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Un souffle de givre
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Un souffle de givre
Livre électronique526 pages7 heures

Un souffle de givre

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À propos de ce livre électronique

Emma Day désire simplement qu’il lui arrive quelque chose d’intéressant. Sa vie de débutante faite de révérences ennuyeuses et de conversations polies n’a rien de bien excitant. Même le séduisant Cormac Fairfax est regrettablement trop énigmatique pour la courtiser… bien qu’elle ne puisse s’empêcher de penser à lui. Toutefois, lorsque les débutantes commencent à être assassinées les unes après les autres – et que c’est Emma qui découvre leurs corps –, son univers se retrouve sens dessus dessous. Elle découvre peu après le secret de sa lignée familiale de sorcières et ses propres talents en matière de magie. Maintenant, elle et ses deux cousines, Gretchen et Penelope, doivent accepter leurs pouvoirs, même au risque de leurs vies. Ce premier ouvrage d’une nouvelle trilogie palpitante d’Alyxandra Harvey parviendra à ensorceler les lecteurs.
LangueFrançais
Date de sortie1 mai 2015
ISBN9782897524692
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    Aperçu du livre

    Un souffle de givre - Alyxandra Harvey

    Les lecteurs sont fous d’Alyxandra Harvey !

    Éloges pour Un souffle de givre

    « Divertissant du début à la fin. » — Kirkus Reviews

    « Le fabuleux commencement d’une série. » — RT Book Reviews

    « L’histoire, l’amour et la sorcellerie forment un mélange qui séduira certainement les lecteurs. » — VOYA

    Copyright © 2014 Alexandra Harvey

    Titre original anglais : The Lovegrove Legacy: A Breath of Frost

    Copyright © 2015 Éditions AdA Inc. pour la traduction française

    Cette publication est publiée en accord avec Bloomsbury Publishing, Inc., New York, NY

    Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire.

    Éditeur : François Doucet

    Traduction : Nathalie Tremblay

    Révision linguistique : Féminin pluriel

    Correction d’épreuves : Carine Paradis, Catherine Vallée-Dumas

    Montage de la couverture : Matthieu Fortin

    Photo de la couverture : © 2014 Irene Lamprakou/Trevillion Images

    Mise en pages : Sébastien Michaud

    ISBN papier 978-2-89752-467-8

    ISBN PDF numérique 978-2-89752-468-5

    ISBN ePub 978-2-89752-469-2

    Première impression : 2015

    Dépôt légal : 2015

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque Nationale du Canada

    Éditions AdA Inc.

    1385, boul. Lionel-Boulet

    Varennes, Québec, Canada, J3X 1P7

    Téléphone : 450-929-0296

    Télécopieur : 450-929-0220

    www.ada-inc.com

    info@ada-inc.com

    Diffusion

    Canada : Éditions AdA Inc.

    France : D.G. Diffusion

    Z.I. des Bogues

    31750 Escalquens — France

    Téléphone : 05.61.00.09.99

    Suisse : Transat — 23.42.77.40

    Belgique : D.G. Diffusion — 05.61.00.09.99

    Imprimé au Canada

    Participation de la SODEC.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.

    Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Harvey, Alyxandra, 1974-

    [Breath of frost. Français]

    Un souffle de givre

    (L’héritage des Lovegrove ; 1)

    Traduction de : A breath of frost.

    Pour les jeunes de 13 ans et plus.

    ISBN 978-2-89752-467-8

    I. Tremblay, Nathalie, II. Titre. III. Titre : Breath of frost. Français.

    PS8615.A766B7314 2015 jC813’.6 C2014-942668-2

    PS9615.A766B7314 2015

    Conversion au format ePub par:

    www.laburbain.com

    Pour ma mère ; je t’aime.

    Première partie

    SANS EXPÉRIENCE

    Prologue

    * * *

    1814

    S’introduire par effraction dans la maison d’une femme morte était une tâche facile puisqu’elle se plaignait rarement.

    S’introduire par effraction dans la maison d’une sorcière morte était une tout autre histoire.

    Vous risquiez de croiser çà et là des vestiges de magie comme un proche en pleurs qui fait les cent pas. Lorsqu’une sorcière mourait, plusieurs de ses sorts se rompaient, et les résultats étaient, au mieux, imprévisibles. Si Moira était chanceuse, les protections de la maison seraient d’abord rompues. D’un autre côté, le spectre de Mme Lawton pourrait la pousser dans l’escalier.

    Elle devait prendre le risque. Joe-le-borgne désirait ce qu’il y avait à l’intérieur, même s’il l’ignorait encore. Et le corps de la vieille dame serait transporté au cimetière dès le lendemain. Moira n’avait aucune intention de devenir une pilleuse de tombes.

    Moira resta accroupie sur le toit près de la porte pendant plus d’une heure à observer une lampe à main évoluer d’une pièce à l’autre. La gargouille sur le coin de la maison était drapée de bombasin noir, comme les miroirs à l’intérieur le seraient. Le deuil s’étendait à toute la maison, et le spectre devait protéger sa famille tandis que la gargouille dormait.

