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La société de minuit, t1 - Un vent de tourments et d'étincelles
La société de minuit, t1 - Un vent de tourments et d'étincelles
La société de minuit, t1 - Un vent de tourments et d'étincelles
Livre électronique309 pages6 heures

La société de minuit, t1 - Un vent de tourments et d'étincelles

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À propos de ce livre électronique

Des rêves qui n’en sont pas vraiment. Un mal mystérieux et inexplicable. De vieilles légendes qui prennent vie. Eva Magaloff croit mener une existence des plus normales à l’Institut Moldovan, jusqu’au jour où elle s’endort et bascule dans un tout autre univers.
Un univers de vents et de tempêtes, de richesse et de pouvoir, de tourments et d’étincelles…
LangueFrançais
Date de sortie13 mars 2023
ISBN9782897658649
La société de minuit, t1 - Un vent de tourments et d'étincelles

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    Aperçu du livre

    La société de minuit, t1 - Un vent de tourments et d'étincelles - Camille Noël

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    Chapitre 1

    L’Institut Moldovan

    Ces jardins étaient les plus enchanteurs qu’Eva Magaloff avait vus pendant ses dix-sept années d’existence. Même dans la ville de Nastov, juste à côté, où habitaient ses parents, les jardins n’avaient pas cette composition raffinée ni ce charme mélancolique. Certains pouvaient trouver ceux-ci trop chargés avec leurs étangs colonisés de plantes aquatiques, leurs pans de ruines couvertes de mousse et leurs statues de déesses envahies par le vert-de-gris. Il y avait tant de choses à regarder que les yeux, parfois, se perdaient dans l’infinité des détails. La quantité d’espèces de fleurs était impressionnante. Eva aimait particulièrement les dahlias noirs et les roses rouge sang. Il émanait de toute cette flore d’agréables odeurs de terre humide et de parfums capiteux.

    Quand elle ne se promenait pas au milieu des arcades gothiques érodées par le temps, vestiges d’une ancienne chapelle, Eva s’asseyait sur un banc pour dessiner. Elle utilisait la plupart du temps un stylo à l’encre noire, plus rarement un crayon à mine. Ces jardins, elle les avait couchés sur papier plusieurs fois sous différents angles, sans jamais se lasser.

    Après avoir ouvert son cahier à dessin, Eva demeura longtemps immobile à s’imprégner de la beauté des lieux auxquels la lumière grise du ciel et la légère brume conféraient une atmosphère plus poétique encore. La jeune femme entreprit de tracer le profil de la statue devant elle. Elle se plaisait à croire qu’il s’agissait d’une nymphe déployant élégamment les bras derrière elle pour s’envoler dans un courant d’air. Le silence était profond et paisible.

    Penchée sur son cahier, Eva était en train d’ébaucher une jambe couverte de lierres lorsqu’une voix aiguë déchira l’épais mutisme enveloppant le décor :

    — Eva ! Te voilà enfin !

    Une jeune femme de petite taille au sourire espiègle se jeta à côté d’elle sur le banc. Elle avait tressé ses cheveux lisses et bruns qu’elle trouvait si ternes. Tamara Oginski disait souvent envier la longue tignasse de son amie et lui reprochait de la négliger alors qu’elle aurait pu en faire de belles coiffures. Mais Eva, aux cheveux épais et ondulés, noirs comme les dahlias qu’elle aimait tant, préférait les laisser libres sur ses épaules.

    — Il faudrait y aller maintenant, la pressa Tamara. Le cours va commencer dans quinze minutes et, tout de suite après, nous avons une réunion des comités avec le directeur.

    Eva acquiesça d’un hochement de tête avant de refermer son cahier. Elle n’était jamais en retard ; dix minutes suffisaient pour atteindre la salle de classe. Un sentier dallé menait hors des jardins jusqu’à la cour pavée où s’élevait l’Institut Moldovan, un majestueux château entièrement restauré pour accueillir les étudiants privilégiés de Nastov, la ville la plus à l’est de Trovanie.

