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L’Allié
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Livre électronique366 pages5 heures

L’Allié

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À propos de ce livre électronique

Nadia a sauvé la ville de Captive’s Sound d’une apocalypse explosive et elle a vaincu Elizabeth, l’enchanteresse… Du moins, c’est ce qu’elle pensait. Mais une fi ssure s’est ouverte vers l’enfer et une grande menace approche.
En tant qu’Allié de Nadia, son copain, Mateo, devrait renforcer ses pouvoirs, mais la malédiction pesant sur lui s’est accrue.
Malgré tous ses efforts, Nadia ne peut briser le sortilège cruel jeté sur Verlaine, sa meilleure amie, ni mettre fi n à la mystérieuse maladie qui frappe les habitants de la ville les uns après les autres.
Nadia doit rassembler toutes ses forces pour protéger les gens qu’elle aime, mais elle est plus vulnérable que jamais devant un pouvoir maléfi que. Le Très-Bas a commencé à évoquer son nom, et Nadia doit décider si elle est prête à s’approcher des ténèbres…
Au risque de ne pouvoir s’en échapper.
LangueFrançais
Date de sortie14 déc. 2015
ISBN9782897529116
L’Allié
Auteur

Claudia Gray

Claudia Gray has worked as a lawyer, a journalist, a disc jockey, and an extremely poor waitress. Her lifelong interests in old houses, classic movies, vintage style, and history all play a part in creating the world of Evernight.

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    Aperçu du livre

    L’Allié - Claudia Gray

    www.laburbain.com

    Chapitre 1

    Au cimetière de Captive’s Sound, toutes les pierres tombales ou presque affichaient une promesse d’éternité.

    Il était inscrit des phrases telles que : « À jamais dans nos esprits » ou « Pour toujours dans nos cœurs ». Malgré toutes ces promesses d’amour infini, les gens semblaient rarement venir se recueillir.

    Aujourd’hui, toutefois, trois personnes étaient là.

    Nadia Caldani se trouvait devant la grille en fer forgé dont les courbes imitaient des feuilles, des roses et des épines. Son pull bourgogne et son jean foncé ne laissaient en rien deviner son secret : Nadia était une sorcière — jeune et seulement à moitié formée, mais plus puissante que ce qu’elle avait cru.

    Ses épais cheveux noirs, attachés en queue de cheval, laissaient voir l’ecchymose sur sa tempe et les petites coupures sur une de ses joues. Moins de 36 heures plus tôt, elle avait combattu la magie la plus noire de sa connaissance, celle d’Elizabeth, une enchanteresse, une servante du Très-Bas. D’une façon ou d’une autre, et contre toute attente, Nadia avait gagné. Elle savait qu’elle devrait se sentir folle de joie, mais la peur régnait toujours en elle tel un feu refusant de s’éteindre.

    « J’ai eu de la chance, pensa-t-elle. Mais au moins, Elizabeth a disparu et la vie peut reprendre son cours normal. »

    À côté d’elle se trouvait Mateo Perez, portant un blouson de sport par-dessus un t-shirt et un pantalon noirs qu’il allait devoir porter tout à l’heure pour son quart de travail au restaurant. Nadia savait qu’il s’était toujours considéré comme un étranger, à Captive’s Sound, isolé par la malédiction jetée sur sa famille. Il avait longtemps cru qu’il avait une seule véritable amie, mais cette croyance avait été fabriquée par Elizabeth. Elle les avait utilisés, la malédiction et lui, pour parvenir à ses fins.

    Nadia avait réussi à montrer à Mateo la véritable nature d’Elizabeth. Mais elle avait surtout découvert qui il était vraiment : un garçon assez fort pour supporter la malédiction. Un garçon pouvant lui servir d’Allié, augmentant la puissance de sa sorcellerie. Un garçon capable de voir la magie en action dans le monde, qu’elle soit blanche ou noire. Nadia avait seulement eu besoin de quelques semaines pour comprendre qu’elle avait besoin de Mateo à ses côtés, pour toujours. Ils s’étaient embrassés pour la première fois quelques jours plus tôt et elle avait l’impression de toujours pouvoir sentir ce baiser, les lèvres de Mateo sur les siennes.

