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La société de minuit, t3 - Un vent d'or et de poussières
La société de minuit, t3 - Un vent d'or et de poussières
La société de minuit, t3 - Un vent d'or et de poussières
Livre électronique330 pages4 heures

La société de minuit, t3 - Un vent d'or et de poussières

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À propos de ce livre électronique

Un enfant qui suscite la fascination. Un ennemi terré au milieu d’ossements. Une bataille dans un ciel de tempête et de foudre. Eva et Nayden unissent leurs forces pour protéger ce qu’ils ont de plus précieux, prêts à mourir s’il le faut. Alors que tout semble perdu, Eva sera témoin d’un événement aussi extraordinaire que terrifiant, qui brillera comme l’or, mais qui ne laissera que des poussières…
LangueFrançais
Date de sortie13 mars 2023
ISBN9782897658700
La société de minuit, t3 - Un vent d'or et de poussières

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    Aperçu du livre

    La société de minuit, t3 - Un vent d'or et de poussières - Camille Noël

    cover.jpg

    Prologue

    Tous ces couloirs et ces pièces sombres sans fenêtres causaient d’abord un sentiment anxiogène d’étouffement. On finissait par s’y acclimater, après un certain temps, tout comme on se faisait à l’air dense et stagnant qui y régnait. Ce sanctuaire pour les morts constituait une cachette parfaite pour ceux qui œuvraient dans le secret.

    Au sein de ce labyrinthe s’était rassemblé un petit groupe dans une grande chambre au plafond bas. Les grosses bougies de suif avaient laissé de longues dégoulinades de cire le long des murs. Ici, il n’y avait pas l’électricité, on s’éclairait comme on le pouvait. Comme l’air ne circulait pas, faute d’ouvertures, la fumée piquante des chandelles restait en suspension et créait un voile grisâtre dans la chambre. Évidemment, cet endroit n’était pas des plus confortables puisqu’on y vivait sans commodités modernes, à l’image des moines du Moyen Âge.

    Au fond de la pièce se trouvait un siège en bois semblable au trône d’un seigneur. Pour l’heure, il était vide. En revanche, les deux chaises qui le flanquaient étaient occupées par des personnages vêtus d’une longue robe écarlate à capuchon masquant le haut de leur visage.

    Devant eux, au centre de la salle, demeuraient respectueusement inclinés les individus convoqués.

    — Chers disciples, les salua l’un des personnages en rouge sans se lever. Nous vous avons fait venir à la maison-mère aujourd’hui pour vous apprendre une grande nouvelle. Nous croyons que l’Enfant du ciel est né.

    Des chuintements de surprise et d’émotion parcoururent l’assemblée. Incommodé par l’atmosphère étouffante, quelqu’un laissa échapper une petite quinte de toux avant de demander :

    — Qui est-il, apôtre ? Est-ce celui que nous attendions ?

    — Oui.

    — Alors c’est bel et bien lui, c’est confirmé ? s’enthousiasma une femme dans le groupe.

    — Ce n’est pas encore tout à fait sûr. C’est pourquoi votre mission consiste à récolter des informations à son sujet. Nous l’observerons pour déceler les signes. Relayez cette directive dans vos maisons. Ce sera long, mais lorsque nous serons tout à fait certains, nous passerons à l’action.

    Celui qui se faisait appeler l’apôtre congédia alors le petit rassemblement d’un mouvement de main. Les disciples sortirent dans un brouhaha de murmures fébriles.

    Le deuxième personnage en rouge, celui qui n’avait pas parlé jusque-là, s’exprima à voix basse :

    — Nous devrions expliquer mon plan au Prophète. C’est le meilleur qui soit.

    — Ça n’en sera pas moins long, et ça le privera de l’un de ses apôtres.

    — Il n’a pas besoin de moi. Tu lui suffis.

    Les deux individus encapuchonnés quittèrent la chambre pour arpenter les couloirs sombres, faiblement éclairés par des bougies installées sur des appliques de fortune. À cette heure-ci, le Prophète devait être en profonde méditation. Il n’aimait pas être dérangé sans bonne raison.

