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Claire de Lune: Une histoire d'amour au coeur des Highlands
Claire de Lune: Une histoire d'amour au coeur des Highlands
Claire de Lune: Une histoire d'amour au coeur des Highlands
Livre électronique360 pages5 heures

Claire de Lune: Une histoire d'amour au coeur des Highlands

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À propos de ce livre électronique

Age : 13 ans et plus

Alex est un solitaire. Depuis son plus jeune âge, il s'est emmuré dans une existence où l'amitié, l'amour, le désir, n'existent plus. Il ne se sent bien qu'au milieu des Highlands, dans cette nature protectrice qui l'apaise et qu'il arpente souvent, sac au dos. Quand Clara débarque, il dresse ses défenses, comme d'habitude. Mais cette fois, ça ne marche pas. Clara, si différente, s'entête. L'Amour s'insinue, fait mal, d'un mal dont Alex ne peut bientôt plus se passer ! Mais qui est véritablement Clara ? Lorsqu'Alex le découvre, il ne peut plus faire marche arrière… Quel rôle doit-il jouer dans la vie de Clara ? Il l'apprendra au péril de sa vie.

Un premier roman à suspense relatant les découvertes amoureuses des héros, dans une Ecosse fantastique

A PROPOS DE L'AUTEUR

Depuis toujours, Valérie Narval aime lire et écrire. C'est donc tout naturellement qu'en 1989, elle entame des études littéraires. Soucieuse de maîtriser plusieurs langues, elle délaisse le français au profit du néerlandais et de l'anglais. En 1993, l'auteur obtient son diplôme de philologue germanique à l'ULB. Tout au long de sa carrière professionnelle, elle privilégie les fonctions qui lui permettent de communiquer. Aujourd'hui, elle travaille comme Business Analyst dans le département informatique de la première banque privée belge.

EXTRAIT

Les vacances touchaient à leur fin. Malgré les jours qui raccourcissaient, certains matins encore tièdes annonçaient une belle arrière-saison. Des champs dorés montait une bonne odeur de paille coupée qui séchait à même le sol. Les mulots et les campagnols cherchaient leur abri dans les fourrés tout proches. D’ordinaire, ce spectacle me réjouissait, mais aujourd’hui, il me rendait maussade : l’heure de retourner en classe avait sonné. Je n’étais pas particulièrement impatient de rentrer au collège. Il n’y avait là personne que j’avais envie de retrouver et la perspective de rester enfermé des heures durant n’avait rien de réjouissant. Heureusement, j’avais profité du dernier weekend pour partir m’oxygéner. Mon caractère solitaire m’avait emmené sur les côtes bordant les Highlands. En amoureux de la nature, j’avais trouvé un coin tranquille où planter ma tente. De mon poste d’observation de fortune, j’avais eu le bonheur de pouvoir observer un ballet de loutres qui s’amusaient à quelques mètres de moi. Je les avais admirées pendant une bonne heure sans qu’elles détectent ma présence. Cela m’avait captivé, elles étaient magnifiques, tellement insouciantes !
LangueFrançais
ÉditeurDricot
Date de sortie1 juin 2015
ISBN9782870954652
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    Aperçu du livre

    Claire de Lune - Valérie Narval

    Drôle de rentrée

    Les vacances touchaient à leur fin. Malgré les jours qui raccourcissaient, certains matins encore tièdes annonçaient une belle arrière-saison. Des champs dorés montait une bonne odeur de paille coupée qui séchait à même le sol. Les mulots et les campagnols cherchaient leur abri dans les fourrés tout proches. D’ordinaire, ce spectacle me réjouissait, mais aujourd’hui, il me rendait maussade : l’heure de retourner en classe avait sonné. Je n’étais pas particulièrement impatient de rentrer au collège. Il n’y avait là personne que j’avais envie de retrouver et la perspective de rester enfermé des heures durant n’avait rien de réjouissant. Heureusement, j’avais profité du dernier weekend pour partir m’oxygéner. Mon caractère solitaire m’avait emmené sur les côtes bordant les Highlands. En amoureux de la nature, j’avais trouvé un coin tranquille où planter ma tente. De mon poste d’observation de fortune, j’avais eu le bonheur de pouvoir observer un ballet de loutres qui s’amusaient à quelques mètres de moi. Je les avais admirées pendant une bonne heure sans qu’elles détectent ma présence. Cela m’avait captivé, elles étaient magnifiques, tellement insouciantes ! Rien de tel qu’un grand bol d’air au milieu de la nature pour vous changer les idées et faire le plein d’énergie… Mais les meilleures choses ont une fin, dit-on !

