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L’Enchanteresse: Sortilèges et malédiction
L’Enchanteresse: Sortilèges et malédiction
L’Enchanteresse: Sortilèges et malédiction
Livre électronique369 pages5 heures

L’Enchanteresse: Sortilèges et malédiction

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À propos de ce livre électronique

Le pouvoir d’Elizabeth grandit continuellement et les nuages dans le ciel de Captive’s Sound s’assombrissent. Un terrible déluge va bientôt détruire tout ce qui se trouve sur son passage, dont les habitants.

Pour sauver sa famille, ses amis et Mateo, son Allié, Nadia a prêté serment au Très-Bas. Sa seule chance de découvrir comment les vaincre, Elizabeth et lui, est de prétendre être une élève fdèle de la magie noire… Mais pour ce faire, elle doit abandonner Mateo et le monde qu’elle connaît. Si Nadia cède aux tentations de son nouveau pouvoir, la flle qu’elle est risque de cesser d’exister.

Alors que Captive’s Sound sombre dans le chaos, Verlaine luttera contre son désir pour Asa, un démon du Très-Bas qui est aussi le seul à tenir vraiment à elle. Leur amour contrevient aux lois mystérieuses du royaume démoniaque, mais il sera peut-être leur salut.

Les enjeux sont fxés mais de quel côté se trouveront les protagonistes? Des alliances surprenantes ont lieu et le véritable amour est mis à l’épreuve dans la conclusion mouvementée de Sortilèges et malédiction, une série captivante.
LangueFrançais
Date de sortie21 juin 2016
ISBN9782897672317
L’Enchanteresse: Sortilèges et malédiction
Auteur

Claudia Gray

Claudia Gray is the pseudonym of New Orleans-based writer Amy Vincent, the author of the New York Times bestselling Evernight series. She has worked as a lawyer, a journalist, a disc jockey, and an extremely poor waitress. Her grandparents' copy of Mysteries of the Unexplained is probably the genesis of her fascination with most things mysterious and/or inexplicable.

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    Aperçu du livre

    L’Enchanteresse - Claudia Gray

    Chapitre 1

    — L’arme ultime est bâtie avec la haine.

    Nadia regarda Elizabeth plonger la main dans le poêle luisant dans le coin de la pièce, celui dont la flamme ne provenait pas du bois. Même si Elizabeth se brûla assurément les doigts par la chaleur, elle ne tressaillit pas. Après avoir prêté serment au Très-Bas, les enchanteresses devenaient-elles immunisées contre la douleur ?

    Nadia le découvrirait bientôt, puisqu’elle Lui avait aussi prêté serment.

    Elle n’avait pas fait ce choix librement ou parce qu’elle était assoiffée de pouvoir comme Elizabeth, la sorcière de 400 ans qui lui servait maintenant de professeure. Nadia avait été contrainte de prêter serment au maître de l’enfer pour sauver les habitants de Captive’s Sound de la terrible malédiction d’Elizabeth. Elle était maintenant prisonnière, forcée d’apprendre la magie la plus noire que l’enchanteresse pouvait lui enseigner.

    Elizabeth continua.

    — Les gens essaient de prétendre que la haine est… Des débris, les simples décombres de quelque chose d’autre.

    Elle sortit la main du poêle, ses doigts rougis par la chaleur. Nadia la vit tenir un petit objet qui brillait d’une magnifique lumière surnaturelle. Elizabeth, dont la peau brûlait à cause de la chaleur de l’objet, l’approcha de son visage.

    — Mais la haine possède son propre pouvoir. Son propre rôle à jouer dans le monde. Pour comprendre la magie noire, tu dois comprendre la haine.

    La mère de Nadia lui avait affirmé que les sacrifices possédaient également leur propre pouvoir. Nadia avait alors découvert que sa mère n’avait en fait pas abandonné sa famille sans se soucier de la formation de Nadia, de briser le cœur de son père ou du pauvre petit Cole. Elle avait au contraire sacrifié son amour pour eux, sa capacité à aimer, pour tenter de protéger sa fille du Très-Bas. Nadia descendait de deux lignées de sorcières, ce qui faisait d’elle l’être parfait pour la magie noire, exactement le genre de servante que le Très-Bas désirait.