    Sa cellule était dépouillée, meublée seulement du strict nécessaire, exactement comme celle d’un moine cloîtré. Le Prophète, dans le clair-obscur de la pièce, paraissait tout droit sorti d’une peinture religieuse. Il ne lui manquait qu’une auréole au-dessus de la tête. Ses apôtres, après s’être annoncés, s’inclinèrent devant lui. Leur maître était assis en tailleur au milieu de la salle. Sa robe noire brodée d’or et de rouge qui s’étendait autour de lui avait quelque chose des habits liturgiques. Son capuchon était rabattu en permanence sur ses yeux ; on ne distinguait qu’une barbe grisâtre rongeant un visage parcheminé. La présence du Prophète était toujours imposante et auguste, comme celle d’un roi.

    Le deuxième apôtre lui expliqua son plan, à la suite de quoi un moment de silence parut s’éterniser.

    — J’approuve cette idée, trancha finalement le Prophète. Qu’elle soit immédiatement mise à exécution.

    Chapitre 1

    Zéphyr

    Rien n’avait changé dans la ville de Nastov en un an. Les gens vaquaient à leurs occupations quotidiennes comme à l’habitude, ni malheureux ni très heureux. L’enfilade de façades en pierre beige leur servait de décor intemporel et paraissait jeter sur eux, à travers les fenêtres à carreaux, des regards mélancoliques. Les chemins de pavés cahoteux ajoutaient au charme de l’endroit, quoiqu’ils rendaient inconfortable tout trajet en voiture. Les habitants s’y étaient accoutumés. C’était là une autre chose qui ne changerait jamais.

    Le Sanctuaire surplombait tous les édifices, tel un monarque écrasant ses sujets sous son ombre. Tous, sauf l’hôtel de ville. On disait que ces deux austères pièces d’architecture étaient les plus anciennes de la cité. Elles n’étaient pas très loin l’une de l’autre, séparées seulement par quelques toits orangés. Avec leur air impérieux et dominateur, ces deux bâtiments avaient toujours semblé être les uniques complices d’une existence immuable dont même le temps ne saurait venir à bout. Pourtant, l’hôtel de ville n’était pas intouchable ; il avait été incendié quelques mois plus tôt. Depuis lors, la mairie était en rénovation, à moitié cachée par des échafaudages.

    Si rien ici ne paraissait avoir changé – hormis l’hôtel de ville –, la vie d’Eva Magaloff, elle, avait basculé du tout au tout durant la dernière année. Ses yeux qui vagabondaient par les fenêtres de la voiture ne pétillaient plus avec l’insouciance de jadis. Les cloches de l’église qui se mirent à résonner dans toute la ville tirèrent Eva de sa contemplation. Presque au même moment, l’automobile s’immobilisa.

    — Nous sommes arrivés, mademoiselle Corvanov, annonça le chauffeur.

    Sans dire un mot, Eva ouvrit la portière pour sortir. Le vent frisquet d’octobre glissa aussitôt sur la peau de son visage de dix-neuf ans pour tantôt se perdre dans ses longs et épais cheveux noirs, tantôt remonter le long des jambes. Ces tourbillons d’air frais la caressèrent et l’apaisèrent, de même que la vue des quelques passants qui discutaient avec enthousiasme. Cette rue n’était pas très animée, mais elle offrait tout de même un spectacle plus intéressant que les longs couloirs du manoir où Eva demeurait la majeure partie de son temps.

    La jeune femme s’immobilisa un moment devant une baie vitrée qui exhibait des robes de haute couture sur des mannequins en bois. Un rayon de soleil chatoyait sur l’enseigne de métal de la boutique, jetant des éclats lumineux qui agressaient les yeux. Deux enfants couraient sur le trottoir ; leurs rires cristallins embaumaient l’air. L’un d’eux, une petite fille, bouscula Eva par accident :

    — Pardon, madame ! lui lança-t-elle.

    Eva lui sourit, songeuse. Le manteau rouge de la fillette voletait autour de ses petites chevilles potelées.

    Après un instant, Eva se décida à pousser les portes de la boutique. Aussitôt, un parfum chaud et écœurant lui emplit les narines. Ce lieu en était saturé. Eva jeta un regard blasé autour d’elle, rêvant déjà de retourner chez elle.

    — Bonjour, comment puis-je vous servir, mademoiselle… ? l’interpella alors une dame d’un ton hautain.

    — Corvanov.

    Immédiatement, les manières de la vendeuse se métamorphosèrent ; sa voix devint sirupeuse, son sourire, guindé, et ses paroles, mielleuses.

