Pachy.

— Pourquoi Wilson ne fait pas comme elle ? demanda Fay.

— Il attend l’accord du Conseil des Sanctuaires.

Alan soupira.

— Nous savons très bien que le Conseil va autoriser n’importe quoi pour protéger les Sanctuaires, n’ai-je pas raison ? Ewilan a seulement pris de l’avance sur les autres.

— Nous ne savons pas si…, commença Pachy.

— Pourquoi refuserait-il ? coupa Alan. Donne-moi une bonne raison.

Un silence s’installa dans le quatuor. L’homme-éléphant et le métamorphe se dévisagèrent. Après un moment, Seth reprit :

— D’un autre côté, il est logique qu’Ewilan ait voulu assurer la sécurité de son Sanctuaire avec tous les Objets Magiques qui s’y trouvent.

Prodige était réputé pour rassembler le plus d’Objets Magiques (des objets renfermant un pouvoir très spécifique). Lors de leur Transfert, trois vols dans le musée ­d’Objets Magiques avaient eu lieu, et deux de ces Objets n’avaient toujours pas été retrouvés : le Cadran (un Objet qui arrêtait le temps une fois activé et qui pouvait encore servir mais seulement une autre fois) et un Miroir-Cavité (un miroir qui, lorsqu’on l’actionnait, offrait une cachette sûre pour son possesseur, un abri qu’aucune autre magie ne pouvait pénétrer).

— En effet, approuva Pachy. C’est ce que j’en ai déduit.

— Quand même, objecta Alan, Wilson pourrait mettre de la sécurité en place pour protéger Seth, non ?

Fay donna un coup de coude à Alan dont la rôtie tomba sur le sol. Fay se mit à regarder un peu partout dans l’auberge pendant qu’Alan fixait Seth intensément et que Pachy se tordait nerveusement les mains. Seth soupira.

L’année dernière, une chose avait été claire : le Roi des Cauchemars voulait absolument tuer Seth, car il le percevait comme une menace potentielle parce que Seth n’avait aucune caractéristique de Monstre ; donc, il pouvait être une espèce de créature ultra-puissante méconnue de tous.

— Ça va, assura Seth, je suis au courant.

Fay et Pachy semblaient très mal à l’aise contrairement à Alan qui se remit aussitôt à manger.

— C’est vrai, reprit Alan, Wilson devrait s’assurer que tu es bien protégé, sinon n’importe quoi pourrait t’arriver.

— Personnellement, protesta Pachy en lançant un regard noir à Alan, je crois que le Roi des Cauchemars est très occupé après tout ce qui s’est passé l’an dernier. Il doit essayer de s’assurer que tous ses partisans lui sont encore fidèles.

— Peut-être, fit simplement Alan avant de vider son verre de jus d’orange.

Fay prit une profonde inspiration et changea complètement de sujet.

— Avez-vous hâte de recevoir vos horaires ? Moi, oui !

Cette année, ils allaient probablement être tous séparés lors de leurs cours, car ils avaient fait leur choix de carrière l’année précédente, et aucun d’entre eux ne suivait le même programme d’études. Seth étudierait pour devenir professeur d’Histoire des Monstres.

— Moi aussi, avoua Seth, heureux de parler d’autre chose. Le seul cours que je n’ai pas hâte d’avoir est celui de Monstrubilus avancé.

Le Monstrubilus était la langue parlée par les Monstres d’antan, et Seth n’était pas très bon dans cette matière.

— Tu dois t’habituer, remarqua Pachy, car en tant que professeur d’Histoire des Monstres, tu devras être en mesure de traduire de très vieux textes en Monstrubilus.

Seth soupira. Il le savait, mais cela n’arrangeait rien au fait qu’il détestait cette matière.

— Compte-toi chanceux, dit Alan. Toi, au moins, tu sais ce que tu vas faire. Pas moi.

En effet, Alan n’avait aucune idée du métier ou de la profession qu’il aimerait exercer. La conseillère en orientation, madame Kathleen McClure, s’était donc basée sur ses notes pour lui donner des cours dans lesquels il excellerait.

