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Ouverture du Bal: La Ronde des Exorcistes
Ouverture du Bal: La Ronde des Exorcistes
Ouverture du Bal: La Ronde des Exorcistes
Livre électronique624 pages7 heures

Ouverture du Bal: La Ronde des Exorcistes

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À propos de ce livre électronique

Helena est une Exorciste. Elle voit les fantômes et combat des créatures maléfiques. Malgré tous ses efforts, elle peine à gravir les échelons au sein de la société des Exorcistes. June est un Original, il n'a pas de don particulier, car c'est ainsi qu'on nomme les humains normaux. Mais cela n'empêche pas son passé de venir le hanter chaque fraction de seconde de sa vie.
Pour maintenir l'équilibre entre le monde des Exorcistes et celui des Originaux, Helena aidera June et changera de grade grâce à ses exploits. Du moins, c'est ce qu'elle s'imagine quand elle sauve ce dernier d'une noyade. Cependant, rien ne se passe comme elle le prévoit et l'histoire de June semble bien plus sombre et complexe que dans ses pensées.
LangueFrançais
ÉditeurBoD - Books on Demand
Date de sortie23 août 2024
ISBN9782322476534
Ouverture du Bal: La Ronde des Exorcistes
Auteur

Orlane Anthony

Etudiante en arts appliqués, Orlane Anthony est une rêveuse qui a toujours voulu conquérir le monde avec ses histoires depuis l'âge de dix ans. La Ronde des Exorcistes, Ouverture du Bal est le premier à ce jour.

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    Aperçu du livre

    Ouverture du Bal - Orlane Anthony

    PROLOGUE

    ALICE

    LA MORT

    L’Original est le premier type d’humain que les Dieux ont créé. Il n'a pas de pouvoir, c'est un simple mortel.

    31/10/2019

    — Je suis née avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, je n’ai pas peur de la mort.

    Allongée au fond de mon lit d’hôpital, je fixais le plafond incolore, alors que le son de l’électrocardiogramme résonnait dans la chambre immaculée. J’avais déclaré cette phrase à mes amis comme si j’étais l’héroïne d’une légende fabuleuse.

    Clay sanglotait sans un bruit. Chris gardait son sang-froid. Pourtant, je voyais bien sa mâchoire trembler. Aucun des deux n’osa briser le silence atroce qui s’était installé après ça. Je n’avais pas de mots réconfortants. L’échéance était proche, je la sentais, elle arrivait. Alors, je ne pouvais pas leur mentir.

    — Je vais chercher à boire, décida finalement Chris.

    Clay opina timidement du chef. Il essuya son visage et remit ses lunettes, tandis que son frère jumeau quittait la pièce.

    — Il va pleurer toutes les larmes de son corps, lança Clay. Mais tu verras, quand il reviendra, il sera rayonnant et il aura un stock de blagues qui durera toute une vie.

    Un faible rictus se dessina sur mes lèvres violettes. Sa voix tremblait, même s’il gardait le sourire pour moi.

    — Tu as passé une bonne journée ?

    J’acquiesçai et lui racontai qu’Arthur, mon aîné, était le premier à être arrivé. Il avait quitté le cocon familial au mois de mai de cette année. J’avais été heureuse de le revoir parce qu’il était de plus en plus absent. Puis mes parents m’avaient rendu visite dans la matinée. Lisa et Mariko, deux autres amies, avaient mangé avec moi ce midi. Deux personnes étaient autorisées à entrer dans ma chambre en même temps. Voilà pourquoi ils étaient venus séparément.

    La seule personne que j’aurais aimé revoir avant de partir, c’était June. Malheureusement, il avait déménagé. Même si la ville ne se situait pas loin de l’hôpital, il ne serait pas là. Ce n’était pas grave parce qu’il m’avait bien soutenue jusqu’à présent.

    J’avais la peau sur les os. Mes yeux bleus s’apprêtaient à quitter leurs orbites et étaient cernés en tenant compte du manque de sommeil. Enfin, j’étais aussi pâle qu’un fantôme. Malgré mon sourire, je souffrais terriblement. Je ne me sentais plus humaine à cause de toutes ces machines devenues des extensions de moi-même. Me voir périr petit à petit le dévastait. Je désirais le retrouver une toute dernière fois. Néanmoins, je ne souhaitais pas qu’il se déplace afin de retrouver sa petite amie décomposée.

    Il serait à mon enterrement. Ils seraient tous présents ce jour-là et c’était ce qui comptait. Après cette épreuve, je ne serais définitivement plus de ce monde.

    De toute manière, c’était ce qui était convenu entre nous tous. Je pars, vous restez. La vie aussi belle que cruelle m’a fait sceller ce pacte avec tous mes proches.

    Je pensai à ces paroles que j’aurais voulu exprimer à voix haute. Mais je peinais à respirer, mes poumons me brûlaient, ma vue se brouillait. J’entendis la voix de Clay s’affoler et le personnel hospitalier s’agiter.

    Soudain, le bip continu de l’électrocardiogramme recouvrit tout le brouhaha.

    Et plus rien.

    Je mourus.

    « Je suis née avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, je n’ai pas peur de la mort. »

    Du moins, c’était ce que je pensais avant de l’avoir expérimentée.

    PARTIE 1

    « ÊTRE BON, C’EST ÊTRE EN HARMONIE AVEC SOI-MÊME. LA DISCORDE, C’EST ÊTRE FORCÉ À ÊTRE EN HARMONIE AVEC LES AUTRES. »

    OSCAR WILDE

    Le Chaos. Le début et la fin de toute création. Avant, il n’y avait rien. L’infinitude. Un monde désordonné, illimité, sans vie et sans loi.

