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Les Orageuses
Les Orageuses
Les Orageuses
Livre électronique329 pages4 heures

Les Orageuses

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À propos de ce livre électronique

10 autrices, 10 nouvelles fantasy, 10 héroïnes indomptées

Démons, sorcières, créatures mythiques et héroïnes intrépides : lorsque dix univers se rencontrent, il ne fait pas bon de s'opposer à leur magnétisme.

Pour fêter les 2 ans de leur collectif, les Plumes de l'Imaginaire vous invitent à découvrir leurs univers au travers de ces 10 nouvelles.

Attention, le temps est à l'orage !

Dans ce recueil retrouvez Lyly Ford, Charlotte Munich, Eva de Kerlan, C.C. Mahon, Virginie T., A.D. Martel, Frédérique Arnould, Mariann Helens, Mélanie Dufresne et Cécile Ama Courtois.

LangueFrançais
Date de sortie31 oct. 2022
ISBN9791095394624
Les Orageuses

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    Aperçu du livre

    Les Orageuses - C. C. Mahon

    LES ORAGEUSES

    DIX NOUVELLES DE FANTASY

    LES PLUMES DE L'IMAGINAIRE

    Allure

    TABLE DES MATIÈRES

    Avant-propos

    Lyly Ford

    Fils de l’orage

    Charlotte Munich

    Poussière d’étoiles

    Eva de Kerlan

    [Im]pulsion

    C.C. Mahon

    Le souffle du dragon

    Lyly Ford

    Origine

    Virginie T.

    Les mondes oubliés

    A.D. Martel

    Le Mal

    Frédérique Arnould

    Orage et Sang

    Mariann Helens

    Foudre mystique

    Mélanie Dufresne

    La sorcière aux chats

    Cécile Ama Courtois

    Mot de l’éditrice

    Allure Éditions — 77630 Arbonne-la-Forêt - FRANCE

    Imprimé à la demande par Draft2Digital — 9400 N. Broadway, Ste. 410 Oklahoma City, OK 73114

    ISBN : 979-10-95394-62-4 (format numérique) et 979-10-95394-63-1

    © 2022 — Tous les textes sont la propriété de leur autrice respective.

    AVANT-PROPOS

    LYLY FORD

    Les plumes de l’imaginaire sont nées d’une idée de Lyly Ford, auteure indépendante, pendant l’été 2020.

    Le but était de créer un événement pour le mois d’octobre dit « le mois de l’imaginaire ».

    Lyly a donc lancé un message pour trouver des plumes aux mots magiques.

    Elles ont accepté de se joindre à ce projet, sans se connaître mais avec un point commun : la passion de l’écriture.

    L’engouement fut si grand auprès des lectrices que les Plumes de l’Imaginaire ont décidé de continuer le groupe, l’animant à tour de rôle.

    Ces femmes sont aussi devenues des amies qui partagent beaucoup plus qu’une passion commune.

    Deux ans plus tard, l’idée de ce recueil est venue d’une Plume de l’Imaginaire, C.C. Mahon, pour célébrer l’anniversaire du collectif.

    Sur les dix-huit Plumes du groupe, dix ont accepté de se prêter au jeu et de vous faire voyager dans leurs différents univers.

    Nous espérons que vous continuerez à partager notre quotidien sur le groupe et vous souhaitons une bonne lecture.

    FILS DE L’ORAGE

    CHARLOTTE MUNICH

    Haut dans le ciel au-dessus de la ville, les masses nuageuses s’avancent l’une vers l’autre tels deux gigantesques navires de guerre lancés à pleine vapeur, auréolés de mort et de fumées de canons. Rien ne permet de distinguer l’un de l’autre les deux équipages : ni pavillon, ni figure de proue. À l’échelle de la fourmi, c’est bonnet blanc et blanc bonnet, ou plutôt, à ma droite, sombre cauchemar, et à ma gauche, ténèbres infernales.

