La Loyauté du Royaume: Tome 1
()
À propos de ce livre électronique
Tandis que le monde sombre dans la peur et les rumeurs, Ada va osciller entre légendes et certitudes.
Sommée par les lois antiques, la Loyauté du royaume se doit d'affronter sa plus grande peur. Alors qu'elle patauge parmi des indices plus incompréhensibles les uns que les autres, malmenée par une magie inconnue et terrifiante, Ada se met à rêver. D'étranges rêves, trop vivides pour ne pas y déceler une vérité.
De l'autre côté des montagnes, un peuple draconique cherche la survie, par tous les moyens.
Laura-Victoria Bousseau-Bleyer
Laura-Victoria Bousseau-Bleyer est née en région parisienne mais c'est en Alsace qu'elle grandit et vit depuis toujours. Si les histoires l'ont toujours fascinée, elle a très vite le besoin d'exprimer sa créativité. Puisque le dessin n'est pas assez rapide pour elle, Laura-Victoria se tourne vers l'écriture, noircissant des carnets entiers, écrivant des histoires sur copies doubles qui circulent ensuite parmi ses camarades de classe. Elle écrit pour exister, pour oublier et pour exprimer ce qu'elle ne peut retranscrire à l'oral. Elle écrit pour la gamine perdue qu'elle était, pour les weird kids et les rêveurs. Passionnée de jeux de rôle, ne la lancez pas sur Critical Role ou Baldur's Gate, à moins d'avoir quelques heures devant vous. Obsédée par les dragons et la papeterie, elle attend encore le moment où elle pourra allier les deux.
Lié à La Loyauté du Royaume
Titres dans cette série (1)
La Loyauté du Royaume: Tome 1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Livres électroniques liés
Les enfants de la lune - Tome 2: Hiver sans fin Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSnehild – La Voyante de Midgard, Tome 1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe fils de la Voyageuse des neiges: Le fils de la Voyageuse des neiges Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTomber amoureux du loup que je ne devrais pas aimer Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationNecromantia : l'invocation des ombres Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe sort des elfes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes enfants de Lumière - Tome 1: Le joyau de Vissara Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes années perdues Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5La promise de Taunage: Mariages, Trahisons et Guerre : Le Destin des Princesses Todélane Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationBrunhild, Tome 2: La princesse au dragon Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAstres et Cendres - Livre 1: L'héritage des Daverii Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa bête des neiges: La bête des neiges Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLuminis: Les Peuples d'Elwinah, tome 1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Revanche de Kasawi Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationGuerre de sorciers Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL’oeil de glace Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Cœur du Viking: Désirée, capturée, réclamée, #3 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL'Enfant Corbeau: L'Enfant Corbeau, #1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationMinerun - Les représailles Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSouffles: Contes Et Univers Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationChroniques des Cinq Royaumes: Tome 3 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUne histoire pour tuer le temps: Saga fantastique Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Légende oubliée: Le Seigneur de la Forêt Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationÀ feu et à sang: À feu et à sang Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLiann et le dernier elfe noir: Roman jeunesse Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes sept chansons Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5La prophétie - Tome 1: Une Quête Épique entre Elfes et Sylphes Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Abysses: L’Obsession du Fae Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Rêves éveillés - Tome 3: Un avenir pour le passé Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa dernière Lilandrienne - Tome 1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Fantasy pour vous