    Finalement, la lumière de la lampe flotta quand Moira monta à l’étage. Elle attendit une heure après que la lumière fut éteinte, par mesure de sécurité. Elle aurait aimé que Fraise soit avec elle, mais son amie était occupée à une autre tâche. Et si elle avait amené l’un des garçons, il aurait demandé la plus grosse part, juste pour sa présence. Toutefois, Moira volait des trucs à vendre au marché depuis qu’elle avait neuf ans, et certains des garçons avaient à peine un an d’expérience.

    Elle sauta par-dessus l’espace entre les toits et se glissa le long de la gouttière, jusqu’à la fenêtre du salon du côté nord du bâtiment. Il était d’usage de la laisser ouverte pour laisser passer l’esprit. Moira se moquait bien de partager l’espace avec un spectre ; elle avait l’habitude de partager les toits avec des pigeons vampires, des rats de la taille de hérissons et Nigel le ronfleur. Elle laissa un muffin sur le bord de la fenêtre en guise d’offrande. Mme Lawton aurait peut-être préféré du vin ou des bonbons, comme bien des esprits, mais Moira n’avait plus qu’une pastille au citron et elle n’allait pas s’en défaire pour une morte sans papilles gustatives.

    Elle se tortilla pour entrer, heureuse que les fillettes pauvres n’aient pas à porter de corset et que les garçons manqués n’aient même pas à porter de robe. Ses hauts-de-chausses, effilochés sur un genou, étaient deux fois trop grands, mais ils étaient confortables et lui permettaient de se mouvoir en des façons qui auraient brisé l’échine des jeunes filles aristocratiques délicates.

    La maison sentait le whisky, l’huile à lampe bon marché et le cadavre. Il n’y avait aucune odeur de mélisse officinale, ce qui était un soulagement. Les jeteurs de sorts sentaient la mélisse officinale. Elle était donc convaincue de voler une sorcière ordinaire. Les jeteurs de sorts n’en valaient tout simplement pas la peine. Ils étaient impitoyables de leur vivant, et pire une fois morts.

    Moira s’arrêta, attendant que sa vision s’ajuste à l’obscurité et qu’elle puisse examiner les environs. Les yeux protecteurs peints sur le seuil et les linteaux étaient drapés de noir, à l’instar de la gargouille. Il y avait l’habituel assortiment de sièges et de babioles. Elle ignorait comment les gens pouvaient vivre dans un espace si confiné et si encombré. Elle détestait la sensation d’être à l’intérieur d’un bâtiment, sans voir le ciel ou sept voies d’évasion différentes en tout temps. Les pieds de Moira lui brûlaient, comme ils le faisaient lorsqu’elle flirtait avec le danger. Elle tenta de l’ignorer, se souvenant que les murs étaient assez minces pour être défoncés d’un coup de pied si la situation s’aggravait.

    Elle savait qu’il y avait deux pièces à l’étage et que le grenier grouillait de souris. Elle avait envoyé son compagnon plus tôt dans la journée, pour s’en assurer. Avoir un chat comme rapporteur était infiniment plus pratique que les loups et les aigles que les sorcières prétentieuses convoitaient. Ces derniers étaient peut-être plus romantiques que les chats de gouttière, mais il paraissait raisonnablement impossible d’envoyer son compagnon loup dans le corps d’un vrai loup dans les rues de Londres ! Les chats, pour leur part, traînaient partout et passaient généralement inaperçus.

    Un chat tigré roux et rachitique à l’oreille cassée bondit hors de la cage thoracique de Moira. Les picotements ardents dans ses talons se transformèrent en démangeaison qui tenait de l’avertissement. La première fois qu’elle avait senti Marmelade sortir de son corps, Moira avait vomi. Puis, elle avait passé la nuit à pleurer parce qu’elle croyait devenir folle. Joe-le-borgne l’avait trouvée et lui avait fait boire du thé à la menthe en lui racontant des histoires de sorcières et de magie. Il lui avait appris à éviter l’Ordre et à ne jamais transiger avec un jeteur de sorts sans se déguiser. Il l’avait aussi informée que son compagnon était son meilleur allié, littéralement créé par sa propre magie.

    Marmelade donna un coup de griffe spectrale à sa jambe. Du sang jaillit de l’égratignure.

    — Sais-tu que le compagnon de Fraise est une souris blanche ? Elle lui apporte des fleurs.

    Marmelade savait très bien que le compagnon de Fraise était une souris ; tenir les deux loin l’un de l’autre était un combat de tous les instants.

    La magie s’accrochait au placard sur le mur et tour­billonnait comme de la vapeur rose s’échappant d’une bouilloire. La vieille Lawton lisait dans les feuilles de thé et avait protégé les outils de son métier et les artefacts magiques dans sa maison de la manipulation et du vol. Heureusement, Moira ne s’y intéressait pas.

    Elle avança lentement vers la table de la salle à manger. Elle était recouverte d’un drap blanc sur lequel Mme Lawton reposait, vêtue de sa plus belle robe. Ses cheveux gris étaient bouclés, et une broche en argent était épinglée à son collet. Moira ne toucha pas à la broche, même si elle en aurait tiré un bon prix. Ce n’était pas là ce qu’elle cherchait, et cela aurait été finalement plutôt grossier.