    Le mercredi de la rentrée, je m’étais levé paresseusement et avais négligemment enfilé l’uniforme du collège : blazer et pantalon noir, chemise blanche et cravate bleu ciel. J’adorais le principe de l’uniforme. D’autres élèves, par contre, aspiraient à plus d’originalité. Pour moi, c’était une façon idéale de passer inaperçu. Mon petit déjeuner dans l’estomac, je préparai mes sandwiches pour le midi et descendis à l’arrêt d’autobus, situé à une centaine de mètres de chez moi. D’autres élèves, plus jeunes, attendaient déjà. D’un naturel peu bavard, je les saluai rapidement. À cause d’une brume matinale épaisse, le bus avait pris du retard, à tel point que lorsque j’arrivai à l’école, tout le monde était déjà en classe. J’allais devoir passer par le bureau des éducateurs. La journée commençait mal.

    – Bonjour, M’sieur, je pourrais avoir un mot pour la prof de math, Madame Vernon, s’il vous plaît ?

    – Bien sûr, Alex, pas de problème.

    Je remerciai le pion et me dépêchai, de mauvaise humeur, mon sac à dos sur l’épaule.

    Inévitablement, les regards des autres se porteraient sur moi quand j’entrerais dans la classe. J’avais horreur de ça ! Depuis que j’étais arrivé à Dundee, il y a de cela près de quinze ans, je m’étais toujours arrangé pour passer « inaperçu ». Même dans ma plus tendre enfance, j’étais parvenu à ne pas me faire de copains. La plupart du temps, je restais seul pendant les récrés, je n’étais pas un petit garçon joyeux. Je pense que mon mauvais caractère était suffisamment rebutant pour éloigner quiconque aurait eu envie de s’approcher. Du coup, j’avais connu peu de parties de foot, sauf quand il manquait un gardien, peu de jeux de touche-touche. Je ne souffrais nullement de ce que d’aucuns appelaient de l’ostracisme. Je ne comprenais tout simplement pas ce qu’il y avait d’amusant à rire pour des plaisanteries douteuses, à raconter des niaiseries, que sais-je encore. Au début de mon adolescence, j’étais tout de même parvenu à me lier d’amitié avec un garçon de ma classe avec qui j’avais passé un peu de temps. Nous partagions le même intérêt pour la science-fiction notamment, pour la randonnée aussi. Et puis il avait quitté Dundee, sans laisser d’adresse, à peine quelques souvenirs.

    Depuis lors, mes camarades n’étaient pas arrivés à susciter suffisamment de curiosité pour que je m’intéresse à eux. À l’occasion, une fille tentait bien de se rapprocher, la pauvre. Je les trouvais toutes infantiles ou ennuyeuses. Je m’en voulais d’ailleurs parfois d’être aussi distant. Après tout, ce n’était pas leur faute.

    Aujourd’hui, à seize ans et demi, coutumier de cette solitude, le cours de ma vie était réglé comme du papier à musique : je ne me mêlais pas de la vie des autres, ils ne s’occupaient pas de mes affaires, et chacun s’en portait très bien. Il n’y avait rien à changer.

    Lorsque j’arrivai devant le local, je frappai à la porte, entrai et présentai le mot au prof.

    Au moment où j’allais me diriger vers ma place habituelle, troisième banc côté fenêtre, Madame Vernon m’interrompit :

    – Alex, je te présente Clara, elle est nouvelle et nous vient de Kirkwall. Madame Vernon ajouta à voix basse : « Je compte sur toi pour lui réserver bon accueil. J’espère que ça ne te dérangera pas d’avoir quelqu’un à côté de toi. Vas-y maintenant, assieds-toi et prends ton manuel d’algèbre, page quatre-vingt-quatre ».

    Je perçus une pointe d’ironie dans le ton de la voix, discernai quelques ricanements, qu’importe.

