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Il sera mon fils: Roman fantasy
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Livre électronique475 pages6 heures

Il sera mon fils: Roman fantasy

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À propos de ce livre électronique

Alors que la vie s'écoule lentement de son corps, Martha est ramenée à la vie par une ombre étrange qui n'a rien d'humain...

Et si un jour, au tréfonds des enfers, le diable décidait qu’il ne voulait plus se cacher sous terre ? S’il entreprenait de se faire connaitre des humains, et d’en faire ses fidèles ? Et si, pour cela, il avait besoin de l’aide d’une jeune femme, une simple mortelle qui signera de son sang un pacte qui bouleversera son existence ?
Et si le diable avait un fils ?

Découvrez le monde souterrain, dans lequel se côtoient des démons et les hommes Conscients, gouvernés par le Seigneur de l'Enfer, et laissez-vous embarquer dans les périples de Martha, à la destinée extraordinaire...

EXTRAIT

Écrasée, étouffée, asphyxiée. Martha se retrouvait encore une fois dans ce même cauchemar. L’obscure silhouette était toujours au rendez-vous, et semblait plus déterminée que jamais à broyer la cage thoracique de la jeune femme. Il était toujours impossible pour Martha de voir clairement à quoi ressemblait l’intrus qui se tenait assis sur elle, pas plus qu’elle ne distinguait en arrière-plan ce qui devait logiquement être sa chambre, où elle s’était endormie, une éternité plus tôt. La douleur dans sa poitrine était intense, presque insoutenable. Il lui semblait que ses côtes étaient lentement broyées tandis que ses poumons cherchaient désespérément un peu d’air pour la garder consciente.
C’est une sensation horrible que de se faire tuer, même dans un cauchemar. C’était la troisième fois que Martha éprouvait cela en une journée. Elle ne pouvait toujours rien faire pour se libérer du poids du monstre qui l’oppressait. En réalité, la menaçante créature semblait liée à Martha par un lien viscéral, que rien ne peut briser. C’était exactement comme si elle avait toujours été là, dans l’ombre, attendant les moments de faiblesse de la jeune femme pour frapper. En fait, Martha avait le sentiment profond que cette chose obscure et effrayante était une partie d’elle-même, une partie haïe et rejetée, mais essentielle, de son être, comme un organe cancéreux, qui nous fait à la fois vivre et mourir.



LangueFrançais
ÉditeurPublishroom
Date de sortie10 oct. 2019
ISBN9791023613124
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    Aperçu du livre

    Il sera mon fils - Marie Delprat

    Chapitre 1

    Martha ouvrit les yeux dans la pénombre. Elle ne voyait rien autour d’elle, tout était gris ; elle distinguait seulement des silhouettes vagues, comme recouvertes d’un voile obscur. Elle voulut se redresser, mais ne parvint pas à bouger un seul muscle. Hormis ses paupières et ses yeux qui s’agitaient, son corps entier était paralysé.

    Martha sentit son rythme cardiaque s’accélérer, tandis qu’elle se rendait compte qu’elle ne pouvait pas non plus respirer : il lui semblait qu’un poids immense, presqu’insoutenable, pesait sur sa cage thoracique, empêchant l’air de pénétrer ses poumons. Elle eut un violent élan de panique et une sueur froide dans le dos la fit frissonner. Son instinct lui criait de se débattre, d’ôter ce poids écrasant qui l’étouffait, mais elle ne pouvait même pas bouger le petit doigt. Prisonnière de son propre corps, il lui semblait sentir la vie la quittant peu à peu à mesure qu’elle suffoquait.

    Soudain, ses yeux semblèrent s’être faits à l’obscurité et elle pût enfin voir la chose qui la faisait suffoquer et l’empêchait de se débattre : là, juste devant son visage, sur sa poitrine dénudée, était assise une créature de forme humanoïde, sombre et menaçante, qui pesait de tout son poids sur les côtes fragiles de la jeune femme, la tuant peu à peu. Martha ne distinguait clairement aucun détail, elle n’aurait même su dire si cette chose avait un visage, un regard ; le monstre était tout aussi flou que tout ce qui l’entourait. Toutefois il était là, et il semblait à Martha, bien qu’elle ne puisse pas respirer, qu’il exhalait une odeur putride de soufre, de sang et de chair en décomposition. Prise d’une terreur absolue, elle voulut hurler, supplier, se dégager, s’enfuir, mais son corps dans lequel s’agitait un dernier souffle de vie semblait déjà fait de pierre froide. La chose silencieuse et meurtrière paraissait se réjouir de l’horreur qu’elle lisait sur le visage de sa victime, tandis que la jeune femme, la poitrine écrasée, sombrait dans l’inconscience.

    –Putain de cauchemar ! s’exclama Martha en ouvrant les yeux, pour de bon cette fois.

    Elle s’assit sur son lit, et fut aussitôt prise de vertige ainsi que d’une violente migraine.

    Odeurs âcres d’alcool et de sueur. Bouteilles vides, sous-vêtements et chaussures jetés pêle-mêle, emballages de préservatifs, et bien d’autres choses inavouables jonchant le sol. Ce désordre résumait parfaitement la vie de Martha depuis maintenant plusieurs années.