    « Nous avons tout notre temps, maintenant, se dit-elle quand il lui jeta un regard de côté. Tout le temps du monde. Alors, aujourd’hui, il n’est pas question de nous. Il est question de Verlaine. »

    Appuyée contre le portail, Verlaine Laughton essayait de reprendre son souffle, une main pâle fermée autour des feuilles en fer forgé. Le bracelet en plastique qu’elle avait porté à l’hôpital et qu’elle n’avait pas encore coupé pendait à son poignet. Même si ses pères avaient protesté contre le fait qu’elle sorte avec ses amis si peu de temps après son hospitalisation, elle les avait convaincus qu’elle en avait besoin.

    — Le soleil, avait-elle plaidé. L’air frais.

    Tout cela semblait bon pour la santé, n’est-ce pas ?

    Elle était maintenant sur le point de se rendre sur les tombes de ses parents pour la première fois depuis trop longtemps. Grâce à la magie de Nadia, et peut-être à la capacité d’Allié de Mateo, Verlaine découvrirait si la mort de ses parents avait été causée par la magie noire… Si toute la tristesse de sa vie solitaire — devenir orpheline alors qu’elle était bébé, avoir des cheveux gris à 17 ans — était causée par un sortilège lancé par Elizabeth.

    « Elizabeth a disparu pour toujours, se dit Verlaine. Je n’ai aucune possibilité de me venger. Nous ne pouvons rien faire pour renverser son sortilège maintenant qu’elle est morte. Alors, à quoi bon le découvrir ? »

    Nadia posa une main sur son épaule.

    — Est-ce que ça va ?

    — Oui.

    Verlaine se redressa complètement — elle avait plusieurs centimètres de plus que Nadia, et même quelques-uns de plus que Mateo.

    — Ça va.

    — Nous ne sommes pas obligés de faire ça maintenant, déclara Mateo. Nous pourrions revenir dans quelques jours. Rien ne presse.

    — Je sais que nous n’avons pas à le faire maintenant.

    Les mots échappèrent à Verlaine, qui parla d’une façon trop rapide et incertaine, mais résolue.

    — Nous n’avons pas à le faire du tout. Mais je veux savoir. Finissons-en.

    — D’accord. Venez.

    Nadia passa un bras autour de Verlaine, et ce simple contact humain l’aida à se sentir mieux.

    Nadia avait affirmé que la résonance magique autour de Verlaine était ancienne et remontait presque à sa naissance. Si Elizabeth était responsable du sortilège, ils ne pourraient pas le briser maintenant qu’elle était morte.

    Mais la magie entourant Verlaine était particulièrement cruelle. Elle l’empêchait d’être vraiment remarquée ou appréciée. Cette magie l’empêchait d’être aimée.

    Ce n’était pas une barrière absolue. Sa famille, qui l’aimait depuis sa naissance, avant le sortilège, l’aimait toujours profondément. Et au cours des dernières semaines, il y avait eu des moments où d’autres forces magiques, plus puissantes que le sort, avaient temporairement neutralisé l’effet de ce que Verlaine avait subi… Des moments où elle avait senti que ses amis l’aimaient vraiment.

    Ces instants étaient cependant brefs. En ce moment même, Verlaine savait que Nadia était là principalement à cause d’un sentiment d’obligation. Quand elle regardait Mateo, elle pouvait voir le même sentiment de culpabilité. Ce n’était pas leur faute ou la sienne. La magie était responsable.