    La Trovanie était un petit pays qui ne comptait que cinq cités : Cartavania, Nastov, Voldav, Solviny et Raminir, autour desquelles gravitaient de modestes villages. Bien qu’en cette fin du XXe siècle, le visage de plusieurs pays européens s’était transformé, modernisé, la Trovanie, elle, avait tout conservé de son charme d’antan, à la fois campagnard et médiéval.

    Eva ne se lassait jamais de contempler l’Institut Moldovan. Ce magnifique bâtiment d’architecture gothique arborait un grand nombre de fenêtres en arc brisé dont certaines étaient serties de vitraux multicolores. Deux escaliers donnaient accès à l’entrée principale située au fond d’une vaste terrasse. Les portes, en bois massif, étaient surmontées d’une impressionnante archivolte dans laquelle avait été sculpté, parmi les arabesques, un croissant de lune traversé d’une spirale. Cette entrée principale n’était empruntée que pour des occasions aussi rares que solennelles ; l’entrée des étudiants était celle que l’on utilisait au quotidien. Pour l’atteindre, il fallait longer les murs en pierre sur la gauche jusqu’à une porte plus discrète.

    Alors qu’elle était sur le point de pénétrer dans le château, Eva sentit peser sur elle les regards de ses camarades. Le coût d’une éducation privée à l’Institut Moldovan était considérable, mais les parents d’Eva n’avaient pas à débourser puisqu’ils étaient de très bons amis du directeur de l’établissement. Ainsi, Eva Magaloff ne faisait pas partie des gens riches de la société. Sa famille était d’origine modeste et ne possédait pas de fortunes. Cette réalité creusait un fossé entre elles et les autres étudiants qui, parfois, murmuraient sur son passage ou la toisaient avec une expression hautaine.

    Eva avait appris à rester insensible au jugement des autres. Elle se savait chanceuse de fréquenter l’Institut Moldovan et elle appréciait particulièrement son site enchanteur et son architecture historique. Ce décor romantique nourrissait ses nombreuses rêveries.

    D’humeur toujours agréable et énergique, Tamara enveloppa les épaules d’Eva d’un bras affectueux pour montrer à tous qu’elle était son amie.

    — Nous pourrions aller en ville cette fin de semaine, suggéra Tamara. Il y a un petit café que j’aimerais bien essayer.

    — J’ai promis à mes parents de leur rendre visite. Une autre fois peut-être…

    Sous la voûte d’ogive du corridor, les deux filles marchaient derrière trois étudiants en uniforme bleu foncé. Il existait trois confréries au sein de l’Institut Moldovan : la grise, la bleue et la rouge. Au premier regard, on savait à laquelle les étudiants appartenaient par les couleurs qu’ils portaient. Eva et Tamara étaient de la première : leur uniforme était donc gris bordé de noir et se composait d’une jupe, d’un chemisier et d’un veston. Eva ignorait pour quelle raison on les séparait en trois groupes à leur admission puisque, de toute façon, aucune distinction n’était faite entre les confréries lors des cours. Ce ne semblait être qu’une façon d’organiser la vie étudiante et les résidences.

    La salle où se donnait le cours de littérature du jeudi après-midi était l’une des préférées d’Eva. Très lumineuse, elle comportait deux rangées de colonnes fasciculées entre lesquelles on avait disposé de superbes tables en bois de chêne. Tamara s’assit à l’arrière, bientôt imitée par Eva. La plupart des élèves étaient déjà arrivés et les retardataires firent leur apparition dans les minutes qui suivirent. Comme dans tous les autres cours, le nombre de participants était réduit. Cette classe en comptait douze, ce qui était en soi beaucoup puisqu’il n’était pas rare qu’un enseignant s’occupe d’un seul étudiant dans une matière très spécialisée.

    En effet, l’une des caractéristiques de l’Institut Moldovan était d’offrir un parcours personnalisé aux enfants de l’élite, dès l’âge de quatorze ans jusqu’à la majorité, soit vingt et un ans. Ils suivaient bien sûr le programme régulier du lycée, mais ils pouvaient également bonifier leur formation de cours très variés, avant de choisir le cursus universitaire de leur choix. Deux facteurs permettaient à l’établissement de fonctionner ainsi : son petit nombre d’étudiants et ses fonds considérables.

