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La société de minuit, t2 - Un vent de larmes et de brasier
La société de minuit, t2 - Un vent de larmes et de brasier
La société de minuit, t2 - Un vent de larmes et de brasier
Livre électronique309 pages4 heures

La société de minuit, t2 - Un vent de larmes et de brasier

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À propos de ce livre électronique

Des apparitions sinistres et inquiétantes. Un être cher qui disparaît. Un vieux carnet rempli de secrets. Eva est poursuivie par les démons, qui lui ont donné un ultimatum qu’elle est bien en peine d’exécuter. Convaincue qu’on la manipule, elle fait tout pour découvrir la vérité. Cette quête la mènera du sommet de ses facultés aux limites de sa raison, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que larmes et brasier…
LangueFrançais
Date de sortie13 mars 2023
ISBN9782897658670
La société de minuit, t2 - Un vent de larmes et de brasier

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    Aperçu du livre

    La société de minuit, t2 - Un vent de larmes et de brasier - Camille Noël

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    Chapitre 1

    La professeure d’art

    Il régnait en ce lieu une chaleur étouffante, insupportable. La noirceur était absolue, aussi infinie et brûlante que devait l’être l’enfer. Une odeur piquante et irritante de fumée écorchait la gorge et les poumons de la jeune femme en nage qui se tenait, paralysée, au milieu d’abysses impénétrables. Subitement, une lumière dorée la frappa de plein fouet, blessant ses yeux. Après quelques battements de cils, elle s’habitua suffisamment à cette clarté soudaine pour discerner un ovale lumineux parfaitement découpé dans les ténèbres. Une porte vers un autre monde. Toute cette lumière dorée ne provenait toutefois pas du paradis.

    Bientôt, une forme sombre en émergea telle une coulée de lave noire. La jeune femme, en proie au plus vif effroi, recula en trébuchant. Toute cette lave se modela en la silhouette d’un homme plus grand que nature. D’autres sombres entités s’insinuèrent à travers la lumière. Tour à tour, chacune d’elles prit une forme humaine. Le souffle court, Eva sentit son cœur se déchaîner à un rythme désordonné. Elle s’enfonça dans la noirceur pour les fuir, mais elle eut beau courir à perdre haleine, les entités la rattrapaient. Où qu’elle aille, elles étaient toujours derrière elle.

    Ton âme est nôtre, Evana Corvanov, entonnèrent-elles en un chœur terrible, tout en tendant les bras vers elle. Tu nous appartiens pour l’éternité.

    Eva se réveilla en criant, trempée de sueur et transie de peur. Son lit de la résidence de l’Institut Moldovan conservait son empreinte fiévreuse et humide. Ce cauchemar se faisait de plus en plus fréquent sans qu’Eva arrive à s’y habituer. Chaque fois, elle éprouvait une terreur qui lui oppressait la poitrine à un tel point qu’elle avait du mal à respirer.

    Tandis qu’Eva se calmait et reprenait lentement ses esprits, les visions cauchemardesques s’estompèrent. Pourtant, l’impression angoissante d’être observée persistait. Depuis quelques semaines, une sensation étrange la parcourait dès qu’elle se trouvait entourée de gens, comme si elle était en mesure de percevoir leur énergie. Ainsi, sans même voir ni entendre, elle pouvait détecter la moindre présence dans un certain périmètre autour d’elle. Grâce à cette nouvelle faculté, Eva avait la conviction que quelqu’un l’épiait à sa fenêtre… sous une forme limbique.

    Presque un an s’était écoulé depuis qu’elle avait invoqué la tornade ayant tué les membres de la famille Groza dans les ruines de l’abbaye. Eva portait toujours la marque des démons de l’ancienne religion sur sa nuque, le V inversé, sans toutefois subir de manifestations infernales autres que ses cauchemars récurrents. La jeune femme avait donc repris le cours de sa vie. Tout était redevenu normal. Enfin, presque. Au fond d’elle-même étaient constamment tapis la détresse et le désespoir que lui inspirait le souvenir de son pacte. Cependant, elle avait appris à en faire fi au fil du temps et arrivait à chasser ces émotions assez facilement.