    Se massant les tempes pour tenter de soulager la douleur, elle jeta un coup d’œil sur son lit. De sous la couverture se faisaient entendre des ronflements sonores. La jeune femme devait bien l’avouer, elle n’avait aucune idée de l’identité de l’homme qui dormait là-dessous, pas plus qu’elle ne savait ce qu’elle avait fait la veille au soir. Elle se souvenait bien être sortie avec Alan, l’homme qu’elle fréquentait en ce moment, pour se rendre dans le bar miteux où ils avaient leurs habitudes, et qui fermait très tard. Toutefois, elle était persuadée que le type qui ronflait actuellement sous sa couette n’était pas Alan : ils s’étaient disputés en début de soirée, et elle ne le reverrait probablement jamais, comme l’écrasante majorité de ses amants précédents. Au début, ils la trouvaient jolie, attirante, s’amusaient avec elle un temps, puis la rejetaient, souvent en la traitant de pute, pour aller en trouver une autre, plus jeune, plus sexy, plus facile à manipuler. À une époque, Martha s’était demandé pourquoi elle n’attirait que les salauds qui la voyaient, au mieux comme un objet décoratif, au pire comme un jouet sexuel à la merci de leurs désirs. Mais la réponse s’était imposée à elle : elle les attirait car elle était comme eux. Jamais elle n’avait nourri d’autres sentiments pour un homme que du désir lubrique, du mépris ou de la haine. Elle avait eu également quelques aventures avec des femmes, mais celles-ci s’étaient tout aussi mal terminées. Une chose était sûre : Martha n’était pas faite pour les beaux sentiments, pour la confiance, l’affection, la stabilité d’un couple amoureux.

    Et voilà pourquoi elle devait se débarrasser au plus vite de l’inconnu qui dormait toujours à côté d’elle. Voulant réveiller ce dernier, elle tira brusquement sur la couverture, dévoilant un dos poilu et couvert de taches de rousseur. Martha ne put s’empêcher de grimacer de dégoût. Se penchant sur le type, elle découvrit un front dégarni, des joues mal rasées, une peau pâle et assez ridée. Il devait au moins avoir quarante-cinq ans, soit deux fois son âge.

    –Je devais être bien bourrée, moi, hier soir... murmura Martha avec un sourire écœuré. Allez, debout ! fit-elle beaucoup plus fort. Il fait jour et t’es encore chez moi, je t’ai pas prévenu hier soir de te barrer avant l’aube ?

    Le type se réveilla enfin, se frotta les yeux, regarda autour de lui. Quand il eut enfin émergé, il voulut dire quelque chose, mais le regard noir de Martha lui fit clairement comprendre qu’il valait mieux pour lui de disparaître de son appartement au plus vite. Elle lui jeta à la figure son jean qui traînait dans un coin de la chambre. Il s’habilla puis fila sans même un mot d’adieu.

    Ayant entendu la porte d’entrée claquer derrière lui, Martha se détendit un peu. La matinée était déjà bien avancée, mais qu’importait ? La jeune femme avait perdu son emploi de vendeuse dans un petit magasin de lingerie une semaine auparavant, pour avoir refusé les avances de son patron. Il lui restait encore quelques économies, donc elle ne comptait pas chercher un nouvel emploi tout de suite : autant profiter de ces vacances improvisées. Elle savait qu’il lui serait sans doute difficile de trouver une place, mais elle préférait ne pas s’en soucier pour le moment, tant qu’elle avait un peu d’argent de côté.

    « Au pire, je ferai le trottoir... » pensa Martha en se traînant vers sa minuscule salle de bains.

    À vingt-trois ans, cela faisait déjà quelques années qu’elle vivait ainsi, au jour le jour, sans aucune préoccupation concernant son avenir, hormis peut-être la recherche de nouveaux bars et boîtes de nuit à fréquenter, ou de nouveaux types prêts à lui payer ses cuites en échange d’une ou deux nuits dans son lit. Évidemment qu’elle n’était pas heureuse. Évidemment que, les soirs de solitude, lorsqu’elle n’était pas sous l’emprise d’alcool ou de drogue, et qu’elle se rendait compte de la misère de sa situation, elle se sentait profondément, douloureusement et éternellement seule. Elle était passée par plusieurs phases de dépression profonde, et avait même tenté de mettre fin à ses jours. Mais, comme par la volonté d’une force mystérieuse et cynique, elle s’était toujours tiré des situations les plus intenables, et son instinct de survie avait toujours repris le dessus sur ses pulsions autodestructrices. Ainsi, malgré le sentiment, enraciné en elle, qu’elle n’était rien pour personne et que sa vie n’avait aucune valeur, Martha était parvenue à survivre tant bien que mal, consommant toutes sortes de substances pour repousser ses démons.

