Romantique Un prénom en A

e début des années 1980 ne m’offrait rien d’excitant. L’année de ma première crème contre l’acné, mes parents décidèrent de se séparer. Militaire de carrière, mon père partit à l’étranger pour une mission mystérieuse, laissant maman responsable de mon éducation. S’il payait régulièrement le loyer et les charges de notre appartement, pour le reste, nous devions nous débrouiller. Comme j’étais enfant unique et qu’elle ne travaillait qu’à mi-temps à la mairie, ma mère concentrait toute son attention sur moi :

– Stéphane, ne rentre pas trop tard !

– Maman…

– Ne traîne pas dans le terrain vague.

– Mais maman !

– Et n’oublie pas ton écharpe !

Quoi de plus normal, en somme. Mais la suspicion maternelle portait surtout sur mes prétendues mauvaises fréquentations. Un samedi, elle m’avait vue devant le hall d’entrée, alors que j’admirais une Peugeot 103, la mobylette rouge de Michaël, un nouveau dans le quartier. Il habitait dans le même immeuble que moi et venait d’arriver au collège Diderot.

Un après-midi, il m’avait emmené faire un tour sur son cyclo. Ma mère avait entendu dire par la concierge qu’il avait redoublé et que sa famille n’était pas recommandable. Il n’était dès lors pas question que j’invite Michaël à la maison. Pas la peine d’insister. Ainsi allait ma vie : maison, collège, foot. Maison, collège, foot. Quelle monotonie !

En janvier, projetant de m’offrir le même sourire que Tom Cruise, ma mère m’emmena chez l’orthodontiste. Le moustachu en blouse blanche m’accueillit dans son cabinet et me fit prendre place sur une chaise mécanique. Pour seul décor, une armoire métallique, une table, un bureau, et deux tortues d’eau qui se bécotaient le museau dans un aquarium. Je fis de mon mieux pour me concentrer sur les bestioles, évitant du regard les instruments pointus étalés sur la table que je qualifiais d’opération. Le magicien du sourire me fit porter des bagues sur les dents du bas et du haut, qu’il resserrait