Les Sœurs Slaughter: FICTION / Science Fiction / Steampunk, #1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTreize nouvelles vaudou Évaluation : 3 sur 5 étoiles3/5La médium réticente: Série sasha urban, #3 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Quête Des Héros (Tome 1 De L'anneau Du Sorcier) Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5L'alpha froid a un faible pour moi Évaluation : 2 sur 5 étoiles2/5Le sortilège de la lune noire Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Diable Évaluation : 3 sur 5 étoiles3/5Contes et légendes suisses Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa marque des loups: Métamorphose Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Fille qui voit: Série sasha urban, #1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Marche Des Rois (Tome 2 De L'anneau Du Sorcier) Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Le grimoire d’Alice Parker Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Destin Des Dragons (Tome N 3 De L'anneau Du Sorcier) Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Récupérer la Luna Blessée Tome 1: Récupérer la Luna Blessée, #1 Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5La Luna Rejetée Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Ces noms mythiques qui nous connectent à l’univers Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAprès l'annulation de mes fiançailles, j'ai épousé un alpha d'une tribu rivale. Évaluation : 2 sur 5 étoiles2/5Gloire de la famille : la mariée sorcière d'Alpha Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL’Attaque de l’Alpha: Des Lycans dans la Ville, #1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationFeinte paranormale: Série sasha urban, #5 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Destin d'Aria Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationChroniques d'un Dragonnier: Témoignage d'une exploration inédite via l'hypnose Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationOui Omega,Jamais Faible Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Le Roi Alpha est obsédé par moi Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationFantasy Art and Studies 7: Arthurian Fantasy / Fantasy arthurienne Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationExécution à Hollowmore Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationForcée d'être Merveillée avec l'Alpha Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationCompagne prédestinée dans mes rêves Évaluation : 2 sur 5 étoiles2/5Un Démon et sa Sorcière: Bienvenue en Enfer, #1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Avis sur La Loyauté du Royaume
0 notation0 avis
Aperçu du livre
La Loyauté du Royaume - Laura-Victoria Bousseau-Bleyer
PROLOGUE
En un temps trop reculé pour la mémoire de l’Homme, en un temps où même les dragons perdent la mémoire, vécut une race de créatures. Ni tout à fait humaine, ni tout à fait céleste. Des Dieux brisés, coincés dans notre monde. Trop vaniteux pour l’admettre, trop précieux pour nous quitter. Malgré toutes mes recherches et les années de tourments, je ne puis dire avec exactitude quand notre peuple les a rejoints. Peut-être avons-nous toujours été à leurs côtés, après tout. Mais nous n’avons jamais été plus que des étrangers à leurs yeux, nous qui les servions docilement, incapables de nous reproduire, incapables de vieillir. Non, notre peuple n’a à ressentir aucune gloire. Certains d’entre nous étaient toutefois appréciés, autant que nous aimons nos chiens fidèles. Un jour, les Jumeaux furent choisis pour partager la couche de deux de ces êtres dont nous avons oublié jusqu’au nom. Cela ne s’était jamais produit avant. Depuis ce jour maudit, nous vieillissons. Nous mourons. Mais surtout, nous donnons la vie. Ils nous ont certainement légué beaucoup plus, comme leur vanité exquise. Et le jour fut venu. Le jour où les chiens mordirent la main qui les nourrissait.
Le village de Suie portait bien son nom. Les mines de charbon étaient constamment en activité et les mineurs venaient de découvrir un filon d’argent qui assurerait aux habitants des revenus un peu plus confortables. Les femmes assez douées de leurs dix doigts s’étaient alliées pour créer un petit commerce et tondaient elles-mêmes les moutons pour en filer la laine. Les vêtements de Suie étaient aussi célèbres que son charbon. C’était un minuscule hameau parfaitement pittoresque, où il faisait bon vivre. Il était situé sur une falaise où la mer venait lécher les rochers. Les enfants étaient potelés, en bonne santé et très curieux.
En suivant un chemin escarpé, on atteignait une petite plage de galets où les enfants cherchaient de nouvelles créatures aquatiques à observer avant de les rendre à la mer. Un groupe d’une dizaine de petits aventuriers arpentait les lieux, bâtons à la main, remuant ici et là les gros cailloux, à la recherche d’un nouveau trésor.
Les étés étaient chauds et très humides. L’hiver, la neige recouvrait tout et l’on pouvait voir les créatures de glace, créées par les enfants du village, affronter la mer. Toutes les maisons étaient douillettes et les lits bien chauds.