    Entre les deux ça souffle fort, il y a comme un torrent d’air, d’eau ou de neige, parcouru d’éclairs aveuglants qui se font de plus en plus intenses au fur et à mesure que les deux tours d’assaut se rapprochent. La collision est prévue pour cette nuit et ça commence déjà à sentir l’ozone.

    Je les admire de mes fenêtres avec une terreur mêlée de fascination, comme la moitié de Paris. Surtout que les températures sont étonnamment douces pour la saison, vingt-quatre degrés en début de soirée d’Halloween, c’est du jamais vu. C’est un appel du pied pour dîner en terrasse ou je ne m’appelle pas Aliénor.

    Justement, j’ai un balcon coincé entre les deux pentes de zinc qui protègent ma mansarde. On y accède par le chien assis, en enjambant l’appui de fenêtre du studio. Il est minuscule. Il y a juste assez de place pour une table de bistrot et une chaise pliante, un chat noir, un basilic en pot et une assiette de tomates mozzarella qui a la saveur sucrée d’un petit plaisir d’été au bord de l’apocalypse.

    Dans la rue en bas ça court un peu dans tous les sens, et pas vraiment pour extorquer des bonbons aux honnêtes gens. Les magasins de bricolage sont pris d’assaut depuis le début de la semaine, lorsqu’un présentateur météo, yeux fiévreux et cravate de travers, a annoncé le caractère inéluctable de « l’épisode ». Comme dans une tragédie grecque, on n’y coupera pas : on ne sait pas encore comment ça fonctionne, probablement une autre conséquence du réchauffement climatique qu’on n’avait pas bien anticipée, mais ces deux monstrueux fronts orageux semblent déterminés à se rentrer dedans au-dessus de nos têtes, portés par des vents contraires lancés à des vitesses phénoménales. L’espèce de gouffre lumineux qui se creuse entre les deux supercumulonimbus, c’est la « baïne » par laquelle l’air doit inévitablement s’extraire de cette confrontation. Autant dire qu’il y a du frottement sévère dans cette zone-là, et si j’ai bien compris, c’est pour ça qu’elle luit aussi fort. Même si bien sûr toutes les religions ont essayé de récupérer ça à leur compte.

    Les Parisiens, pour la plupart, ont décidé de rester et de se barricader. Il y aura sûrement des soirées en ville ce samedi soir d’Halloween : ils ne vont pas se laisser chambouler la vie par un petit orage de la fin du monde de rien du tout. Celui qui les empêchera de faire la fête n’est pas encore né. C’est juste que cette nuit, ça aura lieu derrière des volets renforcés et probablement à la lueur des bougies.

    Perso, j’aurais bien aimé avoir une cave dans laquelle me calfeutrer. Un de mes collègues de la librairie ésotérique, Corvus, m’a proposé une soirée pyjama dans son souplex, et j’ai accepté, ça paraissait quand même une bonne idée. C’est dans le quartier, j’irai d’ici cinq minutes.

    Belphégor, mon chat, a doublé de volume cette semaine, c’est l’électricité statique qui lui a ébouriffé le poil. Il est aussi plutôt à cran la plupart du temps, du genre à griffer la main qui apporte les croquettes. Puis parfois il fige, par exemple maintenant, en équilibre sur la balustrade une patte en l’air, les oreilles dressées et le regard perdu vers les nues. Bref, c’est un chat. Si quelqu’un a un mode d’emploi, je veux bien.

    Je prends quelques photos du ciel d’encre de Chine au-dessus des toits de zinc et d’ardoise. Je suis vraiment aux premières loges, c’est dommage de partir maintenant, mais il paraît que ça va barder. Le panier de voyage de Belphégor est déjà posé sur le bord de la fenêtre et je fais les bruits de roucoulement qui marchent parfois sur ma bête.

    — Belphégor. Viens, mon gros.