    Eva se leva prestement et tira les rideaux. Il lui arrivait parfois de les laisser ouverts afin de profiter de la vue du ciel étoilé, de la lune et des planètes passagères avant de s’endormir. Néanmoins, maintenant qu’elle se sentait surveillée, mieux valait se protéger des regards indiscrets et prendre l’habitude de fermer les rideaux en tout temps. Qui pouvait bien avoir intérêt à l’espionner ? Eva n’excluait aucune possibilité : les membres du Conseil, Nayden, son grand-oncle Stanislav ou tout autre ennemi non identifié.

    Après avoir enfilé son uniforme, Eva sortit de la résidence rejoindre Tamara qui, comme à tous les matins, l’attendait pour déjeuner. Elles ne suivaient plus les mêmes cours désormais, car chacune avait choisi un cursus différent. Tamara voulait devenir designer d’intérieur alors qu’Eva s’était finalement décidée, après des mois de réflexion, à s’inscrire à une formation en gestion d’entreprise plutôt que de devenir artiste. Pour égayer ses semaines, elle avait également agrémenté son cursus d’un cours d’art avec l’une des meilleures professeures de la région.

    Lorsqu’Eva et Tamara eurent atteint la table du réfectoire où Zack était assis, il leur lança :

    — Dernière journée, les filles ! Il est temps que cette semaine finisse.

    — Oh, oui ! approuva Tamara en se laissant tomber à côté de lui. Nous sommes seulement au début de l’année et j’ai déjà des dizaines de lectures à faire et un portfolio à remplir ! Parfois, je m’ennuie de nos cours du lycée. Ça fait bizarre de ne plus m’asseoir à tes côtés dans mes classes, Eva.

    — Oui, à moi aussi.

    — Aimes-tu tes cours de gestion d’entreprise, au moins ?

    — C’est… aride et pas très stimulant, mais j’apprends beaucoup.

    L’année dernière, Eva avait fini par avouer à Tamara sa véritable identité. Son amie en était restée abasourdie durant un moment. Ce qui était compréhensible puisque les Corvanov, ainsi que toutes les autres familles drak du Conseil, étaient connus à Nastov en tant que gens riches et influents. Évidemment, Tamara ignorait qu’ils étaient draks, et Eva ne lui révéla pas ce secret. Néanmoins, Tamara connaissait bien la compagnie Corvanov Tren et n’en revenait toujours pas que son amie en soit l’héritière.

    Eva n’était pas l’unique propriétaire. Depuis qu’elle avait commencé à s’intéresser aux affaires de la Corvanov Tren, elle s’était heurtée à un obstacle de taille… et cet obstacle s’appelait Stanislav Corvanov, son grand-oncle et gestionnaire de l’entreprise jusque-là, propriétaire, tout comme elle, de quarante pour cent des parts. Bien qu’Eva suive des cours de gestion et s’entoure d’avocats et de conseillers, elle avait conscience que son savoir était encore très limité. Stanislav ne se gênait d’ailleurs pas pour le lui rappeler constamment tout en essayant de la pousser à lui céder ses parts de la compagnie.

    En plus d’apprendre à gérer une entreprise, aussi bien le volet juridique que celui administratif, Eva devait également se renseigner sur la mission de la compagnie, c’est-à-dire les trains et le transport ferroviaire. Or, elle ne s’y connaissait dans ni l’un ni l’autre de ces domaines. Inutile de préciser qu’elle en avait par-dessus la tête depuis le début de l’année scolaire.

    — Et Lucas, comment s’en sort-il ? demanda Zack avant d’avaler une gorgée de café.