    Tandis qu’elle sortait de la douche, Martha entendit des coups violents portés sur la porte d’entrée de son appartement. Elle se dépêcha d’enrouler une longue serviette autour de son corps encore humide, mais il était trop tard : la porte n’était pas fermée à clé, et ses visiteurs inattendus s’étaient déjà permis d’entrer. Martha sursauta en entendant la voix d’Alan, son ancien amant, provenant de sa chambre :

    –Martha, ramène-toi, je sais que t’es là ! beuglait-il.

    Outrée par cette intrusion, Martha se précipita vers sa chambre sans même prendre la peine de s’habiller. Elle le regretta aussitôt, en voyant qu’Alan n’était pas venu seul : il était accompagné de deux acolytes, que Martha n’avait jamais vus. Alan se tenait debout, appuyé contre un mur, tandis que les deux autres fouillaient ses affaires, renversant le contenu des tiroirs, jetant oreillers et matelas à terre.

    –Qu’est-ce que vous foutez ici ? s’exclama la jeune femme, choquée.

    –Je pense que tu le sais, poupée, répondit Alan d’un air méprisant. Tu me dois de l’argent, beaucoup d’argent...

    –Ça va, je vais te le rendre, ton fric ! Pas besoin de venir me menacer chez moi ! Laisse-moi juste un peu de temps, je te recontacterai et...

    –Oh que oui, tu vas me le rendre, ce fric... Et tout de suite ! coupa Alan en s’approchant de la jeune femme, un peu trop près. Je ne t’ai pas pardonné la baffe que tu m’as mise hier soir, ça m’a mis en colère. Et j’ai décidé d’arrêter d’être sympa. Alors avec les potes, on est juste venus récupérer ce que tu nous dois, et après, promis, on te laisse mener ta petite vie de salope comme tu le souhaites.

    Attrapant Martha par l’épaule, il la plaqua violemment contre le mur, puis lui arracha sa serviette.

    –Mais je vois que tu t’es déshabillée pour l’occasion, tu nous attendais ou quoi ? murmura-t-il d’un ton faussement sensuel.

    Ses deux sous-fifres gloussèrent pour ponctuer ce trait d’humour.

    –Lâche-moi, fumier ! hurla la jeune femme de toute sa voix. Son ancien amant lui plaqua aussitôt sa grosse main sur la bouche en lui lançant un regard haineux.

    –C’est qu’elle va alerter tous les voisins, cette pute... grinça-t-il entre ses dents jaunies. Bougez-vous le cul, vous autres ! ordonna-t-il aux deux imbéciles qui l’accompagnaient.

    Après avoir jeté tout le contenu de l’armoire de Martha sur le sol, l’un des deux finit par mettre la main sur les dernières économies de la jeune femme : les billets étaient rangés dans une petite enveloppe, enfouie sous une pile de collants et de pantalons. Voyant qu’il avait obtenu ce qu’il était venu chercher, Alan esquissa un sourire satisfait mais teinté de cruauté.

    –Bien, donnez-moi ça et dégagez, maintenant, lança-t-il à ses acolytes.

    Celui qui avait trouvé l’argent protesta.

    –On pourrait peut-être s’amuser un peu, avant, suggéra-t-il en lorgnant le corps nu de Martha d’un regard répugnant.

    –Ta gueule et fais ce que je te dis ! brailla Alan, contenant difficilement sa rage. Je vous rejoins plus tard, encore un truc à régler avec cette catin, ajouta-t-il en désignant Martha du menton.

    Les deux types déguerpirent enfin, laissant Martha seule avec son ex-amant, qui la tenait toujours fermement, plaquée dos au mur, en la bâillonnant d’une main.

    La jeune femme ne reconnaissait plus l’homme qui avait partagé ses nuits depuis quelques mois. Ils n’avaient jamais eu de véritable affection l’un pour l’autre, mais ils s’entendaient plutôt bien, et jamais Alan n’avait été violent avec elle. Avant de devenir son amant, il avait surtout été son dealer, d’où la dette qu’elle avait accumulée, et qu’il était venu se faire rembourser ce matin-là suite à leur dispute.

    Le type n’avait jamais été très séduisant, mais ce jour-là, il était plus affreux que jamais. Ses yeux exorbités et injectés de sang fixaient ceux de Martha d’un regard fou, et, bien qu’il dût être aux alentours d’onze heures, il semblait avoir déjà descendu le contenu de la flasque d’alcool fort qu’il avait toujours sur lui. Martha eut soudain très peur de cet homme qu’elle avait jusqu’alors méprisé. Elle le connaissait suffisamment pour savoir qu’il pouvait être violent, dangereux, voire sadique. De plus, il ne sortait jamais de chez lui sans son couteau dans sa poche. Martha n’avait aucune idée de ce qu’il avait encore derrière la tête, alors qu’il venait déjà de lui enlever tout l’argent qui lui restait, ainsi que toute sa dignité. De terreur, elle serait déjà tombée à genoux, ses jambes se dérobant sous elle, si Alan ne la tenait pas fermement par l’épaule.

    Il ôta soudain la main qu’il avait plaquée sur la bouche de la jeune femme, qui se mit aussitôt à crier.

    –Lâche-moi, ordure ! T’as déjà tout mon fric, qu’est-ce que tu veux de plus ?