    Soudain, ils arrivèrent. Tous. Un par un. Les Dieux, rois du Cosmos, concepteurs de toute forme de vie qu’elle soit concrète ou abstraite. Ils construisirent, à partir de rien, un monde aux règles et aux mesures définies. Ils ne manquaient de rien et existaient avec les lois qui leur appartenaient.

    Plus tard, ils furent assoiffés de divertissements. Leur présence n’avait plus aucun sens. Alors, ils décidèrent de créer une autre dimension. Un lieu qui logerait de nouvelles espèces. Ainsi germa le Monde Terrestre. Peuplée d’animaux et de végétation, cette planète abritait également les êtres humains. Inventée à l’image subjective des divinités, l’humanité était dotée de qualités louables.

    Cependant, les dieux se lassèrent vite de ces créations parfaites nées dans l’unique but de les occuper. Par conséquent, ils ajoutèrent à leur caractère des défauts, car objectivement personne n’incarnait la perfection. Les humains étaient si bien conçus que tous les peuples du Monde Céleste descendirent sur Terre pour les rencontrer. De là émergèrent des contes, des légendes, des mythes à leur sujet.

    Ce n’était pas tout. Les mortels et les Dieux se mêlèrent tant les uns aux autres qu’ils donnèrent naissance à des demi-dieux. Ces démiurges s’avéraient aussi puissants que les Dieux et parfois plus vicieux que les humains.

    De cette façon naquit celui qui mit fin à la cœxistence fantastique et harmonieuse entre divins et mortels.

    1

    HELENA

    LA RETARDATAIRE

    Les Impuretés sont des entités nées de la puissance du Roi des Calamités et d’une mauvaise aura. Plus les Impuretés grandissent, moins elles dépendent du lieu où elles germent (objets, animaux, humains). Quand elles s’émancipent, on peut parler de Calamités, des monstres aux diverses formes. Leurs capacités intellectuelles varient et elles peuvent égaler celle d’un Démon.

    27/02/2021

    Je fermai mon sac alors qu’un sourire triomphant bordait mes lèvres. Je me relevai et m’emparai de mon téléphone qui m’indiquait quatorze heures trente. J’avais donc exactement une heure et quart d’avance. Je quittai ma chambre et descendis le premier escalier, le plus bruyant de la maison. Quiconque le piétinait affrontait ses grincements alarmants, qu’on soit léger comme une plume ou aussi lourd que du plomb. Je me dirigeai vers la cuisine pour remplir ma gourde et la remettre au fond de mon sac. Je me rendis au rez-de-chaussée, affrontant des marches bien plus calmes.

    Une fois dans le vestibule, je mis mes chaussures et branchai mes écouteurs sur mon téléphone. J’avais tellement de temps devant moi que je prendrais un frappuccino sur la route. Je m’apprêtais à partir quand j’entendis la voix de Charlotte m’appeler depuis la librairie. J’ouvris la porte qui menait directement à la boutique. C’était bien la première fois que j’y voyais autant de monde. Nous étions samedi. Certes. Pourtant, je n’avais jamais vu une telle chose à cette période de l’année. Le peu de membres du personnel qui y travaillaient était tout occupé. La queue en face de la caisse ne cessait de s’allonger.

    Voilà pourquoi ma tutrice m’avait hélée. Je balayai rapidement la pièce des yeux et ne tardai pas à la repérer. Son mètre quatre-vingt-dix-huit et sa forte corpulence m’aidèrent à la trouver sans effort. Elle discutait avec un homme en costard avec tant de prestance qu’il semblait aussi grand qu’elle. Bien entendu, on ne trouvait pas ce genre de personne à tous les coins de rue. En plus d’être immense, d’avoir de belles cuisses dodues et une poitrine voluptueuse, Charlotte faisait trois fois ma taille. Elle avait un teint olive, des cheveux bruns et bouclés et ses lèvres charnues étaient toujours maquillées d’un rouge à lèvres hors du commun, qui lui seyait souvent très bien.

    — Ah ! Te voilà, déclara-t-elle. Je me disais bien que je t’avais entendue descendre. Peux-tu me rendre un service ?

    Je hochai la tête sans relever l’ouïe incroyable dont elle avait fait preuve. Même si nos escaliers émettaient un son plutôt inquiétant, le brouhaha de la foule le recouvrait sans problème étant donné qu’il liait le premier et le deuxième étage de notre maison.

    — Ce client cherche un livre…

    Elle désigna un garçon qui flânait au rayon jeunesse.

    — Et je dois m’occuper d’un autre.

    Je supposai qu’il s’agissait de l’homme en costard.

    — Il me dit qu’il a commandé « Qui ment ? » le tome 2, poursuivit-elle. Normalement, il se trouve en réserve sur l’étagère à dr…

    — Je sais où se trouvent les réservations, Charlotte. Ça devrait aller, la coupai-je.

    Je zigzaguai parmi la foule pour atteindre le fond de la librairie où se situait l’arrière-boutique. J’ouvris la porte et découvris une immense Calamité.

    Ces monstres représentaient le fléau principal de notre société. Ces créatures naissaient d’agrégats de pensées négatives de nature humaine, mais aussi d’un objet occulte nocif. Ici, la Calamité venait probablement d’un artefact, car Charlotte conservait ce type de production ici. Elle les examinait ensuite.

    Revenons-en au fait, la Calamité qui se dandinait devant moi avait l’allure d’une chenille vert fluo de dix mètres de long et un d’épaisseur. Ses multiples pattes rappelaient les griffes noires et acérées.