    « Même si la malédiction est éternelle, je veux connaître la vérité, simplement pour savoir à quoi j’ai affaire au lieu de toujours me poser des questions. »

    Ils marchèrent lentement sur le sentier rocheux qui faisait le tour du cimetière. Captive’s Sound était accrochée à cette portion escarpée et triste du Rhode Island depuis l’époque coloniale. Certaines tombes dataient de plusieurs siècles et elles étaient noircies par l’âge, les lettres profondément gravées étant devenues de simples égratignures à cause de la pluie et du temps. La fraîcheur du vent de novembre était exacerbée par l’air marin qui faisait voler des feuilles dorées devant leurs pieds et emmêlait les longs cheveux gris de Verlaine.

    Captive’s Sound était profondément malade. Nadia se dit que la ville était pourrie jusqu’à la moelle à cause de toute la magie noire qui avait été utilisée au cours des siècles par Elizabeth Pike. Elle avait espéré que la mort d’Elizabeth permette à la ville de commencer à guérir, mais les arbres étaient toujours nus et trop petits, et la lumière, diluée et moins brillante que la normale.

    D’un autre côté, on était seulement le 2 novembre.

    « Donne-lui le temps de guérir », se dit Nadia.

    Verlaine s’arrêta soudainement, ses Converse faisant voler de la poussière sur le sentier.

    — Là. Mes parents sont là-bas.

    Elle pointa du doigt un bloc en granit encore lisse, une des longues pierres tombales qui indiquaient un tombeau double. Nadia l’aida à se diriger vers ce lieu tout en remarquant que Mateo faisait attention de ne pas marcher sur un endroit sous lequel se trouvait un corps. Aux yeux de certaines personnes, cette façon d’agir aurait été une superstition, mais Nadia savait que pour Mateo, c’était une preuve de respect.

    Ils arrivèrent finalement devant les tombes et lurent une épitaphe : « Richard et Maisie Laughton, enfants adorés, parents aimants. Disparus trop tôt. »

    — Ils n’ont pas de fleurs, remarqua Verlaine d’une petite voix. J’avais l’habitude d’en apporter, quand j’étais petite, mais ça faisait toujours pleurer oncle Dave. Il était proche de ma mère. Il disait qu’elle avait toujours été sa meilleure amie. Il souffrait tellement quand nous venions ici que j’ai arrêté de le demander. Mais maintenant, ça fait des années que mes parents n’ont pas reçu de fleurs.

    — Ça va, affirma Mateo. Ils savent que tu les aimes toujours.

    — Ah oui ? Nous avons prouvé que la magie existe, que les sorcières existent, ainsi que les enchanteresses folles qui s’assoient à nos côtés en cours de chimie, mais, aux dernières nouvelles, nous ne savons rien au sujet du paradis.

    Verlaine s’essuya le visage même si elle ne pleurait pas. Nadia eut l’impression qu’elle essayait de se concentrer.

    — Ou est-ce que l’information se trouve dans ton Livre des ombres, Nadia ? La preuve de la vie après la mort ?

    — Non. C’est tout aussi mystérieux pour toi que pour moi.

    Nadia se dit que la meilleure façon de réconforter Verlaine était de se concentrer sur ce qu’ils étaient venus faire.

    — Verlaine, je veux que tu te places entre les deux tombes.

    L’effet fut immédiat. Verlaine se calma dès qu’elle eut quelque chose de constructif à faire.

    — À côté de la pierre tombale ? Est-ce que c’est important ?

    — Non, mais il y aura peut-être un, euh… choc physique. Alors, il serait bon que tu recules.

    Nadia jeta un coup d’œil par-dessus son épaule.

    — Ce serait une bonne idée que tu recules aussi, Mateo.

    Il lui sourit et ce fut un de ces moments où elle fut de nouveau abasourdie… Ce garçon merveilleux était entré dans sa vie au moment où elle essayait de repousser tout le monde. Mateo avait abattu les murs. Brûlé ses barrières. Crocheté la serrure de la grille.

    — Reculer, dit-il. D’accord. Tu n’as pas besoin d’un Allié pour ce sortilège ?