    Clara, puisque c’était son nom, me regardait fixement comme je m’approchai ; pour ma part, je feignis l’indifférence. Sans vouloir paraître grossier, il fallait que je lui fasse comprendre rapidement que je ne cherchais pas de compagnie. De toute façon, elle ne mettrait pas longtemps à se lasser de mes silences.

    Je m’assis donc sans un mot et me concentrai sur le calcul des intégrales, tournant ostensiblement le dos à ma voisine. L’exercice n’était pas simple, chacun planchait sur la solution dans une ambiance très studieuse. On entendait les mouches voler, lorsque je fus distrait par un éclat lumineux qui m’éblouit. À coup sûr, le reflet du soleil, qui venait de pointer au travers des nuages blafards, sur le cadran d’une montre ou sur la surface lisse d’une règle plate, farce classique de certains élèves qui s’amusaient vraisemblablement à tester mon humeur et que la situation désopilait. Quelle meilleure occasion auraient-ils pu trouver pour se moquer de moi, le misanthrope ? Mes yeux balayèrent la pièce lentement, de gauche à droite, à la recherche du coupable, sans succès. Je cherchai encore, mais le responsable de cette blague idiote savait rester discret. Juste au moment où, le cou plié à quatre-vingt-dix degrés vers la droite, j’allais baisser les yeux pour me concentrer à nouveau sur la résolution du problème, mon regard buta contre une paire de pierres précieuses grises bleutées, extraordinaires. Je ne m’étais pas attendu à cela : ‘elle’ m’observait, un sourire timide sur ses lèvres pâles, sans même essayer de dissimuler sa curiosité. J’en eus le souffle coupé. Oubliant la mauvaise plaisanterie, je soutins son regard quelques instants. Je ne parvenais pas à me détacher de ces yeux étranges.

    – Alex, pourrais-tu résoudre l’exercice au tableau, s’il te plaît ? appela la prof.

    – Pardon ? !

    Je sortis de ma contemplation.

    – Euh, oui, bien sûr, acquiesçai-je, surpris, tout en me dirigeant vers l’avant de la classe.

    Bon sang, combien de minutes étions-nous restés comme ça, à nous dévisager ? Je me rendis compte que j’avais perdu toute notion de temps ! L’heure de cours touchait à sa fin. J’eus à peine le temps de retranscrire la solution du problème que la sonnerie retentit. Clara rangea son matériel et disparut dans le flot des élèves, sans se retourner, tandis que je restais comme paralysé, face au tableau, par ce qui venait de se passer.

    Le restant de la matinée, je fus à l’affût de tout autre incident de ce type. Mais plus rien ne vint émailler ce début de rentrée.

    Je n’eus heureusement pas le temps d’y penser davantage : depuis plusieurs années déjà, j’étais préposé à la bibliothèque scolaire et, trois fois par semaine, j’accueillais les élèves qui venaient, éventuellement, chercher un livre ou un manuel. Cette activité convenait à merveille à mes besoins d’isolement. Et en plus, je n’étais pas souvent dérangé. Les élèves de ce collège n’étaient pas du genre curieux, la lecture ne les intéressait pas ou peut-être, n’avaient-ils pas envie de croiser mon chemin. En ce qui me concernait, je tenais là une occasion formidable de m’adonner à un de mes passe-temps favoris : bouquiner.

    Je rejoignis donc le local numéro trente-six qui avait été aménagé en longs rayonnages où les ouvrages étaient classés par thème, puis par ordre alphabétique en fonction du nom de l’auteur. Quelques sièges disséminés autour de trois tables permettaient de consulter les livres sur place. Je m’installai comme à mon habitude, derrière le PC, pour appeler le programme de suivi des prêts, surfer un peu sur le net et continuer le roman de Frank Herbert, Dune, que j’avais entamé la semaine dernière. Je connaissais l’histoire par cœur, mais elle me passionnait chaque fois de la même manière. Confortablement installé dans mon siège de directeur, mon imagination m’emmena flotter aux côtés des sorcières du Bene Gesserit, les yeux bleuis sous l’effet de l’épice, quand un frisson me parcourut le bras. Les battements de mon cœur s’accélérèrent.

    – Y a quelqu’un ? appelai-je, interloqué.

    – Pardon… Alex ? C’est bien ton nom ? C’est Clara.