    — Mmm… mmman… ggge.

    Un frisson parcourut mon corps et je refermai la porte aussi vite que je l’avais ouverte. Mon cœur qui s’affolait priait, espérant que le monstre ne m’ait pas repérée. Je restai figée un instant.

    — Qu’est-ce que c’est que ce machin ?

    Des Calamités. Ce n’était pas la première fois de ma vie que j’en voyais. J’étais une Exorciste et ce genre de créature faisait partie de mon quotidien. La chose recroquevillée au centre de l’arrière-boutique me terrorisait. Pourquoi ? Parce qu’en général, je ne les voyais jamais du premier coup et celles que je rencontrais n’étaient pas assez matures afin d’essayer de communiquer. Celle-ci gémissait de manière inintelligible et ça suffisait à me donner la chair de poule.

    Quand je me décidai à bouger, j’avais les jambes en coton. Je marchai comme un robot jusqu’à Charlotte.

    — Je ne le trouve pas… bredouillai-je, la voix chevrotante.

    — Cherche encore, chérie, rétorqua ma tutrice. Il est sur l’étagère à droite avec les autres réservations.

    Je me raclai la gorge en espérant attirer son attention. Rien. Elle ne m’accorda même pas un regard.

    — Hum… je l’ai bien cherché pourtant…

    — Helena, je suis vraiment occupée.

    Je passai une main rageuse dans mes cheveux blonds, risquant de les emmêler au passage.

    — Je sais, sauf que… ce serait une calamité si je ne le trouve pas.

    Charlotte plissa ses yeux argentés et me dévisagea. Je battis des cils, espérant obtenir une réaction concluante.

    Allez, Charlotte. Je ne peux pas faire plus clair…pensai-je.

    — Une Calamité ? répéta-t-elle.

    — Oui ! m’écriai-je, sans pouvoir masquer mon enthousiasme.

    J’étais tellement heureuse qu’elle ait fini par comprendre… Je ne cachai pas ma déception quand ses lèvres teintées d’un maquillage prune se tordirent.

    — Ta phrase est bizarrement tournée, tu ne trouves pas ?

    Je bouillonnais à l’intérieur. Elle allait me mettre en retard avec ses bêtises ! Je ne savais pas comment faire passer le message plus subtilement.

    — Bon sang, Charlotte. Je vais être à la bourre, alors je te prie de vérifier la réserve. Par pitié, aide-moi. Il y a une énorme araignée à côté du livre, voilà. J’avais pas envie de l’admettre, j’ai peur des araignées.

    Je me retenais de pleurer de désespoir. Elle finirait bien par comprendre.

    — Qu’est-ce que tu racontes, chérie ? Tu n’as pas peur des araignées.

    C’était tout à fait juste. Je n’étais pas arachnophobe. Néanmoins, je n’allais tout de même pas hurler : « Il y a une grosse Calamité dans la réserve ! ».

    — Charlotte ! couinai-je.

    Mon cri sonnait comme un mélange de détresse et d’agacement. Elle soupira. Bien qu’elle paraisse embêtée, elle se fraya un chemin sans effort vers l’arrière-boutique. Je lui emboîtai le pas et laissai la place à mon grand frère quand Charlotte lui demanda de s’occuper du client en costard.

    — J’espère que c’est vraiment important ce que tu me chantes, marmonna-t-elle. Cet homme est crucial pour l’avenir de cette boutique. Grâce à son partenariat, on pourra…

    Charlotte ne finit pas sa phrase lorsqu’elle découvrit la Calamité qui se cachait derrière la porte.

    — Ouh, sacrée bestiole !

    — C’est ce que j’essayais de t’expliquer. Enfin, je te laisse avec ça, déclarai-je devant de la réserve, tandis que Charlotte contemplait la Calamité. Si tu as besoin d’aide, je suis sûre que Lex sera ravi de…

    — Minute, papillon, me coupa-t-elle en tirant sur le pan de mon pull. Tu vas m’aider.

    La Calamité esquissa un mouvement avec ses grosses pattes immondes. Elle provoqua un bruit visqueux répugnant et mon nez se retroussa par automatisme.

    — Hors de question. Ça va me prendre trop de temps ! Je dois assister au cours de Sparkle et si je suis en retard, il me tuera de dix manières différentes et me fera errer au fond des limbes. Je n’ai pas envie de ça. Ce n’est pas un projet de vie, ça ! Ni un projet de mort !

    Cependant, Charlotte n’écouta pas un mot de mes inquiétudes. Elle m’entraîna dans la réserve et ferma la porte, tandis que les nombreux yeux du monstre semblables à des œufs d’esturgeon se tournaient en masse vers moi. Charlotte fit apparaître une lance. L’ignominie s’agita péniblement et me vomit un liquide vert fluo à la figure. Je réprimai un haut-le-cœur.

    — À mon signal, tu la scelles ! intima Charlotte, qui perçait le ventre de la Calamité.

    J’essorai mes vêtements et mes cheveux pour retirer au maximum les rejets du monstre.

    — Pourquoi tu veux la sceller ? Tu ne peux pas la tuer tout simplement, rétorquai-je.

    — Non, trancha Charlotte. Elle provient d’un objet que j’étudie. Je risque de perdre des informations importantes si je la tue.

    Je jurai intérieurement, puis frottai mes mains gluantes. Je m’accroupis et esquissai au sol un cercle orné de motifs complexes avec mes doigts.

    — Je suis prête, c’est quand tu veux, avertis-je, lorsque je finis de dessiner le sceau.

    Charlotte se débattit encore quelque temps avec l’immondice, puis elle me fit signe.