    Le sacrifice de sa mère s’était malheureusement révélé vain. Le Très-Bas avait trouvé un moyen de piéger Nadia.

    Il ne lui restait plus qu’à espérer que son propre sacrifice soit puissant. Nadia s’était donnée au Très-Bas pour sauver les habitants de Captive’s Sound, en particulier sa famille, sa meilleure amie Verlaine, et Mateo. Toujours Mateo. Avec le temps, peut-être que cela suffirait à la sauver de l’obscurité.

    Sinon, elle serait à tout jamais au service du Très-Bas, obligée de l’aider à pénétrer dans le monde des mortels pour l’anéantir.

    Elles étaient assises dans la maison d’Elizabeth, dans une pièce qui avait jadis été ensorcelée pour ressembler à un salon ordinaire, tout droit sorti du catalogue de Pottery Barn. Maintenant armée de la magie lui permettant de voir à travers les enchantements d’Elizabeth, Nadia savait que la pièce était une ruine complète. La maison délabrée en bois était le refuge d’Elizabeth depuis au moins un siècle, probablement plus. Le plancher était couvert de verre brisé, des toiles d’araignée dans chaque coin, dont les artisanes obéissaient aux ordres d’Elizabeth. Des lambeaux du papier peint à motif, posé des lustres auparavant, pendaient des murs, et les quelques meubles avaient été tordus par les années, ne laissant que des squelettes en bois à la place des chaises et des canapés. Nadia et Elizabeth étaient assises à côté du poêle qui brûlait… Dieu sait quoi. Quelque chose qui n’aurait jamais dû servir de combustible. C’était tout ce dont Nadia était sûre.

    « Je ne peux pas devenir comme elle », se dit Nadia en fermant les poings si fort que ses ongles entamèrent ses paumes. « Elizabeth n’est presque plus humaine. Il doit y avoir un moyen de m’en sortir. Il doit exister une façon d’arrêter le Très-Bas ».

    Tant qu’elle était au service du seigneur de l’enfer, Nadia devait suivre certaines règles. Son seul espoir de Le vaincre — et de vaincre Elizabeth — était de prétendre qu’elle était une fidèle élève de la magie noire.

    Non, Elizabeth n’était pas assez stupide pour le croire, mais si Nadia jouait parfaitement son rôle d’élève, l’enchanteresse devrait faire semblant d’être la professeure idéale. Les règles de servitude du Très-Bas les retenaient toutes deux prisonnières.

    — Existe-t-il une défense contre elle ? demanda Nadia. Contre l’arme ultime, je veux dire. Contre la haine.

    Elizabeth ne répondit pas immédiatement, con­tinuant de tenir la braise luisante dans sa main même si de petites volutes de fumée sortaient maintenant du bout de ses doigts. Sa peau devait brûler et elle devait ressentir de la douleur, mais cela ne semblait pas la déranger. Nadia aurait été impressionnée si elle n’était pas complètement dégoûtée.

    Elizabeth laissa finalement tomber la braise sur le sol, où elle crépita sur les vieilles lattes tordues, émettant brièvement une lueur rouge avant de s’éteindre. À ce moment, l’enchanteresse leva les yeux vers Nadia. Alors que cette dernière avait le teint foncé, Elizabeth était pâle, avec des joues parsemées de taches de rousseur, ses boucles brunes et son visage ovale semblant sympathiques aux yeux des gens naïfs.

    — L’amour, dit Elizabeth. L’amour est la seule défense contre la haine.

    Nadia essaya de rester impassible, mais elle saisit secrètement ce renseignement et la serra. Elle avait enfin une raison d’espérer.

    « L’amour vainc la haine… Bien sûr. Comment pourrait-il en être autrement ? »

    Elizabeth sourit, comme si elle avait entendu les pensées de Nadia. C’était peut-être le cas.