    Après un an passé ensemble, Eva et Lucas filaient toujours le parfait bonheur, et ce, malgré la récente distance qui les séparait. En effet, à la fin de l’été, Lucas avait quitté l’Institut Moldovan de façon permanente afin de suivre des cours de menuiserie dans une école spécialisée de Solviny, la ville voisine. Quoiqu’il ait longuement hésité, tant il était tiraillé à l’idée de s’éloigner de sa bien-aimée, il éprouvait un besoin impératif de se détacher de l’école de son père pour suivre sa propre voie. Oleg avait bien essayé de le convaincre de rester en lui promettant de lui dénicher les meilleurs professeurs en travail du bois, mais Lucas trouvait sans cesse des arguments pour justifier son choix. Il était certain de bénéficier d’un enseignement de qualité supérieure dans cette autre école équipée de la machinerie à la fine pointe de la technologie.

    — Lucas va bien, répondit Eva. Il aime son nouveau domaine d’études. Je crois qu’il a véritablement découvert sa passion.

    — Arrivez-vous à vous voir un peu ? l’interrogea Tamara.

    — Oui… Euh, de temps en temps, surtout la fin de semaine.

    En réalité, Eva et Lucas se voyaient presque chaque nuit sous leur forme limbique. Il leur était facile de se rencontrer clandestinement au manoir d’Eva, qui était à mi-chemin entre l’Institut Moldovan et l’école de Lucas. Avec leurs pouvoirs draks, voyager était beaucoup plus rapide. Mais cela, Eva ne pouvait le dire ni à Tamara ni à Zack.

    — On devrait sortir en ville tous les quatre cette fin de semaine ! proposa Tamara, pleine d’enthousiasme. Il y a une foire médiévale dans le centre historique. Qu’en dis-tu, Eva ?

    — Oui, bonne idée. Ça me remontera le moral après ma visite à la compagnie.

    — Ton grand-oncle te donne-t-il encore du fil à retordre ?

    — C’est le moins qu’on puisse dire.

    Eva comptait se procurer le lendemain les documents financiers que son avocate lui avait conseillé d’examiner. Elle devait les faire analyser par des comptables. Bien évidemment, elle s’attendait à une certaine résistance de la part de Stanislav.

    Heureusement, le vendredi, elle finissait la journée par un cours d’art avec maître Elena Solovine, ce qui lui permettait de se détendre et de se vider la tête des notions de gestion, des articles de loi et des divers tracas liés à la Corvanov Tren.

    Les heures s’écoulèrent étonnamment rapidement, et Eva se retrouva bien vite devant sa professeure d’art, une grande femme d’une quarantaine d’années à l’œil noir brillant et aux cheveux grisonnants toujours bien coiffés. Elle avait une prestance semblable à celle de Tatiana Sternova, mais contrairement à elle, Elena n’était ni prétentieuse ni austère. Bien qu’Eva ne la côtoyait que depuis peu de temps, elle l’appréciait déjà grandement. Elena était une artiste-peintre qui avait connu une certaine notoriété en Europe. Eva était sa seule élève puisqu’Oleg l’avait engagée exclusivement pour elle.

    — Comment allez-vous aujourd’hui, ma chère Eva ? Vous semblez fatiguée.

    Elena se montrait tellement polie envers Eva que celle-ci commençait à croire qu’elle était drak tout comme elle. Si c’était le cas, même si le maître et son apprentie ne parlaient que d’art, Elena devait forcément savoir que son étudiante était une drak originelle. Elena était toujours très affable, mais elle se révélait par contre très franche concernant son champ d’expertise.

    — Oui, je travaille beaucoup, acquiesça Eva.

    — Ne vous en mettez pas trop sur les épaules. Aujourd’hui, ce sera un cours plus léger, si vous le voulez bien. Nous réviserons quelques notions sur la perspective, puis ferons des exercices de dessin.

    Eva approuva d’un hochement de tête. Depuis qu’elle suivait les leçons d’Elena, sa technique s’était beaucoup améliorée.

    Alors qu’elle était concentrée à tracer des points de fuite sur une grande feuille de papier beige, Eva ressentit soudainement une présence à proximité, autre que celle d’Elena. Elle se tourna subitement vers la porte. L’instant d’après, on y frappait. Un enseignant passa la tête dans l’ouverture et demanda à s’entretenir avec Elena. Pendant qu’ils discutaient tous les deux dans le couloir, Eva, distraite par l’étrange pouvoir qu’elle possédait, scruta pensivement les nervures de la voûte d’ogives qui la surplombait. Un soleil éclatant inondait la pièce à travers les arcs des fenêtres.