    Mais vouloir mettre Belphégor en cage, c’est comme essayer de forcer un ado à utiliser le panier de linge sale. C’est un scandale, c’est ça la véritable fin du monde. Quand il entend ma voix, le matou tourne lentement la tête pour me fusiller de son regard vert et me faire savoir toute sa haine de la caisse en plastique percée de troutrous.

    En me sentant très hôtesse de l’air, j’exhibe un par un les appâts que j’ai prévus pour l’occasion : son jouet préféré qui fait couic couic, des friandises pour chat en grandes quantités, et son doudou de toujours qui… pue très fort. Je les place l’un après l’autre dans le panier avec des gestes ostensibles et un sourire enjôleur.

    Sourire qui se crispe un peu quand le félin décide de m’ignorer pour se concentrer à nouveau sur le phénomène météo inédit. Et qui vire à la grimace d’horreur quand soudain il se met en mouvement, mais dans la mauvaise direction, le long de la balustrade, puis, d’un bond, sur le toit de zinc à la pente traîtresse.

    — Belphégor ! Non !

    Trop tard. Il ne se retourne même pas. Il saute sur la fenêtre du voisin qui est déjà toute barricadée, puis de là, jusqu’au faîte hérissé de cheminées et d’antennes de tout poil.

    Quelle tuile. J’aurais dû le séquestrer bien plus tôt, ne pas attendre la dernière minute. Je suis faible avec cet animal, je lui laisse la liberté dont j’aime jouir moi aussi. Résultat, il est ouragan moins cinq et Môssieur part en balade.

    Je tente la voix de la raison et je le hèle sur son perchoir.

    — Je crois que t’as pas bien compris, là. On va se prendre le ciel sur la tête. C’est du sérieux, mon p’tit pote. Il faut qu’on se mette à l’abri.

    Belphégor s’est assis sur le faîte en faisant tourner quinze fois autour de lui sa queue ébouriffée, genre je cherche le meilleur spot sur la tôle pour me chauffer le popotin. Il jette un discret coup d’œil en arrière pour vérifier que j’ai bien remarqué qu’il me tournait délibérément le dos.

    Ce chat va me rendre chèvre. Un soupir et j’enjambe à mon tour la balustrade. Je n’ai jamais tenté l’escalade et s’il ne se préparait pas un orage de cette ampleur, j’abandonnerais juste le matou là où il est en laissant ma fenêtre ouverte pour qu’il puisse rentrer plus tard.

    Des visions de Belphégor traversent mon imagination : je regarde impuissante mon chat tournoyer dans les airs, tous poils hérissés et toutes griffes dehors, hurlant et crachant à la mort tandis qu’une tornade l’emporte et que je pleure toutes les larmes de mon corps.

    Le problème c’est qu’au cours des deux dernières minutes une espèce de vent s’est levé et que ça n’aide pas vraiment aux manœuvres. C’est comme si Belphégor avait compris que la tempête commençait et qu’il avait choisi pile ce moment-là pour me faire suer.

    — Allez, quoi, lancé-je en élevant la voix pour couvrir le bruit des rafales qui glissent sur les plaques de zinc et caressent les gouttières. Reviens !

    Cette fois j’y suis — je le fais. J’escalade le toit de mon immeuble. Je vais tomber et me casser tous les os, mon crâne va éclater et mon cerveau s’en échapper et glisser sur le trottoir comme le jaune d’un œuf mollet. Il y a une sorte d’escalier pour les ramoneurs, les couvreurs et tous les autres équilibristes qui montent ici. Du moment que je ne regarde pas en bas, ça devrait aller…

    Oups, j’ai regardé en bas. Très loin, les Parisiens s’activent comme des fourmis. Un couple déguisé en sorciers à baguette magique croise un type en costard qui porte des planches et un marteau. Je n’aurais pas dû jeter un œil dans cette direction, parce que maintenant le vide veut me happer.

    — Belphégor ! crié-je à nouveau, et c’est à moitié un rappel à l’ordre et à moitié un appel au secours.

    — Miaou ! daigne-t-il répondre.