    — Mais l’amour ne dure pas éternellement. La haine, elle, perdure.

    Nadia ?

    Mateo savait seulement qu’il la cherchait. Elle semblait être la seule chose importante dans le monde.

    Même s’il ne semblait plus se trouver dans le monde normal…

    Où suis-je ?

    Il n’en était pas sûr, mais il commençait à croire qu’il se trouvait peut-être… en enfer.

    Mateo leva la tête, essayant de comprendre où il était. Malgré l’obscurité, il pouvait voir qu’il était debout dans une caverne… Celle-ci était éclairée de l’extérieur par une lumière si puissance qu’elle traversait la pierre et émettait une lueur rouge comme la lave. La chaleur et l’humidité qui l’entouraient lui donnaient l’impression d’être collant. Mateo dut lutter pour reprendre son souffle. Il pouvait entendre un profond cognement qui était certainement les battements de son cœur terrifié.

    Dans la lueur cramoisie intermittente, Mateo put distinguer les contours de ce qui se trouvait autour de lui. Il vit des murs inclinés, un plafond légèrement arqué, ainsi que de grandes voûtes — et des lignes sombres et dures dans la pierre…

    Ce n’était pas de la pierre. C’était… des côtes.

    Mateo frissonna quand il comprit qu’il ne se trouvait pas dans une cave. Il était dans quelque chose de vivant, grand et terrible. Le cœur qu’il entendait n’était pas le sien. C’était comme s’il avait été avalé entier ou dévoré vif.

    D’une manière ou d’une autre, il n’était pas seul à l’intérieur de la bête. Il pouvait entendre des grognements, des hurlements, des cris de douleur qui résonnaient dans la créature, au loin… Jusqu’à ce que quelqu’un crie juste à côté de lui.

    Mateo se tourna et vit Nadia, vêtue de noir, les yeux écarquillés et remplis de larmes, suspendue dans les airs. Mais le cri était venu de Verlaine, qui s’accrochait à Nadia pour ne pas tomber. Les cheveux gris de Verlaine flottaient derrière elle comme s’ils étaient pris dans un tourbillon que Mateo ne sentait pas, même en tendant les bras vers Nadia…

    Il se réveilla en sursaut, tâtonnant à la recherche de ses couvertures, mais — une fois de plus — il ne se trouvait pas dans son lit. Ce soir, son somnambulisme l’avait amené au bord du quai, et il se trouvait presque dans l’eau du détroit.

    Un jour, je vais me réveiller juste à temps pour voir que je me noie.

    Mateo replia ses pieds nus sous lui. Le froid du début de décembre était perçant, beaucoup trop pour être dehors en caleçon et en t-shirt. Au moins, la neige tombée deux jours plus tôt avait fondu, sinon il se serait réveillé avec des engelures. Il se leva en frissonnant et décida de se dépêcher de rentrer avant que son père ne se rende compte qu’il était parti… Son père s’inquiétait déjà suffisamment.

    À ce moment, Mateo vit l’eau — la vit vraiment — et il s’immobilisa.

    Une personne ordinaire regardant le détroit en ce moment aurait vu un littoral quelconque lors d’une nuit nuageuse d’hiver : du sable argenté sous la lumière de la lune, la surface de l’eau presque trop lisse, la lumière du phare lointain balayant continuellement les environs.

    Mais Mateo était l’Allié de Nadia, ce qui voulait dire qu’il renforçait sa magie. Il décuplait la puissance de tous les sortilèges qu’elle lançait lorsqu’il se trouvait à proximité. Les Alliés possédaient aussi le pouvoir de voir la magie à l’œuvre autour d’eux. Grâce à Elizabeth, la magie était incrustée dans les fondations de Captive’s Sound, visible partout, tordue et noire.

    Mateo pouvait donc voir que la ville était sur le point d’être détruite.