    Sa voix cristalline – ou peut-être étais-je encore empli des sensations provoquées par la lecture – me parvint du fond de la pièce. Je n’avais pas entendu entrer cette fille. Pourtant, elle était forcément passée devant moi !

    – Je ne voulais pas te déranger, ajouta-t-elle. Tu avais l’air si concentré.

    Lisait-elle dans mes pensées ? Je me ressaisis. Je ne lui avais pas encore adressé la parole de toute la journée tandis que d’autres s’étaient chargés de l’accueillir et de l’accompagner dans ses moindres déplacements. On aurait dit une meute de loups traquant son déjeuner : ils la dévoraient tous des yeux.

    Cette fois, je ne pourrais pas me dérober. Je remarquai qu’elle était seule, ce qui ne pouvait que me conforter dans l’idée que mes copains de classe préféraient m’éviter. Tant mieux.

    – Je peux t’aider ? maugréai-je.

    – Je suppose que oui. J’ai reçu la liste des manuels scolaires et des romans que nous devrons lire cette année pour les différents professeurs, précisa-t-elle. Peut-être peux-tu m’indiquer où ils se trouvent ?

    – Évidemment. Laisse-moi faire, dis-je en tentant de paraître plus aimable.

    En quelques minutes, sa pile était prête : les manuels de mathématique, l’anthologie d’anglais, les romans prévus cette année : Les gens de Dublin de James Joyce, Un tramway nommé Désir de Tennessee Williams, Le songe d’une nuit d’été de l’immanquable William Shakespeare.

    – S’il te plaît. Pour ton information, ajoutai-je, la bibliothèque offre également un grand nombre d’ouvrages de divertissement, du moins si tu considères la lecture comme un plaisir.

    J’avais essayé un trait d’humour sans doute maladroit, même un rien cynique, qui tomba à plat.

    – Merci, j’y penserai, sourit-elle, indulgente. Au fait, désolée pour tout à l’heure, je ne voulais pas t’importuner, j’ai bien compris que tu préférais rester seul sur ton banc, mais on ne m’avait pas laissé le choix. Je trouverai bien une autre place où m’installer dès demain. Bon, ben, j’te laisse. On se verra en classe.

    Son ton était sarcastique ! J’aurais dû m’y attendre. Après tout, qu’est-ce que ça pouvait bien me faire ? Je me sentis tout de même gêné d’avoir été aussi inhospitalier ce matin. Je n’avais pas voulu la blesser, juste l’éloigner. Et l’indifférence était le seul moyen que j’avais trouvé pour protéger mes habitudes de vieil ours.

    Je lui tendis ses bouquins sans rien ajouter, et la suivis du regard tandis qu’elle quittait la bibliothèque. D’habitude, je ne m’attardais pas à dévisager les gens que je croisais. Pas même les représentantes du sexe opposé. D’ailleurs, depuis longtemps, elles me le rendaient bien. Or, il était évident que cette fille avait un je-ne-sais-quoi qui la différenciait des autres : une peau plus pâle, des yeux gris délavés, ou cette étrange chevelure auburn ? Sans doute le mélange des trois ; je m’y serais certainement habitué dans quelques jours. Par contre, son comportement me désarçonnait : j’avais une furieuse tendance à faire fuir les gens par une conduite pour le moins asociale. Elle, en revanche, n’avait pas l’air intimidée. Certes, elle m’avait bien dit qu’elle ne viendrait plus s’asseoir à côté de moi, mais elle me donnait l’impression d’agir par sympathie envers moi, et pas pour m’éviter parce que j’étais « étrange » ou désagréable. C’était nouveau pour moi, et cette attitude éveillait mon intérêt. Instinctivement, pourtant, je sentais que cela pouvait être dangereux, car jusqu’ici, j’étais parvenu à assurer un contrôle complet sur mes émotions en conservant un rapport minimal avec les autres. La curiosité que cette fille provoquait risquait d’ouvrir une brèche, et ça, il n’en était pas question.

