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Mystères Magiques: Vegas Paranormal/Club 66, #2
Mystères Magiques: Vegas Paranormal/Club 66, #2
Mystères Magiques: Vegas Paranormal/Club 66, #2
Livre électronique308 pages4 heures

Mystères Magiques: Vegas Paranormal/Club 66, #2

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À propos de ce livre électronique

Erica St Gilles pensait avoir réglé tous ses problèmes.
Mais Las Vegas ne reste jamais calme bien longtemps.
La communauté surnaturelle réclame l'aide d'Erica, son épée prend de l'indépendance, et son passé refuse de la laisser en paix.
Assaillie sur tous les fronts, Erica doit se rendre à l'évidence: elle n'est plus la femme qu'elle pensait être.
Il lui reste à endosser un nouveau costume... qui pourrait lui être fatal.

LangueFrançais
Date de sortie18 avr. 2022
ISBN9791095394273
Mystères Magiques: Vegas Paranormal/Club 66, #2

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    Aperçu du livre

    Mystères Magiques - C. C. Mahon

    1

    Je m’appelle Erica St Gilles.

    Ce nom, ce n’est pas celui que j’ai reçu à la naissance. Cette vie, ce n’est pas celle que j’avais prévu de vivre. Tout m’a été retiré à l’instant où mon chemin a croisé celui de Callum Carver.

    Callum côté face : bel homme, très riche, drôle et cultivé. Callum côté pile : un sadique manipulateur qui a pris plaisir à m’isoler des gens qui m’aimaient pour mieux me torturer, psychologiquement et physiquement. Callum, que j’ai fui en emportant une partie de sa collection d’objets magiques — dont l’épée.

    Je laissai mes doigts courir sur la lame et sentis le métal frémir.

    L’épée reposait sur mes genoux, et sa présence m’enveloppait comme celle d’une amie.

    Quand j’avais décidé d’emporter cette épée dans ma fuite et ma nouvelle vie, je pensais qu’il ne s’agissait que d’une antiquité. La collection de Callum contenait beaucoup d’artefacts magiques, mais aussi de simples objets anciens sans pouvoirs particuliers. J’y avais cru, jusqu’à ce qu’une walkyrie se présente à la porte de mon night-club, pour réclamer son bien.

    Je possédais l’épée d’une déesse nordique.

    Rien que ça, c’était une raison de considérer l’objet avec révérence. Mais il y avait plus.

    D’après mon ami Britannicus Watson, l’épée m’avait choisie. Elle avait jeté son dévolu sur moi, plutôt que de retourner dans le giron de sa légitime propriétaire, la walkyrie.

    Je refermai les doigts sur le pommeau, et brandis l’épée devant moi. Une simple pensée de ma part, et des flammes enveloppèrent la lame, comme un lance-flamme au milieu de ma chambre.

    Avec cette épée, j’avais combattu la walkyrie. Avec cette épée, j’avais gagné. Et avec elle…

    La vision de la tête de la walkyrie, roulant sur le sol, s’imposa à mon esprit. Les flammes redoublèrent d’intensité, puis disparurent. Je chassai la vision comme une mouche importune. Entre l’enfer que mon ex m’avait fait vivre pendant deux ans et les combats insensés contre la walkyrie, j’avais plus que ma part de flash-back. Le tout était d’apprendre à faire la différence entre le stress post-traumatique et la réalité. La proximité de l’épée m’y aidait toujours. L’activité physique ne faisait pas de mal non plus.

    Je replaçai l’arme dans sa vitrine, à la tête de mon lit, et quittai la chambre. Au milieu du loft un sac de frappe pendait à une poutre. Je tendis la main vers mes gants de boxe abandonnés sur la commode, quand mes doigts s’égarèrent sur la brosse à cheveux posée à côté. Cette brosse — bois de rose et poils de sanglier — je ne la possédais que depuis une semaine. Mon ami Britannicus me l’avait offerte après notre victoire sur la walkyrie. Pas très guerrier comme cadeau, mais pourquoi pas ? J’avais mis ce choix sur le compte de l’excentricité du sorcier britannique. Tout comme l’étrange requête qui l’avait accompagnée : que je n’utilise désormais que cette brosse, et que je compte les cheveux que j’y perdais.