    Une substance visqueuse et tourbillonnante flottait dans le ciel, comme un dôme séparant Captive’s Sound des étoiles. Sa lumière était fiévreuse et rougeâtre. Les profondes lignes dans la terre semblaient sur le point de s’écrouler et de former d’énormes dolines. Pire encore, sous l’eau, quelque chose bougeait spasmodiquement et se préparait à faire surface. Mateo savait maintenant que c’était l’endroit qu’Elizabeth avait choisi pour détruire la barrière entre le monde des démons et celui des humains… Pour préparer un passage pour le Très-Bas.

    Mateo serra les poings en regardant cet endroit. Il aurait voulu pouvoir faire quelque chose, n’importe quoi, pour arrêter ce qui arrivait…

    Une sensation étrange parcourut son corps. Ce ne fut pas douloureux, mais cela le fit tressauter. Mateo crut voir une lueur bleutée autour de ses membres… Mais il n’en était pas sûr. La lumière se dissipa rapidement.

    « C’est seulement tes pouvoirs d’Allié qui te font halluciner », se dit-il, même si ses pouvoirs n’avaient encore jamais fait une telle chose. « Rentre, avant de devenir fou. »

    Mateo se força à se détourner de la scène cauche­mardesque. En revenant à la maison, il garda la tête baissée, les yeux sur le quai et le sable sous ses pieds rougis par le froid. Quand il se glissa dans la maison, il était presque engourdi, et il se débattit avec la porte… Heureusement, son père ne se réveilla pas.

    Son père pensait que Mateo avait commencé à « avoir des crises » au cours des dernières semaines. C’était le diagnostic auquel étaient arrivés les médecins, qui ne pouvaient voir la magie. C’était donc ce que son père avait choisi de croire, bien que tous les habitants de la ville connaissent le véritable problème, même ceux qui ignoraient tout de l’existence de la magie. Les gens de Captive’s Sound, généralement sains d’esprit, croyaient toujours en la malédiction des Cabot.

    Elle était maintenant ancrée dans le folklore de la ville. Chaque génération, un membre de la famille Cabot devenait irrémédiablement fou. La mère de Mateo avait été la dernière victime. Comme tous les autres, elle était persuadée qu’elle pouvait voir le futur à travers des rêves de plus en plus dérangeants. Comme beaucoup de ses ancêtres, elle avait choisi de se suicider.

    Les rêves de Mateo avaient commencé pendant l’été, et depuis, il s’était inexorablement éloigné de ce qui était « normal » — quoi que cela puisse être dans cette ville. À l’école, tout le monde le traitait bizarrement, comme si les gens attendaient tous qu’il perde la raison.

    Alors, faire des trucs bizarres comme se réveiller n’importe où en ville, hirsute, et vociférer à propos de ce qu’il venait de voir ? Cela n’aidait pas vraiment sa cause.

    Mateo s’arrêta, se rappelant l’horrible rêve où il avait vu la fille qu’il aimait dans le ventre de l’enfer. Son esprit était encore rempli par cette horrible vision, alors qu’elle pleurait de chagrin et de peur.

    Il savait maintenant que les rêves provoqués par sa malédiction devenaient toujours réalité.

    Un autre magnifique matin tordu à Captive’s Sound.

    Verlaine se leva tôt, déterminée à passer aux bureaux du Guardian avant d’aller à l’école. Les gens du coin étaient généralement trop empressés d’ignorer la bizarrerie les entourant, mais après les événements des dernières semaines — incluant des maladies mystérieuses et une brève quarantaine imposée par les centres pour le contrôle des maladies —, ils allaient sûrement reprendre leurs esprits.

    Peut-être reprendre leurs esprits signifierait porter attention au journal de la ville, raison pour laquelle Verlaine, la meilleure stagiaire au monde, mais la plus méconnue, se dirigeait vers les bureaux du Guardian.