    Il a toujours le nez en l’air.

    Je me disais de ne pas regarder en bas, mais en fait, c’était en haut qu’il ne fallait pas regarder.

    La fontanelle entre les deux orages est devenue si fine et la lumière qui filtre à cet endroit, si intense, qu’elle éclaire l’orage par transparence et que l’on voit les éclairs à l’intérieur et des sortes de… masses plus sombres ? qui évoluent dedans.

    Puis dans un bruit de déchirure, un morceau d’orage lâche, plein d’une noirceur veinée d’éclairs. Une poche s’est crevée et maintenant quelque chose se déverse sur Paris. Des trombes et des trombes d’eau vont s’abattre sur nos têtes dans cinq… quatre… trois… deux…

    La première goutte s’abat sur le toit entre Belphégor et moi avec un énorme boum qui fait trembler le zinc et résonne dans mes os.

    — Belphégor ! Tiens bon !

    Maintenant c’est aplati par l’averse, le poil plaqué contre ses petits os maigres, et se noyant littéralement dans une goutte d’eau que je vois mon chat.

    Puis d’autres coups frappent la toiture pendant qu’au lieu de battre en retraite je gravis de plus en plus vite les barreaux de mon échelle en rentrant le cou dans les épaules et en appréhendant le premier impact. Si les premières gouttes sont comme ça, qu’est-ce qu’on va prendre quand la véritable averse se déclenchera !

    Une pensée soudaine me tétanise presque de peur : en fait, ce ne sont pas des gouttes de pluie, ce sont des grêlons géants. Mon chat va mourir écrabouillé, et moi aussi, très probablement.

    Je suis presque arrivée sur le faîte qui est quasiment plat. Je me hisse, le cœur battant, ravalant le vertige du surplomb, et cherche des yeux mon chat. Ma vision périphérique perçoit des cratères dans la tôle, mais tout est sec et pas un atome de glace non plus.

    Belphégor me fixe du regard et j’ai presque l’impression qu’il me raille parce que j’ai du mal à suivre. Ce chat aura littéralement ma peau.

    Ou bien non : ce qui aura ma peau, c’est la crise cardiaque qui éclate dans ma poitrine quand une silhouette sombre se dresse tout à coup sur mon passage. On dirait un être humain, mais en forme d’ombre. Ses contours sont flous et mouvants, ou bien peut-être est-ce le sang qui n’arrive plus très bien à mon cerveau et je suis déjà en train de tomber dans les pommes. Avant de partir en arrière pour m’écraser dans la rue six étages plus bas, ou pire encore, dans cette petite cour horrible pleine de mégots et de pigeons crasseux, j’ai juste le temps de sentir que des bras m’attrapent et tentent de me retenir.

    La mort n’est pas un tunnel au bout duquel brille une lumière. Enfin, pas exactement. La mort est une pièce aux murs de fumée et au sol de brouillard dont les angles ne sont pas droits et dont le plafond crépite à intervalles irréguliers. La mort c’est dormir dans un lit de nuages d’orages et ne même pas avoir froid.

    En fait, la mort, au fond, est une expérience déroutante, mais pas foncièrement inconfortable.

    Voilà. C’est comme ça que je résumerai les choses quand on me tendra le micro.

    — Ah, tu es réveillée.

    La mort, c’est le petit déjeuner au lit servi par un bel homme en cape de tonnerre qui ne porte pas de T-shirt dessous.

    Ouah, la mort c’est devenir poète quand toute sa vie on a été nulle en français.

    La mort c’est....

    — Mais qu’est-ce que tu racontes ? s’agace le type en cape de tonnerre en me collant le mug fumant sous le nez.

    J’attrape la boisson qui sent très fort le miel.

    C’est vrai qu’il est beau, ce n’est pas du tout une allégorie ou quoi. Sa cape entrouverte laisse apparaître ce genre de plastique impeccable que l’on voit sur les sportifs de haut niveau ou bien les stars de cinéma quand elles ont fait le régime pour être parfaites pendant un tournage, ça dure six semaines, peut-être un peu plus pour la promo, mais waouh, le temps que ça dure, c’est vraiment spectaculaire.