    — C’est un très grand plaisir de vous recevoir, mademoiselle Corvanov. Prendriez-vous un café ou un thé ?

    — Non, merci.

    — Que pouvons-nous pour vous, aujourd’hui ?

    — J’ai besoin d’une nouvelle robe pour l’inauguration de l’hôtel de ville. Depuis ma grossesse, toutes mes robes sont un peu trop serrées.

    — Nous avons toute une gamme pour vous satisfaire, mademoiselle Corvanov. Je suis sûre que vous trouverez exactement ce que vous cherchez. Venez, allons nous installer par ici.

    La vendeuse se montra plus qu’affable, presque obséquieuse, prête à tout pour plaire à une cliente aussi riche. Elle suggéra une première robe qu’Eva se dépêcha d’enfiler dans la cabine d’essayage.

    Tandis qu’elle s’examinait dans le miroir, Eva crut un instant mirer Tatiana Sternova, la mère de Nayden, à sa place. Elle avait le même regard implacable, la même expression sévère. Rebutée, Eva se secoua pour chasser l’image de son esprit. Les yeux de Tatiana, qu’elle n’avait pas revus depuis quatre mois, étaient noirs, durs et désabusés alors que les siens étaient pâles, doux et mélancoliques. Malgré les désillusions de la jeune femme, son regard luisait encore sous l’effet d’une émotion vibrante, d’une joie pure ou d’une nostalgie douce-amère. Il n’y avait aucune comparaison à établir avec Tatiana Sternova.

    Après la quatrième robe, Eva, déjà lassée, avait plus que hâte de rentrer chez elle.

    — On ne dirait pas que vous avez accouché récemment, mademoiselle, la flatta la vendeuse.

    Eva esquissa un sourire ironique. La robe bleu foncé qu’elle venait de revêtir épousait bien le galbe de ses hanches et ses manches longues étaient appropriées pour une cérémonie d’inauguration. La coupe était classique et discrète, tel qu’il seyait à Eva.

    — Je vais prendre celle-ci.

    — Bon choix, mademoiselle. Vous avez des goûts très raffinés. Je vous l’emballe immédiatement.

    Après avoir payé et remercié la vendeuse, Eva s’enfuit dans un claquement de talons déterminé en direction de la sortie. Une fois dehors, elle fit signe à son chauffeur, garé un peu plus loin.

    Eva, qui s’était pourtant réjouie à l’idée de faire un tour en ville, n’avait plus qu’une seule envie : retourner au manoir, où une personne spéciale l’attendait. Enfoncée dans le siège de l’automobile, elle regardait pensivement défiler les édifices, puis les arbres. Elle ouvrit légèrement la fenêtre afin d’aspirer les odeurs de sous-bois riches et musquées que le vent charriait depuis la forêt.

    Eva se souvint alors que son détective privé, Marcus Antipov, lui avait laissé un message : il lui demandait de le rappeler. C’est ce qu’elle fit en décrochant le combiné de la voiture. Le détective la contactait chaque mois pour lui faire un rapport sur l’évolution des recherches : il était toujours sur la piste de Lucas, disparu depuis maintenant un an. Comme il n’y avait jamais de progrès, Eva n’entretenait pas beaucoup d’espoir cette fois non plus.

    — Monsieur Antipov ? Eva Corvanov à l’appareil. Vous désiriez que je vous rappelle ?

    — Effectivement. C’était pour vous faire mon rapport. Mes agents auraient aperçu Lucas Moldovan en Allemagne.

    Cette réponse inattendue sidéra Eva à un tel point qu’elle douta d’avoir bien entendu. Ses mains se crispèrent et ses ongles se fichèrent dans le cuir du siège. Une vague de nervosité la frappa telle une gifle en plein visage. Sous le choc de la nouvelle, elle se laissa choir sur son siège, puis se redressa vivement, avide de réponses.

    — En… en Allemagne ? répéta-t-elle. En êtes-vous certain ?

    — J’ai des photos. Je peux vous les faire parvenir, si vous le désirez. Il vous sera sûrement plus facile de l’identifier.

    Après un silence de stupéfaction, Eva réussit à articuler :

    — Oui, merci. Savez-vous où il demeure ? Ce qu’il fait ?

    — Pour l’instant, tout ce dont nous sommes certains, c’est qu’il reste chez une femme.