    Lorsqu’Elena revint, elle s’assit sur le bureau face à celui d’Eva et, le regard songeur, l’observa durant un moment. Son élève, qui s’était remise à dessiner, se demanda à quoi sa professeure pouvait bien réfléchir.

    — Je peux vous aider avec ça, également, finit par dire Elena.

    — Avec quoi ?

    — Vos pouvoirs de drak originelle.

    Enfin, il n’y avait plus de non-dits. Elena jouait cartes sur table.

    — Vous le saviez ? questionna Eva.

    — Bien sûr ! C’est aussi un peu pour ça qu’Oleg Moldovan m’a engagée. J’en connais long sur les draks originels.

    — En êtes-vous une ?

    — Non, mais j’ai été mariée à Borislav Parsalev durant cinq ans.

    Les Parsalev, propriétaires de la Banque de Nastov, étaient l’une des familles représentées au sein du Conseil de la Société de minuit. Apprendre qu’Elena était directement liée à l’une des familles draks originelles préoccupait Eva, dans la mesure où elle ne faisait pas confiance aux membres du Conseil. Cela dit, si elle se mettait à voir des complots et des trahisons partout, elle risquerait de devenir folle. Il valait mieux s’en remettre à son instinct, et son instinct lui disait qu’Elena n’était pas son ennemie ni une espionne.

    — Ma chère Eva, il me semble que vous avez expérimenté le pouvoir de détecter les présences qui vous entourent. Utile, n’est-ce pas ?

    Eva hocha la tête.

    — Si vous le voulez bien, nous pourrons en discuter plus longuement durant la nuit de lundi. Je vous apprendrai quelques trucs bien pratiques.

    Eva accepta la proposition d’Elena. Même si elle s’était retirée de tout ce qui concernait la Société de minuit, elle n’était pas contre l’idée de développer des facultés qui pourraient s’avérer profitables, surtout maintenant qu’elle se sentait surveillée jusque dans son lit.

    Tandis qu’elle se dirigeait vers sa résidence, une fois le cours terminé, Eva se glissa parmi les élèves des trois confréries – bleue, rouge et grise – qui se déplaçaient par petits groupes. À leur façon de parler fort et de s’agiter plus qu’à l’ordinaire, ils semblaient tous très contents d’être en congé. Tous les étudiants de la confrérie rouge, même s’ils n’appréciaient pas particulièrement Eva, s’estimaient dans l’obligation de la saluer d’un hochement solennel de la tête. Après tout, elle demeurait une drak originelle, et ce, même si elle avait éconduit Nayden Sternova. Les filles étaient d’ailleurs assez partagées à ce propos. Plusieurs considéraient qu’Eva avait fait un affront à Nayden et qu’elle était folle d’avoir rompu leurs fiançailles ; d’autres étaient plus qu’heureuses qu’il soit toujours célibataire.

    Eva n’avait pas revu Nayden depuis la fin de l’année scolaire précédente et ne lui avait pas reparlé depuis qu’il avait découvert la marque sur sa nuque. Nayden était même allé jusqu’à démissionner du comité des étudiants de sa confrérie, ce qui n’avait pas été sans créer d’émoi. Eva avait cru qu’il agissait ainsi pour ne pas la gêner, ce dont elle lui avait été très reconnaissante. Plus que jamais, il restait un total mystère à ses yeux. D’un côté, il lui avait offert son aide et avait respecté son souhait de ne plus le revoir ; de l’autre, il l’avait vampirisée à maintes reprises et l’avait aussi brutalisée afin de vérifier si elle portait la marque des forces démoniaques.