    — Tu penses que tu as reçu un coup sur la tête ? me demande le type en cape de fumée. On a tous fait plutôt attention, mais ce n’était pas le moment d’aller traîner sur un toit. Surtout pour aller attraper un truc comme ça.

    Il brandit Belphégor, qu’il tient par la peau du cou. Belphégor a l’air content. Il fait gigoter ses petites pattes, mais on voit que dans sa tête il est revenu à l’âge d’or de sa vie de chaton, quand sa mère le grondait gentiment pour ses petites bêtises et ensuite lui léchait la figure. Sans déc' : il est même en train de ronronner.

    Je ressens comme un besoin de récapituler.

    — « Ça », c’est mon chat, Belphégor. Moi c’est Aliénor. Et toi ?

    Je décide que c’est un test. S’il me dit qu’il s’appelle Jean-Marc ou Étienne, c’est que j’ai pété une durite. S’il me sort un truc du style, « je suis Zorbub, le el'fel'feb' de Patacrouks, et je suis venu sauver la Terre couleur d’azur en extirpant jusqu’aux racines le néolibéralisme planéticide », c’est que je suis morte et que la mort est une parodie de la vie. S’il me dit…

    Le type me regarde avec des yeux ronds.

    — Je suis Skylar, fils de Zeus.

    — Ouf, je fais, et moi qui avais peur que tu me dises un truc du style « Je suis Kevin, fils de Zeus. »

    Il plisse les yeux. Il a de très beaux yeux gris ourlés de cils noirs, des yeux orageux qui vont bien avec ses sourcils sombres et son air globalement exaspéré.

    — Je suis Skylar, fils de Zeus, répète-t-il, lentement, sans doute pour que ça imprègne mieux.

    Et c’est logique. Quelque part je me doutais que Zeus n’allait pas continuer à traverser les siècles en la gardant dans son pantalon.

    — Ta mère était humaine, déduis-je.

    — En effet. Elle était humaine. Elle est décédée.

    Super, Aliénor, vachement forte pour lancer une conversation qui met tout le monde à l’aise.

    — Ah, chuis désolée.

    — C’était il y a longtemps.

    Merde, maintenant il va vouloir parler de sa mère et moi je veux savoir ce que je fous ici.

    Skylar fils de Zeus secoue la tête comme on tente de chasser une mouche, ce qui donne un mouvement charmant à ses épaisses boucles brunes, qui sont longues juste avant le stade où on ne pense plus qu’à les emmener chez le coiffeur.

    Il est, en un mot, un être de perfection physique avec un nom débile.

    — S’il te plaît, arrête, supplie-t-il. J’ai reçu de mon père olympien la faculté de lire dans les pensées des gens qui m’entourent. Mais les tiennes sont tellement chaotiques que ça me donne déjà la migraine.

    Zut. En voilà une révélation embarrassante. Il entend vraiment tout ? C’est la merde.

    — C’est la merde, confirme Kevin, pardon, Skylar, en hochant la tête.

    — Bah, t’as qu’à pas les écouter. Et, hum, pardon pour ce que j’ai pensé au sujet de ton père et de ta mère.

    — Tes excuses sont acceptées. Les êtres inférieurs ont parfois du mal à contrôler les divagations de leurs faibles esprits. Et tu peux arrêter de m’appeler Kevin ?

    — J’ai pas ouvert la bouche, protesté-je.

    — En ton for intérieur. Merci.

    Je sens qu’il va me falloir un autre interlocuteur que celui-là, probablement un qui ne peut pas entendre mes pensées.

    — Je suis d’accord, confirme Kevin.

    Avec un soupir, il me plante là avec mon mug fumant et il quitte la pièce aux murs de fumée, enveloppé dans sa cape de fumée, sans aucune autre explication.