    Le cœur d’Eva tressaillit. Elle n’aurait pas dû être aussi affectée par cette nouvelle. Après un an, Lucas avait continué sa vie, tout comme Eva avait continué la sienne. C’était bien normal. Pourtant, elle ne pouvait empêcher cette douleur de lui traverser la poitrine.

    — J’enverrai un coursier vous livrer les photographies chez vous, mademoiselle Corvanov. Je vous téléphone dès que j’ai plus d’informations.

    — Je vous remercie.

    Le silence qui suivit cette brève conversation fut chargé de tension, de remords, de soulagement, d’espoir et de tristesse. Tout ce cocktail d’émotions remuait des souvenirs qui auraient peut-être dû demeurer profondément enfouis dans le passé. Eva ne pleura pas, mais la nervosité lui raidissait tout le corps. Elle avait attendu cette nouvelle depuis si longtemps qu’elle avait cessé de l’espérer. Maintenant que Lucas avait été retrouvé, Eva ne savait plus quoi faire. Une chose était certaine : elle ne devait pas chercher à le revoir. Il était en vie, voilà qui devait la satisfaire.

    La jeune femme ne s’était même pas rendu compte que la voiture s’était engagée sur le chemin privé de son manoir. Dès qu’elle s’arrêta, Eva en sortit aussitôt. Il existait un moyen sûr de renverser les pôles de ses émotions et de chasser toute grisaille.

    Et ce moyen s’appelait Zéphyr Sternova.

    Né prématurément à huit mois, Zéphyr était un bébé dont le développement cognitif et moteur était très avancé pour son âge. Il avait à peine quatre mois et pouvait déjà rester assis sans soutien, prendre des objets et gazouiller des syllabes. Ses yeux étincelants observaient partout avec intelligence.

    En pénétrant dans la chambre de Zéphyr, Eva put admirer son enfant magnifié par la lumière du soleil. En la reconnaissant, Zéphyr lui adressa un sourire éclatant et poussa un petit cri excité. C’était un bébé plein de vie qui manifestait ses émotions très clairement sur son visage.

    L’enfant était en compagnie de sa gouvernante, Elena Solovine, l’ancienne professeure d’art d’Eva, qui lui avait également donné des leçons sur ses pouvoirs draks. La dame veillait sur le bébé comme sur la prunelle de ses yeux.

    Quand Eva avait lu ses pensées, un an plus tôt, trahissant ainsi sa confiance, Elena avait quitté Nastov durant plusieurs mois. À son retour, elle avait téléphoné à son ancienne élève pour s’excuser de ne pas l’avoir aidée alors qu’elle était au plus mal. Cet appel avait remué toutes sortes d’émotions chez Eva. Elle avait toujours considéré Elena comme une figure maternelle, un visage proche de celui d’Adriana, sa mère biologique. La colère et le départ subit d’Elena avaient laissé Eva profondément désemparée. À la suite du coup de fil, elles s’étaient revues de plus en plus fréquemment. Leurs retrouvailles à un moment charnière de sa vie lui avaient mis du baume au cœur.

    Après quelques rencontres, Elena avait suggéré à Eva de devenir la gouvernante de Zéphyr, lequel, aussi vif et charmant était-il, n’était pas facile. Corina, sa mère adoptive, l’aidait de temps à autre, mais avec son travail, elle n’était pas toujours disponible. Or, Eva ne se sentait pas encore très à l’aise dans son rôle de nouvelle mère. Elle avait donc accepté à cœur joie l’offre de son ancienne enseignante. La venue d’Elena avait été pour elle une bénédiction, la soulageant du poids immense qui pesait sur ses épaules. Cette femme d’une quarantaine d’années au visage jovial était douce comme de la soie et patiente comme un ange. Zéphyr s’était rapidement épris d’elle.

    — Oh, regarde ! s’exclama Elena. Ta maman est revenue.

    Aussitôt, le bébé tendit les bras en direction de sa mère en émettant de petits gémissements. Eva le prit contre elle en humant ses cheveux qui dégageaient des parfums de lait et de miel, puis lui couvrit le visage de baisers. Bien qu’absente depuis deux heures seulement, Eva avait l’impression d’être partie depuis des semaines. Elle ne se séparait que très rarement de Zéphyr. Lorsqu’elle s’enfermait dans l’ancien bureau de son père pour gérer les affaires de la Corvanov Tren par téléphone, Eva confiait son fils à Elena, l’esprit tranquille.