— Tu devrais faire comme moi et venir travailler au sein du Conseil des Sanctuaires, fit Fay.

— Non, répondit précipitamment Alan, je n’irai jamais travailler pour le Conseil !

— Pourquoi ?

— Pour la simple et bonne raison que je ne veux pas !

Seth sourit devant la moue de Fay. Elle roula les yeux avant de soupirer.

Durant l’après-midi, le soleil fut vite obstrué par d’épais nuages gris, et bientôt il plut à verse. Seth et ses amis décidèrent donc de passer leur journée dans l’auberge pour ne pas avoir à affronter la température extérieure.

Alors qu’ils étaient assis autour d’une table en train de parler de tout et de rien, deux filles entrèrent dans l’auberge. Elles portaient de grands imperméables jaunes qui cachaient leurs visages. Quand elles enlevèrent leurs capuches, Seth reconnut Jilian Tremblay et Annie Stanton, deux de ses partenaires de Capture l’Humain.

Capture l’Humain était le sport préféré des Monstres. Aux extrémités d’un terrain de jeu, il y avait une grotte qui servait de but. Deux équipes devaient s’affronter. Un robot-humain était relâché en liberté sur le terrain, et le but du jeu était de le faire entrer dans le but adverse sans le toucher. La première équipe qui marquait trois points gagnait le match.

Jilian enleva son imperméable, et Annie l’imita bien vite. Elles ne perdirent pas un moment et rejoignirent Seth à sa table. En fait, c’était plutôt Alan qu’elles venaient voir puisqu’il était le chef de leur équipe de Capture l’Humain : les Servators. L’équipe comprenait Alan, Seth, Jilian, Annie et Dave Bilodeau.

— Alan ! s’exclama Annie. Je savais que je te trouverais ici.

— Où voudrais-tu que je sois avec un temps pareil ?

Annie et Jilian s’emparèrent des chaises vides de la table voisine pour se joindre au quatuor.

— J’ai pensé à un nouvel horaire pour les entraînements de Capture l’Humain, reprit Annie. Les mercredis, le terrain est occupé par les Infensus ; il est donc inutile de se présenter. En revanche, nous pourrions prendre les jeudis et les vendredis, en plus du samedi une fin de semaine sur deux. Qu’en penses-tu ?

Alan réfléchit un moment. Tout comme Seth, il adorait ce sport. Mais il adorait également avoir du temps libre pour lui-même. Il négligeait donc parfois les entraînements. Il jongla un moment avant de dire :

— Ce que j’en pense ? Je pense que tu devrais être la capitaine des Servators, cette année. Ça te plairait de prendre le poste ?

— Quoi ? Moi… capitaine des Servators ? Tu veux rire ? !

— Pas du tout. Tu acceptes ou pas ?

— Évidemment, oui !

— Dans ce cas, tu n’as qu’à prévenir Josh Dehin ; il fera le changement sur la fiche de notre équipe, et tu pourras également lui dire que les Servators participeront encore au championnat cette année.

Annie ne savait pas quoi dire, tellement elle était émue. À côté d’elle, Seth remarqua une lueur de jalousie passer dans les yeux de Jilian. Le regard dur, elle fixait Alan sans ciller.

— Pourquoi ne restes-tu pas capitaine ? lança froidement Jilian.

— Bah, Annie aime ce jeu plus que moi.

— Merci, murmura Annie.

Elle revêtit son imperméable et sortit de l’auberge, suivie à contrecœur par Jilian. Seth était persuadé qu’elle se dirigeait déjà vers la maison de Josh Dehin, le professeur d’Histoire des Monstres.

— J’ai rêvé, ou Jilian est jalouse ? fit Seth quand la porte claqua derrière les filles.

— Elle l’est, confirma Pachy. Elle doit envier Annie d’être la capitaine des Servators puisqu’elle aussi adore ce sport.

— Je n’y avais pas pensé, avoua Alan. J’espère que ça ne fera pas de chicane entre elles !

Fay gloussa.

— Depuis quand les filles se chicanent-elles ? lança-t-elle.

Les garçons éclatèrent de rire à leur tour.