    –J’ai pas trop apprécié le ton sur lequel tu m’as parlé hier soir, susurra Alan, soufflant son haleine alcoolisée au visage de son ex. Quand on me parle comme ça, j’ai l’habitude de me fâcher, tu le sais, n’est-ce pas ?

    Sans attendre de réponse, il leva sa main libre et gifla violemment Martha, qui s’affaissa, sonnée, sur le sol. L’homme l’attrapa aussitôt par la mâchoire et la frappa de son poing fermé cette fois, lui éclatant l’arcade sourcilière. La jeune femme, à moitié assommée, ne chercha même pas à se défendre face à la montagne de muscles et de violence qu’était son agresseur. Recroquevillée, elle ne pouvait que gémir faiblement tandis que s’abattait sur son corps meurtri une avalanche de coups de poing et de coups de pied. Au bout de plusieurs longues minutes, Alan sembla en avoir fini avec elle. Observant le visage ensanglanté de sa victime avec une satisfaction sadique, il termina son méfait en lui crachant dessus. Juste avant que Martha ne sombre enfin dans l’inconscience, elle l’entendit prononcer :

    –Et ne t’avise surtout pas d’appeler la police, car j’ai quelque chose de pas très joli à leur raconter sur toi... T’as pas envie d’aller en taule, n’est-ce pas ?

    Chapitre 2

    Deux mois plus tôt, un soir de mai, dont la chaleur écrasante annonçait la venue de l’été, Martha s’était rendue dans l’entrepôt désaffecté squatté par Alan pour son « travail », afin de passer la soirée avec lui. Il avait promis de l’emmener danser en boîte aussitôt son dernier client parti.

    L’endroit, très peu accueillant, se trouvait à quelques kilomètres de chez elle, en périphérie de la ville, dans une vieille zone industrielle peu fréquentée. La façade décrépite, le plafond troué par endroits, les rats se promenant au ras des murs, tout coïncidait pour donner au lieu une atmosphère glauque et oppressante, mais Alan y avait vu le repaire parfait pour son trafic clandestin.

    Martha se souviendrait toute sa vie des moindres détails de ce jour funeste. Un bus l’avait déposée à quelques rues de l’entrepôt, et elle avait fini la route à pied, accablée par l’air moite et étouffant. Ce n’était pas la première fois qu’elle se rendait dans ce qu’Alan appelait son « magasin », mais elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver un fort malaise chaque fois qu’elle y mettait les pieds. Heureusement, Alan était présent lorsqu’elle arriva. Il s’apprêtait visiblement à quitter les lieux : il avait déjà enfilé ses gants de motard et son casque.

    –Attends-moi ici, poupée, avait-il lancé à Martha. J’ai un truc à régler en ville, une commande spéciale, ça va me rapporter pas mal de thune. Je serai là dans deux heures et on passera une soirée romantique.

    Martha savait pertinemment que ce qu’Alan appelait une « soirée romantique » impliquait deux bouteilles de vodka et des heures passées à assouvir les fantasmes sexuels infâmes du dealer, toutefois elle obéit à son injonction et pénétra dans l’entrepôt vétuste.

    Elle attendit longtemps dans l’atmosphère angoissante du lieu, sursautant au moindre grincement, au moindre cliquetis, à moitié rassurée par l’idée du retour imminent de son amant. Pour se distraire, elle sortit de son sac à main un petit miroir de poche et entreprit d’appliquer un épais trait d’eye-liner sur ses paupières. Ensuite, elle se mit à tourner en rond en se rongeant les ongles, ne sachant que faire pour passer le temps.

    Soudain, elle entendit comme un bruit de pas qui se rapprochaient. Elle se dit au premier abord qu’il ne devait s’agir que d’un rongeur. Et effectivement, l’homme qu’elle vit en se retournant avait tout du rat d’égout : les petits yeux vicieux au regard fuyant, les gestes saccadés, le poil graisseux. Toutefois il mesurait presque deux mètres de haut et portait des habits miteux, en lambeaux, tachés de graisse et de divers fluides corporels. Un sans-abri, sans aucun doute.

    –Alan est pas là. Il va pas tarder à revenir, vous pouvez l’attendre ici si vous voulez, lui suggéra Martha, méfiante.

    –J’sais pas qui est Alan, et je m’en tape, grogna le visiteur d’une voix éraillée. Toi par contre, ma petite, j’voudrais bien qu’on fasse connaissance, si tu vois ce que je veux dire...

    Martha prit peur. Si le type n’était pas là pour voir Alan, alors que faisait-il ici ? Il ne paraissait pas totalement lucide, vu sa façon de s’exprimer et de se déplacer, et la jeune femme se sentit soudain vulnérable.

    –Allez-vous en, je ne peux rien faire pour vous ! cria-t-elle, perdant ses moyens.

    –Oh que si, ma mignonne ! Viens donc par-là, tu vas voir ce que c’est qu’un homme ! brailla le SDF en attrapant Martha par le bras.