    — J’ai toujours besoin de mon Allié, répondit doucement Nadia. Mais tu seras bien assez proche.

    Verlaine se plaça entre les tombes de ses parents et baissa les yeux vers l’endroit où reposait sa mère, l’air étrange. Son apparence rétro était moins soignée que d’habitude, mais elle portait quand même un jean délavé et un pull blanc bouffant pour obtenir une allure des années 1980. Nadia ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle semblait extrêmement mince et pâle. Comme un fantôme au milieu des tombes.

    — Ici ?

    — C’est bien.

    Nadia leva une main et saisit son poignet — plus précisément le pendentif en quartz accroché à son bracelet. Celui-ci n’était pas un simple bijou… C’était sa façon de garder près d’elle les principaux éléments dont elle avait besoin pour ses sortilèges.

    Mais ces éléments seuls n’étaient pas magiques. Ils aidaient simplement Nadia à s’ancrer et à se préparer. Pour faire de la magie, elle devait lancer un sortilège.

    Pour dévoiler la magie lancée depuis longtemps :

    Une peur conquise.

    Un amour trahi.

    Des secrets exposés.

    C’était les ingrédients. Maintenant, pour les rendre puissants, Nadia ferma les yeux et pensa aux souvenirs les plus profonds et émotionnels correspondant à chaque ingrédient.

    Se tenir à côté de Mateo dans l’incendie du carnaval d’Halloween, consciente que la maison était sur le point de s’écrouler autour d’eux, pendant qu’elle affrontait la magie d’Elizabeth et la combattait à l’aide de la sienne.

    C’est mieux comme ça, dit sa mère devant la porte, sa valise à la main, refusant de regarder Nadia dans les yeux avant de l’abandonner à tout jamais.

    Croiser le regard d’Elizabeth dans le laboratoire de chimie au moment où un sort lancé par Nadia avait mal tourné, et voir le sourire moqueur d’Elizabeth, son absence de surprise, montrant qu’elle était non seulement une sorcière… mais horriblement, indubitablement, une enchanteresse.

    Nadia ouvrit les yeux et vit une brume vert bouteille les entourer… Elle était concentrée sur les tombes et sur Verlaine. Un doux bruissement se fit entendre, comme de la soie. Les longs cheveux gris de Verlaine se mirent à tourner autour d’elle comme si elle se trouvait sous l’eau.

    — Il fait froid, murmura celle-ci.

    — Ne bouge pas, dit Nadia.

    Elle leva une main en signe d’avertissement. Verlaine écarquilla les yeux, mais ne bougea pas.

    La brume tourbillonna de plus en plus rapidement avant de geler sur place… littéralement. Un moment, c’était de la vapeur, et l’instant d’après, des cristaux verdâtres gré­sillaient autour d’eux. Verlaine grimaça et se couvrit la tête pendant que la glace cliquetait sur les pierres tombales de ses parents. Elle fondit immédiatement, coulant entre les lettres gravées avant de tomber sur le gazon brunâtre.

    Verlaine regarda à travers ses doigts.

    — C’est tout ?

    Nadia opina. Mateo s’approcha d’elles, et quand Nadia se tourna vers lui, ce qu’elle vit dans ses yeux confirma ses pensées.

    — Qu’as-tu vu ? lui demanda-t-elle.

    En tant qu’Allié, Mateo avait accès à un aperçu de la magie qu’elle ne pourrait jamais égaler.

    — Des… traces métalliques rouge foncé, je dirais.

    Il hésita, essayant visiblement de trouver les bons mots.

    — Comme si elles tombaient dans la brume verte.

    — Nous avons aussi vu la brume. C’était un cadeau.

    Verlaine se dirigea vers eux d’un pas chancelant. Nadia ne savait pas si c’était à cause des effets persistants de ce qu’Elizabeth lui avait fait une semaine plus tôt, ou à cause des émotions qu’elle ressentait probablement.