    La journée finie, je rentrai chez moi, des idées étranges plein la tête. Les dernières lueurs du jour s’éteindraient bientôt derrière la colline qui abritait notre maison. Mes parents n’allaient pas tarder. Pour me changer les idées, je préparai la table avant de monter dans ma chambre pour achever mon exercice d’anglais. Au bout d’une demi-heure, ma mère arriva avec ma sœur Elizabeth, une adolescente de quatorze ans, tantôt drôle, tantôt pénible. Elle revenait de son entraînement de natation.

    – Alex, on est là, appela ma mère. Merci d’avoir dressé la table.

    – Pas de quoi, répondis-je, affable.

    Elizabeth s’installa devant la télévision. Décidément, elle n’avait vraiment pas grand-chose à faire celle-là ! Pour rien au monde elle n’aurait loupé Buffy contre les Vampires.

    Ma mère préparait le dîner pendant que mon père garait sa Ford dans le garage. Une bonne odeur de cuisine montait jusqu’à l’étage. La vie de famille était bien organisée, tout aussi routinière que ma vie scolaire en quelque sorte. Chaque chose à sa place et une place pour chaque chose, peu d’imprévus, c’était « confortable ».

    – Le dîner est servi, geignit ma sœur du bas de l’escalier.

    Elle n’allait pas être amusante ce soir… Je descendis sans attendre. Sur la table trônait une succulente selle d’agneau ; des pommes de terre nature accompagnaient le ragoût de girolles. J’en eus l’eau à la bouche.

    – Tu as passé une bonne première journée, Alex ? s’enquit mon père en se servant une bière.

    – Rien de particulier, mentis-je, aussi indifféremment que possible. Tu sais, la rentrée c’est un peu toujours la même chose, depuis le temps. J’ai déjà commencé à reprendre la bibliothèque. Ça ne se bousculait pas, comme d’habitude. J’attends le rush pour vendredi.

    Ce récit laconique suffit à mon père. La plupart du temps, sa question régulière, et une brève réponse constituaient le gros de nos conversations. Nous aurions pu en rester là, mais c’était compter sans Elizabeth.

    – Vous n’avez pas une nouvelle dans ta classe ? Une fille un peu bizarre, pâle comme une craie, avec des cheveux roux flamboyants. Ne me dis pas que tu ne l’as pas remarquée. Elle ne passe pas inaperçue ! Ah, mais j’oubliais, les autres ne t’intéressent pas, toi !

    – Occupe-toi de ce qui te regarde, répliquai-je avec plus d’agressivité qu’il n’en fallait.

    Je m’étais surpris moi-même. Je n’aimais pas ces disputes puériles avec cette petite adolescente insupportable. Bien souvent, je restais imperturbable à ses attaques. Ses paroles, cette fois avaient pourtant suscité une colère à laquelle je ne m’étais pas attendu. J’étais étonnamment sur la défensive.

    – Les enfants, voyons, ça suffit ! intervint ma mère qui sentit naître le conflit.

    Sur un ton affectueux, elle commença alors à poser des questions sur la nouvelle, questions auxquelles je me contentai de répondre le plus évasivement possible. Lorsqu’Elizabeth l’avait décrite, mon père avait levé le nez de son assiette, intrigué par la conversation. Par-dessus la table ronde, il avait lancé un regard à ma mère que je ne pus déchiffrer – sourcils plissés, amusement, inquiétude ? – ce qui me mit d’autant plus mal à l’aise. Pudiquement, je voulais me protéger (ou était-ce Clara que je voulais protéger ?) lors de cette discussion. Cela me ressemblait à peine. Je fus soulagé, le repas terminé.

    Une fois la vaisselle rangée, mes parents s’installèrent au salon, devant la télévision, et commencèrent à chuchoter. Étrange, car c’était l’heure des informations. En temps normal, on aurait entendu une mouche voler. Malgré ma curiosité, je ne posai aucune question, de peur de susciter les leurs. J’en avais assez dit pour la soirée. J’embrassai ma mère et saluai mon père avant de rejoindre mon antre. Dans le couloir, Elizabeth téléphonait à une copine. Au passage, je lui lançai une grimace idiote, marquant mon exaspération, à laquelle elle répondit en tirant la langue. Inutile d’essayer de la raisonner. Au moins de ce côté-là, tout était normal.