    Exbemearka, lançai-je.

    Le pendentif de mon collier étincela d’une lueur magistrale. Une lumière jaillit de la marque et fit blêmir les meubles. Quand les ténèbres engloutirent de nouveau la pièce, la Calamité avait disparu.

    — Bon, j’y vais avant d’être en retard, déclarai-je.

    — Comme ça ? Tu as encore le temps de te changer et j’ai une pommade pour tes cheveux.

    Elle chercha au fond d’un carton et me tendit une petite fiole remplie d’un liquide rose miroitant. J’en versai sur ma tête blonde et le vomi de la Calamité s’évapora. Charlotte s’empara du livre, puis nous quittâmes l’entrepôt. Elle s’occupa de ses clients. Et moi, je traversai la boutique et montai quatre à quatre les escaliers afin de regagner ma chambre. Je vêtis les premiers vêtements que je trouvai à savoir mon uniforme scolaire et partis de la maison le plus vite possible.

    Mes pas claquaient sur le sol pavé des rues de White Aster. Il était quatre heures moins le quart : le cours avait déjà commencé. Autrement dit, c’était la fin du monde. Je courais comme si ma vie était en péril. J’allais affronter la colère de Sparkle, alors oui, ma vie était en péril. Mon sac se balançait et handicapait mes foulées que je peinais à exécuter. La course n’avait jamais été mon point fort.

    J’empruntai tous les raccourcis de la ville que je trouvai. Après tout, je vivais à White Aster depuis presque six ans et mon sens de l’orientation suffisait. Je risquai de glisser et de me fracasser le crâne contre le sol givré à chaque virage. Il faisait anormalement chaud pour un mois de février à moins que mon parcours m’eût réchauffée.

    Je piquai mon dernier sprint, manquai une marche, mais réussis à me rattraper par la suite. J’arrivai devant le temple, complètement essoufflée. L’abandon menaçait cet édifice d’être détérioré chaque jour. Le pauvre, on le confondrait avec un amas de pierres prêt à s’écrouler à tout moment.

    Je ralentis de manière à éviter tous les débris au sol, puis pénétrai au centre du temple. Je finis au centre du petit temple, face à un socle sur lequel je posai le pendentif de mon collier en forme d’étoile à huit branches. Il s’illumina lorsque je le fis pivoter trois fois vers la droite et cinq vers la gauche. Le misérable sanctuaire en ruine se transforma en amphithéâtre. Le marécage d’élèves me dévisagea, non sans murmurer entre eux. Pas étonnant ! J’avais quinze minutes de retard et je venais d’apparaître au beau milieu de la pièce. Cela dit, je pouvais me réjouir d’être parvenue à réduire mon temps de trajet de moitié. Ce qui, je tenais vraiment à le préciser, était un exploit parce que j’avais autant de prestance qu’une dinde quand je courais. Cependant, je ressemblais désormais à une écrevisse aux cheveux de paille qui sifflait comme une Cocotte-Minute.

    Je me mis à chercher mon professeur du regard tout en me faufilant à ma place habituelle. Je me courbai et marchai sur la pointe des pieds afin de faire le minimum de bruit. Je m’arrêtai net lorsque j’entendis Sparkle se racler la gorge. Je me surpris à trembler quand je me retournai le plus doucement possible. J’esquissai un sourire timide à ce dernier et levai les mains en signe de paix.

    Sparkle ressemblait à un phasme. Il était long et fin telle une brindille. Son visage abîmé par le temps lui donnait un air aigri. Comme je le craignais : son mécontentement était plus visible que d’habitude. J’avais donc affaire à une bête féroce.

    — Mademoiselle Bell.

    — Oui, monsieur Sparkle ? dis-je.

    Je me redressai, presque au garde-à-vous. J’entendis quelques rires discrets et admis que je devais avoir l’air ridicule.

    — Il semblerait que vous soyez en retard, annonça-t-il froidement.

    Il ôta ses lunettes et nettoya les verres avec un mouchoir froissé qu’il avait sorti de son veston en tweed gris.

    — Oui, monsieur Sparkle, répétai-je. Veuillez excuser mon retard.

    Il regarda au loin à travers ses verres, en évalua la propreté et remit ses lunettes sur son nez.

    — Vous souhaitez que je vous pardonne, mademoiselle Bell ? Vous avez tout de même un drôle de sens de l’humour, vous ne trouvez pas ?

    Il croisa ses longs bras maigres de phasme. Je me raidis.

    — Le jour où vous arriverez trop tard, et notez bien la nuance, je dis bien trop tard, vous pensez que vos collègues vous le pardonneront ?

    J’avais très bien saisi ce qu’il entendait par « trop tard ». Ce qu’il voulait dire, c’était : « Vous pensez que si vos collègues sont morts, le cou brisé par une Calamité, ils vous pardonneront ? ». Je baissai donc la tête à la fois honteuse et peinée comme si une telle tragédie était arrivée à un de mes proches. Ses yeux bleu glacier qui contrastaient avec sa peau d’ébène me toisèrent par-dessus ses lunettes sans monture. Le dédain se lisait au plus profond de son regard.

    — Non, monsieur Sparkle.

    Ma voix sonnait comme un murmure. Je voulais disparaître.

    Soudain, un souvenir d’un article du grand livre Chimérique me vint à l’esprit. Je relevai la tête et le clamai.

    — « Un Exorciste se doit d’assister un de ses confrères dans le besoin lors de l’annihilation d’une Calamité ».

    Une ride se creusa entre ses sourcils broussailleux et grisonnants.

    — Oui, mais encore ?