    J’attrapai la brosse d’un geste brusque et la passai sur mes cheveux bruns. Je brossai dessus, je brossai dessous, je brossai dans tous les sens. Puis j’allumai une lampe d’appoint pour examiner les poils de sanglier : pas un seul cheveu perdu. Pas un, en une semaine. Soit c’était la pire brosse jamais créée, soit il se tramait quelque chose de pas naturel. Et connaissant ma vie, je penchais vers la seconde explication.

    Je reposai la brosse et décrochai mon téléphone.

    — Watson Conseil, annonça Britannicus.

    Impossible de faire erreur, son accent british était reconnaissable entre tous.

    — « Conseil ? » dis-je. Tu te lances dans les affaires ?

    — Erica, quel plaisir ! Que puis-je pour toi ?

    — C’est cette histoire de brosse à cheveux, dis-je.

    — Hum-hum.

    — Brit, c’est quoi cette embrouille ?

    — Peux-tu m’en dire plus ?

    — Écoute, j’ai accepté ton cadeau parce que tu m’as promis qu’il n’avait rien de magique. Mais si tu m’as entourloupée…

    — Non, non, je t’assure. J’ai même le ticket de caisse de la parfumerie dans mon cahier de comptes. C’est une brosse tout ce qu’il y a de plus normale.

    — Alors dans ce cas, tu peux me dire pourquoi je n’ai pas perdu un cheveu depuis que je l’utilise ?

    — Tu es sûre ?

    Je ne voyais pas Britannicus, mais je venais de sentir son humeur changer du tout au tout, comme un ciel d’orage. Je réprimai un frisson :

    — Certaine. Ni sur la brosse, ni sur l’oreiller, et pas non plus dans la douche. Je ne me plains pas, hein. Ta brosse me fait le poil souple et brillant, et bientôt je vais pouvoir faire concurrence à Matteo niveau crinière de luxe. Mais j’aimerais comprendre.

    — Il vaut mieux que je t’explique ça de vive voix.

    — Je t’écoute.

    — Non, vraiment, il faut qu’on parle face à face.

    — Là tu m’inquiètes.

    — Je peux passer te voir, avant l’ouverture du club ?

    Je consultai l’heure et poussai un juron :

    — Bordel, je suis en retard !

    Je réfléchis à toute vitesse. J’avais vraiment très hâte d’entendre les explications de Britannicus, mais je devinais qu’il fallait que cette discussion se déroule au calme.

    — Je reçois des candidats pendant les deux prochaines heures, dis-je. Tu passes après ça ?

    — Quels candidats ?

    — Pour remplacer…

    — Oh. Agathe ?

    — C’est ça.

    Britannicus resta silencieux quelques instants.

    Agathe était ma précédente barmaid. Jusqu’à ce que la walkyrie ne l’assassine. Agathe était aussi une dryade joyeuse et pleine de vie, une employée modèle, et si je l’avais laissée faire, une amie fidèle. Personne ne pouvait la remplacer. Mais quelqu’un devait passer derrière le bar de mon club.

    — Bon courage, dit simplement Britannicus.

    Je vérifiai mon apparence dans le miroir avant de sortir. Je n’avais pas menti en disant à Britannicus que mes cheveux n’avaient jamais été aussi beaux. Bruns, brillants, ils ondulaient jusqu’à mes épaules comme une crinière précieuse. Mon visage, par contre, n’avait pas le même éclat. J’avais les yeux cernés, et je me trouvais trop pâlichonne. J’avais presque trente minutes de retard, et mon impulsion initiale était de me précipiter au sous-sol pour accueillir les candidats. Mais je me ravisai : la première impression comptait, surtout dans une relation de travail. Je ne pouvais débarquer avec mes cernes et mon t-shirt froissé. Je pris donc le temps d’enfiler un chemisier un peu classe, de me maquiller, et même de chausser des talons aiguille. Voilà. Comme ça, je ressemblais à une propriétaire de night-club. Restait à descendre les escaliers sans me casser la figure.