    — Rouge foncé. C’est donc de la magie ancienne, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que le sortilège t’a montré, Nadia ?

    Nadia décida qu’il valait mieux le dire aussi rapidement et précisément que possible.

    — Ce n’est pas seulement l’écho d’un vieux sortilège. Peu importe quel est ce sort… Il a été lancé il y a longtemps, mais il agit toujours. Il est lié à la mort de tes parents. C’est incontestablement de la magie noire. Et…

    Le reste était seulement un jugement personnel, mais elle en était sûre.

    — Oui, Elizabeth est la responsable.

    Verlaine ne réagit pas immédiatement. Son visage pâle resta presque inexpressif et mis à part ses cheveux balayés par le vent, elle ne bougea pas.

    Mateo fit un pas vers elle.

    — Verlaine ? Est-ce que ça va ?

    — J’aurais au moins pu apporter des fleurs.

    Sur ce, Verlaine croisa les bras et laissa tomber sa tête, se renfermant.

    Elle leur avait parlé de la mort de ses parents… Et même pour elle, ce n’était qu’une histoire qu’on lui avait racontée puisqu’elle n’était qu’un bébé, à l’époque. On l’avait trouvée alors qu’elle pleurait dans son berceau. Les corps de ses parents se trouvaient dans leur chambre ; ils étaient apparemment tombés malades si rapidement et gravement qu’ils avaient été incapables d’appeler les secours avant de mourir. Maintenant, ils savaient qu’Elizabeth était la responsable. Elle devait avoir été là à ce moment, ignorant les pleurs de Verlaine pendant qu’elle regardait ses deux victimes.

    Mais pourquoi ? La mère de Verlaine avait-elle été une sorcière, une personne qu’Elizabeth avait détruite pour s’être opposée à elle ? Si Elizabeth avait tué le père par malveillance, pourquoi avait-elle épargné le bébé ? Elizabeth avait-elle empêché les gens d’aimer Verlaine pour que personne ne pense à enquêter sur la mort de ses parents ?

    Tout cela n’avait aucun sens. Nadia allait devoir essayer de lancer des sortilèges pour découvrir ce qui était arrivé… Elle serait peut-être capable de le faire. Cependant, elle ne pourrait jamais dire à Verlaine pourquoi Elizabeth avait tué ses parents. Cette réponse était morte avec elle.

    Nadia revit sa mère partir de la maison, abandonnant sa famille. Elle se disait parfois que le pire était de ne pas connaître la raison.

    Mateo prit sa main et ils s’approchèrent de Verlaine. Ce simple geste suffit à faire frissonner Nadia.

    — Hé, dit doucement Mateo à Verlaine. Est-ce que ça va ?

    — La prochaine fois, je commencerai par aller chez Jasmine.

    Verlaine repoussa des cheveux gris. Sa main était toujours contusionnée à cause de l’intraveineuse de l’hôpital.

    — C’est la fleuriste de la ville, Nadia. J’ai oublié que tu étais nouvelle, ici, et que tu ne le savais peut-être pas. Je peux y aller et acheter une douzaine de roses. Deux douzaines. Ou… Combien de roses pensez-vous qu’ils ont en tout ?

    Nadia aurait voulu lui dire que tout allait bien se passer, mais elle ne voulait pas donner de faux espoirs à son amie.

    — Écoute. Je veux essayer quelque chose.

    — Un autre sortilège ?

    — Oui. Je veux découvrir ce que tu as subi et s’il existe un moyen de renverser le sort.

    Verlaine leva les yeux en entendant cela.

    — Est-ce que tu peux le renverser ?

    — Peut-être. Nous ne le saurons pas avant d’avoir essayé.

    Nadia lui sourit de façon encourageante. Tant qu’ils restaient à proximité des corps de ses parents — les premières victimes du sortilège, donc celles qui portaient les plus grandes marques de la magie —, Nadia pensait qu’ils avaient une chance de réussir.