    — As-tu trouvé une robe ? demanda la gouvernante.

    — Oui, je l’ai juste ici.

    Eva la retira de son emballage pour la lui montrer. Elena approuva de hochements de tête.

    — Ravissante ! Mais tout te va bien ! C’est pour quelle occasion déjà ?

    — Pour l’inauguration de l’hôtel de ville, samedi prochain. Penses-tu y assister ?

    — Oh, non ! refusa Elena d’une voix où perçait le dédain. Je déteste ce genre d’événements. Désires-tu que je m’occupe de Zéphyr durant ta sortie ?

    — Merci, mais Nayden insiste pour que nous l’emmenions. Il dit qu’il ne sort pas assez. Ça te fera du temps libre.

    Elena acquiesça en souriant.

    La chambre de Zéphyr, de grandes dimensions, avait été complètement redécorée par Eva pendant qu’elle était enceinte. Les murs avaient été couverts de tapisserie bleu pâle aux motifs beiges, sauf un qu’elle avait peint de montagnes azur et de petits animaux de la forêt. Un artisan talentueux de Nastov avait fabriqué le mobilier de la chambre : un magnifique berceau, un coffre déjà rempli de jouets ainsi qu’une grande armoire en bois occupant un coin de la pièce. De longs rideaux blancs vaporeux bordaient les fenêtres, tandis que des fanions de couleurs pastel pendaient du plafond.

    Zéphyr se mit à crier en s’agitant dans les bras de sa mère. Lorsqu’elle le déposa dans son siège, l’enfant éclata en larmes rageuses. Sa voix cristalline se mua en glapissements, dont la stridence atteignit des décibels qui firent vibrer les carreaux des fenêtres. Les pleurs de Zéphyr étaient d’une intensité démesurée, tout comme l’était sa colère. Les larmes fusaient de ses yeux tels des torrents. Quand Elena l’approcha, le bébé la repoussa brusquement de ses petites mains.

    — Zéphyr ! s’exclama Eva. Pourquoi te fâches-tu soudainement ?

    Mais il ne voulait rien entendre et il continua son crescendo de cris. Eva échangea un regard mi-découragé, mi-amusé avec Elena. Fidèle à son habitude, la gouvernante ne se démontait pas. Eva lui fit signe de le laisser se calmer. Les sautes d’humeur imprévisibles de Zéphyr, souvent pour bien peu, étaient le seul défaut de cet enfant. Eva avait dû s’y acclimater.

    À ce moment, on frappa à la porte.

    Nayden Sternova pénétra dans la chambre. Son attention fut immédiatement portée sur le petit être rouge de colère qui se tordait dans son siège.

    — Zéphyr, l’appela-t-il doucement.

    La voix de son père eut sur lui un effet instantané : le bébé interrompit ses cris pour lancer des exclamations de joie en lui offrant un sourire rayonnant. Zéphyr n’avait plus d’yeux que pour son père, dont la présence majestueuse illuminait la pièce.

    — Pourquoi étais-tu en colère, mon petit homme ?

    Pour toute réponse, le bébé lui adressa son air le plus innocent, tendant vers lui ses minuscules bras tout blancs. Nayden s’agenouilla à sa hauteur. Il lui remit un nouveau jouet composé d’anneaux et de cubes colorés que Zéphyr prit aussitôt dans ses mains pour l’examiner avec grande attention. Bien vite, il mâchouilla le jouet tandis que Nayden lui caressait doucement les cheveux.

    Attendrie, Eva les observa, sourire en coin.

    — Je vous laisse, lui murmura Elena avant de s’esquiver sans bruit.

    Nayden la salua avant qu’elle ne sorte de la chambre.

    Malgré les humeurs changeantes de Zéphyr, il n’avait jamais perdu patience. Eva s’était rapidement rendu compte qu’il était fait pour être père, à l’instant même où il avait tenu Zéphyr dans ses bras pour la première fois.