    Son odeur d’urine et de crasse donna un haut-le-cœur à la jeune femme. Par chance, elle réussit à se dégager en tirant sur son bras et s’enfuit en courant vers le fond de l’entrepôt. L’homme la suivit avec une rapidité surprenante, vu son état d’ébriété. Toutefois, la jeune femme avait l’avantage de la connaissance des lieux. Contournant une pile de caisses vides, elle se déroba quelques secondes à la vue du sans-abri qui la poursuivait, et passa une petite porte qui donnait sur un étroit escalier en colimaçon. Elle monta les marches le plus vite possible et déboucha sur une sorte de balcon qui longeait le mur sur toute la longueur du bâtiment, à environ quatre mètres de hauteur. Malheureusement, le bruit de ses pas dans l’escalier avait indiqué sa position à son agresseur, qui la suivait donc de près.

    Soudain, Martha eut un élan de panique : elle ne l’avait pas remarqué plus tôt, mais le balcon sur lequel elle courait était effondré en plein milieu. Le trou était bien trop large pour qu’elle puisse atteindre l’autre côté en sautant. Elle dût s’arrêter de courir, désemparée, et se tourna vers l’homme qui la poursuivait. Essoufflée, tremblante de terreur, elle le vit se rapprocher en titubant, un sourire carnassier aux lèvres.

    –Alors, ma jolie, on dirait bien que cette fois, t’es à moi... ricana-t-il en se rapprochant.

    Mais Martha n’avait aucune intention de se laisser faire. Sans réfléchir, suivant uniquement son instinct, elle ramassa une épaisse barre de métal rouillé qui traînait au sol, et décida de s’en servir comme d’une arme improvisée. Le clochard ne s’en soucia pas le moins du monde. Ricanant, il s’approcha de la jeune femme. Au moment où il allait poser ses mains crasseuses sur les hanches fines de Martha, cette dernière, sans même avoir conscience de ses gestes, lui asséna un violent coup de sa barre de métal sur la tempe. Sonné, le type reprit ses esprits lorsqu’il s’aperçut qu’il avait une partie du visage en sang. Un éclat de colère traversa ses yeux livides. Il tenta un mouvement en direction de Martha, mais elle le frappa une deuxième fois, plus fort encore, dominée par sa peur et sa colère. L’homme tituba quelques secondes, puis s’affala de tout son poids contre la rambarde du balcon, le crâne ensanglanté.

    Martha lâcha son arme improvisée et tomba, elle aussi, à genoux. Tandis qu’elle reprenait difficilement son souffle, elle entendit soudain un grincement sinistre, suivi d’un claquement. Et, sous son regard effaré, la portion de la rambarde sur laquelle le sans-abri était appuyé se brisa et tomba dans le vide, suivie du corps inanimé de l’homme, qui glissa doucement du balcon avant de s’écraser, avec un craquement affreux, quatre mètres plus bas. Martha, les yeux écarquillés d’horreur, fixa le corps disloqué sur le sol de l’entrepôt, sans vraiment comprendre ce qui venait d’arriver. Tremblante, elle retourna sur ses pas et descendit au rez-de-chaussée. Là, elle s’approcha craintivement du SDF gisant à terre et dût se rendre à l’évidence : il ne pouvait pas avoir survécu à deux coups à la tempe suivis d’une chute de plusieurs mètres. Accroupie à une distance raisonnable du cadavre, elle l’observa avec un mélange d’horreur et de curiosité.

    C’est ce moment que choisit Alan pour débarquer. Comprenant vite que quelque chose n’allait pas, il accourut auprès de Martha.

    –Mais bordel, c’est qui ce type ? explosa-t-il en voyant le corps du clochard. Qu’est-ce qui s’est passé ici ?

    –Je vais tout t’expliquer, je... commença Martha, mais elle s’étrangla puis fondit en larmes. Il lui fallut plusieurs minutes pour expliquer ce qui s’était passé au dealer. Le regard de ce dernier se durcit tandis qu’il se mettait à paniquer.

    –Putain, Martha, t’es en train de me dire que t’as buté ce type parce qu’il voulait te sauter ? brailla-t-il une fois le récit plus ou moins achevé. Mais t’es malade ou quoi ?

    –J’ai paniqué, je ne voulais pas frapper aussi fort ! se défendit la jeune femme.

    –Je m’en tape ! Quand tu tues quelqu’un, c’est pas l’intention qui compte ! Qu’est-ce qu’on va en faire maintenant, de ce clochard ?

    Alan était certes un criminel, un dealer assez influent, qui n’hésitait jamais avant d’agresser ceux qui lui tenaient tête, mais il n’avait jamais tué personne : il craignait bien trop d’être retrouvé par la police. Et là, cette femme, avec qui il couchait depuis peu, venait de buter un homme, dans sa cachette à lui... Surtout, ne pas céder à la panique. Garder la tête froide. Le type était un sans-abri, le genre dont tout le monde se fout, surtout les forces de l’ordre. Avec un peu de chance, personne ne s’inquiéterait de sa disparition. Il leur fallait juste se débarrasser du corps.