    Elle souleva doucement les paupières de Mme Lawton. On aurait dit du papier raide. Son œil droit était trouble et vide ; son œil gauche était parfaitement clair et bleu comme un pétale de centaurée bleuet.

    L’œil de verre d’une sorcière aveugle morte depuis trois jours.

    Elle le délogea, s’efforçant de ne pas entendre le bruit sec abominable qu’il fit en sortant de son orbite. Elle le glissa dans la poche de son gilet rayé vert, refusant d’avoir la nausée.

    Elle posa un sou sur la cavité oculaire en guise de paiement. Ce n’était pas du vol si vous payiez ce que vous preniez. Et si vous croyiez aux récits anciens, il fallait avoir une pièce de monnaie pour payer son passage dans l’autre monde. Elle espérait que cela apaiserait le spectre assez longtemps pour que Moira se faufile par la fenêtre.

    Ce n’était pas suffisant.

    L’esprit de Mme Lawton se redressa hors de son corps et s’écria :

    — Un voleur ! Il y a un voleur dans la maison !

    — Sapristi !

    Moira sursauta dans les airs avant de trébucher contre le mur, haletante. Sacrés spectres. Marmelade cracha, les poils hérissés comme une brosse à dents. Puisque personne ne se précipitait pour venir voir ce qui se passait, Moira reprit son souffle.

    Mme Lawton ne se déplaça pas vers l’avant tel du pollen, un rayon de lune ou autre chose du genre comme le prétendent les poètes. De la glace glissa sur le plancher quand elle s’écrasa contre Moira, bouche grande ouverte sur ses dents pourries. Son haleine sentait le crapaud, les champignons et la moisissure.

    Moira glissa entre ses dents un clou de fer qu’elle avait tiré d’un chevron. Le fer aida, mais ne réussit pas à bannir complètement Mme Lawton. La main du spectre se referma sur la gorge de Moira. Son toucher était brûlant alors que le givre remplissait l’espace entre elles.

    Mme Lawton n’aurait pas dû en être capable, même en tant que tout jeune spectre. Il y avait des protections au-dessus de Londres. Des serrures sur des portes et des portails mystiques. Des sorts de contrainte. L’Ordre.

    Mme Lawton ne semblait pas se préoccuper de ces mécanismes à sûreté intégrée.

    Et pour une vieille dame morte, elle avait pas mal de tonus.

    Les pieds de Moira lui semblèrent marqués au fer, comme si elle ne savait pas déjà qu’elle devait sortir de là. Immédiatement. Elle se sentait aussi faible qu’un navet bouilli. Sa vision devint sombre et tachetée.

    Marmelade fit tomber la théière. La poignée craqua de façon inquiétante.

    Mme Lawton tourna sa tête phosphorescente si rapidement que son cou se cassa net.

    Marmelade frappa la théière comme s’il s’agissait de la souris de Fraise, la faisant rouler de plus en plus près du bord du comptoir. La prise de Mme Lawton se desserra. Elle grinça si sauvagement des dents que l’une d’elles tomba et se matérialisa en frappant le sol.

    Marmelade donna un dernier petit coup à la théière, qui bascula ; Mme Lawton se précipita vers elle, oubliant momentanément Moira. Moira ramassa la dent de la morte et la rangea avec l’œil de verre avant de se faufiler rapidement par la fenêtre. Elle grimpa le premier tuyau d’écou­lement qu’elle vit, puis s’écrasa sur le toit pour reprendre son souffle. Ses cheveux noirs éparpillés autour d’elle s’accrochaient dans les bardeaux. Un voisin sortit précipitamment de sa maison en chemise de nuit.

    Lorsque Marmelade bondit à côté d’elle, Moira roula sur ses pieds en brandissant un poignard. Le chat se lécha calmement la patte. Moira rit nerveusement.

    — Ça ne s’est pas passé comme prévu, Marmelade, dit-elle. Rentrons à la maison.

    Elle marcha sur l’arête du toit comme une artiste de cirque, se balançant doucement et gardant le menton bien levé. Lorsqu’elle arriva au bout, elle tourna vers la droite pour se diriger chez elle.

    Une douleur lancinante s’empara d’elle comme si ses bottes étaient pleines d’abeilles en colère.

    Elle trébucha et s’arrêta en jurant. Elle voulait se rendre à son toit estival préféré, un toit d’ardoises qui conservait agréablement la chaleur. Il y avait même un coin de chaume qui bouchait un trou pour lui servir d’oreiller. Elle prenait bien soin des toits, comme tous les garçons manqués. Une fuite signifiait des échelles et des réparateurs, et parfois les barbes grises de l’Ordre avec leurs sorts et leurs épées pointues. Toutefois, sans raison de lever les yeux, la plupart des commerçants n’avaient pas le temps de s’en préoccuper, du moins pas dans l’East End.