    « D’accord, je n’ai peut-être pas de pouvoirs d’Alliée, mais je peux quand même voir que cette ville ne va vraiment pas bien. »

    Elle repoussa une mèche de cheveux argentés de ses yeux en arrivant sur la place du centre-ville. L’hôtel de ville présentait encore quelques fenêtres condamnées, stigmates de l’émeute qui avait failli éclater quelques semaines plus tôt, quand madame Prasad, après avoir brièvement et malencontreusement bénéficié de la possibilité de voir les démons, s’en était prise, armée d’une hache, à tous ceux qui l’entouraient. Quelques pancartes de quarantaine étaient même encore accrochées à des magasins. La quarantaine avait été levée, mais les gens qui se remettaient de la sorcellerie d’Elizabeth — les termes utilisés par le journal étaient « maladie mystérieuse », se rappela Verlaine — n’étaient pas tous retournés à l’école ou au travail. Tout le monde ne se remettait pas aussi rapidement que son oncle Gary.

    L’autre indice de trouble que Verlaine vit était plus subtil. En fait, c’était surtout quelque chose qu’elle ne voyait pas. D’habitude, quand elle s’arrêtait au journal avant d’aller à l’école, elle croisait quelques dizaines de personnes : le père de Mateo, monsieur Perez, en route pour aller ouvrir La Catrina ; des employés de la banque vêtus de complets ; d’autres personnes qui avaient une raison d’arriver très tôt au travail. Aujourd’hui, il n’y avait presque personne. Le café était ouvert, mais au lieu de se joindre à une longue file, Verlaine put se rendre directement au comptoir.

    Ensuite, en buvant son café crème dans une tasse isolante à l’effigie d’Hello Kitty, Verlaine regarda la place presque déserte. L’endroit était si vide qu’il semblait inquiétant. Elle se dit que, si elle avait vécu dans l’Ouest, une boule d’herbes sauvages aurait traversé la place.

    C’était comme si les gens pouvaient sentir ce qui se préparait.

    Ce qui était impossible. Il aurait fallu que les habitants de Captive’s Sound soient beaucoup plus instruits, et dotés d’un don de voyance, pour savoir que leur ville allait bientôt devenir l’épicentre de l’apocalypse.

    Verlaine sortit les clés de son sac à dos. Elles tintèrent contre la porte quand elle entra dans le bureau du Guardian, une pièce de taille moyenne qui sentait les vieux livres et surplombait un sous-sol rempli de classeurs à tiroirs renfermant les archives. La technologie d’impression était si dépassée que Verlaine avait déjà trouvé des lettres en fonte dans un tiroir, venant d’un appareil de typographie dont le journal s’était débarrassé quelques années plus tôt. Il n’y avait personne d’autre dans le local, ce qui n’était pas rare. Les propriétaires voyaient le journal comme une excuse pour imprimer des petites annonces et des publicités pour l’épicerie, les nouvelles servant surtout de décoration, un peu comme le persil sur une assiette de restaurant. Si la ville recevait de vrais renseignements, c’était surtout grâce à Verlaine.

    Elle se dirigea vers le bureau et fouilla dans les papiers qu’elle y trouva, se demandant distraitement si ses patrons lui avaient laissé un mot contenant des instructions — le courrier électronique et les messages textes étaient trop modernes pour eux. En fouillant, elle entendit le léger grattement indiquant l’ouverture de la porte derrière elle. Une douce chaleur lui réchauffa le dos et les jambes, comme si un soleil tropical s’était soudain levé un jour d’hiver dans le Rhode Island… Sauf que la chaleur venait de l’enfer.

    Verlaine sourit.

    — Tu sais, si j’avais su que j’allais être suivie par un démon aujourd’hui, j’aurais porté quelque chose d’élégant, dit-elle sans se retourner.

    — Au moins, tu as mis des chaussures avec lesquelles tu peux courir.

    — C’est toujours le cas. Ici, c’est plus utile qu’on pourrait le croire.

    Verlaine regarda enfin Asa par-dessus son épaule.