    Martha pleurait toujours, agenouillée. Elle n’avait jamais été capable de maîtriser ses émotions, et c’en était bien trop pour elle.

    –Allez, bouge, maugréa Alan. On a un cadavre à cacher.

    C’est ainsi que leur soirée se résuma à traîner le SDF, enveloppé dans un sac poubelle, jusqu’au terrain vague derrière l’entrepôt, à creuser une fosse suffisamment profonde pour pouvoir l’y ensevelir puis à recouvrir le cadavre de terre. L’air chaud et parfumé de cette nuit de printemps donnait à cette scène macabre un air irréel, mais Martha ne parvenait pas à chasser de son esprit l’idée lancinante qu’elle avait tué un homme. Elle s’arrêtait parfois de creuser, frissonnante, prise de nausée, mais Alan l’obligeait bien vite à se remettre à la tâche. Il voulait terminer son œuvre funeste au plus vite, de peur d’être aperçu. Heureusement, il semblait n’y avoir personne à des kilomètres à la ronde.

    Quand, enfin, au bout de plusieurs heures de labeur, ils eurent enterré le corps et camouflé l’emplacement de la tombe afin qu’il ne puisse jamais être retrouvé, Alan planta son regard d’acier dans celui de Martha.

    –Ne t’avise jamais de parler de ça à quiconque, articula-t-il d’une voix menaçante. Tout d’abord, ça serait con de ta part, car c’est toi la coupable du meurtre, et je doute que ton joli petit cul ait envie de se retrouver en taule. Ensuite, si une enquête est lancée, les flics tomberont sur mon stock de marchandise et je serai dans la merde jusqu’au cou. Et si j’ai des problèmes à cause de toi, je préfère te prévenir, ton cadavre ira rejoindre celui de ton pote le clochard, là-dessous... Sauf que ta mort à toi sera bien plus lente et douloureuse que la sienne.

    Sur ces mots, Alan et Martha retournèrent à l’entrepôt, puis Alan ramena la jeune femme chez elle à moto. Ils se revirent régulièrement après ce soir funeste, mais, d’un accord tacite, n’en reparlèrent jamais, jusqu’à ce matin d’été qui marqua une fin violente à leur liaison.

    Chapitre 3

    Martha reprit conscience plusieurs heures après le départ d’Alan. Aucune partie de son corps n’avait été épargnée par les coups de son ancien amant. La douleur était atroce, lancinante. La jeune femme sentait le moindre battement de son cœur se répercuter dans tous ses membres, comme un écho dans une cathédrale vide. Respirer lui faisait mal. Bouger lui faisait mal. Recroquevillée en position fœtale dans un coin de sa chambre, elle se mit à pleurer silencieusement.

    Personne ne viendrait l’aider. Personne ne se souciait de ce qui pourrait lui arriver. Elle était seule au monde, abandonnée de tous, et cette certitude, plus encore que son corps endolori, la faisait terriblement souffrir.

    Secouée de tremblements, Martha parvint enfin à se mettre debout dans sa chambre saccagée. Elle n’avait visiblement rien de cassé, mais tout son corps était couvert d’hématomes et saignait en plusieurs endroits. Dans la salle de bain, elle s’arrêta devant son miroir et observa son visage. Elle avait un œil au beurre noir, une joue recouverte de sang séché, et la lèvre inférieure éclatée. Des larmes coulaient sur son menton, prenant une teinte rougeâtre au contact de son sang.

    Voir son visage ainsi défiguré fit un nouveau choc à la jeune femme. Elle resta un long moment à fixer son reflet, mais reconnaissait à peine son corps maltraité. Elle se sentait souillée, violée, détruite. Elle avait le sentiment, au fond d’elle, qu’elle ne parviendrait jamais à se remettre des événements de ce matin. Alan et ses sbires lui avaient tout pris : ce qu’il lui restait d’argent, sa dignité, son courage, la beauté de son visage. Elle ne se sentait pas capable de surmonter cette destruction d’elle-même. Sans argent, elle ne pourrait pas tenir longtemps et, avec son visage tuméfié, il lui serait impossible de retrouver du travail. L’avenir, qui, jusqu’alors, lui était indifférent, lui apparaissait soudain comme un monstre hostile et menaçant duquel elle ne voulait s’approcher pour rien au monde.

    Le pire, c’était qu’elle était pleinement coupable de tout cela : elle aurait dû payer Alan à temps, elle n’aurait jamais dû devenir sa maîtresse, le laisser prendre autant d’importance dans sa vie... Les regrets et la culpabilité vinrent s’ajouter à la souffrance de Martha, et elle prit la seule décision qui semblait s’offrir à elle.

    Reprenant un peu de vigueur, elle fit couler de l’eau fraîche sur une serviette et nettoya le sang qui avait coulé sur son visage fin, ses petits seins pointus et ses bras pâles. Puis elle démêla ses longs cheveux couleur de jais. Avec des gestes lents et calmes, elle se fit couler un bain d’eau chaude, puis alluma à l’aide de son briquet deux bougies parfumées à la rose, qu’elle disposa sur le rebord de sa baignoire. Seulement illuminée par les deux petites flammes, qui répandaient leur senteur florale dans la salle de bain, elle entra dans l’eau et s’y immergea entièrement. Elle resta quelque temps la tête sous l’eau, laissant le manque d’oxygène étourdir ses sens, puis se redressa lentement. Parfaitement détendue, elle ne pleurait plus, ne tremblait plus. Elle semblait avoir oublié tous ses soucis, toutes ses souffrances.