    Maître Balasko s’avança devant la classe et leva la main pour attirer l’attention de tous. C’était l’un des meilleurs professeurs de littérature du pays. Il était rigoureux, certes, mais très érudit et éloquent. Assister à ses exposés était un vrai bonheur pour Eva.

    — Comme je l’avais annoncé au dernier cours, aujourd’hui nous amorçons l’étude d’une œuvre britannique publiée en 1794 : Les Mystères d’Udolphe d’Ann Radcliffe. C’est un roman volumineux, je vous l’accorde, et vous n’aurez qu’un mois pour le lire, alors commencez-en la lecture dès maintenant si ce n’est déjà fait…

    Du coin de l’œil, Eva aperçut la grande silhouette d’un jeune homme habillé de gris qui entra en catimini dans la salle de classe. Le plus silencieusement possible, il prit place à côté d’Eva, puis se mit immédiatement à fixer la surface de la table comme si le cours l’ennuyait déjà. Eva lui adressa un regard chargé de reproches qu’il ne capta pas. Elle n’aimait pas que l’on montre un désintérêt aussi évident, surtout à l’endroit d’un maître aussi excellent.

    Durant toute la période, maître Balasko leur fit une description minutieuse du contexte historique et du courant littéraire desquels le roman était issu. Eva prit une multitude de notes sans s’arrêter et posa maintes questions.

    Quand le cours fut terminé, le jeune homme aux cheveux châtains et aux yeux pâles, assis à côté d’elle, se leva péniblement de sa chaise en lui demandant :

    — Pourrais-tu me faire un résumé, Eva ? Ce livre est beaucoup trop long…

    — Bien sûr… que non, Lucas, lui répondit-elle sèchement en ramassant ses affaires.

    Lucas Moldovan était le fils du directeur de l’Institut. Comme leurs parents étaient de vieux amis, Eva le connaissait depuis l’enfance et l’avait souvent côtoyé. Il n’avait pas toujours été aussi blasé et taciturne. Lorsqu’ils étaient enfants, Lucas avait l’habitude de jouer avec Eva, même si elle était de deux ans sa cadette. C’était seulement depuis qu’elle était entrée à l’Institut, trois ans auparavant, qu’il s’était éloigné d’elle et replié sur lui-même.

    Tamara s’approcha d’eux.

    — La réunion des comités se tient dans l’auditorium dans cinq minutes, allons-y ! ordonna-t-elle d’une voix joyeuse.

    Eva la talonna en hissant son sac à bandoulière sur son épaule. Avec un soupir, Lucas les suivit de sa démarche caractéristique : à la fois rapide et nonchalante.

    Chaque confrérie avait un comité étudiant pour la représenter. Le nombre minimal de membres était trois ; six étant la limite maximale. Les élèves étaient majoritairement peu intéressés par ce genre de tâches administratives, c’est pourquoi certains avaient été désignés par le directeur pour compléter les groupes. C’était le cas de Lucas, qui n’était pas là de son plein gré, contrairement à Eva et Tamara, qui s’étaient portées volontaires. Idem pour la confrérie bleue, où un garçon du nom Zack Minsky avait été désigné d’office afin de compléter le groupe aussi composé de deux filles.

    Seul le comité de la confrérie rouge comptait six membres, tous des représentants volontaires. Ils étaient d’ailleurs déjà présents dans la grande salle ronde au carrelage noir et blanc, sous l’incroyable voûte à lacis. Le groupe des rouges respectait une parité hommes-femmes ; ceux-ci étaient assis bien droit dans leur uniforme grenat.

    Eva les salua d’un hochement de tête. Personne ne lui rendit son salut, sauf le jeune homme au milieu qui, à l’évidence, s’imposait en tant que chef.

    — Bonjour, comité gris, leur lança-t-il.

    Son regard s’attarda sur Eva, aussitôt gênée de cette attention.