    Trois candidats m’attendaient au rez-de-chaussée, assis sur trois chaises pliantes alignées dans l’immense hangar. À califourchon sur une quatrième chaise, mon videur, Nate, les observait en silence. Bâti comme l’ours qu’il était quelques nuits par mois, avec ses longs cheveux blonds retenus sur la nuque, il avait l’air renfrogné d’un Viking privé de pillage.

    Les candidats semblaient mal à l’aise sous le regard scrutateur de Nate. On aurait plus dit des accusés en attente de jugement que des candidats à un entretien d’embauche. Il était temps que je mette fin à leur épreuve.

    2

    Le premier candidat pénétra dans la salle d’un pas chaloupé, les mains dans les poches. Il portait un costume rétro, qui évoquait les clubs de jazz des années 40 : veste croisée aux épaulettes démesurées qui lui descendait jusqu’à mi-cuisse, et pantalon large avec des plis marqués au fer à repasser, le tout dans un vert criard. L’homme m’adressa un sourire éclatant et s’assit en face de moi sans attendre d’y être invité.

    — Salut, j’m’appelle Johnny. Paraît que vous embauchez ?

    — Qui vous recommande ?

    — Personne. J’ai appris ce qui est arrivé à votre barmaid — sale affaire, hein. Du coup j’me suis dit que j’allais tenter ma chance. J’suis passé l’aut' soir, et votre grand gars à l’entrée m’a dit de venir aujourd’hui.

    Donc rien ne garantissait que Johnny soit des nôtres, un membre du monde surnaturel. Je n’allais pas prendre le risque de recruter un civil. Il fallait que j’en apprenne plus sur lui.

    — Je vois. Vous avez déjà travaillé dans un bar ?

    — Je veux ! Douze ans au Green Mill !

    — À Chicago ?

    — Oui Mam’zelle ! Z'ont jamais eu à se plaindre de moi.

    — Vous avez le numéro de téléphone de quelqu’un là-bas ?

    — Ah ben ça m’étonnerait. Ça fait…

    Il leva les yeux au plafond, comme un gosse en plein calcul mental :

    — Soixante-dix ans que j’y ai pas mis les pieds.

    Je ne lui aurais pas donné plus de trente ans.

    — Pour quelle raison avez-vous quitté le Green Mill ?

    — C’est cette salope — si vous me pardonnez, Miss — qui m’a transformé en piaf. Soixante-dix ans dans une volière, à beugler comme un con.

    — Transformé en… oiseau ?

    — Oui Mam’zelle, comme je vous l’dis. Un connard de paon. Soixante-dix ans à appeler « Léon ».

    — Mais… pourquoi ?

    — Pourquoi j’appelais Léon ? Aucune idée. Sur le coup ça semblait important.

    — Non, je veux dire… pourquoi cette femme vous a-t-elle transformé en oiseau ? Vous la connaissiez ?

    Johnny se gratta l’arrière du crâne quelques instants :

    — J’suis plus très au point sur les détails. J’crois que c’était une cliente du bar. Jolie fille. Elle m’a fait les yeux doux, et comme un imbécile j’ai foncé dans le panneau. Une vraie malade, qui collectionnait les gens pour les transformer en piafs.

    — Une collectionneuse, hum ? Je vois le genre. Et qu’est-ce qui l’a poussée à vous libérer ?

    — Une sacrée gamine appelée Mona, qui lui a volé dans les plumes. Un instant, j’étais en train de faire la roue dans la serre, et l’instant d’après j’me retrouve le cul par terre au milieu d’autres clampins dans le même état. Après ça, ça a été un peu le bordel. C’était y’a trois semaines, et j’retombe tout juste sur mes pieds.