Chaque nuit, elle se voyait enfant. Chaque nuit, les souvenirs venaient la torturer. Le village, son village, avait été réduit en cendres. Beaucoup de rumeurs circulent encore sur ce qui est arrivé au village de Suie. De ce que l’on en sait, nul n’a survécu. Personne n’a vu un loup géant prendre la direction du nord, une enfant brisée sur le dos.
CHAPITRE 1
Pour Sanna, se brosser les cheveux relevait plus du rituel que du simple geste de beauté. Et bien que ces derniers jours eussent été sombres, elle ne ratait jamais ce moment, avant de dormir. Les allées et venues de la brosse l’hypnotisaient. Sa blondeur était telle que le soleil lui-même avait l’air de s’y réfugier.
La jeune fille, pas tout à fait femme, mais plus vraiment enfant, influençait déjà la cour. Son style vestimentaire était copié. Ses coiffures, sophistiquées et compliquées, étaient imitées. Elle en ressentait une très grande fierté, pourtant cela ne faisait qu’accentuer l’immense vide qui la rongeait.
Elle était née en seconde position. Ce qui voulait dire qu’elle n’avait d’autre but dans sa vie que d’exister. Lorsque sa mère était morte, elle était beaucoup trop jeune pour que l’on puisse voir en elle autre chose qu’une héritière. Maintenant qu’elle avançait dans l’âge, que sa beauté se précisait, le peuple comme les nobles commençaient à estimer qu’elle apporterait une touche féminine, la douceur du royaume. Du moins, jusqu’à ce que son frère aîné prenne une épouse. Après cela, son sort n’aurait plus aucune véritable importance.
Elle aspirait à mieux que cela. Sanna ne désirait pas être une petite sucrerie, aussi acidulée fusse-t-elle. Le dilemme était qu’elle n’avait aucune idée de qui elle voudrait être. Alors, elle se contentait d’être belle, en attendant de trouver ce en quoi elle se révélerait douée, se résignant à rêver d’une meilleure vie.
Ce soir, elle était épuisée et avait hâte de retrouver ses draps. Des pas précipités. Un nouveau mouvement de brosse. Quelque part, on toquait à une porte. Elle dégagea une mèche de cheveux. Des chuchotis. Sanna ne bougeait plus, ne respirait plus. Le pas lourd et typique de son frère résonnait, s’approchait.
Elle ouvrit la porte de ses appartements à la volée, juste à temps pour saisir la manche d’Eldrik.
— Est-ce que… ?
— C’est l’heure, Sanna.
Ses paupières papillonnèrent et elle s’ordonna mentalement de ne pas pleurer. Elle déglutit. Il fallait être forte, désormais. Elle raffermit sa prise sur le bras de son frère.
— Je viens avec toi.
Pendant un bref instant, Eldrik songea à refuser. Il la voyait toujours comme une enfant. Sa toute petite sœur. On lui avait déjà répété qu’il ne pourrait plus la protéger de tout. Pourtant, voilà des années qu’il la mettait de côté, l’informait du moins de choses possibles, dans l’espoir de lui permettre de mener une vie presque normale. Il l’avait promis à leur mère. Seulement, il la voyait s’assombrir au fil des ans, tout en restant impuissant. Résigné, il serra sa main dans la sienne et l’emmena dans les appartements royaux.
Le roi Valanor jouissait d’une réputation exemplaire, les dernières années de son règne. Avec une main de fer, il avait su redresser le royaume. Le peuple le voyait comme un dirigeant audacieux et fier. Il n’avait peur de rien et surtout pas de la mort. C’est pourquoi il s’était assuré que les quelques personnes au courant soient de confiance et gardent leur langue. Il n’aurait pas supporté que l’on se rende compte de l’étendue de sa douleur. Son corps était brisé et bientôt, son esprit le suivrait dans sa chute.