    Enfin, pour achever son rituel de mort, elle se saisit d’une lame de rasoir. Avec application et précision, elle entailla d’abord ses chevilles fines, puis les veines bleues de ses poignets. Aussitôt, l’eau de la baignoire tourna au rouge vif, tandis que le fluide vital fuyait les veines de la jeune femme. Respirant profondément, elle sentait ses forces la quitter peu à peu, tout en appréciant le calme et la douceur de ses derniers instants. Elle qui n’avait jamais trouvé la sérénité dans sa vie, espérait l’atteindre dans l’anéantissement. Grisée par l’odeur entêtante de la rose, mêlée désormais à celle de la mort, elle sourit doucement en fermant les yeux pour la dernière fois, et noya sa vie dans le lac rouge sombre de son propre sang.

    Chapitre 4

    Le cauchemar recommençait. Martha se retrouvait, pour la seconde fois en quelques heures, paralysée, étouffée, dans un monde gris aux formes brouillées.

    La chose était revenue s’asseoir sur sa cage thoracique, écrasante, cruelle. Toutefois Martha ne pouvait toujours pas distinguer ses traits : elle ne voyait qu’une masse noire, de forme vaguement humaine.

    « Je suis déjà morte, putain, pensa la jeune femme. Pourquoi ce truc ne me fout-il pas la paix ? »

    La créature ne semblait pas avoir l’intention de bouger, et cette fois, Martha non plus. Elle se savait paralysée, et, de toute façon, elle n’avait pas envie de se débattre. Elle souhaitait juste mourir, pour de bon. La sensation d’étouffement était désagréable, douloureuse, mais Martha ne s’en souciait plus. À quelqu’un qui vient de se trancher quatre veines, la mort n’apparaît plus comme une menace.

    Elle se laissa finalement aller, ferma les yeux et tenta de replonger dans l’inconscience. Elle y parvint avec une facilité déconcertante.

    Martha se réveilla, encore une fois. Vivante.

    Ouvrant les yeux, elle ne vit tout d’abord que des formes floues à la lueur des bougies, qui s’étaient presqu’entièrement consumées. Après quelques secondes, sa vision redevint nette, et elle observa autour d’elle. Son corps dénudé était parsemé de petites gouttes d’eau sanguinolente, mais la baignoire était vide. La bonde semblait s’être débouchée d’elle-même pendant que Martha était inconsciente, et toute l’eau s’était évacuée.

    Ses entailles ne saignaient plus ; au contraire, elles commençaient à cicatriser. Martha comprit que son suicide avait échoué de peu. Elle ressentait une grande faiblesse dans ses muscles, due évidemment à tout le sang qu’elle avait perdu. En outre, elle était frigorifiée. De forts tremblements parcouraient tout son corps, et elle claquait des dents. Attrapant le pommeau de douche, en grimaçant car ce mouvement réveilla la douleur dans son corps maltraité, elle se lava tant bien que mal, se débarrassant de l’odeur du sang, qui désormais lui paraissait insupportable.

    Puis, avec des gestes automatiques, elle revêtit une épaisse robe de chambre et se rendit dans la minuscule cuisine de son appartement. Là, elle se prépara un café bien brûlant, dans l’espoir de retrouver un peu d’énergie. Et en effet, il lui sembla que le breuvage réparateur conférait une force nouvelle à ses membres affaiblis et couverts de bleus.

    Martha n’avait aucune envie de pénétrer à nouveau dans sa chambre. Elle savait que la vue de ses affaires saccagées raviverait en elle des sentiments douloureux, qu’elle préférait refouler pour le moment.

    Toutefois, alors qu’elle sortait du réfrigérateur les restes de son repas de la veille afin de les réchauffer, elle entendit un bruit sourd en provenance de ladite chambre. Elle se mit d’abord à paniquer, terrorisée, puis reprit ses esprits. Elle ne se laisserait pas avoir une deuxième fois. Si Alan ou un autre de ces enfoirés s’était re-pointé chez elle, il n’en repartirait pas indemne. Brandissant un long couteau de cuisine d’une main tremblante, elle se dirigea à pas de loup vers la porte entrebâillée de sa chambre. Le bruit persistait, comme si quelqu’un ouvrait et refermait les tiroirs de l’armoire. Martha saisit la poignée, et prit une profonde inspiration. Elle n’avait plus rien à perdre.

    –Qu’est-ce que tu fais encore ici, sale fils de pute ? hurla-t-elle en ouvrant d’un coup sec la porte, qui alla claquer contre le mur.