    Je fis passer Johnny derrière le bar. Il tomba la veste et retroussa ses manches de chemise d’un geste théâtral. Je commençai à tester ses compétences. Le bougre bossait vite et bien, mais sa connaissance des cocktails s’était figée au début des années cinquante.

    Je le remerciai, pris son numéro de téléphone et promis de le tenir au courant de ma décision.

    La seconde candidate arriva la tête recouverte d’un foulard de soie, le visage dissimulé derrière une paire de lunettes de soleil, façon star incognito. C’était une gorgone. La masse de serpents qui lui tenait lieu de chevelure n’était pas un problème — avec ça, elle allait imposer le respect aux pires des ivrognes. Mais ses lunettes se prêtaient mal au travail dans l’atmosphère sombre et feutrée du club.

    — Barbie m’a prévenue que ça risquait d’être un problème, reconnu la gorgone. Mais si je les retire, je pétrifie l’assistance. Et puis j’ai l’habitude de les porter jour et nuit…

    — Vous connaissez Barbie depuis longtemps ?

    — Nos familles ont immigré en même temps, à une époque où la communauté grecque était encore très soudée.

    — Qu’est-ce qui vous pousse à postuler aujourd’hui ?

    Elle poussa un soupir excédé :

    — Mon mari m’a quittée. Plantée là, comme si…

    Elle agita la main en l’air avant de reprendre :

    — Bref, j’ai besoin de trouver un emploi.

    — Vous avez déjà travaillé dans un bar ?

    — Jamais. Mais j’ai bu assez de cocktails pour savoir comment on les fait.

    Malgré sa confiance affichée, la gorgone n’était clairement pas à la hauteur de mes attentes.

    — Je ne peux pas vous donner le poste de barmaid, dis-je, mais je garde vos coordonnées, au cas où un autre emploi se libère.

    Elle poussa un nouveau soupir, pinça les lèvres, puis haussa les épaules, comme si elle avait déjà évacué sa frustration.

    — Ça valait la peine d’essayer, conclut-elle.

    La jeune femme qui entra ensuite me frappa par l’impression de fragilité qu’elle dégageait. Elle n’était pas spécialement petite, mais mince comme un roseau, avec de longs cheveux noirs qui cascadaient jusqu’à sa taille. Elle portait une robe droite bleu nuit qui s’arrêtait juste au-dessus du genou, et son maquillage léger soulignait ses pommettes saillantes, son teint cuivré et ses yeux de biche. Elle m’adressa un sourire professionnel alors que je l’invitai à s’asseoir en face de moi.

    — Je m’appelle Enola, fit-elle. Nate m’a dit que vous cherchez une barmaid.

    J’acquiesçai et l’encourageai à poursuivre, en essayant de cacher ma surprise. Depuis que je le connaissais, Nate n’avait jamais mentionné un ami, ou même une connaissance. C’était l’ours le plus solitaire qu’on puisse imaginer.

    Enola me sourit :

    — Nous sommes pareils, lui et moi.

    — Oh, vous êtes une…

    Elle secoua la tête et ses cheveux ondulèrent comme une soierie.

    — « Ourse ? » Non. Mais je suis solitaire. C’est le lot des gens comme moi.

    Je ne dis rien, pour lui laisser l’occasion de poursuivre si elle le désirait, mais elle se tut.

    Dans mon club, je n’engageais que des personnes du « milieu », c’est-à-dire des êtres surnaturels. Mon videur était un métamorphe, mon cuistot un vampire, et mes serveuses une harpie et une trolle. J’étais la seule humaine de l’équipe, propulsée dans le monde magique par la connaissance acquise au contact de mon ex. Callum était obsédé par la magie et le surnaturel. Une fois que l’on entre dans ce monde, on ne peut guère l’oublier.

    Mais une de mes règles, c’était de ne jamais demander à mes interlocuteurs ce qu’ils étaient. Ça ne se fait pas.

    — Vous avez déjà travaillé dans un bar ?

    — Jamais.

    — Quels emplois avez-vous occupés jusqu’à présent ?

    — Aucun emploi. C’est la première fois que je cherche du travail.