    C’était différent dans Mayfair, où les toits étaient ensorcelés pour garder à distance Moira et les autres de son genre et où les gargouilles accroupies étaient dotées de pouvoirs magiques. Les garçons manqués avaient depuis longtemps appris à calmer les gargouilles, à défaut d’autre chose. De toute façon, Moira préférait l’East End. C’était chez elle, sans égard à l’odeur. Et peu importait combien de spectres affamés et cinglés traînaient dans les parages.

    Et c’était plus sûr là, tant qu’elle s’en tenait aux tuyaux de cheminée et aux bardeaux. Mme Lawton ne pouvait pas l’y suivre, pas tant que son corps était dans cet état. Et les autres garçons manqués gravaient des symboles sur les bardeaux pour prévenir des charpentes instables, de la vermine, des patrouilles de barbes grises et des recruteurs. Ils étaient pires que les vieilles dames avec leurs paniers pour les pauvres et leurs dépliants sur les dangers de vivre dans la rue. Comme si les gamins de la rue, les garçons man-qués, ou les orphelins ordinaires choisissaient le quartier St. Giles ou celui de Whitechapel parce qu’il s’agissait d’une meilleure solution. On n’avait qu’à le demander à son frère.

    Avant que l’Ordre mette le grappin dessus.

    Une volée de pigeons vampires virevolta au-dessus de sa tête, déclenchant des cris chez les enfants en bas qui cherchaient à se planquer. Moira n’était pas inquiète. Les garçons manqués ne s’en faisaient jamais pour les pigeons. Ils les avaient dressés avec des restes sanglants des étals des bouchers du marché de Leadenhall. C’était là l’une de leurs seules armes contre les barbes grises et même par-fois les veilleurs de nuit ordinaires. Londres n’était pas aimable à l’égard du pauvre ou du surnaturel.

    Elle préférait être maître de sa destinée, même si cela signifiait dormir enroulée autour d’un tuyau de cheminée pour se réchauffer. La saleté et la pluie froide ne l’effrayaient pas, du moins pas autant que de voir son essence embouteillée par les barbes grises.

    Et elle n’appréciait pas particulièrement le quartier de Mayfair, ce qui ne constituait pas un problème, puisque ses habitants l’aimaient assez pour tout le monde.

    Cela lui fit se demander pourquoi elle se précipitait à cet instant dans cette direction.

    Cependant, elle avait appris à ses dépens, même avant Mme Lawton, que lorsque la plante de ses pieds lui démangeait comme à ce moment, elle ne devait pas l’ignorer. La dernière fois, elle s’était retrouvée à éviter le veilleur de nuit pendant une heure et demie après avoir été prise avec une poignée de montres de gousset volées. L’Ordre pouvait vous réclamer, mais le veilleur de nuit pouvait vous mettre derrière des barreaux de fer et vous envoyer dans un refuge pour sans-abri. Elle frissonna à cette idée et continua de courir, ses hauts-de-chausses roulés au-dessus des chevilles et ses bottes marquées de signes cabalistiques pour lui donner de la vitesse. Elle resta bien au sud de la prison de Newgate, passa à toute allure à côté de courtisanes qui attendaient à la porte du théâtre dans Drury Lane et le long de la Strand, en direction de Pall Mall.

    Et tout ça parce que ses orteils lui démangeaient.

    Les allées entre les édifices se firent de plus en plus larges. Elle s’éloigna des échoppes, qui s’appuyaient les unes sur les autres à l’instar des dandys qui se soutiennent après avoir trop bu. Elle courut jusqu’à ce que les bardeaux usés soient remplacés par du cuivre lustré et des colonnes de marbre. Les clubs et les boutiques étaient bâtis de pierres blanches, lustrées comme des os. Elle voulait s’arrêter sur un des toits plats pour reprendre son souffle, mais la douleur lancinante remontait de ses chevilles jusqu’aux genoux lorsqu’elle s’arrêtait trop longtemps.

    Le tourment s’estompait seulement lorsqu’elle était en mouvement, quand elle courait, et seulement en direc-tion de Grosvenor Square, par-dessus le marché, avec ses manoirs, ses colonnades et ses balcons. Un seul manoir aurait pu occuper un pâté de maisons tout entier du quartier de Whitechapel. C’était des résidences conçues pour les aristocrates et la royauté, pas pour les garçons manqués, ces fillettes habillées en garçon avec les poches remplies de biens volés. Les gargouilles plus élaborées étaient taillées dans de la pierre rose ou du marbre, pas fabriquées avec de l’argile de rivière cuite sur une grille à charbon. Elles empestaient tout de même la magie, ce curieux mélange de fenouil et de sel.

    Elle continua à courir, sans trop savoir pourquoi.

    Jusqu’à ce qu’elle se retourne.

    Elle glissa du toit incliné d’une fenêtre en surplomb et pendouilla au bord, s’efforçant de se retenir avec ses doigts. Ce n’était guère mieux.

    À quoi pouvait-elle s’attendre d’une magie qui vous donnait des démangeaisons aux pieds ?