    Ce soir-là, en sortant de son corps physique, Eva perçut de nouveau une présence à l’extérieur, à proximité de sa chambre. Malgré les rideaux, quelqu’un persévérait à vouloir la surveiller. Irritée par cette situation et plus confiante en ses capacités, elle se rua à la fenêtre, ouvrit le loquet et se faufila rapidement dehors. Elle eut le temps d’apercevoir un homme avant qu’il ne disparaisse.

    Tracassée par cet incident, Eva craignait maintenant que l’on s’en prenne à son corps physique endormi dans la résidence. Elle retourna y tendre des pièges pour les intrus qui tenteraient d’entrer. Dans la pénombre, personne ne remarquerait les ficelles qui, une fois franchies, feraient tomber de gros objets. Avec un peu de chance, le vacarme alerterait rapidement Eva et faciliterait son retour dans son corps physique. Elle posa même un couteau sur sa table de nuit, au cas où. Comme lors de l’épisode avec les Groza, cette chambre ne lui paraissait plus sécuritaire désormais. Il lui faudrait penser à une alternative.

    Eva monta haut dans les airs et se propulsa vers l’avant grâce à un vent particulièrement puissant, en faisant toutefois attention à ne pas trop s’élever. Elle savait quelle altitude ne pas dépasser afin d’éviter des effets indésirables. La jeune femme l’avait appris à ses dépens récemment. Elle n’avait rien senti dans sa forme limbique, mais les jours suivants, ses oreilles et sa tête en avaient souffert.

    Sous son aspect limbique, Eva pouvait se rendre très rapidement de l’Institut Moldovan à son manoir, se délectant à tous les coups de la vue de la ville illuminée lorsqu’elle la surplombait. Ce soir, le quartier de lune était découpé très nettement dans un ciel complètement dégagé, scintillant d’étoiles. L’air froid ne frigorifiait pas la forme limbique d’Eva ; elle le sentait à peine. Son corps physique, lui, en aurait été transi.

    Quelques minutes plus tard, elle survola une route sinuant dans un bois et atteignit finalement son domaine, où elle se posa en douceur dans les jardins, qui l’impressionnaient toujours autant par leur grandeur et leur faste. À l’extrémité se trouvait la roseraie où Lucas et Eva avaient l’habitude de se donner rendez-vous. À cette distance, on ne distinguait pas le manoir, caché par les arbres décoratifs.

    Peu de temps après, Eva perçut une présence qui approchait rapidement. Dès que Lucas la rejoignit, il l’enlaça aussitôt.

    — Tu m’as manqué, lui chuchota-t-il à l’oreille.

    — On s’est vus hier !

    — On dirait que ça fait des semaines.

    Ils s’embrassèrent jusqu’à ce que la main de Lucas se pose sur la nuque d’Eva. Instinctivement, elle songea à la marque des obligés qui s’était imprimée là et recula précipitamment. Elle n’avait jamais révélé à Lucas ce qui s’était réellement passé la nuit où les Groza l’avaient enlevée. Lucas semblait si heureux qu’elle n’avait pas voulu gâcher le bonheur qu’il partageait en lui racontant la terrible menace qui la guettait. Elle avait préféré l’ignorer, croire que leurs jours heureux dureraient pour toujours. La vie était plus facile ainsi.

    Au début, le V inversé était enflé à la manière d’une brûlure. Quand Lucas l’avait touché la première fois, Eva lui avait raconté s’être brûlée avec un fer à lisser les cheveux. L’enflure avait fini par s’estomper, mais la marque, elle, était toujours là.

    — Tu as encore mal à cette vieille brûlure ? s’étonna Lucas.

    — Non, non, répondit Eva un peu trop rapidement. Ce n’est qu’un réflexe, elle est complètement guérie.

    — Vraiment ? Montre-moi.

    — Tu ne verras rien, il fait trop sombre.

    Eva changea de sujet avant même que Lucas ne puisse répliquer que leurs yeux de drak perçaient très bien l’obscurité.

    — Tamara et Zack nous ont invités à les accompagner à la foire médiévale en ville demain, veux-tu venir ?

    — J’irai où tu iras, mais je pensais que tu devais t’occuper de la compagnie.