*

Annie n’avait perdu aucune seconde et avait bel et bien mis Josh au courant des derniers changements au sein de l’équipe des Servators, de sorte que seulement trois jours plus tard, Alan et Seth reçurent une lettre de la part d’Annie.

— C’est l’horaire des entraînements, souffla Alan en lisant la lettre tout en se calant dans sa chaise.

Ils étaient dans l’auberge. Yvon nettoyait des verres, comme à son habitude. Et le satyre Rupert, déjà saoul, ennuyait Yvon en lui racontant des histoires invraisemblables.

— On commence à s’entraîner au mois de septembre…, continua Alan. Elle nous avertit d’avance ! Nous sommes seulement au mois de juillet !

— Elle veut être certaine que tout le monde accepte l’horaire, en déduisit Fay. C’est brillant de sa part. Comme ça, vous ne pourrez pas trouver d’excuse de dernière minute pour manquer une séance d’entraînement. C’est quand, finalement ?

— Les jeudis et vendredis, soupira Seth. Je me demande si nous allons avoir du temps pour notre étude.

— Votre étude ? s’étrangla Fay. Chaque année, Alan et toi copiez l’un sur l’autre ! Je n’appelle pas ça de l’étude !

— Elle marque un point, tu sais, chuchota Alan à l’oreille de Seth.

Fidèle à son habitude, Pachy leur donnait des nouvelles de Prodige à chaque fois qu’il avait l’occasion de glisser l’information dans la discussion. Alia le tenait au courant de tout ce qui se passait, jour après jour. Seth et ses amis ne s’en plaignaient pas ! D’un côté, savoir qu’un Sanctuaire se protégeait et prenait la menace au sérieux était rassurant. Mais d’un autre côté…

— Quand croyez-vous que le Conseil va donner son accord pour rajouter des protections ? demanda Fay quand l’homme-éléphant termina d’expliquer qu’Ewilan avait élargi le périmètre de protection du Sphinx, gardien de l’arche qui permettait d’entrer à Prodige.

— Bientôt, je l’espère, avoua Pachyderme. C’est inquiétant de penser que le Sanctuaire peut être attaqué n’importe quand. Au moins, le Brouilleur a été renforcé.

Seth fronça les sourcils.

— Que veux-tu dire ?

— Le Brouilleur est l’Objet Magique qui sert à brouiller les radars Humains et les miroirs, faisant en sorte qu’il soit impossible de nous localiser. Wilson a augmenté sa puissance si bien que plus personne ne peut voyager par miroir pour entrer ou sortir de Monstrum. Nous pouvons seulement parler avec d’autres personnes.

— Pourquoi ne pas couper toute communication ? s’indigna Fay. Ce serait plus prudent.

— En effet, mais Wilson gère tous les miroirs grâce au Brouilleur. Par exemple, il sait lorsque je corresponds avec Alia. Si quelqu’un de la Secte des Cauchemars essaie d’entrer en contact avec quelqu’un d’ici, Wilson sera automatiquement au courant.

— Qui t’a parlé de tout ça ? fit Alan.

— Alicia. Je l’ai croisée hier et je lui ai demandé si Alia pouvait venir… enfin, peu importe…

Mais Alan avait très bien compris et il s’exclama :

— Tu l’as questionnée à savoir si Alia pouvait passer le reste de l’été ici, c’est ça ?

Pachy se mit à rougir, et Seth fut heureux d’entendre Fay changer de sujet.

— En parlant d’Alicia, avez-vous remarqué qu’elle se tient beaucoup avec Wilson ces temps-ci ?

Seth haussa les épaules.

— Avec tout ce qui se passe, c’est normal, non ?

— Vous croyez ? lança Fay, déçue. J’ai toujours cru qu’ils feraient de beaux amoureux.

Seth approuva de la tête. Maintenant qu’il y pensait, oui, il trouvait que Wilson et Alicia formeraient un couple solide.

— En parlant d’amour, dit alors Alan en se tournant vers Seth, quand est-ce que tu vas inviter Eva à sortir avec toi ?