    — Pourquoi ce changement ?

    — Je ne me sentais plus en sécurité chez moi. Je cherche un endroit plus sûr. C’est pour cela que j’ai contacté Nate, et c’est lui qui m’a suggéré votre club.

    — Vous pensez que Las Vegas sera plus sûr que là d’où vous venez ?

    Elle haussa les épaules, et son regard se voila :

    — L’avenir peut emprunter tant de chemins. Ce n’est pas encore clair.

    — Donc vous n’avez aucune expérience de travail, ni dans un bar ni ailleurs. Que savez-vous faire ?

    — J’ai appris l’encyclopédie des cocktails par cœur.

    — Vous savez tirer une bière ?

    — Nate m’a expliqué.

    Je dus me retenir pour ne pas éclater de rire. J’avais mis Nate derrière le bar, un soir. C’était le pire barman qu’on puisse imaginer. J’espérai que sa copine s’en sortira mieux.

    Je lui désignai le comptoir :

    — Nous allons tester ça tout de suite.

    Elle se leva et contourna la table. Ce n’est qu’alors que je remarquai que ce que j’avais pris pour des escarpins compensés était en fait une paire de sabots : Enola n’avait pas seulement des yeux de biche, elle en possédait aussi les pieds.

    J’en avais vu d’autres, et je ne me laissai pas désarçonner :

    — Commencez par me servir une bière pression…

    Elle s’exécuta, d’abord avec des gestes hésitants que je corrigeai tranquillement. Peu à peu elle prit de l’assurance. Je passai à la carte des cocktails : des classiques — Martini, Manhattan, Bloody Mary — aux plus rares, comme le Green Ghost, l’une des spécialités du club. Chaque commande que je lui passais était suivie d’un instant pendant lequel elle fermait les yeux et, je supposais, se remémorait la recette. Puis elle commençait par choisir un verre adapté, rassemblait les ingrédients, dosait et mixait. Ses gestes étaient lents mais précis, et elle portait une attention louable à la présentation des boissons. Mais j’avais du mal à l’imaginer servir pendant l’heure de pointe.

    — Vous vous êtes beaucoup entraînée ?

    — C’est la première fois. Je n’ai pas accès à un bar d’habitude.

    Je trempai mes lèvres dans le Green Ghost. L’odeur du citron vert envahit mes narines.

    — Est-ce qu’il y a quelque chose que je devrais savoir sur vous ? dis-je. Une limitation particulière due à votre nature ? Visiblement vous pouvez vous déplacer le jour…

    — Je dis toujours la vérité.

    Mon verre se figea à mi-chemin entre mes lèvres et le bar.

    — Votre handicap, c’est l’honnêteté ? Ça semble acceptable.

    — En théorie, peut-être. En pratique…

    Un voile de tristesse troubla ses yeux de biche.

    — Vous savez ce que ça veut dire, « Enola » ? fit-elle.

    J’avouai mon ignorance.

    — Dans notre langue, ça signifie « solitaire ». À ma naissance, ma mère a su que j’étais une prophétesse, et elle a compris le destin qui m’attendait — la solitude.

    Je réfléchis quelques instants avant de demander, en choisissant soigneusement mes mots :

    — Est-ce que ça veut dire que vous êtes obligée de dire la vérité, sans pouvoir vous taire ?

    — Non, seulement que je ne peux prononcer que des paroles vraies.

    — Et par « vraies », vous voulez dire « franches » ?

    — Vous voulez savoir si j’ai accès à des vérités cachées ? Ça m’arrive, oui.

    — De quel genre ?

    — N’importe quoi : parfois je sais que quelqu’un ment, d’autres fois je vois l’avenir. Je ne contrôle pas.

    — Imaginons qu’un client vous fasse la conversation, dis-je. Il a besoin qu’on lui remonte le moral. Mais vous, vous savez qu’un sort affreux l’attend à sa sortie du club. Vous faites quoi ?