    — Eh bien, j’aidais ma tutrice à…

    J’avais à peine entamé ma phrase qu’un rire cinglant s’échappa de ses lèvres fines et sombres. Il se marrait à s’en tenir les côtes et son hilarité m’agaçait. D’ordinaire, il n’aurait même pas esquissé un sourire. En fait, il n’aurait jamais fait tout ce cirque et se serait contenté de me renvoyer à ma place. Cette scène semblait surréelle. Pourtant, c’était bien vrai. Cette face de phasme se moquait de moi devant toute la classe.

    Je serrai mes poings alors que la colère bouillonnait au creux de mon estomac. Quand j’ouvris la bouche pour m’exprimer, Sparkle ne m’en laissa pas l’occasion.

    — Vous, mademoiselle Bell, osez me citer un article du grand livre Chimérique alors que vous n’avez aucun pouvoir ? Pardon, vous en possédez. Cependant, ils ne sont pas suffisants afin de mener à bien une véritable mission. Vous omettez deux choses. L’une est que votre tutrice peut parfaitement se débrouiller toute seule parce qu’elle en a les capacités. La suivante : votre frère est mille fois plus compétent que vous et dans la mesure où elle sollicitait une aide, ce serait la sienne plutôt que la vôtre. Très bien, mademoiselle Bell. Vous êtes virée de mon cours, je ne veux plus vous revoir, déclara-t-il en tournant les talons.

    — Je suis navrée. Cependant, je doute que vous ayez le droit de faire ça ! m’exclamai-je.

    Il se retourna et joignit ses mains derrière son dos, impassible.

    — Et pourquoi n’en aurais-je pas le droit ? Vous qui aimez citer le grand livre Chimérique, êtes-vous en mesure de me prouver qu’une loi m’en empêcherait ?

    Un rictus tordit ses lèvres noires face à mon mutisme et enlaidit son visage déjà gâté par le temps.

    — Je vous l’ai dit, le jour où vous arriverez trop tard, ce sera fini de vous. Je ne veux plus vous voir à mes cours jusqu’à nouvel ordre.

    Je passai rageusement ma main dans mes cheveux auparavant malmenés par les bourrasques que j’avais affrontées pendant ma course. Sparkle ne plaisantait pas. Il me tendit mon collier dont le pendentif basculait faiblement.

    — Vous… vous… n’êtes pas… sérieux là ? bafouillai-je, la voix tremblante.

    Je ne parvenais plus à distinguer ce qu’il y avait autour de moi. J’entendais vaguement les murmures des autres élèves, je sentais leurs regards me transpercer sans les voir. L’étoile qui chancelait au bout de la chaîne en argent n’était plus qu’une tache aux teintes de cristal à mes yeux.

    — Bien sûr que je le suis. C’est vous qui manquez de sérieux en arrivant en retard à mon cours et en vous faisant remarquer. Je vous le répète : le jour où vous arriverez trop tard, pensez-vous que vos collègues vous le pardonneront ?

    Je devais quitter cet amphi. Je peinais à respirer calmement et les larmes commençaient à émerger. Si je restais une seconde de plus, je me battrais contre le vieil homme qui me dépréciait. Le silence pesait au cœur de la pièce et seuls mes pas retentissaient. Je soutins un instant le regard ignoble de Sparkle et lui arrachai mon bijou des mains. La classe se désintégra dès que je touchai le collier et redevint le temple en ruine.

    — Je hais cet homme ! crachai-je.

    Je mis un coup de pied dans un caillou qui errait sur mon chemin. La pierre ne cilla pas d’un nanomètre. En revanche, une vibration me parcourut de mes orteils jusqu’à ma tête. Puis je sautillai sur place.

    — Ça fait mal ! couinai-je.

    J’essuyai la larme que la roche m’avait arrachée. D’abord, je maudis son existence. Ensuite, je me blâmai parce que je n’étais pas obligée de m’énerver contre cette pierre. Enfin, je passai la faute sur Sparkle.

    Il me détestait, c’était certain. Il m’avait éjectée de son cours à cause de quinze malheureuses minutes de retard justifiées ! Or, il avait parfaitement conscience que je ne possédais que ses enseignements afin de devenir une Exorciste accomplie. Mon rang n’avait pas bougé depuis des années. Comment percerais-je au sein de la société des Exorcistes si je détenais des bases aussi faibles ?

    En vérité, j’étais forcée d’admettre que Sparkle n’avait pas tort sur certains points. Je n’avais quasiment aucun pouvoir. J’en voulais un peu à mon père de m’avoir interdit mon stage d’initiation. Même Lex l’avait effectué. J’aurais appris à éveiller mon pouvoir personnel et voir la Hemtondwa, une fois la nuit tombée.

    Non, au lieu de ça, je perdais mon temps avec un vieux phasme qui ressentait une profonde aversion à mon égard.

    — T’inquiète pas, face de phasme, maintenant c’est réciproque, grognai-je à l’attention de Sparkle. En fait, je crois même que je ne t’ai jamais aimé !

    Je fis rouler le caillou qui m’avait heurtée sous mon pied et réfléchis à la manière dont j’allais annoncer cet échec. À ce rythme, je détruirais tout ce que mon père avait bâti pour la famille Bell. Grâce à lui, à sa lutte et à son travail acharné, il avait réussi à la mettre sous les projecteurs alors qu’elle était jusqu’ici la risée de toutes. La logique voudrait que je sois aussi reconnue que lui, non ?