    Lucas s’était mis à marcher, bientôt imité par Eva qui lui prit la main, soulagée qu’il n’ait pas insisté à propos de la cicatrice.

    — Oui, j’y vais dans la matinée, mais j’ai tout l’après-midi de libre.

    — Aimerais-tu que je t’accompagne demain matin ? Je dirai ma façon de penser à ce vieux serpent.

    C’était ainsi qu’Eva et Lucas surnommaient Stanislav.

    — C’est gentil, mais non. Ça ne ferait qu’envenimer les choses, et puis mon père et Dorothea viennent déjà avec moi.

    Dorothea Vazov était l’avocate d’Eva, l’une des plus redoutables en ville. Eva lui faisait totalement confiance ; elle l’avait certes choisie pour sa compétence et sa réputation, mais avant tout parce qu’elle n’était pas drak. Eva évitait de s’entourer de conseillers qui pouvaient être contrôlés par le Conseil, et donc par Stanislav.

    Lucas entraîna Eva vers un banc où ils prirent place tous les deux.

    — Je te trouve très impressionnante, murmura-t-il.

    — Comment ça ?

    — Tu tiens tête à ce vieux serpent et tu t’investis à fond dans la compagnie de tes parents, alors que ce n’est pas un domaine que tu connais. Je ne crois pas que je l’aurais fait. Ça prend beaucoup de détermination.

    — En vérité, je suis épuisée. Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir tenir. Stanislav ne cessera pas de m’intimider tant que je n’aurai pas renoncé à mes parts.

    — Je te trouverai impressionnante quoi que tu fasses, Eva, lui assura Lucas en l’embrassant sur la main. Si c’est trop pénible, alors arrête. Nous avons plein d’autres projets.

    Il sortit de son manteau un grand rouleau de papier qu’il déroula sur ses genoux avec un plaisir enfantin qui amusa beaucoup Eva.

    — J’ai retravaillé sur les plans de rénovation du manoir, annonça-t-il. J’ai fini ceux des salles de bain. Je pourrais commencer les travaux bientôt, je dois seulement me procurer le matériel. Pour le toit, il faudra traiter avec une équipe spécialisée. Ça n’ira pas avant le printemps…

    Lucas avait rapidement montré de l’intérêt pour le manoir et repéré tous les endroits où des rénovations étaient nécessaires. Le vieux bâtiment avait été entretenu, certes, mais avait besoin d’encore plus de soins. Eva laissait Lucas agir à sa guise, heureuse qu’il s’investisse dans l’héritage de ses parents, même si elle trouvait qu’il se lançait dans bien trop de projets en même temps. Elle n’avait toutefois pas le cœur de freiner ses ardeurs.

    En plus des salles de bain, du toit et de la cuisine qu’il voulait moderniser, Lucas s’était mis en tête d’offrir à Eva un pavillon en bois pour ses jardins où elle pourrait dessiner et peindre à l’abri du soleil et de la pluie. Il avait imaginé plusieurs plans, plus complexes et fabuleux les uns que les autres. Comme Lucas n’en était qu’aux balbutiements de sa formation, Eva était certaine qu’il mettrait des années à construire une telle pièce d’architecture.

    — Finalement, je ne crois pas que le pavillon devrait être à cet endroit, reprit Lucas. Je pense le déplacer…

    — Encore ! s’exclama Eva d’un ton moqueur. Ça fait dix fois que tu le changes d’emplacement.

    — Tu exagères, ça fait seulement trois fois. Regarde, si on le met ici, la vue sur les jardins est bien plus belle…

    Chaque fois que Lucas lui présentait ses projets de rénovation, Eva l’écoutait avec attention, attendrie par son immense enthousiasme. Pour le taquiner, elle lui faisait souvent des propositions qui n’avaient soit aucune logique, soit aucune chance de lui plaire. Lucas tombait toujours dans le piège en réagissant vivement, ce qui amusait à tout coup son amoureuse.

    — Et si on mettait le pavillon juste là ? suggéra Eva en pointant un point sur le plan.

    — Là ? ! répliqua Lucas d’un

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