    Elle n’eut pas besoin de réfléchir pour répondre :

    — Si c’est quelque chose qu’on peut éviter — un accident, une mauvaise rencontre — j’essaie généralement d’aider la personne, discrètement. Par exemple si des voyous l’attendent dans la rue, je lui conseillerai de prendre un autre chemin pour rentrer chez lui.

    — Et si c’est inévitable ? S’il va avoir une rupture d’anévrisme par exemple ?

    — Alors je lui remonte le moral du mieux que je peux. Je le fais parler — les gens adorent ça.

    — Mais vous ne le prévenez pas ?

    — Pas si on ne peut rien changer. Personne n’aime les oiseaux de mauvais augure, et je sais tenir ma langue.

    — Vous avez des questions sur le job ? Vous savez pourquoi la place est disponible ?

    — Nate m’a expliqué. Votre barmaid a été assassinée par une walkyrie.

    — Ça ne vous fait pas peur ?

    — Vous l’avez vengée. Vous auriez pu partir, mais vous avez préféré rester et vous battre. Vous avez décidé de protéger votre équipe, et vous avez tué la walkyrie.

    — J’ai attiré le danger sur eux, dis-je. Ça pourrait se reproduire.

    Le regard de biche se voila à nouveau, puis Enola haussa une épaule, nonchalamment :

    — C’est possible.

    Je lui promis de la recontacter, et la raccompagnai au pied de l’escalier.

    3

    Britannicus arriva au club deux heures exactement après mon coup de fil. Le sorcier était tiré à quatre épingles, comme à son habitude : costume anthracite, gilet brodé, chemise dont le col blanc soulignait par contraste sa peau d’un noir éclatant. Mais son visage aux traits aristocratiques semblait soucieux.

    Il se plaça près de la table que je lui désignai, tira une chaise pour me laisser la banquette, et attendit patiemment que je m’asseye avant de m’imiter.

    Je désignai la bouteille que j’avais préparée pour sa venue.

    — J’ai trouvé ce vin chilien que tu aimes tant, dis-je. Tu veux un verre ?

    Il acquiesça, l’air distrait.

    — Brit, arrête de me dévisager comme ça, dis-je. J’ai l’impression qu’il me pousse des cornes.

    Je tâtais mon crâne, faisant mine de chercher lesdites cornes. Ma blague ne le fit même pas sourire.

    — Mes plus plates excuses, fit-il. J’oublie toutes mes manières. Ce vin est délicieux, merci pour cette attention.

    Je posai la brosse à cheveux sur la table, entre nos verres :

    — Explique, dis-je.

    Brit prit la brosse et l’approcha de la petite lumière d’ambiance pour l’examiner. Il n’y avait rien à voir, j’avais assez scruté l’objet pour en être certaine.

    — Peux-tu me donner un cheveu ? fit-il.

    — Et après tu m’expliqueras ce qu’il se passe ?

    — Je t’expliquerai ce que j’en comprends.

    J’attrapai un cheveu à la racine et tirai.

    — Ahouch, fis-je, il est bien accroché le bougre.

    J’en choisis un autre au jugé. Puis un autre.

    — Tu n’arrives pas à t’arracher un cheveu, fit Britannicus.

    Ce n’était même pas une question.

    — OK, ça suffit. Qu’est-ce que tu as fait à cette brosse ? Tu veux te lancer dans le business capillaire, maintenant que tu as claqué la porte de la Guilde ?

    — Je n’ai absolument rien fait, ni à la brosse ni à tes cheveux. Si je t’ai offert cette brosse, c’était pour… vérifier quelque chose.

    — Je crois que c’est vérifié, non ? Alors maintenant, explique.

    — Les walkyries ne perdent pas de cheveux, avoua-t-il.

    — Je sais.

    Pour la première fois de la soirée, il sembla réellement surpris.

    — Ben oui, dis-je. Un truc pareil me tombe dessus, je fais une recherche sur le net. Et qu’est-ce qui m’est arrivé juste avant ? Un sorcier m’offre une brosse, et j’utilise une épée magique pour décapiter une walkyrie. Google a fait le

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