    À vrai dire, tous les Exorcistes désiraient au moins une chose : monter en grade et devenir célèbre. Mon père, grâce à ses recherches axées sur l’évolution des Calamités, était une icône aux yeux de toutes les Chimères. Et moi, je n’étais rien de tout ça. Depuis six ans, mon niveau n’avait pas bougé d’un iota et je commençais sérieusement à désespérer.

    Je pris une grande inspiration et me décidai à quitter le temple. Je m’autorisai une petite déviation. Après ce qui venait de m’arriver, une balade me ferait du bien. J’écartai les doigts et peignai mes cheveux décoiffés. Ce qui était inutile, car le ciel argenté m’envoyait ses plus gros souffles à la figure. Autant à l’aller, j’avais l’air d’un homard à cause de ma course ; autant au retour, le froid me rosissait les joues ainsi que le bout de mon nez retroussé.

    La température ne dépassait pas zéro degré Celsius, car mes pieds glissaient sur le sol. Bienvenue à Digstone. L’archipel anglophone n’échappait pas aux hivers arides. Faisant le double de la superficie de Nouvelle-Calédonie, l’île indépendante dont personne n’accordait de crédit se situait dans l’hémisphère nord de la planète. Heureusement, sa position lui octroyait des ères bien distinctives. Il faisait bon au printemps, chaud en été et frais en automne. Oui, cela était un extrait de mon exposé sur Digstone. Il aurait lieu d’ici deux jours et je n’avais pas du tout envie de passer à l’oral sur ce sujet. J’avais choisi le cursus d’histoire-géo parce que j’adorais le côté historique, mais je n’aimais pas la géographie.

    Toutefois, le rude hiver congelait les rues et je n’étais pas assez couverte pour subir un froid aussi sec. Je ne portais pas de collants ni de pull. J’avais mis une jupe vert sapin et une chemise blanche. Par réflexe, je m’étais munie de ma veste, puis je pouvais toujours m’habiller autrement. Mon sac renfermait des vêtements de rechange, car on n’était jamais à l’abri d’un imprévu pendant une leçon d’Exorcisme. La preuve, j’avais manqué mon cours parce que j’avais dû me changer d’urgence à cause de la Calamité de l’arrière-boutique.

    Je grognai. Si seulement Sparkle m’avait écoutée jusqu’au bout… Au lieu de ça, il avait préféré me comparer à mon frère et me rabaisser. Je savais déjà que Lex était plus doué que moi. Pas la peine d’en rajouter une couche.

    Je giflai mes joues afin de me ramener à la réalité. Mon détour devenait trop long, il fallait que je fasse demi-tour. Je commençais à rebrousser chemin quand je me ravisai. Une petite douleur piqua mon bassin, tandis qu’un goût métallique envahissait ma bouche. Mon instinct me dicta de courir et je lui obéis aveuglément.

    J’entendis un attroupement s’agiter au loin. Les cris venaient du pont qui franchissait la Lula, le fleuve qui traversait White Aster. Une foule chahutait autour d’une personne du mauvais côté de la rambarde.

    Mes jambes tremblaient, j’avais la chair de poule.

    Soudain, je compris que ce n’était pas un hasard si je me trouvais ici à cet instant précis.

    2

    JUNE

    LA TENTATIVE

    La Lula est le plus grand fleuve parmi les trois qui scindent Digstone. Elle passe à travers White Aster et Blue Mist sous une vingtaine de ponts et de passerelles.

    27/02/2021

    Je tapais frénétiquement à l’extrémité de mon stylo comme si la réponse viendrait de cette manière.

    — Je me fiche de la longueur et du débit de la Lula, marmonnai-je.

    Je n’avais rien contre cette matière. Même si j’avais un coup de cœur pour les arts et la littérature, je me débrouillais plutôt bien en géographie. Mais il fallait bien admettre que connaître l’hydrographie de la Lula et savoir son impact sur White Aster n’était pas indispensable au quotidien.

    J’écrivis tout de même une réponse construite sur le papier et consultai mon agenda. Je n’avais plus grand-chose à faire, alors je m’autorisai une petite pause. Je quittai ma chambre et me rendis à la salle de musique à l’étage. Je profitai du fait qu’il n’y ait personne à la maison et entamai le lac des cygnes de Tchaïkovsky au piano.

    Soudain, mon téléphone vibra dans la poche arrière de mon jean. Je ne m’attendais pas à recevoir une notification. Depuis que j’avais emménagé à White Aster, j’étais seul, sans ami et en proie à d’horribles rumeurs. Je cauchemardais des journées au lycée et rêvais de quitter cette ville. Néanmoins, mes parents ne semblaient pas vouloir déménager. Chez moi, personne ne savait ce que je subissais depuis deux ans.

    Je me levais chaque matin sans motivation, sans vraiment voir le jour. J’espérais m’échapper de cet enfer plus communément appelé « quotidien ». Même si plus personne ne se souciait de mon existence au lycée, je ne parvenais pas à combler le trou béant qui avait pris la place de mon cœur. Je vivais avec un immense vide à l’intérieur de ma poitrine, pourtant gorgée de chagrin.

    Personne ne me sortirait de cette angoisse perpétuelle. Je m’étais noyé. Alors, je fus surpris de constater que ce n’était pas une notification qui m’avait interrompu. Non. C’était quel-qu’un. C’était Lisa.

    Je levai la tête vers le plafond en forme de coupole. J’avais perdu contact avec mes amis de Rose Mery depuis la mort d’Alice. M’assénant le coup de grâce, le harcèlement avait commencé quand la vie d’Alice s’était achevée.