    — Sympa, le comité d’accueil dans la mort, grommelé-je en portant la tasse à mes lèvres.

    — Je ne boirais pas ça, si j’étais toi, fait une voix au pied du lit.

    Je me penche pour inspecter la zone. Ouaip, c’est bien Belphégor qui a parlé. Il a une voix de vieux, qui grasseye beaucoup, et une note amusée dans le ton.

    — Quoi encore ? fais-je, irritée. Toi aussi, t’es un fils de Zeus ?

    — Non, dit mon chat. Moi je suis juste un chat.

    — Ah OK, maugréé-je. Et dans la mort, les animaux sont doués de parole. Tu me diras, c’est logique.

    — On n’est pas dans la mort, Al. On est dans l’orage. Ça faisait un moment que ça ne m’était pas arrivé, pas depuis tout chaton. Mais sinon, oui, c’est parce qu’on est dans l’orage que j’ai la parole.

    J’ai toujours su que les chats étaient des gens bizarres.

    — Et pourquoi il ne faut pas que je boive ce truc ?

    — T’as jamais entendu les histoires ? Si tu manges les graines de grenade, tu restes coincée aux enfers.

    — C’est pas des graines de grenade, dis-je en examinant le contenu de la tasse. On dirait plutôt de l’or liquide avec beaucoup de miel et des épices. Ça a l’air vachement bon. Un peu trop sucré, peut-être ?

    — C’est du nectar. Ça rend addict — c’est pour ça qu’ils t’en filent.

    — Ah, c’est ça. Et t’es obligé de revenir pour avoir ta dose.

    J’avais quand même bien envie de goûter. C’est pas tous les jours qu’on vous propose une tasse de nectar.

    — C’est addictif dès la première gorgée, insiste Belphégor.

    — Bof. Je pense que ça va aller. Tu exagères sûrement un peu.

    Je porte le liquide à mes lèvres, mais je n’ai pas le temps de boire, parce que Belphégor fait un bond depuis le tapis et qu’il me percute de plein fouet. La porcelaine choque mes incisives et la tasse vole puis heurte le sol de fumée où elle se vide, répandant dans l’atmosphère une délicieuse odeur de pâtisserie.

    — Merde ! Mais t’abuses ! C’était chaud ! Et c’était du nectar ! Tu peux toujours courir pour que je t’achète des friandises dans les six prochains mois !

    — De toute façon, dit Belphégor, tes friandises sont dégueulasses. Je les balance par la fenêtre quand t’as le dos tourné et je vais manger les petites assiettes sympas que me laisse la voisine.

    — Elles coûtent un bras, ces friandises !

    Et voilà. En deux secondes et demie, je me retrouve à parler bouffe pour chat au lieu de me concentrer sur le vrai problème. C’est comme une maladie chez moi.

    — Il arrive, dit Belphégor en dressant l’oreille.

    — Qui arrive ?

    Je m’avise que je suis toujours dans un lit d’orage et de fumée lorsqu’un autre type sculptural, ombrageux et enveloppé d’un nuage noir et mouvant entre dans la pièce aux contours flous. Il est plus âgé que l’autre, ses traits sont plus acérés, et il porte une petite barbe en pointe qui lui donne un air de diable sardonique. En version très sexy. Et il est, bien sûr, torse nu sous une cape de fumée et de ténèbres.

    — Bonjour, Aliénor. Je suis Arès, fils de Zeus.

    — Ah, fais-je, plus favorablement impressionnée que par Kevin. Enchantée.

    — Kevin ? demande Arès.

    — Cherche pas. C’est entre nous.

    — Aliénor, dit Arès, nous sommes ravis de t’accueillir à bord de notre navire de guerre. Justement, nous avions besoin de quelqu’un pour assurer la corvée de patates.

    J’en ai presque la mâchoire qui se décroche.

    — La corvée de patates ? Vous m’avez enlevée sur le toit de mon immeuble pour que je vous fasse à bouffer ?