    Après avoir pris une bonne douche, et enfilé mon pyjama, je m’allongeai sur mon lit pour écouter quelques morceaux de mes groupes préférés : Linkin Park, Coldplay, Radiohead, entre autres. Je n’avais pas encore tiré les rideaux. Ma chambre, plongée dans l’obscurité, était traversée par un unique rayon de lune. Dehors, la nuit était calme. Quelques oiseaux lançaient leurs derniers trilles sur les plus hautes branches des peupliers. L’air rafraîchi s’engouffrait dans la pièce par la fenêtre ouverte. Emporté par la musique, les yeux grands ouverts, je me repassai le film de la journée. Elizabeth avait raison, jeune fille observatrice, même s’il m’en coûtait de l’admettre : Clara sortait du lot. Non seulement elle était jolie avec sa peau claire et ses yeux lumineux, mais, en plus, elle était naturelle. Je dus reconnaître que cela me la rendait plus attirante que toutes les filles que j’avais pu rencontrer jusqu’à présent. Peut-être que cette année j’aurais une motivation un peu différente d’aller chaque jour à l’école. J’étais curieux de voir comment elle allait s’intégrer au milieu de cette bande de gamins immatures.

    Je me laissai doucement sombrer dans le sommeil, bercé par la brise, le rayon de lune me caressant le visage. Quelques minutes plus tard, je me retrouvai, petit garçon, face à un immense lac perché au creux d’une montagne sombre. Des sons diffus parvenaient à mes oreilles : tintements d’oiseaux, sifflement de la brise froide dans les branches des sapins, bruissement des rongeurs furetant dans le sous-bois. C’était la nuit. Quelques étoiles scintillaient dans le crépuscule. Je faisais face à la surface miroitante, assis sur la berge, la tête posée sur les genoux repliés contre mon corps. Je grelotais. Des larmes salées coulaient le long de mon visage, brûlant mes joues. Je me sentais si mal. Derrière moi, une branche craqua et lorsque je me retournai, un éclat lumineux m’aveugla.

    Maux de tête

    NON !

    Mon propre cri me réveilla. Je bondis hors de mon lit comme un ressort, frissonnant de transpiration, la gorge sèche. La lune éclairait toujours le manteau noir du firmament. Çà et là, des étoiles étincelaient, perçant de leur éclat la fine couche de nuages qui tapissait le ciel. Avant de fermer la fenêtre restée ouverte, je tendis l’oreille au-dehors. Quelques chats miaulaient une complainte amoureuse dans un grincement sinistre. Le vent qui s’était levé secouait les feuilles des arbres voisins. Une chouette hululait au loin. Les bruits de la nuit apaisèrent les battements effrénés de mon cœur. Je m’étais habitué aux cauchemars qui hantaient mon sommeil, mais celui-ci m’avait paru tellement réel que j’en tremblais encore. J’hésitai à retourner me coucher, mais que faire d’autre ? Je tirai mes tentures, éteignis mon lecteur de CD et me recroquevillai sous les couvertures, serrant contre moi mon oreiller, comme un gosse terrifié. Le sommeil ne revint pas. Je vis désespérément défiler les heures les unes après les autres jusqu’au lever du soleil. Les oiseaux indifférents entamèrent la journée de leur gazouillis strident. Je me tournai et me retournai sous les draps pour ne plus les entendre, en vain. Puis le réveil crachota une sonnerie aigrelette, me délivrant de cette nuit sans fin. Rassemblant tout mon courage, je m’extirpai de ma couche pour passer un coup d’eau sur mon visage gris, tiré par la fatigue. Un rapide coup de rasoir me redonna une apparence presque humaine tandis que mes cheveux en bataille gardaient les stigmates de ma lutte perdue contre l’insomnie.

    – T’en as une de tronche ce matin ! remarqua Elizabeth, déjà attablée devant ses tartines de marmelade.

    – Mal dormi.

    – Je t’ai entendu cette nuit. T’as encore fait un mauvais rêve ?

    – Tout juste – soupir.

    – Qu’est-ce que c’était ?

    – Pas envie d’en parler, mal au crâne.