Seth sentit la chaleur monter en lui. Eva Jacob était une jolie jeune fille qui souffrait d’hypertrichose. C’est-à-dire que, tout comme le Gardien de Monstrum, elle avait un problème de pilosité. Ses bras étaient plus poilus que chez la moyenne des gens. Seth était complètement tombé sous le charme d’Eva. L’année dernière, il avait bien cru pouvoir sortir avec elle, sauf qu’elle avait choisi de s’engager avec un certain Daniel Trudeau. Heureusement pour Seth, à la fin de l’année, Eva avait quitté Daniel.

— Ça ne te regarde pas ! s’écria Fay en donnant une tape derrière la tête d’Alan.

— Fay a raison, intervint Pachy. On appelle ça la « vie privée », Alan !

— Je vais sûrement l’inviter à la Grande Fête, comme l’année dernière, répondit Seth en regardant Alan dans les yeux.

Un silence gênant s’installa. Tous savaient que la Grande Fête précédente s’était mal terminée pour Seth : lors de cette soirée, Eva avait indirectement choisi d’être avec Daniel.

— Tu es sûr de vouloir faire ça ? demanda doucement Fay.

— Pourquoi pas ?

— Parce que… eh bien…

Fay lança un regard à Pachy qui vola à son secours.

— Peut-être qu’elle est encore ébranlée par sa rupture avec Daniel…

— Je ne crois pas, coupa Alan. Je l’ai aperçue il n’y a pas si longtemps, et elle semblait en pleine…

Fay lui asséna une autre claque derrière la tête.

— Oui, dit Alan en se frottant le crâne, elle est peut-être encore ébranlée.

Seth ne put s’empêcher de rire devant le visage crispé d’Alan.

— Écoutez, fit Seth, si elle ne veut pas, je comprendrai très bien. Mais je ne manquerai pas une seule occasion pour me rapprocher d’elle, surtout que nous ne nous sommes pas vraiment parlé l’année dernière.

Pachy soupira.

— En fait, Seth, elle aurait continué à te parler si tu ne lui avais pas tourné le dos comme tu l’as fait.

Seth savait que Pachy avait raison, mais il ne répondit rien.

À ce moment précis, la porte de l’auberge s’ouvrit, et une jeune fille de 10 ans entra. Sa simple démarche, par sa droiture, montrait une grande maturité. La fillette repéra Seth en un rien de temps. Le sourire aux lèvres, elle se dépêcha de gagner la table du quatuor.

— Bonjour, Emma, s’exclama Seth.

Emma était un loup-garou. Elle était arrivée à Monstrum quelques mois après Seth. Depuis ce temps, celui-ci avait développé un lien hors du commun avec elle.

— Tu ne devineras jamais quoi ! s’écria Emma.

— Quoi ?

— J’ai envoyé mon manuscrit à une deuxième maison d’édition puisqu’il ne rentrait pas dans les normes éditoriales de la première…

Malgré son jeune âge, Emma avait écrit un livre : Mon seul ami. Seth avait même eu l’honneur d’être le premier à le lire.

— Vraiment ? !

— Oui. J’ai tellement hâte d’avoir des nouvelles !

— Je comprends ! s’exclama Fay. Félicitations, Emma !

Tous lui souhaitèrent bonne chance et lui assurèrent que son livre allait être publié, qu’elle n’avait pas à s’en faire avec ça.

— Je l’espère, avoua Emma, mais il ne faut pas oublier qu’il est possible qu’il soit refusé.

— On croit en toi, murmura Alan. Il va être accepté.

— Merci. Alicia m’a aidée à le corriger et à reformuler quelques paragraphes. Elle est gentille, Alicia.

La porte s’ouvrit une deuxième fois, et la tête d’une autre fillette apparut dans l’embrasure. Elle fit signe à Emma de se dépêcher.

— Un instant ! lui cria Emma.

La fillette refermait la porte quand Emma se tourna à nouveau vers le quatuor.

— Je leur ai dit que je venais seulement pour te dire ça. Et aussi pour te transmettre un message, Seth.

— Je t’écoute.

— En venant ici, j’ai croisé Wilson, et il m’a demandé de te dire qu’il veut te voir. Il aurait aimé venir, mais il doit absolument aller chercher quelqu’un.