    Nayden laissa un moment son fils pour s’approcher d’Eva, qu’il embrassa sur la joue. Ce contact était l’unique marque d’affection, du moins physique, existant entre eux depuis que Zéphyr avait été conçu. Eva, emportée dans le tourbillon de la maternité, ne s’était pas décidée à former un véritable couple. Néanmoins, ils vivaient ensemble dans son manoir ; le jeune homme y avait ses propres quartiers. Cet arrangement ne faisait pas le bonheur de Nayden qui voulait plus, brûlant toujours d’un amour pour elle qu’il peinait à cacher. Tout ça, Eva le devinait, bien qu’il ne s’en soit jamais plaint.

    — Désolé de mon retard, j’ai eu une grosse journée. Il ne t’a pas mené la vie trop dure aujourd’hui, j’espère ?

    — Non, lui assura Eva. Mais tu le gâtes trop avec tous tes cadeaux.

    — Je ne peux pas m’en empêcher. Dès que je passe devant la boutique de jouets, il y a toujours quelque chose dans la vitrine qui capte mon attention.

    Un sourire amusé flotta sur les lèvres d’Eva.

    — À quelle heure le médecin doit-il arriver ? demanda Nayden.

    — Il devrait être ici d’une minute à l’autre.

    Zéphyr avait réussi à effacer momentanément de l’esprit d’Eva sa conversation avec son détective privé. Cette discussion lui revint toutefois brutalement en tête. Mal à l’aise, Eva garda les yeux fixés sur son fils tout en souriant nerveusement. Attendre l’arrivée du médecin ne lui avait jamais paru aussi long. Le bébé explorait son nouveau jouet avec une fascination amusante. Eva savait cependant qu’il s’en lasserait vite ; ce petit être était toujours en quête de nouveauté.

    Malgré tous ses efforts pour faire le vide, les paroles de Marcus Antipov résonnaient sans cesse dans son esprit. « Mes agents auraient aperçu Lucas Moldovan en Allemagne. »

    Heureusement, la voix solennelle de Grigorovitch les chassa :

    — Le docteur Azaloff, annonça-t-il.

    — Bien, faites-le entrer.

    En bon majordome, Grigorovitch faisait toujours preuve d’une attitude très posée et professionnelle. Il ne manifestait pratiquement aucune émotion, cependant Eva avait noté un léger changement chez lui depuis la naissance de son fils. Il paraissait plus attentionné et prévenant. C’était sans doute sa façon à lui de montrer son intérêt pour Zéphyr.

    Le docteur Azaloff était le pédiatre le plus réputé de Nastov. Pour l’héritier des Sternova – et pour une belle somme –, il acceptait de se déplacer à domicile. Eva avait insisté pour qu’il examine Zéphyr deux fois par mois. Jusqu’à maintenant, Nayden n’avait jamais raté une visite.

    Le docteur Azaloff, lorsqu’il se tenait immobile, faisait vaguement penser à un poteau électrique. En effet, il possédait une silhouette droite et rectiligne, dépourvue de gras et de muscle, mince sans être maladive. Zéphyr était fasciné par les verres épais de ses lunettes qui agrandissaient démesurément ses iris foncés.

    — Mademoiselle Corvanov, monsieur Sternova, les salua le médecin.

    Eva et Nayden étaient habitués à son laconisme. Toujours attiré par les nouveaux venus, Zéphyr lâcha son jouet pour dévisager le docteur tandis qu’Eva le prit pour le déposer sur sa table à langer. Pour une fois, le bébé ne fit pas de crise.

    Le médecin procéda à l’examen de routine en notant tout dans son calepin : poids, mensurations, état des yeux et des oreilles, développement moteur et verbal… À la fin, il arriva à la même conclusion qu’à ses visites précédentes :

    — Votre enfant est en parfaite santé. Côté développement, il est en avance sur tous les plans.

    — Ses humeurs sont toujours instables, cependant, l’informa Eva.

    — Il est encore très jeune, c’est normal. Veillez seulement à ce que ce comportement ne se perpétue pas. C’est un phénomène que l’on observe dans les familles plus… aisées. Le bébé est habitué à avoir rapidement tout ce qu’il désire. Votre petit Zéphyr doit apprendre à gérer ses émotions.

    Eva eut un sourire cynique. Elle souhaitait uniquement que son fils ne manque de rien, c’était légitime. Le manque de tact du médecin l’irritait, mais il était le meilleur dans son domaine.

    — Il serait également bon pour son développement social qu’il voie d’autres bébés de son âge, surtout en vieillissant.

    — Nous garderons cela en

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