    Elle continua de me fixer, une tartine suspendue dans l’air à quelques centimètres de sa bouche, puis détourna le regard. Elle savait bien qu’il était inutile d’insister, mais elle était déçue. Tout le monde dans la maison connaissait ma propension aux cauchemars et parfois, j’en faisais le récit effrayant. Ce ne serait simplement pas le cas aujourd’hui. Ma mère était absente, déjà partie bosser. Elle commençait tôt ces derniers temps, car elle avait récemment été chargée de réorganiser le département juridique de la banque pour laquelle elle travaillait. La confiance de ses employeurs l’avait honorée et elle comptait s’acquitter de cette tâche dans les plus brefs délais, avec le professionnalisme qui la caractérisait. Cela l’obligeait à travailler davantage, et elle préférait partir tôt, plutôt que rentrer tard, ce qui faisait qu’elle n’assistait plus très souvent aux petits-déjeuners familiaux en semaine. Ce matin, je ne le regrettais pas. Quant à mon père, j’entendais couler la douche à l’étage. Il n’aurait que le temps de nous embrasser avant que nous ne disparaissions. Autrement dit, personne à part ma sœur ne remarquerait mon état délabré.

    Brian et Samuel, deux garçons de ma classe, me firent signe de la main quand ils m’aperçurent dans la cour du collège, signe que je leur rendis de loin. Je m’étais adossé au mur du préau, jambes croisées, les mains en poche, attendant le signal du début des cours. Quand la sonnerie retentit, tout aussi désagréable que celle de mon réveil. Je ramassai mon sac et suivis la file des élèves qui se dirigeaient vers le cours de biologie. Tout le monde était rentré à l’école maintenant et les professeurs n’avaient plus aucune pitié pour nous qui étions encore en vacances deux jours plus tôt. Ce changement de rythme brutal ne me dérangeait pas d’ordinaire, mais aujourd’hui, sonné par le manque de repos, j’avais du mal à ne pas afficher ma mauvaise humeur. Assis sur le dernier banc de la rangée centrale du laboratoire, je pouvais aisément me cacher derrière Ted, l’armoire à glace située juste devant moi. Je fermai les yeux quelques instants, le menton appuyé sur ma main droite, puis décrochai complètement de l’explication de Mr McIntyre. Au prix d’efforts soutenus, j’évitai que ma tête ne dodeline de manière ostentatoire, mais le professeur ne fut pas dupe. Il me retint après le cours, réclama quelques explications et me mit en garde : il ne tolèrerait plus ce genre de comportement à l’avenir, et blablabla, et blablabla. J’étais tellement fatigué que j’avais l’impression de vivre cette scène en parallèle, comme si ce n’était pas moi qu’on grondait, mais une sorte de double physique, alors que mon esprit, lui, observait deux protagonistes d’une pièce de théâtre comique. Mr McIntyre aurait pu dire ce qu’il voulait, son discours n’avait tout bonnement aucun impact sur ma conscience.

    Soudain, dans mon dos, je sentis passer un souffle tiède qui me frôla la nuque et envoya une onde de frissons au travers de mon corps. Mon esprit réintégra instantanément mon enveloppe charnelle. Or, je ne pouvais me retourner, de peur de vexer Mr McIntyre et d’aggraver mon cas. Du coin de l’œil, je crus apercevoir un chemisier blanc, surplombé d’une coiffure rousse. Enfin libéré du sermonneur, je me précipitai dans le couloir, pour ne rencontrer que des visages connus, qui ricanaient derrière mon dos. Qu’ils aillent se faire voir !

    L’après-midi ne fut pas meilleure, au contraire. J’accumulais une fatigue presque ingérable. À tel point que, avant de me rendre au cours de gymnastique, il me fallut d’urgence une aspirine pour tenir le coup ! Direction le dispensaire, situé de l’autre côté de l’école. Il fallait traverser la cour, dépasser un petit bosquet et obliquer sur la droite en suivant un chemin sinueux. Une bouffée d’air frais m’apporta déjà un peu de réconfort, qui serait, je le savais bien, de courte durée. En arpentant le chemin qui menait à l’infirmerie, j’observais les élèves studieusement assis en classe, et savourais ces quelques minutes de liberté et de répit. Elizabeth, installée près d’une fenêtre, m’adressa une question muette. Je la rassurai d’un haussement d’épaules et poursuivis mon chemin.