    Elle leva la main vers son bracelet, prête à commencer le nouveau sortilège…

    Verlaine cria. Mateo saisit Nadia et la tira en arrière, à peine quelques secondes avant que ses cheveux ne se dressent sur sa tête. C’était comme si la foudre avait frappé, mais au lieu d’un éclair, une colonne de feu tourbillonna devant eux, dégageant une grande chaleur. Le grondement assourdit Nadia et elle trébucha dans les bras de Mateo.

    — Mes parents ! hurla Verlaine.

    Les flammes dansaient sur leurs tombes. Non, elles ne dansaient pas… Elles dévoraient. Alors que Nadia regardait, horrifiée, les tombes s’affaissèrent, comme si les cercueils et les corps qu’ils contenaient avaient soudainement disparu.

    Le feu se dissipa aussi rapidement qu’il était apparu. Pendant quelques instants, ils restèrent immobiles, fixant la terre brûlée, le silence coupé seulement par leur respiration saccadée.

    — Qu’est-ce que…

    Verlaine dut s’arrêter et inspirer profondément avant de continuer.

    — Nadia, qu’as-tu fait ?

    — Ce n’était pas moi, répondit-elle.

    — Non. C’était moi, dit une voix derrière eux.

    Ils se retournèrent en même temps. Debout sous un ange en pierre se trouvait Elizabeth.

    Vivante et bien portante.

    Elle sourit.

    — Précisément les gens que je cherchais.

    Chapitre 2

    Ils semblaient si surpris de la voir. Elizabeth aurait cru qu’ils avaient maintenant compris l’étendue de son pouvoir. Ce n’était apparemment pas le cas.

    — Tu es morte, dit Mateo en plissant les yeux.

    Ses mots étaient tous plus durs les uns que les autres.

    — Tu es morte dans l’incendie du carnaval. Tu étais prise au piège. Je t’ai vue.

    — Je t’ai vu aussi dans le brasier, indiqua Elizabeth. Tu sembles bien vivant. Pourquoi pas moi ? Et Nadia aussi, d’après ce que je vois.

    Aussi important qu’ait été Mateo pour elle dans le passé, Elizabeth était venue ici pour une seule raison. Nadia Caldani était celle qui l’intéressait maintenant.

    Celle-ci retrouva sa voix.

    — Nous t’avons arrêtée. Je le sais. Halloween était le seul soir où tu aurais pu réussir. Ça veut dire que tu as échoué.

    Ils étaient tellement naïfs.

    — Pensais-tu vraiment que mon plan consistait à détruire Captive’s Sound ? C’était seulement un dommage collatéral. Tu as été astucieuse de trouver un moyen de l’empêcher, Nadia.

    « Et je reste en vie pour aider le Très-Bas dans Son grand voyage dans le royaume des mortels, pour franchir le gouffre entre Son monde et celui-ci, pas seulement pour un moment, mais pour l’éternité. »

    — Ces centaines de morts — voire ces milliers — n’étaient que des dommages collatéraux ?

    Nadia semblait incrédule, mais Elizabeth ne comprenait pas pourquoi. Cela avait peu d’importance.

    — Je suis sincèrement reconnaissante.

    Elizabeth ne voyait aucune raison de ne pas être honnête.

    — Tu es une sorcière douée. Mais tu es ignorante en ce qui concerne les formes supérieures de l’Art, et tu n’as pas de professeure.

    La tête de Nadia recula brusquement, comme si elle venait de recevoir un coup. Lui rappeler l’abandon de sa mère avait touché un point sensible.

    Elizabeth continua.

    — Tu as besoin que quelqu’un te guide pour terminer ta formation. Sans enseignement, tu n’atteindras jamais ton plein potentiel, ce qui serait criminel. Tu n’es pas d’accord ?

    — Ça ne te regarde pas, dit Mateo en se plaçant entre Nadia et elle.

    — Si, ça me regarde, répondit Elizabeth. Si je deviens sa professeure.