    Il ne ressemblait pas à un démon, du moins pas le genre visible dans les films d’horreur ou les toiles de la Renaissance. Il ressemblait plutôt à un autre genre de tableau de la Renaissance ; ceux qui portaient toujours des noms comme Jeunesse et qui montraient de jeunes hommes magnifiques aux boucles noires et aux yeux bruns à faire fondre. Pour être précis, Asa ressemblait à feu Jeremy Prasad, qui avait été un crétin de première dans la classe de Verlaine jusqu’à ce qu’Elizabeth le tue et donne son corps à son serviteur démoniaque. Asa devait aider l’enchanteresse à faire passer le Très-Bas dans le monde des mortels, et à provoquer la fin du monde tel qu’ils le connaissaient.

    C’était donc une mauvaise idée de tomber amoureuse d’Asa. Mais Verlaine l’aimait.

    Asa entra d’un pas nonchalant, sa veste noire embrassant son grand corps mince.

    — Les Converse d’aujourd’hui sont d’une nuance de bleu à la fois étrange et magnifique.

    — Bleu Tiffany, répondit Verlaine en levant un pied et en tournant sa cheville pour bien montrer sa chaussure. C’était une collection limitée, il y a quelques années.

    — Ça semble cher.

    — Pas nécessairement. Il n’existe pas d’eBay en enfer, n’est-ce pas ?

    — Non. Un autre des nombreux luxes qui font défaut à ce lieu.

    Verlaine se tourna vers Asa. Elle essaya de feindre qu’il ne l’affectait pas, mais qui voulait-elle convaincre ? Elle avait l’impression de fondre et c’était probablement visible.

    Asa était le premier garçon à qui elle tenait, le premier qui tenait aussi à elle. Personne avant lui ne l’avait aimée, personne ne l’avait pu. Des années plus tôt, alors qu’elle n’était qu’un bébé, Verlaine avait été volée par Elizabeth. Pour que les gens ne voient pas la créature diabolique et surnaturelle qu’elle était, l’enchanteresse avait non seulement volé les parents de Verlaine (qui étaient morts dans leur lit), mais aussi quelque chose de beaucoup plus impalpable.

    Elizabeth avait enlevé à Verlaine sa capacité à être aimée.

    Elle n’était pas la seule personne à qui Elizabeth avait volé quelque chose. Au fil des siècles, elle avait fait de même à des dizaines de personnes, les laissant complètement seules. Pendant ce temps, Elizabeth s’abritait dans tout cet amour, ce qui empêchait les gens de Captive’s Sound de voir son apparence étrange, leur faisait oublier son comportement inhabituel, et les poussait à l’adorer, peu importe ce qui se passait.

    Quant à Verlaine, elle n’avait rien et presque personne. Mis à part ses pères, oncle Dave et oncle Gary, personne ne l’aimait vraiment. Même eux en auraient été incapables s’ils ne l’avaient pas déjà connue et aimée avant le vol commis par Elizabeth. Toute sa vie, Verlaine avait été cruellement intimidée ou ignorée. Nadia et Mateo étaient ses deux seuls amis parce qu’ils avaient vu des fragments d’elle à travers la magie noire. Cependant, ils devaient constamment se rappeler Verlaine et prendre soin d’elle. Personne ne pouvait vraiment surmonter une telle magie…

    Sauf un démon.

    Asa la voyait. Et il était évident, à voir son sourire quand il s’avança, qu’il aimait ce qu’il voyait.

    — Quant au reste de cet ensemble, je suppose que tu as visé la secrétaire aguichante de la fin des années 1950, n’est-ce pas ? dit-il en penchant la tête.

    Verlaine portait presque toujours des vêtements rétro, ou du moins à l’allure rétro. Aujourd’hui, elle avait mis une jupe droite bleu foncé, un chemisier blanc, ainsi qu’un cardigan pervenche muni d’une ceinture afin de créer une allure de la fin des années 1950. Mais elle baissa la tête.

    — Je ne suis pas une secrétaire. Je suis une stagiaire.

    — Une allure de stagiaire aguichante, alors. Peu importe, j’aime ça.

    — Je ne l’ai pas fait pour ça.