Voilà des semaines qu’il avait été écrasé. Un stupide accident qui l’avait privé de son corps. Lors d’une partie de chasse, la dernière avant la saison des glissements de terrain, Valanor avait déniché une portée de marcassins, rendant par la même occasion la laie furieuse. Et celle-ci était de taille particulièrement hors normes. Acculé au pied d’une falaise, il avait suffi de cette course mouvementée pour faire trembler la forêt tout entière. S’en était suivi un éboulement qui n’avait piégé que le roi, libérant la laie et ses petits qui s’étaient enfuis sans un regard en arrière. Depuis, son corps l’abandonnait.
La pièce était habituellement peu éclairée, mais le roi avait demandé à mieux y voir, pour contempler une dernière fois le visage de ses enfants. Sa respiration était laborieuse, irrégulière et Sanna pleurait déjà. Ce soir, elle serait orpheline. Le choix des mots serait crucial, plus important encore que n’importe lequel de ses discours. Ce soir, alors qu’il sentait la vie le fuir, le roi Valanor se devait d’être fort.
Sanna trouvait cela cruel. Son père était un homme bon, dans la force de l’âge, et elle estimait que la mort n’avait pas le droit de le lui voler. Lorsqu’elle aura perdu son père, son aura protectrice la quittera pour de bon, la forçant à grandir et prendre un rôle qu’elle ne désirait pas. Elle montait d’un cran dans la ligne de succession, avant d’en être inévitablement évincée. Mais par-dessus tout, elle perdait celui qui l’aimait le plus et qui la voyait telle qu’elle était vraiment. La princesse avait souvent eu l’impression qu’il était le seul à être en mesure de la comprendre. D’un simple coup d’œil, Valanor savait ce qu’elle pouvait ressentir ou penser.
— Oh Sanna, commença-t-il en la transperçant de ses yeux bleus. Je suis persuadé qu’il y a encore de belles choses qui t’attendent.
Sanna trouva injuste que même lorsqu’il souffrait et que la vie s’échappait de lui, Valanor fût toujours capable de lire en elle comme dans un livre ouvert.
— Non, papa, ne pense pas à ça…
— Votre grand-mère m’a un jour dit que l’on fait toujours part de ses regrets avant de mourir. Comme si l’on gardait un mince filet d’espoir en donnant la responsabilité à ceux présents à cet instant de poursuivre notre tâche, au lieu de l’emporter avec nous. J’ai trouvé cela cruel, jusqu’à maintenant.
Sanna s’essuya dans sa manche, ne pouvant plus retenir ses larmes.
— Tu ne vas pas mourir, tu n’as pas le droit de…
Valanor l’interrompit, posant une main sur la sienne.
— Tu t’es préparée à cet instant depuis que tu as perdu ta mère, ma fille. Tu as toujours su voir les choses avant qu’elles ne se produisent. Ce don est précieux et tu t’en sers avec douceur. Sois plus… agressive, à l’avenir. Cela te ferait du bien. Et ne laisse plus ton frère avoir constamment le dessus sur toi. Cela vous fera le plus grand bien, à tous les deux ! lança-t-il avec un sourire amusé au coin des lèvres.
Valanor paya très cher cette liberté, comme si la mort refusait de se faire oublier. Il fut pris d’une terrible quinte de toux qui le laissa pantelant, le visage rouge d’avoir manqué d’air. Son regard redevint très sérieux. Il prit encore quelques secondes pour admirer sa fille, avant de se tourner vers Eldrik. Celui-ci tentait vainement de cacher ses émotions derrière un masque grave. Les traits tirés, ses yeux ne quittaient pas le visage fatigué de leur père.
— Eldrik. Tu seras bientôt roi. J’aurais voulu faire mieux. J’aurais voulu te laisser un royaume plus fort. Un royaume qui…
Valanor laissa sa phrase en suspens et déglutit avec difficulté. Eldrik se demanda s’il souffrait ou s’il cachait quelque chose qu’il avait du mal à admettre.
— J’ai échoué sur bien des points. Plus que ce que tu ne crois.