    L’effet de cette affirmation fut celui qu’elle avait anticipé : une incrédulité pure. Un long moment passa avant que Nadia puisse répondre.

    — Tu n’es pas sérieuse ?

    — N’est-ce pas l’un des principes directeurs de l’Art ? Que les sorcières s’instruisent et s’aident entre elles ?

    — Tu ne fais plus partie de l’Art ! répliqua Nadia.

    Les ecchymoses de son visage devaient avoir été très douloureuses. Elles lui donnaient un air atroce, presque désemparé.

    — Tu as prêté serment au Très-Bas !

    — Tu veux dire que j’ai brisé l’une des Premières Lois ?

    Elizabeth lança un regard éloquent à Mateo.

    — Comme de parler de la magie à un homme ? ajouta l’enchanteresse.

    Nadia secoua la tête.

    — C’est différent.

    — Ah oui ? Un cercle ne serait pas du même avis. Il nous jetterait toutes les deux dehors, pas seulement moi. Nous sommes toutes les deux marginales. Tu ne l’as pas encore compris, c’est tout.

    Le vent fit voler les cheveux bouclés d’Elizabeth, lui donnant la chair de poule sous sa fine robe en coton. Maintenant qu’elle n’était plus immortelle, elle pouvait sentir le froid. C’était une sensation étrange, assez nouvelle pour ne pas être agaçante malgré l’inconfort.

    Le monde lui semblait de nouveau intéressant. Après des siècles d’ennui, c’était presque un ravissement illimité aux yeux d’Elizabeth.

    — Penses-y, dit-elle à Nadia. J’ai vécu plus longtemps que n’importe quelle sorcière. Je connais de la magie que personne d’autre ne peut essayer. Je suis prête à tout t’enseigner. Qu’as-tu à perdre ?

    — Mon âme, pour commencer.

    Nadia serra ses bras autour de son corps et se rapprocha de Mateo, qui l’enlaça.

    — Servir le Très-Bas est maléfique. Je ne le ferai jamais. Jamais.

    Les mortels avaient une drôle de conception du mot « jamais ». Elizabeth pensa à lui faire remarquer, mais au même moment, la fille aux cheveux gris prit la parole.

    — Tu as détruit mes parents, dit-elle d’une voix tremblante. Même leurs corps. C’était tout ce qu’il me restait.

    — Blâme tes amis, répondit Elizabeth. Je ne peux pas vous laisser détruire tout mon travail.

    — Tout ça est impossible.

    La fille aux cheveux gris murmurait à peine, comme si elle n’avait pas assez de souffle pour donner de la force à ses propos. Et elle respirait rapidement… beaucoup trop rapidement.

    — Je ne te vois pas. C’est un rêve. Un cauchemar. C’est tout. Ce n’est pas vrai.

    Elizabeth pencha la tête sur le côté.

    — Pourquoi crois-tu que les cauchemars ne sont pas la réalité ?

    La fille s’évanouit et s’écroula, ses cheveux gris tranchant vivement avec la terre sombre.

    — Verlaine !

    Nadia s’agenouilla immédiatement à côté d’elle et Mateo l’imita.

    — Que lui as-tu fait ?

    — Rien. Ça doit être le choc.

    — Laisse-nous tranquilles, dit l’Allié.

    Mateo semblait prêt à la frapper en plein visage, quand bien même ce serait un geste stupide à essayer.

    — Tu es maléfique, ajouta-t-il.

    Elizabeth haussa les épaules et partit. Alors qu’elle s’éloignait, elle les entendit essayer de ranimer leur amie, leurs mots se perdant dans le bruissement des feuilles mortes. Ce qu’ils disaient n’était pas important, tout comme le fait que Nadia ait refusé sa proposition. Elizabeth ne s’était pas attendue à recevoir une autre réponse à cette première invitation.

    Mais le Très-Bas avait vu Nadia. Il jugeait que son potentiel était grand.

    Et le Très-Bas obtenait toujours ce qu’Il voulait.