    Tous les étudiants de la confrérie rouge respectaient et admiraient Nayden Sternova ; toutes les filles de l’Institut Moldovan rêvaient d’être sa petite amie. Il se démarquait par sa beauté, son charisme et ses manières empreintes de bonté et d’autorité naturelle, à la manière d’un prince ou d’un monarque. Beaucoup se désolaient de le voir partir bientôt. Ayant sous peu vingt et un ans, il entamait sa dernière année entre ces murs.

    Eva se souvenait de la première fois qu’elle l’avait rencontré, trois ans plus tôt. Elle était alors nouvelle en ces lieux et s’était blessée en courant dans un escalier, nerveuse à l’idée d’arriver en retard à son cours. Nayden l’avait aidée à se relever avant de la guider jusqu’à la salle de classe. Depuis ce jour, il lui parlait toujours lorsqu’ils se croisaient et lui accordait, selon quelques mauvaises langues, un peu trop d’attention. Une raison de plus, pour certaines étudiantes, de détester Eva. Toutes pouvaient rêver de Nayden Sternova, mais personne n’était autorisé à s’en approcher. C’était une forme de démocratie… selon l’étrange logique de plusieurs filles.

    D’ailleurs, Vera Dobrev, membre du comité rouge, assise à côté de Nayden, faisait partie de celles qui en interdisaient l’approche avec le plus de virulence. Eva ignora le regard assassin qu’elle lui décocha, en se demandant pourquoi, avec tant de soupirantes, Nayden n’était pas déjà en couple.

    Les derniers arrivants prirent place sur leur siège respectif, puis le directeur, monsieur Oleg Moldovan, précédé de sa secrétaire, fit son entrée et se mit immédiatement à parler. C’était un homme de taille moyenne, bedonnant et atteint d’une légère calvitie.

    — Merci d’être tous réunis, mes chers membres. Madame Vandek agira encore une fois à titre de secrétaire et rédigera le procès-verbal. Voici, sans plus tarder, l’ordre du jour. D’abord, j’ai quelques petites annonces à faire. Ensuite, j’aimerais que vos confréries respectives me fassent part de requêtes, problèmes ou constats que vous pourriez avoir. Finalement, nous terminerons, comme d’habitude, avec la période de questions.

    Lucas bâilla, ce qui lui valut un coup de coude d’Eva. Ces réunions lui étaient d’un grand ennui et il n’y intervenait jamais, tant et si bien que Tamara et Eva le considéraient comme un figurant dont l’unique rôle était de remplir la troisième chaise.

    — Il y aura des travaux mineurs de réfection dans l’aile ouest du château, poursuivit le directeur. Cela ne devrait pas nuire aux activités étudiantes, mais un des couloirs empruntés pour aller dans les salles de cours O-10 et O-12 sera partiellement obstrué et des artisans y travailleront. Ça ne devrait pas durer plus d’une semaine. Deuxièmement, je planifie une soirée pour remercier les généreux donateurs de notre Institut, en grande majorité des membres de vos familles, chers étudiants. Cette réception aura lieu le 31 octobre, dans environ deux mois. Les étudiants sont également invités. Je compte sur vous, membres des comités, pour organiser cette soirée afin qu’elle soit un succès. Je vous remettrai la liste des donateurs bientôt. Nous aurons d’autres réunions à ce sujet.

    Oleg Moldovan marqua une pause pendant laquelle seuls les cliquetis de la machine à écrire de madame Vandek se firent entendre.

    Puis vint la période des demandes et des plaintes. En temps normal, il n’y en avait jamais beaucoup, mais cette fois-ci, chaque comité avait quelque chose à dire et la séance devint très vite animée.

    — Le menu des repas devrait être plus varié et plus santé, se plaignit Vera Dobrev de son ton hautain. Je ne consomme pas de viande, pourtant, ça ne veut pas dire que je désire manger de la salade chaque jour de la semaine.

    — C’est bon pour ta ligne, se moqua Zack Minski.

    Vera le foudroya du regard.

    — J’en prends note, madame Dobrev, intervint le directeur, pour calmer le jeu. Et attention à ce que vous dites, monsieur Minski, ce sera inscrit dans le procès-verbal.