    Si elle avait attendu que les gens aiment ce qu’elle faisait, Verlaine savait qu’elle aurait attendu pour l’éternité. Et même si elle était heureuse de voir Asa, même si elle était impatiente de recréer leur baiser parfait, le moment était venu d’arrêter de flirter et d’affronter les faits.

    — Tu ne devrais pas être ici.

    — Je sais, dit doucement Asa. Mais nous nous verrons à l’école plus tard dans la journée et je me suis dit… Je me suis dit que nous devrions peut-être en finir.

    — Quoi, tu pensais que ça serait plus facile comme ça ?

    Verlaine essaya de sourire, mais le résultat était étrange et forcé.

    — Ça ne le sera pas, peu importe ce que tu fais.

    — En effet.

    Ils restèrent là pendant quelques longs instants, conscients qu’ils ne devaient pas se rapprocher, mais incapables de s’éloigner.

    Asa était un démon, ce qui voulait dire qu’il n’était pas entré au service du Très-Bas de son plein gré. Il était son esclave et, par association, celui d’Elizabeth. Verlaine avait compris qu’Asa n’aimait généralement pas obéir aux ordres maléfiques qu’on lui donnait, mais il n’avait pas son mot à dire. Dans la lutte qui allait se produire, quand Verlaine se battrait aux côtés de Nadia et de Mateo pour tenter d’empêcher la fin du monde, Asa devrait se joindre à Elizabeth pour amener l’apocalypse.

    Ils allaient devoir se battre l’un contre l’autre et seul un des deux en sortirait victorieux.

    — L’as-tu déjà appris ? demanda Asa.

    Verlaine fit tourner une longue mèche de cheveux argentés.

    — Appris quoi ? demanda-t-elle, même si elle connaissait la réponse.

    Il répondit d’une voix froide.

    — Comment tuer un démon.

    — Bien sûr que non. On ne peut pas vraiment chercher ça sur Wikipédia, tu sais.

    Elle baissa les yeux vers la boucle de cheveux autour de son doigt, incapable de regarder Asa dans les yeux.

    — Et tu ne peux pas me le dire.

    — Si je te dis comment me tuer, je te dis comment détruire une des armes du Très-Bas. Ce qui serait un acte de trahison envers mon maître et aboutirait à mon exil permanent vers… un enfer dans l’enfer, un endroit si sombre que je ne peux même pas te le décrire.

    Asa avait déjà été dans ce lieu, pendant seulement quelques jours… Mais ces quelques jours avaient semblé durer des siècles. Cela avait été sa punition pour avoir protégé Verlaine. Il avait subi ce sort pour elle.

    Asa continua à parler, appuyé sur le cadre de la porte, faisant de son mieux pour paraître nonchalant.

    — Je veux dire, ça ne me dérange pas que tu me tues pour m’envoyer en enfer. Je vis en enfer depuis quelques siècles et je sais que je vais devoir y retourner, mais j’aimerais mieux ne pas enrager le diable avant de le revoir.

    — J’essaie d’apprendre comment le faire. Je cherche.

    Quelle terrible promesse… Tuer le garçon dont elle était amoureuse. Être ce garçon et savoir qu’il n’y avait aucune issue était pire encore.

    — Continue à chercher, dit Asa avant de partir.

    Il ne disparut pas, ne se transforma pas en boule de fumée ou quoi que ce soit du genre. Il avait expliqué qu’il pouvait simplement se déplacer beaucoup trop rapidement pour l’œil humain, ce qui lui donnait la possibilité de sembler disparaître en un clin d’œil. Verlaine se rendit à l’endroit où il s’était trouvé. Sa chaleur flottait encore doucement, comme une ombre qu’il aurait laissée derrière lui.

    Ensuite, juste au cas où il serait encore assez proche pour l’entendre, elle dit :

    — La prochaine fois, ferme la porte !

    Le corbeau volait en cercles dans le ciel de Captive’s Sound, plus haut que les oiseaux habituels. Il y avait peu d’oxygène pour alimenter ses ailes et ses poumons, mais il volait toujours, inconscient. Ses yeux étaient voilés, comme s’ils étaient recouverts de toiles d’araignée.