— Qui ?

— Je n’en ai aucune idée. Mais il veut que tu ailles le voir chez lui. Et il exige que tu t’y présentes seul.

— Comme si j’avais l’habitude d’emmener mes amis avec moi !

— Encore félicitations, répéta Fay en caressant les cheveux d’Emma.

— Merci.

Le loup-garou tourna les talons et alla rejoindre ses amis à l’extérieur. Seth fit face à ses camarades.

— Que croyez-vous qu’il me veut ?

Alan haussa les épaules.

— Il a peut-être un service à te demander.

— Ne le fais pas attendre, pressa Pachy. Vas-y, vite !

Lentement, Seth se leva et quitta l’auberge. Il n’avait aucune idée de la raison pour laquelle Craig Wilson voulait le voir. Néanmoins, il déambula dans les rues bondées du village en direction de la maison du Gardien. Sur son chemin, il aperçut un grand garçon, costaud, qui portait quatre bras : Hayden Heyman, son ennemi numéro 1. Hayden n’acceptait pas que Seth soit plus populaire que lui. Il s’offusquait également lorsque quelqu’un l’appelait monsieur H et, en outre, il jouait dans l’équipe des Infensus de Capture l’Humain.

Tout près d’Hayden, il y avait Claudie Heyman, sa sœur, facilement reconnaissable avec ses longs cheveux et ses mains recouvertes d’écailles. Contrairement à son frère, Claudie était une amie de Seth. Elle avait même été la petite amie d’Alan l’année dernière.

Par chance, Hayden ne remarqua pas Seth lorsqu’il passa tout près de lui. Claudie lui envoya chaleureusement la main, et Seth fit de même. Une fois hors de leur champ de vision, Seth regarda en avant, de moins en moins sûr de ce qu’il faisait.

Pourquoi Wilson voulait-il le voir ? Avait-il fait quelque chose d’illégal ? Pas à sa connaissance, en tout cas. Peut-être qu’involontairement il avait causé un problème…

Ou alors, songea Seth, mélancolique, il voulait le voir à cause de la Secte des Cauchemars. Il y avait quelques semaines, Jessie avait voulu utiliser Seth comme appât pour pouvoir tuer le Roi des Cauchemars… Et si Wilson voulait faire la même chose ? Le jeune homme déglutit et arrêta de marcher. Il voyait la maison de Wilson devant lui, avec le balcon en bois sous lequel Seth s’était déjà caché, et il n’avait pas envie d’y mettre les pieds.

La porte de la maison s’ouvrit, et une femme en sortit. De longs cheveux foncés encadraient son magnifique visage à la peau claire. Même à cette distance, Seth parvenait à voir le mauve de ses yeux et ses oreilles pointues… ou était-ce parce qu’il la connaissait qu’il voyait ces détails ?

— Seth, pressa Alicia, viens !

Elle avait dû le voir arriver depuis une des fenêtres de la maison. Les jambes de Seth se remirent automatiquement en action, et le jeune homme avança plus rapidement qu’il ne l’aurait souhaité. Une à une, il monta les marches de l’escalier du porche, et Alicia le fit entrer dans la maison.

— Dans la salle de séjour, ordonna Alicia.

Seth tourna à droite pour faire face à un long couloir comportant plusieurs fenêtres. Il s’y aventura et arriva, comme il le savait très bien, dans la salle de séjour. Sur les murs se trouvaient une dizaine de miroirs et plusieurs étagères remplies de livres. Les rideaux des grandes fenêtres de cette salle étaient tirés. Deux fauteuils de chintz confortables trônaient dans la salle, et Seth remarqua que trois chaises en bois avaient également été ajoutées. Sur l’un des sièges confortables se trouvait un homme minuscule qui ne faisait pas plus de 50 centimètres. Il s’agissait de Gary Lachance, le directeur de l’école de Monstres, Magistra.

— Assis-toi, dit le directeur.

L’idée de désobéir à Gary n’effleura même pas l’esprit de Seth qui s’empressa de s’asseoir sur la chaise en bois du milieu. Alicia prit place sur celle à sa droite.

— Où est Wilson ? demanda Seth.