    Elizabeth s’en assurerait.

    — Pourquoi diable est-ce qu’Elizabeth est vivante ? demanda Mateo pendant qu’il conduisait.

    Il jetait régulièrement des coups d’œil en arrière, où se trouvait Nadia, la tête de Verlaine posée sur son épaule.

    — Ça devrait être impossible.

    — Pas impossible.

    Nadia éventait continuellement le visage de Verlaine qui, bien que réveillée, se trouvait toujours dans un état de stupeur.

    « J’aurais dû savoir qu’elle était encore trop fragile pour tout ça ! » pensa Nadia.

    — Tout ce que je pensais qu’Elizabeth voulait faire… Ce n’était même pas son plan. Seulement l’ombre de son plan. Visiblement, je n’avais vraiment pas compris ce qu’elle préparait.

    Mateo se retourna de nouveau.

    — Mais tu l’as arrêtée.

    — Je l’ai empêchée de détruire la ville. Je ne l’ai pas empêchée de faire ce qu’elle voulait vraiment accomplir.

    Son ignorance était aussi douloureuse que son échec, mais Nadia ne voulait pas s’y abandonner. D’accord, Elizabeth s’était échappée cette fois-ci. Cela n’arriverait pas la prochaine fois.

    — Alors, comment découvrir ce qu’elle planifie vraiment ? demanda Mateo.

    — Je vais fouiller dans toutes les ressources que je possède dès ce soir… Ah ! mon Dieu, Mateo, regarde la route ! Nous avons presque percuté ce camion !

    — D’accord, d’accord.

    Mateo se retourna vers l’avant. Nadia imagina que conduire l’énorme tacot servant de voiture à Verlaine n’était en rien comparable à enfourcher sa moto, et la dernière chose dont ils avaient besoin était un autre accident.

    Surtout Verlaine.

    — Verlaine ? demanda Nadia en tapotant la joue de son amie. Est-ce que ça va ?

    Verlaine opina avec lassitude.

    — Ouais. Super. Mis à part les idées suicidaires, je vais super bien.

    — Ne plaisante pas à ce sujet, dit Mateo.

    Ses mots étaient durs, probablement parce qu’il les pensait. Sa mère s’était suicidée alors qu’elle était sous l’emprise de la malédiction familiale.

    — Je suis désolée, répondit Verlaine. Vraiment. Je suis sincère. C’est juste que… voir Elizabeth et savoir qu’elle a tué mes parents… Je voulais que ce soit un cauchemar. Je me disais que, si je le désirais assez fort, je pourrais faire en sorte qu’elle ne soit pas là. Ça n’a aucun sens, mais mon cerveau ne fonctionnait pas très bien sur le moment. Je ne suis pas sûre que ce soit le cas maintenant non plus. Au fait, je vais peut-être vomir.

    — C’est ta voiture. Fais ce que tu veux.

    Mais Nadia éloigna quand même ses jambes au cas où.

    Son esprit tourbillonna pendant tout le temps qu’il leur fallut pour ramener Verlaine chez ses pères, s’excuser abondamment de l’avoir surmenée, et aider oncle Gary à la mettre au lit. Nadia avait à peine pu reprendre son souffle depuis le carnaval d’Halloween, et elle n’avait pas eu le temps d’analyser tout ce qui s’était passé ce soir-là. Elle n’avait jamais pensé qu’Elizabeth avait pu avoir un autre but que celui de causer la mort et la destruction.

    Elle jeta un coup d’œil à Mateo alors qu’ils s’éloignaient de chez Verlaine. Ils avaient tous deux sauvé un nombre incalculable d’habitants de la ville, même si personne ne le savait. C’était plus important que tout le reste.

    Leur dernière victoire n’avait été que partielle. D’accord. Nadia décida que c’était seulement sa première victoire. D’une façon ou d’une autre, Elizabeth allait tomber.

    — Je veux aller directement chez Elizabeth

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