    Les signes cabalistiques peints sur ses bottes lui donnaient une démarche féline sur les toits, mais ce n’était pas suffisant pour qu’elle puisse voler. Non seulement ses bras la faisaient souffrir, mais si quelqu’un s’adonnait à regarder par la fenêtre, elle serait placée derrière les barreaux pour cambriolage. Grinçant des dents, elle se balança comme une cloche d’église, d’un bord à l’autre, encore et encore, jusqu’à ce qu’elle ait assez d’élan pour lâcher prise. Voler, de toute évidence, équivalait à tomber. Elle percuta le toit escarpé d’une écurie et chuta lourdement avec un bruit sourd qui la fit grimacer. Le caniche du voisin se mit à aboyer.

    Autour d’elle, elle perçut le craquement de la pierre et l’éclatement des bardeaux. Elle l’entendit malgré le fracas des roues de wagon sur le pavé plus bas, les chevaux agités dans l’écurie, et l’orchestre qui jouait pour les gens de la haute société. Ils dansaient, alors qu’au-dessus de leurs têtes, les protections magiques qui les protégeaient à leur insu étaient rompues.

    Des gargouilles de tous les formats et de toutes les tailles, ricaneuses et souriantes, quittèrent leur poste. Quelques-unes tombèrent en ruine, mais la plupart — trop — se lancèrent du faîte des toits, des bordures des fenêtres et des goulottes. Elles s’élancèrent dans les airs, battirent leurs ailes tannées et fragiles. Elles jetèrent des bouts de bardeaux et de pierre sur tout Londres. Moira n’avait jamais rien vu de tel.

    Avec le départ des gargouilles, les toits n’étaient plus un endroit sécuritaire.

    Londres n’était pas un endroit sécuritaire.

    Chapitre 1

    * * *

    C’était l’événement le plus ennuyeux de la saison.

    Emma s’était fait promettre de galants jeunes hommes en cravates empesées, dansant jusqu’à l’aurore, et des baisers volés dans des jardins d’ombres. Il n’y avait plutôt que de vieux veufs à favoris engoncés qui sentaient l’eau de lavande et la crème d’arthrite, et il y avait plus de jeunes filles qui faisaient tapisserie que de sièges. Comme s’il n’était pas suffisant de faire tapisserie, rester debout dans des chaussures inconfortables qui vous serraient les pieds, alors que des débutantes vous jetaient des regards de pitié — et que les quelques jeunes hommes vous ignoraient complètement —, était bien pire.

    Elle rêvait des forêts du Berkshire et des étoiles au-dessus de sa tête. Elle retint un bâillement, puisque son chaperon, tante Mildred, lui ferait, au retour, la morale selon laquelle le bâillement n’était ni joli ni poli. Pas plus que de battre la mesure du pied, de manger trop de pâtisseries au buffet ou de s’esclaffer. Bref, tout ce qui était le moindrement amusant. Pis encore, Gretchen se terrait dans la bibliothèque, et Penelope était au jardin avec le très beau et musclé M. Cohen. Penelope réussissait toujours à flirter avec le scandale social et à s’en sortir sans égratignure. Ainsi, Emma se retrouvait seule, encore une fois.

    Si seulement lord Durntley avait trébuché en reluquant le derrière de lady Angelique. Si seulement il avait foncé dans le valet et fait tomber le plateau de flans, qui auraient chuté sur le toupet effroyable de lord Beckett.

    Si seulement quelque chose d’intéressant survenait.

    Elle s’adossa au mur, même si les jeunes filles ne devaient pas s’accoter, s’appuyer ou se pencher. Sans rien pour la distraire, elle sortit une petite bouteille de son réticule, entortilla le ruban autour de son doigt et laissa la lueur des chandelles filtrer à travers le contenu trouble. C’était plutôt étrange pour un bijou, et elle ne semblait pas contenir un parfum qu’Emma aurait voulu respirer, et encore moins appliquer sur son poignet, mais c’était tout ce qu’elle avait de sa mère. Elle l’emportait avec elle comme un talisman.

    Elle n’avait en fait rencontré Theodora Day, lady Hightower, que trois fois dans toute sa vie : trois matins de Noël identiques, à la résidence de campagne, accompagnée par la gouvernante, cinq valets et un grand-oncle qu’elle n’avait pas revu depuis. Chaque fois, sa mère s’installait sur une chaise près de la fenêtre et regardait la forêt, aussi pâle que la neige environnante. Elle n’avait même pas cligné des yeux lorsqu’Emma s’était approchée pour lui chanter un cantique. Elle n’avait jamais parlé, sauf pour crier la seule fois où Emma avait tenté de lui tenir la main.

    Quatre débutantes se déplacèrent dans la direction d’Emma en gloussant alors qu’elles admiraient des fils de comtes et de vicomtes, des chaperons sur les talons.

    — Lady Emma, minauda formellement Daphne Kent.

    Même si leurs familles étaient amies et qu’elles se connaissaient depuis l’enfance, pendant qu’elles étaient en société, elles devaient s’adresser l’une à l’autre avec de longs titres barbants et révérencieux, et parler de tout et de rien.

    — Quelle babiole unique, ironisa-t-elle, le regard aiguisé.

    Emma ignorait pourquoi elle ne s’était jamais intéressée à Daphne. Et cela n’arriverait probablement jamais.