    L’infirmière, une dame assez forte au tempérament jovial, à qui j’expliquai en deux mots ce qui m’amenait, m’accueillit gentiment et me pria de m’asseoir dans le couloir qui servait de salle d’attente pendant qu’elle terminait de s’occuper d’un autre cas. J’entendais une fille pleurer dans la pièce adjacente, séparée du couloir par une porte à la vitre opaque. La tête appuyée contre le mur, je somnolais en attendant mon tour.

    – Merci jeune fille. Tu peux y aller maintenant, j’ai prévenu ses parents qui vont venir la chercher dans peu de temps. Ta copine n’a qu’une entorse, ne t’en fais pas. Tu peux retourner en classe, apporte juste ce mot au prof. Ça ira pour retrouver ton chemin ?

    – Oui madame. Pas de problème.

    Je reconnus immédiatement la voix qui m’avait adressé la parole la veille. Sans ouvrir les yeux, j’écoutai la conversation qui se déroulait de l’autre côté de la porte. Ma première impression, celle d’hier, se confirmait : cette Clara était affirmée et débrouillarde.

    L’infirmière m’aperçut en sortant du local.

    – Mais bien sûr ! Suis-je bête ? Attends là, petite, ce jeune homme n’en a pas pour longtemps, il va te raccompagner.

    – Je ne voudrais pas le déranger. Je peux retourner toute seule à la salle de sports, vous savez, rétorqua Clara prise de panique.

    – Pas question.

    L’infirmière qui n’avait cure de l’intonation inquiète dans la voix de Clara leva le menton dans ma direction, me demandant mon prénom d’un geste.

    – Alex, répondis-je.

    – C’est ça. Alex se fera un plaisir de t’accompagner.

    Clara et moi échangeâmes un regard dans un soupir désespéré. Pas question de discuter, le ton était péremptoire.

    L’aspirine effervescente se désintégra dans le verre d’eau que la soignante me tendait. J’avalai cette potion d’un trait espérant que l’effet soit immédiat, et me rende invisible… ou fasse disparaître Clara, peu importe. Pas de chance, rien de tout cela n’arriva et de mauvaise grâce je dus me soumettre aux injonctions de la brave dame qui m’avait soigné. J’attrapai mon cartable et précédai mon infortunée compagne, un marteau-pilon dans la tête : l’aspirine n’agirait que dans une quinzaine de minutes. Clara m’emboîta le pas sans piper mot. J’avançais rapidement, l’air concentré, pour éviter toute conversation.

    – Qu’est-ce que tu faisais à l’infirmerie ? se renseigna-t-elle.

    Je continuai ma course, sans réagir.

    Au bout de quelques secondes, j’eus la sensation d’être seul et me retournai. Elle s’était arrêtée, les bras croisés sur la poitrine, me fusillant de son regard fascinant. Je la toisai, embarrassé. D’ici, la plupart des élèves pouvaient nous voir.

    – Bon, tu viens, la salle de sports n’est pas loin, m’impatientai-je.

    – T’as un problème ?

    – Quoi, j’ai un problème ? On m’a demandé de te montrer le chemin, c’est ce que je fais, non ? Ça ne m’oblige pas à te raconter ma vie. Maintenant, si tu ne veux pas me suivre, pas de souci. Je suis sûr que tu pourras te débrouiller. Qu’est-ce que tu décides ?

    Après un temps d’hésitation, elle revint à ma hauteur.

    – Tu n’es pas obligé de répondre, Alex, mais je vais quand même te dire une chose : que tu m’apprécies ou non, tu pourrais au moins être aimable. Ça ne coûte rien.

    Et voilà, j’aurais dû m’en douter. Pourquoi ne pouvait-elle pas me laisser tranquille ? Je n’avais besoin ni d’une mère, ni d’une psy et encore moins d’une fille qui voulait refaire mon éducation. Mais elle marquait un point : la meilleure façon de clore une conversation c’était encore de donner rapidement une réponse non ambigüe à une question simple.

    – J’ai la tête comme une citrouille, ça te va comme ça ?

    – Ah, t’es malade ?

    – Ça va, maintenant ! Je me suis justifié, aimablement (?), alors arrête. D’ailleurs, on est arrivé, les filles, c’est la porte de gauche, et n’oublie pas de remettre la note de l’infirmière pour Tamara.

    Moi-même, je me dirigeai vers la porte du milieu, muni de mon

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