    Lisa avait insisté afin que l’on continue de discuter. Elle m’envoyait souvent des messages et parfois, il lui arrivait même de m’appeler. Comme elle étudiait en alternance, c’était assez compliqué de la voir. Néanmoins, elle avait toujours été là, à mes côtés. Et moi, je lui avais menti. Tous les jours, je lui disais que j’allais bien. C’était le pire mensonge qui franchissait mes lèvres. Il m’accablait de culpabilité alors que mon quotidien pesait déjà lourd. Pourtant, je le sortais encore.

    Cette année, j’avais pris une résolution. J’avais coupé les ponts avec elle. Je pensais que ce serait plus difficile que ça, qu’elle s’obstinerait à m’envoyer des messages. Pourtant, dès que j’avais cessé de lui répondre, elle avait automatiquement arrêté de me parler. Ainsi, j’avais abandonné ma seule amie. Parce que j’en avais marre de mentir et parce que je ne parvenais pas à lui révéler la vérité. Je m’étais libéré du poids du mensonge en échange du fardeau de la solitude. Et en toute honnêteté, j’ignorais lequel des deux m’écrasait le plus.

    Je posai mon téléphone. J’avais la nausée. J’étais égaré et personne ne pouvait me retrouver. À quoi bon rester ?

    Oui, à quoi bon ? dit la petite voix, qui logeait à l’intérieur de ma tête.

    C’était ma seule compagnie à présent. Et si les mots étaient capables de blesser, elle me détruisait intérieurement. Elle déchirait tous ces précieux moments de joie dont je ne pouvais plus profiter. Avec elle, tout perdait de sa saveur. Tout ce qui était susceptible de me rendre heureux était éphémère et prenait un goût fade teinté d’amertume.

    Tu sais ce que je pense. Tu devrais mettre fin à tout ça.

    Je suffoquai. Ça recommençait. Ma vue se brouilla, le piano que j’avais en face de moi n’était qu’un mélange de taches noires et blanches.

    Tu devrais te jeter…

    — Non !

    Je me levai et renversai le tabouret du piano au passage. Je devais trouver un moyen de faire taire cette voix qui résonnait sans cesse. Je descendis l’escalier et refoulai l’envie irrépressible de me laisser tomber sur les marches transparentes en espérant m’ouvrir le crâne.

    Suicide-toi, June. Suicide-toi, June. Suicide-toi. Le monde serait beaucoup mieux sans toi.

    J’attrapai mon manteau. Une promenade m’apaiserait. Je ne savais pas si ça fonctionnerait. Je sortis quand même, espérant me vider la tête et me débarrasser de cette voix. Je fermai mon immense doudoune noire et sursautai lorsqu’une voiture me klaxonna. Elle me frôla. Je levai les mains pour signaler que je m’excusais.

    — Putain ! cria le conducteur. Regarde où tu vas !

    — Je suis désolé, bredouillai-je.

    Je ne savais pas vraiment à qui je parlais puisque dès que je quittai sa trajectoire, le chauffard poursuivit sa route.

    Ah oui ? Tu es désolé ? Tu en es vraiment sûr ? Je suis persuadé que tu voulais te jeter sous les roues de cette voiture.

    Je fis abstraction de la voix et accélérai le pas comme si un psychopathe me suivait et que ma vie en dépendait.

    Tu fuis.

    Je stoppai net.

    Encore et encore, ricana la voix. Comme si tu ne savais pas que c’était inutile ! À chaque fois que tu fuis, le cauchemar qui te hante finit toujours par revenir !

    Je pressai mes mains contre mon visage baigné par les larmes. J’étais incapable de déterminer quand j’avais commencé à pleurer.

    Je peinai à respirer.

    Tu fais peine à voir.

    De l’air. Il me fallait de l’air.

    Ce n’est pas de l’air qu’il te faut.

    Tout était flou.

    Je traversai la route.

    Suicide-toi, June.

    Je tremblai.

    Je poursuivis mon chemin sur la passerelle qui enjambait la Lula.

    Suicide-toi, June.

    Je grimpai sur la rambarde du pont et me trouvai désormais de l’autre côté.

    Suicide-toi.

    Le goût de la bile envahit mon palais. Une cohue se forma autour de moi.

    Le monde serait bien mieux sans toi.

    Pourquoi faisais-je ça ?

    Pour mourir et avoir la paix.

    Je sautai. Les cris feutrés de la foule furent le seul son qui accompagna ma chute. La voix se tut. Elle était sûrement satisfaite : j’avais réalisé son souhait. Et le mien.

    Le fleuve me remplit les oreilles et mes longs cheveux sombres flottaient autour de mon visage. Je hurlai afin que toutes mes émotions qui noircissaient mon âme ne me suivent pas dans l’au-delà. Personne ne pouvait entendre le cri étouffé que je poussais. Comme personne n’entendait mes pensées débordantes de détresse.

    Soudain, une silhouette s’approcha de moi. Sa longue chevelure blonde ondulait dans l’eau. Je ne vis pas son visage, mais je souris. Je m’évanouis, incapable de respirer, apaisé.

    Alice venait me chercher.

    3

    HELENA

    LE SAUVETAGE

    Les Chimères ont été conçues pour s’entraider et protéger les Originaux qui ne les reconnaissent pas. Parmi elles, on compte les plus connues comme les Vampires, les Lycanthropes, les Sorciers. Mais aussi les Araignées, les Banshees, les Dulhas et les Exorcistes. Lorsqu’une Chimère perd ses pouvoirs, elle finit par mourir.

    27/02/2021

    ÀDaisy, le lycée que je fréquentais, il y avait ce garçon. Victime de rumeurs sinistres à son sujet, il restait dans son coin, silencieux. Tous les jours, il était persécuté. Les murmures se soulevaient derrière son dos quand il traversait les couloirs.