    Les autres jeunes filles, lady Lilybeth Jones, lady Sophie Truwell et lady Julia Thorpe la saluèrent avec révérence, en parfait unisson. Elles portaient des robes blanches identiques, ornées de rubans perlés, et avaient des plumes d’autruche dans les cheveux. Emma leur répondit par une révérence, se retenant à peine de lever les yeux au ciel. Gretchen, elle, ne s’en serait pas empêchée.

    — N’est-ce pas un joli bal ? sourit Sophie. Je n’ai jamais vu de roses si magnifiques.

    Il y avait assez de roses jaunes dans la salle de bal pour faire sombrer un bateau. Leur odeur se mélangeait aux parfums, aux pommades coiffantes et à la cire fondante des chandelles.

    Emma s’étouffa et éternua.

    — Très joli, acquiesça-t-elle.

    — Avez-vous entendu ? Belinda a déjà reçu une offre ! s’écria Lilybeth comme si elle ne pouvait s’en empêcher. De la part de Lee Hartford !

    — Elle n’a que seize ans, remarqua Julia, le regard lointain et les lèvres pincées.

    — Ne sois pas jalouse, lui reprocha Daphne. Tu auras ta chance. De toute façon, il n’est que le cadet d’un baron. Ton père devrait viser plus haut.

    Lilybeth gloussa. Sophie eut un regard compatissant. Emma cligna simplement des yeux. On aurait dit qu’elles parlaient une langue étrangère.

    — Pardonnez-moi, murmura Julia avant de s’éloigner.

    Des perles scintillaient dans ses cheveux et ses poings étaient serrés dans ses longs gants.

    — Laissez-la, confia Daphne, elle est désespérée. Elle se croyait amoureuse de Lee. Pis, elle le croyait amoureux d’elle.

    — Tu es tout simplement méchante, rétorqua Lilybeth.

    — Chut, ajouta Sophie, on pourrait t’entendre.

    Daphne, avec ses battements de paupières et ses sourires affectés, paraissait suffisante. Quand elle se rendit compte que des jeunes hommes l’observaient, elle rougit gentiment. Emma fut désolée pour Julia. Les autres jeunes filles se retournèrent pour la regarder avec intérêt. Elle ne savait pas quoi dire. Elle ne voulait pas se marier. Elle n’avait pas envie de se moquer des autres pour se faire remarquer. Elle n’avait pas envie de porter de robe blanche, comme toutes les débutantes d’Angleterre. Elle n’avait tout simplement pas sa place. Elle ne l’avait jamais eue.

    — Je trouve que Julia est très gentille, avança finalement Emma pour meubler le silence.

    Daphne hocha la tête en soupirant.

    — Allons-y, les filles, ajouta-t-elle sur un ton de pitié.

    Elles se déplaçaient comme une volée d’oies, avec des murmures et des gloussements. Un de leurs soupirants marcha sur le pied d’Emma dans son empressement à les suivre et ne prit pas la peine de s’excuser. Emma songea sérieusement à le faire trébucher, particulièrement lorsqu’il la bouscula suffisamment pour faire glisser le ruban de son poignet.

    La bouteille de parfum tomba au sol. Elle se brisa en deux, laissant filtrer un liquide épais qui sentait les roses et la pourriture. Une bille de cristal s’échappa et s’arrêta à côté de son pied. Elle la regarda, agacée.

    — C’était à ma mère, s’écria-t-elle d’un ton brusque, mais il n’était déjà plus là.

    Elle se pencha pour ramasser les morceaux. Un éclat lui coupa le pouce, qui tacha de sang la soie mince de son gant. Autour d’elle, une danse folklorique était en cours, les souliers vernis crissaient au sol et les jupes voletaient. Tante Mildred balaya le plancher des yeux pour les trouver, elle et ses cousines. Si Emma traversait la salle pour aller se réfugier dans la bibliothèque avec Gretchen, elle se ferait prendre. Elle avait besoin d’un coin tranquille. Pour une raison ou une autre, tenir à la main les morceaux de la bouteille de parfum brisée de sa mère lui donnait envie de pleurer.

    Elle recula jusqu’à être presque complètement dissimulée par les palmiers en pot. Elle glissa le long du mur jusqu’à la porte la plus près et elle se retrouva dans le couloir, dans une paix relative. Un chandelier en argent rempli de chandelles de cire d’abeille brûlait sur une table de marbre. L’odeur douce et humide des orchidées et des lilas fusait du jardin d’hiver. Elle retira son gant taché afin d’éviter l’un des sermons assommants de sa tante, et plongea presque dans le jardin intérieur.

    De grandes fenêtres et un plafond de verre bombé préservaient la chaleur et l’humidité de centaines de plantes. Le sentier de marbre serpentait entre des pots de jon-quilles, des branches de lilas dans des vases de verre et des bancs de lys aux pétales blancs pressés contre les vitres. Elle tenta de regarder les étoiles à travers le plafond, mais la vapeur qui collait au verre obstruait la vue. Elle se contenta plutôt de déambuler à travers la jungle miniature, d’écouter les faibles échos de valse qui lui provenaient de la salle de bal.