    Au sol, assise à côté de son poêle, Elizabeth pouvait voir ce que le corbeau ne voyait pas. Autour d’elle brillait la vision de tout ce qui entourait l’oiseau… Pour le moment, c’était des nuages. Ils étaient gros et lourds, extrêmement froids, prêts à déverser de la neige.

    Il n’y aurait pas de neige aujourd’hui à Captive’s Sound, et il n’y en aurait probablement plus jamais.

    Elizabeth ferma sa main droite sur sa gauche. Sur le majeur de cette main se trouvait sa bague en jade. Elle la toucha pour ancrer son sortilège avant de rassembler les ingrédients.

    Se priver de nourriture quand il y en a beaucoup.

    Rester éveillée quand il est l’heure de dormir.

    Retenir l’amour même s’il brûle à l’intérieur.

    Elle se rappela ensuite les souvenirs précis associés à ces ingrédients, se remémorant chacun d’entre eux comme si elle les revivait.

    Tu n’en veux pas ? Tu es sûre ?

    Sa mère, tendant un bol de ragoût qui sentait si bon que la faim semblait dévorer l’estomac vide d’Elizabeth. Mais l’enfant Elizabeth secoua la tête, convaincue que si elle continuait de refuser toute nourriture, ils se rendraient compte que venir dans le Nouveau Monde avait été une horrible idée et qu’ils monteraient sur le prochain bateau à destination de l’Angleterre.

    Savoir qu’il était minuit, qu’elle devrait se lever à l’aube pour aider à prendre soin de ses nièces et neveux, mais rester assise à côté du feu parce que c’était le seul moment où elle était seule pour effectuer ses premiers essais de magie noire.

    Viens m’embrasser.

    Tante Ruth qui lui souriait le jour de son mariage… Un mariage qu’Elizabeth n’avait pas désiré, avec un homme qu’elle détestait, simplement parce que sa famille ne pouvait plus la faire vivre. Elizabeth cachait généralement ses sentiments, mais ce jour-là, elle avait détourné la tête de sa tante, pour ne pas voir la douleur dans ses yeux.

    C’était fait. Les nuages autour du corbeau changèrent légèrement, devenant immobiles d’une façon qui défiait le vent, presque comme s’ils étaient peints et non réels.

    Quand le temps serait venu pour qu’ils éclatent, ils déverseraient un déluge qui servirait à Elizabeth et qui marquerait le début de la fin.

    Chapitre 2

    Le lycée Isaac P. Rodman avait connu son lot de problèmes depuis le début de l’année scolaire. Un groupe d’élèves de première avaient été pris en flagrant délit de tricherie dans le cours de mathématiques avancées. Quelqu’un avait vandalisé la fourgonnette de monsieur Crane. L’équipe de football avait terminé la saison avec 2 victoires et 11 défaites. Une réaction chimique avait mal tourné dans la classe de madame Purdhy, faisant perdre leurs inhibitions à certains étudiants, la scène tombant dans le chaos. Il y avait ensuite eu une session en compagnie de la conseillère de l’école, Faye Walsh, de nombreuses rencontres parents-professeurs et, sur une note plus optimiste, la création du premier groupe LGBT de Rodman. Madame Purdhy, l’ancienne reine du bal, Riley Bender, le père d’une étudiant, et de nombreux élèves avaient été victimes de la mystérieuse maladie qui avait dévasté la ville en novembre. Deux d’entre elles s’étaient effondrées à l’école. La même maladie avait provoqué l’annulation des cours et un immense taux d’absentéisme. Ensuite, juste avant l’Action de grâce, un léger tremblement de terre avait provoqué d’autres perturbations scolaires et endommagé la majorité de l’équipement audiovisuel. L’école s’était encore vu retirer le championnat de chorales régional.

    Si on avait posé la question aux professeurs ou aux élèves, ils auraient dit

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