    Un autre membre du comité rouge, Florian Molnar, émit à son tour une requête :

    — Plusieurs étudiants de ma confrérie trouvent que le couvre-feu est trop tôt. Il arrive que nous voulions travailler plus tard le soir à la bibliothèque…

    — Parlant de couvre-feu, le coupa Zack, une rumeur circule selon laquelle certains auraient vu un étudiant de la confrérie rouge se promener dans la résidence des bleus la nuit. Est-ce que les gars des rouges cherchent à entrer dans les chambres des filles de notre confrérie ?

    Cette déclaration suscita de vives réactions chez les rouges, qui se mirent à contester tous en même temps.

    — Ce n’est pas vrai ! Ce n’est que de la médisance !

    — Tu te bases sur des rumeurs ! cracha Vera. On veut des noms ! Qui t’a dit ça ?

    — Tu nous accuses sans preuve ! Tu cherches seulement à semer la discorde !

    Nayden Sternova leva une main pour faire taire ses camarades ; l’effet fut immédiat.

    — Je m’engage à mener ma propre enquête à ce sujet, promit-il d’un ton calme et posé, exempt de toute colère. De tels comportements ne seront pas tolérés, cela va de soi. S’il y a des coupables, ils seront dénoncés et punis.

    — Bien dit, monsieur Sternova, l’appuya le directeur. Je m’en occupe également. L’Institut Moldovan est un endroit sécuritaire où vous pouvez dormir tranquille. Je renforcerai la sécurité si cela peut vous rassurer. Mais pour le couvre-feu, il restera à vingt-deux heures, il ne sera pas modifié. Ces troubles sont la preuve qu’il est essentiel de maintenir une discipline stricte.

    Personne ne manifesta son désaccord. Quand Eva leva la main, Oleg Moldovan sembla heureux de changer de sujet.

    — J’ai remarqué que nous allions être à court de quelques fournitures scolaires. Dans la réserve, le stock de stylos a été dévalisé et il ne reste presque plus de cahiers. D’ailleurs, il serait également utile d’en acheter aux pages complètement blanches… Les lignes de ceux que nous avons gâchent les esquisses et dessins.

    Vera lui lança d’un ton méchant :

    — Les fournitures doivent servir pour les activités scolaires uniquement, pas pour des commandes personnelles. Dommage que tes parents n’aient pas assez d’argent pour te payer des cahiers à dessin.

    Eva garda contenance en feignant l’indifférence. Elle remarqua cependant du coin de l’œil le regard glacial que Nayden décocha à Vera, qui baissa honteusement la tête.

    — C’est un manque de respect, monsieur le directeur ! réagit aussitôt Tamara, choquée.

    — Effectivement, je ne tolère pas ce genre de commentaire, madame Dobrev. Je vous expulse de la séance, veuillez sortir immédiatement.

    Le visage plus rouge que son uniforme, Vera ramassa ses affaires avant de quitter la salle d’un pas pressé.

    — Décidément, cette réunion a été plus mouvementée qu’à l’habitude. Je prends note de votre requête, madame Magaloff. Nous ferons l’inventaire de la réserve et commanderons ce qui manque. Et sachez que si vous souhaitez suivre des cours d’art dans votre formation, l’Institut Moldovan rendra cela possible, car c’est sa mission de s’adapter aux besoins et aux aspirations de chaque étudiant. Quelqu’un a-t-il autre chose à ajouter ?

    — Certains de mes condisciples m’ont fait part de leur désir de connaître les critères de répartition des élèves dans les confréries, mentionna Tamara. Ils aimeraient une certaine mobilité…

    — Je regrette, coupa le directeur. Les étudiants sont répartis à leur admission avant même de mettre le pied à l’Institut. Ce n’est pas négociable, malheureusement. Autre chose ?

    Personne ne parla.

    — Quelqu’un a-t-il quelque chose à ajouter avant de conclure cette réunion ?

    Au grand étonnement d’Eva et de Tamara, Lucas leva la main.