    Ce n’était pas tout ce qu’elle entendit.

    Le léger frottement d’une chaussure la fit se retourner et froncer les sourcils.

    — Il y a quelqu’un ?

    Elle croyait avoir vu une ombre, mais celle-ci disparut avant qu’elle en soit certaine. Ce n’était pas la première fois depuis qu’elle était sortie qu’elle avait l’impression d’être observée. Seulement, elle n’avait pas simplement l’impression d’être épiée.

    Elle avait l’impression d’être traquée.

    Cela n’avait rien de logique. Qui se donnerait la peine de l’espionner ? Elle était la fille de dix-sept ans d’un comte. Elle avait à peine le droit d’utiliser son pot de chambre sans chaperon. Rien d’intéressant ne lui était jamais arrivé.

    Frissonnant, elle se souvint de ne pas se comporter comme une oie. Il existait des centaines de raisons pour lesquelles quelqu’un voudrait se promener dans le jardin sans vouloir être vu. Comme elle, cette personne se cachait peut-être d’un chaperon, ou plus probablement était-elle en quête d’un endroit discret pour voler un baiser. Voilà pourquoi il y avait tant de règles strictes et ennuyeuses au sujet de ce qui était convenable ; mais personne n’avait envie de les suivre, de toute façon.

    Le pouce palpitant et tenant toujours à la main ce qu’il restait du souvenir de sa mère, Emma s’enfonça davantage dans les ombrages parfumés. Ne serait-ce que pour se prouver qu’elle n’était pas une de ces jeunes filles qui avaient peur de tout.

    Cependant, la peur était parfois la seule réaction logique.

    Et pas seulement parce que le sol se dérobait sous ses pieds comme si elle était sur le pont d’un bateau dans une tempête. Elle attrapa la table la plus près pour reprendre son équilibre. Des pots d’orchidées s’entrechoquèrent. La pièce tangua de nouveau, et son estomac se noua. Ses oreilles s’ouvrirent grand. Un vase de callas tomba et se fracassa sur le plancher poli. Elle avait l’impression que des glaces fondaient sur elle, ou encore que des chaînes invisibles étaient brisées. C’était une sensation étrange.

    Toutefois, ce n’était pas aussi étrange qu’une fille qui tombe des feuilles, couverte de sang.

    Chapitre 2

    * * *

    Elle s’écroula avant qu’Emma puisse la rejoindre.

    Les cheveux bruns de la jeune fille se détachèrent en boucles de ses épingles à cheveux et couvrirent le sol. Elle battit des paupières. Emma croyait que son nom était Margaret, mais elle n’en était pas certaine. Elles s’étaient présentées avec révérence devant la reine ensemble le mois dernier, avec des plumes d’autruche et de ridicules crinolines de circonstances.

    À cet instant, elle était couverte de sang.

    Emma s’agenouilla à côté d’elle.

    — Où êtes-vous blessée ?

    Margaret gémit, réussissant à ouvrir les yeux.

    — Je l’ignore, répondit-elle en se redressant subite-ment et en commençant à pleurer. Je me sens comme lorsque je suis tombée d’un arbre, enfant. Je m’étais cassé une clavicule.

    Emma repoussa avec précaution ses cheveux de ses épaules et fit une grimace à la vue de la bosse pointée sous la peau pâle de Margaret.

    — Vous l’avez cassée de nouveau. Le tremblement de terre a dû vous faire tomber.

    Elle secoua la tête.

    — Non, il y avait… pouvez-vous le sentir ? C’est si froid.

    La douleur devait désorienter la pauvre jeune fille. Et ce n’était pas étonnant. Du sang remplissait le creux de sa clavicule cassée et coulait sur son bras, mouillant ses gants. C’était pire que l’instant d’auparavant.

    — Je vais aller chercher de l’aide, proposa Emma, qui se leva d’un bond.

    Elle dévala le sentier, le bord de sa robe dans sa main pour éviter de trébucher.

    — J’ai besoin d’un médecin, cria-t-elle en dérapant les derniers mètres sur le dallage glissant.

    Elle pouvait entendre l’agitation des voix dans la salle de bal.

    — Quelqu’un, s’il vous plaît, à l’aide…

    Elle percuta un homme juste de l’autre côté de la porte, partiellement caché par les fougères. Il l’attrapa par le bras pour la stabiliser.

    — Pas par là, ma chérie. Le tremblement de terre a fait tomber une chandelle dans les rideaux. La salle de bal est en feu.

    Elle reconnut la voix et se raidit en grognant.

    — Pas toi, grommela-t-elle.

    N’importe qui d’autre que Cormac Fairfax, vicomte de Blackburn, héritier du comte d’Haworth.

    Ils n’avaient pas échangé plus d’une parole en six mois, pas depuis cette nuit au jardin, alors qu’il l’avait embrassée. La semaine suivante, il était parti étudier, puis il s’était mis à refuser ses lettres et à s’éloigner lorsqu’elle entrait dans une pièce.

    Elle avait encore un furieux désir de lui donner un coup de pied.