    Elle s’apprêtait déjà à se défendre à coups de couteau mais se figea soudain devant le spectacle qui l’attendait dans sa chambre. Bouche bée, dans l’incompréhension la plus totale, elle resta plantée sur le seuil sans oser faire un geste. Elle ne remarqua même pas que son couteau avait glissé de sa main et s’était écrasé sur la moquette avec un bruit sourd.

    Lorsqu’elle avait quitté sa chambre plus tôt dans l’après-midi, la pièce était dans le pire des désordres. Tous ses vêtements avaient été jetés par terre par les sbires d’Alan, rejoignant les affaires qui y traînaient déjà. L’un des tiroirs de l’armoire avait été arraché, le miroir et la lampe de chevet brisés. Des morceaux de verre jonchaient le sol et le lit, dont les oreillers et le matelas avaient été déchirés.

    Mais la chambre que voyait à présent Martha était totalement différente, comme transformée : le lit était fait, et les oreillers intacts. Il n’y avait plus aucun débris de verre sur la moquette, qui semblait plus propre qu’elle ne l’avait jamais été. Tous les vêtements devaient être rangés dans l’armoire, car Martha n’en voyait aucun traîner par terre. Le miroir et la lampe étaient comme neufs, et l’air embaumait une odeur de linge propre et de fraîcheur.

    Toutefois, ce n’était pas ce qui impressionna le plus Martha. En réalité, elle n’avait constaté l’état de sa chambre que d’un rapide coup d’œil, avant de se focaliser sur celui qui avait tout remis en ordre, et qui se trouvait encore sur les lieux. Là, s’affairant à ranger les chaussettes de Martha dans le tiroir inférieur de son armoire, se tenait un être d’apparence pour le moins atypique.

    Martha avait parfois eu des hallucinations, dues à certaines drogues, mais même dans le pire des délires, jamais elle n’avait vu une chose pareille.

    Il devait mesurer à peu près un mètre cinquante de haut, mais c’était difficile à dire car il se tenait courbé. La partie supérieure de son corps ressemblait à celle d’un homme : un torse et des bras musculeux, un visage maigre au nez crochu, des cheveux frisés d’un brun-roux flamboyant. Mais la ressemblance s’arrêtait là : en effet, la créature possédait également deux longues cornes torsadées sur le sommet du crâne, et des pattes couvertes de fourrure d’une couleur similaire à ses cheveux et se terminant par de larges sabots en guise de jambes. Martha pensa aux faunes de la mythologie, toutefois la chose qui se tenait devant elle était bien plus imposante, de par ses muscles noueux et son visage sérieux, qui s’opposaient au caractère bucolique de ces créatures légendaires. Se tournant vers Martha, la créature prononça, d’une voix claire et douce :

    –Pourquoi donc cette insulte, ma Dame ? Ma mère était une chèvre tout à fait respectable...

    Il fallut un instant à Martha pour comprendre de quoi cette espèce d’homme-bouc parlait. Décontenancée, elle balbutia :

    –Je suis désolée, je ne m’adressais pas à vous... Je pensais que c’était quelqu’un d’autre.

    –Je vous en prie, ma Dame, ne vous en faites donc pas pour cela. C’est pour moi un si grand honneur de vous rencontrer. Vous êtes encore plus majestueuse que dans mon imagination, répondit la créature avec un sourire des plus aimables.

    Martha jeta un coup d’œil sur sa vieille robe de chambre usée jusqu’à la trame d’où dépassaient ses chevilles nues. Avec son visage défiguré et dans cette tenue, elle ne voyait vraiment pas ce qu’on pouvait lui trouver de majestueux. Mais de toute façon, elle ne comprenait plus rien à ce qui lui arrivait depuis qu’elle avait passé la porte de sa chambre. Sentant qu’elle tenait difficilement sur ses jambes, elle s’assit sur le bord de son lit aux draps impeccables, puis respira un grand coup. Sa tête lui tournait, causant sans doute cette stupide hallucination qui se baladait dans sa chambre, essuyant désormais la poussière des meubles à l’aide d’un torchon à carreaux sorti de nulle part.

    –J’ai presque terminé, ma Dame. Prenez vos aises, je vous prie, lança l’étrange faune.

    –Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous faites chez moi ? demanda Martha.

    Après réflexion, elle finit par ajouter, plus bas :

    –Si bien sûr vous êtes réel, ce dont je ne suis pas sûre... Alan m’a donné un putain de coup sur la tête, tout à l’heure.

    –Mon nom est Astorius, mais le plus souvent, on m’appelle le Messager, répondit-il en s’asseyant sur le lit au côté de Martha. Oh, mais, il y a plus urgent que les présentations, il me semble ! s’exclama-t-il soudain. Avec votre permission, ma Dame...

    Sur ce, l’homme-bouc écarta délicatement les pans de la robe de chambre de Martha, dévoilant le corps nu de la jeune femme. Puis il lui fit signe de s’étendre sur le lit. Méfiante, elle le regarda d’un air suspicieux, mais le faune lui adressa un sourire encourageant. Martha se dit qu’elle n’avait plus grand-chose à perdre et s’allongea sur le dos. Avec des gestes précis et assurés, tel le meilleur des médecins, l’étrange hybride qui

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