    — Ben ouais. On est l’équipage des fils de Zeus. On manque cruellement de femmes pour faire le ménage et la cuisine et… enfin bref, tu vois.

    Il est maboul. Ils sont tous mabouls ici.

    — Ho, on se calme. Attends. T’as dit qu’on était à bord d’un navire de guerre ?

    Arès confirme en opinant de son menton barbu.

    — On devrait aborder le bâtiment des fils de Thor d’ici quelques instants. Ça va être une vraie boucherie.

    J’avoue que c’est difficile de discuter avec ces personnes parce que je suis continuellement obligée de recalibrer la situation.

    — Mais bien sûr, ajoute précipitamment Arès, c’est nous qui allons gagner.

    — Ah oui ?

    — Oui.

    — Pourquoi ?

    — Nous avons l’avantage numérique et des technologies plus avancées.

    Et pour comble de bizarrerie, je me retrouve à échanger un regard avec Belphégor pour savoir ce qu’il en pense.

    — Vous avez pris d’autres… prisonniers ? Otages ? Aides-cuisiniers ? m’enquiers-je.

    Ça me paraît quand même vraiment bizarre cette histoire de corvée de patates. L’équipage des fils de Zeus, ça veut dire que ce sont tous des dieux et des demi-dieux. Et ils ont besoin de manger ? Ils ne peuvent pas se contenter de nectar et, euh, d’ambroisie ? Sérieusement, ils se nourrissent de patates ?

    — Je pense que c’est une façon de parler, émet Belphégor. Ils t’ont vue sur le toit, ils t’ont trouvée à leur goût, et ils ont décidé de t’embarquer pour égayer leurs soirées de célibataires tristes qui s’ennuient.

    Et j’hallucine que ce soit mon propre chat, l’animal que j’ai nourri avec patience toutes ces années, que j’allais chercher sur ce toit au péril de ma vie, mon chat, qui me sorte un truc pareil.

    — Non, dit Arès. Juste toi.

    Mince. Je ne suis pas une helléniste talentueuse, mais si j’ai compris un truc sur l’antiquité, c’est que ce n’est jamais une bonne idée d’attirer l’attention des dieux.

    — Viens, dit Arès. Je vais te faire visiter. Je t’assure que ça va te plaire. Personne ne fait les massacres aussi bien que nous.

    À écouter Arès, le vaisseau des fils de Zeus mise sur toutes les technologies olympiennes dernier cri en matière de foudre, de grêle, de malédictions, d’oracles pourris et de fureur létale, et c’est évident que l’adversaire n’a qu’à bien se tenir.

    À vue de nez j’ai plus de mal à me faire une opinion. Leurs coursives sont des tunnels de fumée et leurs échelles de brume et de ténèbres sont traîtres comme pas permis. Les trappes crachent des nuages d’orage et semblent toutes hésiter entre ouvertes et fermées. J’ai l’impression générale d’errer dans ma cuisine après avoir fait cramer un truc dans mon four.

    Peut-être que c’est pour ça qu’ils ont besoin d’une présence féminine.

    Pendant cette visite au pas de course, j’essaye de poser des questions : est-ce qu’il y a une raison particulière pour qu’ils décident de se fighter au-dessus de mon appart ? Et le soir d’Halloween ?

    En fait, non, pas de raison particulière. C’est une coïncidence. Mais quand il entend que nous sommes un 31 octobre de pleine lune, Arès paraît satisfait. Cette nuit, explique-t-il, le voile est très fin entre les mondes. Il suffit d’une pichenette pour tuer quelqu’un. Il est redoutablement facile de persuader une âme de passer de vie à trépas, presque sans s’en rendre compte.

    Je me dis que c’est ce qui vient de m’arriver. Je suis tombée du toit, et au lieu d’un fondu au noir propre et sans bavure, je suis en train de me taper une décharge cérébrale aussi rococo que la cathédrale Saint-Pierre. Mais oui,

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