    — Il est rare qu’on vous entende, monsieur Moldovan. Allez-y, on vous écoute.

    — Est-il possible de réduire à deux le nombre minimal requis de membres par comité ?

    Sa question suscita des réactions moqueuses et des rires de part et d’autre. Sans daigner lui répondre, Oleg Moldovan déclara la séance close et tous quittèrent la salle pour se diriger vers le réfectoire. Au moment où Eva s’éloignait dans le corridor en compagnie de Tamara, Nayden Sternova la rattrapa :

    — Je voudrais m’excuser au nom du comité de la confrérie rouge pour ce qu’a dit Vera. Nous n’approuvons pas son comportement.

    — Bien sûr, je le sais bien. J’ai l’habitude de ce genre de commentaire, ça ne me fait rien. C’est déjà oublié.

    — Ça m’attriste d’entendre ça. Tu ne devrais pas en avoir l’habitude.

    Nayden avait une façon de la regarder qui mettait Eva mal à l’aise. Ses yeux brun foncé, perçants et éclatants, semblaient la scruter jusqu’au fond de l’âme. Il avait toujours été gentil et attentionné à son égard, mais Eva ne se faisait pas d’illusion. Nayden et elle n’appartenaient pas au même monde.

    La jeune femme baissa finalement le regard vers le sol, tandis que Nayden concluait ainsi leur discussion :

    — Fais attention à toi, Eva. Et toi aussi, Tamara.

    — Merci, Nayden ! répondit gaiement cette dernière avec une expression taquine.

    Dès qu’il fut plus loin, Tamara enroula son bras autour de celui de son amie et la tira en direction de l’escalier, sans cesser de sourire.

    — Va-t-il se passer quelque chose un jour entre vous deux ? soupira-t-elle. Cette attente me tue !

    — S’il se passe quelque chose un jour, ce n’est pas l’attente qui me tuera, moi, mais les autres filles. Et je crois que tu t’inventes des histoires. Nayden est poli et bienveillant avec tout le monde. Il t’a dit de faire attention à toi aussi, non ?

    — Il s’est rappelé que j’existais à la fin, oui. Allons, Eva ! Il ne regarde personne d’autre que toi avec la même intensité. Vera en est verte de jalousie.

    Il avait toujours paru étrange à Eva que quelqu’un comme Nayden, de la riche et respectée famille Sternova, puisse s’intéresser à quelqu’un d’aussi banal qu’elle.

    Après un souper copieux dans le réfectoire, Eva et Tamara se dirigèrent vers les résidences situées dans un bâtiment de construction récente relié par un couloir à l’aile est du château. Une section de l’édifice était dédiée aux filles et une autre, aux garçons. Chaque étudiant avait sa propre chambre, pas très grande, mais confortable et bien meublée.

    — Que penses-tu de ce que Zack Minsky a dit à la réunion à propos des élèves qui se promènent la nuit ? demanda Tamara.

    — Je ne sais pas. En ce qui me concerne, je n’ai vu personne.

    — J’entends parfois des bruits lorsque tout le monde dort, révéla Tamara d’une voix qui trahissait de l’inquiétude.

    — Sans doute une fille qui se rend à la salle des douches, répondit Eva pour la rassurer.

    Les deux amies se séparèrent alors, car Eva voulait s’avancer dans sa lecture pour le cours de littérature. Il faisait sombre dans sa chambre, mais elle ne s’empressa pas d’allumer les lumières. Elle aimait cette pénombre bleue qui durait si peu de temps au crépuscule. Une fois la fenêtre ouverte, une brise fraîche purifia la pièce. Eva se laissa choir sur son lit et demeura immobile quelques minutes à fixer le plafond. Puis, quand il fit trop noir, elle s’éclaira de sa lampe de chevet et lut très longtemps, si bien que lorsqu’elle s’arrêta, le couvre-feu était dépassé.

    Le plus discrètement possible, Eva se rendit à la salle de bain où elle prit une douche rapide et enfila sa robe de nuit blanche. Le sol était froid sous ses pieds nus et comme elle n’était pas censée circuler

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