— Nous croyions qu’il viendrait avec toi, avoua Alicia. Il a dit qu’il allait te chercher puis qu’il irait retrouver quelqu’un à l’arche.

— Il a croisé Emma sur son chemin et lui a demandé de me transmettre un message. Au fait, c’est génial ce qui arrive à Emma.

Alicia lui fit un clin d’œil.

— Je suis heureuse que tu te réjouisses de son bonheur.

— Comment faire autrement ?

— Ils arrivent ! lança Gary qui avait vu des silhouettes passer devant l’une des fenêtres du couloir.

La porte d’entrée s’ouvrit, et le son d’un rire vola jusqu’à leurs oreilles.

— Mon cher Craig, disait une voix, tu m’as vraiment manqué !

Bientôt, Craig Wilson et un homme entrèrent dans la salle de séjour. L’inconnu portait un complet-cravate et avait les yeux d’un noir d’encre, tout comme ses cheveux. Son menton était pointu, rasé de près. Il cachait ses mains dans des gants blancs. Bizarrement ses doigts semblaient se terminer en aiguilles. Seth n’avait aucune difficulté à s’imaginer des griffes au lieu de ses doigts.

— Gary, Alicia et Seth, je vous présente Sibyllin Vigile. Sibyllin, voici Gary Lachance, Alicia Baldwin et Seth Langlois.

Sibyllin se pencha de manière solennelle à trois reprises. Étrangement, il resta un peu plus longtemps arqué devant Seth et le dévisagea en se relevant lentement.

— C’est donc toi…

— Le Monstre qui n’en est pas un, l’Exception, oui, coupa Seth. Je sais tout cela.

— Non, reprit Sibyllin, c’est toi Seth Langlois. Je ne crois pas une seconde à toutes ces rumeurs à l’effet que tu ne sois pas un Monstre. Si le Monstre-ô-mètre t’a détecté, tu es l’un des nôtres.

— Merci.

Voilà tout ce que Seth trouva à dire.

Quelque part en lui, Seth trouva cela presque touchant. Toutefois, il restait un peu sur ses gardes. Après tout, il ne connaissait pas Sibyllin. Il avait vécu tellement de choses invraisemblables qu’il avait de la difficulté à faire confiance à des inconnus.

— Seth, expliqua Wilson, Sibyllin fera partie de ta garde rapprochée.

— Ma quoi ? !

— Ta garde rapprochée, répéta Wilson. Vois-tu, Seth, le Conseil à décrété ce matin que nous pouvions mettre des protections supplémentaires autour du Sanctuaire. Généreuse de nature, Ewilan me fournit cinq gargouilles, et Gurt aura un périmètre plus grand à protéger. Toutefois, j’ai cru bon de rajouter de la protection à l’intérieur de Monstrum. Sibyllin et quatre autres hommes composeront ta garde rapprochée.

— Qui sont les autres ? s’intéressa Gary en croisant les bras.

Wilson invita Sibyllin à s’asseoir dans le fauteuil de chintz pendant qu’il prenait place sur la troisième chaise en bois. Gary fixait durement Sibyllin pendant que ce dernier se laissait tomber à la place indiquée par le Gardien.

— Il y a Larry Patenaude, Naïla Gaudet, Olivier Lapalme et Jason Proulx, répondit Wilson.

Gary hocha la tête.

— D’accord, dit-il.

Seth regarda longuement Sibyllin avant de se tourner vers Wilson.

— Et que sont-ils censés faire ?

Sibyllin éclata de rire. Wilson dut attendre qu’il se ressaisisse avant de pouvoir expliquer :

— Ta garde rapprochée te suivra nuit et jour à une distance respectable. Autrement dit, tu ne seras jamais seul à proprement parler. Tu auras quand même droit à ton intimité, mais ta garde sera toujours près de toi, où que tu te trouves. Trois personnes te suivront pendant que les deux autres surveilleront l’auberge et l’école, au cas où quelqu’un voudrait t’y tendre un piège.

— Un instant ! coupa abruptement Seth. Que voulez-vous dire par « à une distance respectable » ?

— Tu ne te rendras même pas