    On disait qu’il était étrange.

    On disait qu’il était complètement dérangé.

    On disait qu’il n’avait rien à faire à Daisy.

    On le harcelait, le méprisait, le frappait, l’ignorait. Pourtant, il marchait toujours avec ce même regard vide, comme s’il était déjà passé au-dessus de tout ça.

    Pas étonnant qu’il soit sur le point de plonger dans la Lula.

    Ce garçon effacé avait tout de même sa place en ce monde, pas vrai ?

    Si je l’aide aujourd’hui, est-ce que je le soutiendrai demain ?

    Autant ne rien faire.

    J’avais pensé à tout ça bien avant d’entamer ma course. Je ne pouvais pas le laisser se tuer et agir comme si de rien n’était. J’abandonnai mon sac, enlevai ma veste et piquai mon dernier sprint. Je me jetai dans la Lula parce que je n’aurais jamais eu le temps d’aller sur le pont pour l’empêcher de sauter. De plus, je n’avais aucune envie de traverser la foule agitée. Elle me ralentirait.

    Nous immergeâmes en même temps. Avalée par le flot clair, limpide et glacé, je crawlai tant bien que mal afin de le rattraper. Je plongeai et l’atteignis alors qu’il se laissait couler. Je réussis à l’étreindre d’un bras, battis l’autre et regagnai la surface. Je retournai sur mes pas bien que la berge d’en face soit la plus proche. Autrement, j’aurais dû traverser le pont où se trouvait une masse de gens. J’aurais attiré trop l’attention et ça ne m’aurait pas arrangé du tout.

    Je peinai à nager. D’une, je n’avais rien d’une athlète. En plus, ce garçon était plus grand que moi, donc plus lourd. Il avait perdu conscience, ce qui ne m’aidait pas non plus. Et comme si ça ne suffisait pas, il portait une immense parka noire hyper épaisse.

    Finalement, je parvins à l’extraire du fleuve. Je le traînai et le posai près de mes affaires. J’approchai mon oreille de son nez et sa bouche, analysant son souffle. Il respirait, donc je me détendis.

    Alors que je reprenais mon souffle, je constatai avec dépit que tout le monde s’était équipé d’un téléphone et filmait la scène. Je soupirai et positionnai mes mains derrière le gars évanoui afin que personne ne distingue mes gestes. Je gravai des symboles sur le sol verglacé.

    Effimena, chuchotai-je.

    Cette incantation fit resplendir le pont pendant un instant. Ainsi, tous ceux qui s’étaient arrêtés pour contempler ce malheureux spectacle circulèrent comme si rien ne s’était jamais produit.

    Je me frottai les mains, retirai la saleté et m’étirai. Je me penchai sur le garçon et l’admir… euh l’examinai. De charmantes taches de rousseur parsemaient son visage d’ange. Ses cheveux noir de jais qui d’ordinaire retombaient sur ses épaules se recroquevillaient à cause de l’humidité. Ses yeux clos s’en-trouvrirent, me permettant de découvrir ses prunelles brunes. Il toussa de manière à évacuer l’eau de ses poumons. Lorsqu’il comprit qu’il était toujours de ce monde, il grimaça.

    Je ne m’attendais à aucun remerciement de sa part. Je lui souris bêtement parce que j’estimais que je ne pouvais rien faire de plus.

    — Helena Bell, soupira-t-il.

    Mes lèvres s’étirèrent davantage.

    — Oui, c’est bien mon nom. Quel est le tien ? Je souhaite m’assurer que tu t’en rappelles.

    — Quel abruti se souviendrait du prénom des autres et pas du sien ? grogna-t-il.

    — Mais tu peux me le redonner, on ne sait jamais.

    — « On ne sait jamais » quoi ? Tu as peur que je me prenne pour quelqu’un d’autre ? grommela-t-il.

    Visiblement, il était déterminé à rester anonyme et d’une humeur massacrante.

    — Comment tu t’appelles ?

    — Qu’est-ce que tu y gagnerais ?

    — Cela n’a pas d’importance ! Je veux ton nom, un point c’est tout. Puis, comment ça « qu’est-ce que j’y gagnerais » ? Ta question a moins de sens que la mienne, donc réponds.

    En vérité, je ne savais pas comment réagir. Pourtant, je me sentais obligée de rétorquer, alors j’avais lancé une objection qui tenait à peine debout. Je ne souhaitais pas non plus lui avouer que j’ignorais comment il s’appelait. En me mettant à sa place, si quelqu’un m’avait dit ça, j’aurais eu envie de sauter à nouveau dans la Lula. Et de mourir définitivement. Nous étions dans la même classe et partagions pas mal de cours. Qui plus est, février touchait bientôt à sa fin, sachant qu’on se « connaissait » depuis le mois de septembre. Alors, imaginez un peu le malaise…

    Je balayai tout ça d’un revers de la main quand il céda.

    — Marshall Junior Heartcliff, c’est mon nom complet. Je préfère qu’on m’appelle June ou par mon nom de famille.

    Je ne l’interrogeai pas plus et me contentai de le fixer d’un air absent. Après cette longue bataille, le seul geste qui me vint à l’esprit fut aussi violent qu’irrépressible : je le giflai. Il me dévisagea et effleura sa joue rougie.

    — T’es complètement folle ! Qu’est-ce qui te prend ? s’écria-t-il.

    C’était une très bonne question. Moi-même, je me la posais. On ne se connaissait pas, il avait probablement ses raisons. Je n’étais rien ni personne

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