    Il venait d’avoir dix-neuf ans et il était grand et carré sous sa veste bleu marine. Sa cravate était simplement nouée et terriblement blanche sous sa forte mâchoire. Ses cheveux foncés étaient ébouriffés, et son regard plissé marquait le dégoût. Elle aurait voulu qu’il devienne laid depuis la dernière fois qu’elle l’avait croisé à la fête lamentablement monotone d’anniversaire de Lilybeth.

    Pas de chance.

    Il était toujours aussi beau, aussi élancé, mais la pointe de danger était nouvelle. Elle aurait voulu qu’il ne soit pas si attirant. Il leva un sourcil, prêt à faire un commentaire lapidaire, lorsqu’il remarqua le sang sur son pouce. Il lui prit le poignet.

    — Tu es blessée.

    Elle se tortilla à son toucher.

    — Maintenant, je le suis, répliqua-t-elle en s’efforçant de se défaire de son emprise. Lâche-moi.

    Il était trop occupé à regarder fixement avec horreur la bouteille de parfum brisée, qu’elle tenait toujours dans sa main. Elle devait avouer que l’odeur était désagréable, mais cela ne justifiait tout de même pas ce genre de réaction, surtout pas avec les traînées de fumée qui s’échappaient de la salle de bal derrière eux.

    — Où as-tu trouvé cela ? demanda-t-il, ignorant le danger.

    — Ne t’en préoccupe pas, répondit-elle d’un ton brusque.

    Ignorait-il à quelle vitesse le feu pouvait se répandre ?

    — Il y a une jeune fille blessée, là-bas. Nous devons la sortir de là.

    Elle tira sur son bras pour se libérer de son emprise, lui jetant un regard noir par-dessus son épaule.

    — Tu viens, oui ou non ?

    Il la suivit, le visage sombre, alors que le couloir se remplissait de fumée sans interruption. Le miroitement du feu dans la salle de bal avait une teinte curieusement violette. Elle croyait avoir senti la mélisse officinale et les grains de fenouil.

    Margaret avait réussi à se relever dans une position semi-assise. Ses joues étaient détrempées, et ses yeux rougis par les larmes.

    — Je sens de la fumée, remarqua-t-elle en toussant.

    — Ça ira, dit Emma avec une assurance qu’elle n’avait pas. Nous vous amènerons dehors, et avec toute cette fumée, quelqu’un est déjà allé chercher un médecin, j’en suis certaine.

    — Comment vous appelez-vous ? demanda Cormac.

    — Margaret York.

    — Doucement, alors, Margaret, murmura-t-il en se penchant pour la prendre dans ses bras.

    Elle poussa une exclamation de surprise lorsque le mouvement fit bouger sa clavicule.

    — Désolé, ce n’est plus très loin.

    Le sourire rassurant de Cormac disparut lorsqu’il regarda fixement Emma.

    — La porte, ordonna-t-il d’un ton ferme.

    Elle l’ouvrit avec force et lui jeta un regard furieux. S’il n’avait pas porté une jeune fille blessée, elle lui aurait peut-être lancé un pot d’orchidées par la tête. Il mena Margaret à l’extérieur, puis la posa avec précaution dans l’herbe. Il retira sa veste et la plaça sur elle pour la réchauffer.

    De la fumée filtrait par les fenêtres de la salle de bal comme des serpents. Le terrain était bondé d’invités dans tous leurs états. Un homme avec des chaussures bouclées à l’ancienne s’évanouit. Des valets se précipitaient, ouvraient des portes et transpiraient sous leurs perruques poudrées. La lumière était trop éclatante aux fenêtres. L’odeur du papier peint soyeux et de la peinture qui brûlaient flottait dans les airs. D’autres valets sortaient en trombe des cuisines avec des seaux d’eau.

    — Je dois aider avec le feu, dit Cormac à Margaret, mais ça ira.

    Il se tourna vers Emma.

    — Puis-je avoir confiance que tu ne te mettras pas davantage dans le pétrin ? demanda-t-il avec aigreur.

    Elle ne l’avait jamais vu perdre son sang-froid. Il était généralement accompagné d’une fille ou d’une autre, avec des sourires suffisants.

    Elles le regardèrent toutes deux partir, sa chemise tendue sur les muscles de ses bras et de son dos.

    — Il est divin, murmura Margaret.

    — C’est un imbécile, répliqua Emma.

    Margaret sourit.

    — Je dois m’assurer que mes cousines vont bien, ajouta Emma. Et aller chercher ce médecin. Est-ce que ça ira ?

    — Tant que je ne bouge pas, lui assura-t-elle les dents serrées.

    Emma passa à travers de la haie, sans se préoccuper de faire le tour. Elle trouva Penelope debout sur un banc près de la fontaine, l’air mécontente. M. Cohen n’était nulle part.

    — As-tu vu Gretchen ?

    — Je te cherchais, répondit Penelope avec un hochement de tête.

    — Elle est probablement encore dans la bibliothèque.

    Elles contournèrent la maison. Gretchen était toujours à la bibliothèque, pas parce qu’elle aimait les romans comme Penelope les aimait, mais parce que c’était le seul bon endroit où se terrer. Elle détestait ce genre d’activité et

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