— Tu as fait ce que tu pouvais avec les moyens dont tu disposais, tu n’as à avoir honte de rien, répondit Eldrik, la voix légèrement tremblante.
Valanor ferma les yeux quelques secondes, alors qu’une vague de douleur parcourait son corps. Il se sentait épuisé et n’aspirait plus qu’à dormir. Lorsqu’il s’en rendit compte, la peur enserra son cœur.
— Peut-être, mais j’ai gardé certaines choses pour moi, des choses que je n’aurai pas dû laisser de côté. Eldrik, la guerre se rapproche.
— Mais qu’est-ce que tu racontes ?
La vision de Valanor se mouchetait de petites taches, faisant monter son angoisse. Par intermittence, le visage de son fils devenait étrangement flou avant de retrouver sa netteté habituelle. Était-ce les symptômes de la mort ou de sa peur de celle-ci ? Dans tous les cas, il sentait qu’il n’avait plus assez de temps.
— Replonge-toi dans nos anciennes légendes, appréhende-les comme des vérités bien dissimulées, plutôt que comme de simples récits fantastiques. J’aimerais t’en dire plus, mais je n’ai moi-même pas réussi à y trouver toutes les réponses. Je vais te demander de bien m’écouter, c’est vital, tu m’entends ?
Eldrik hocha la tête tout en gardant le silence. Il avait mille questions qui lui brûlaient les lèvres, mais le regard de son père, si sérieux, l’impressionnait peut-être plus encore que de le savoir mourant.
— Tu vas vite découvrir une série de coïncidences. Rappelle-toi ce que ta mère disait.
— Les coïncidences n’existent pas.
— Exact, répondit Valanor en toussant. S’il existe en ce monde deux situations jumelles, qui relient deux personnes qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre, c’est qu’il y a des raisons. D’après nos légendes, notre peuple a subi des siècles de servitudes, avant de prendre le contrôle de ces terres et de se retourner contre leurs maîtres.
— Nous les avons brûlés avec leur feu draconique, avant d’emprisonner leurs cendres dans les murs de nos bâtiments officiels, poursuivit Eldrik, qui connaissait cette histoire par cœur.
Ces récits étaient souvent racontés aux enfants pour leur faire peur et les convaincre de se comporter convenablement et de toujours écouter leurs parents. Les érudits du royaume y croyaient dur comme fer. Pour autant, les précepteurs d’Eldrik et Sanna se montraient plus modérés, admettant que ces histoires pouvaient être aussi vraies que fausses.
— J’ai fait bon nombre de recherches, continua Valanor. Depuis… depuis que…
C’était une réalité difficile à admettre pour quelqu’un d’aussi fier que le roi l’était. Pourtant, ce n’était plus le moment de se montrer peureux. Mais il avait froid. Pourquoi avait-il si froid ? Cela devenait compliqué de se concentrer.
— Il s’est passé quelque chose, le jour de ta naissance. Et lors de tes cinq ans, un village a été réduit en cendres. Il n’en restait plus rien. Alors même que j’y étais passé la veille. Je n’arrive pas à assembler les pièces, il m’en manque trop.
Sa respiration était hachée et régulièrement, il toussait au point de manquer d’air. De temps en temps, Eldrik lui apportait un peu d’eau, surtout pour rincer le goût du sang. Vint un moment où il réussit à s’endormir et Sanna refusa d’aller se coucher, considérant que sa place était ici.
Une petite bulle de sang éclata. Un soupir. Et le bon roi Valanor c’en fut.
Cette nuit-là, Sanna s’autorisa une dernière fois à être une enfant. Elle dormit profondément, protégée, au fond du lit de son frère. Eldrik passa la nuit devant l’âtre de la cheminée, parfaitement éveillé, tandis que l’angoisse lui rongeait l’esprit, refusant d’affronter le jour. Bientôt, il serait couronné.
CHAPITRE 2
Les jours de fête commençaient, maintenant que le printemps se montrait. Sur la route, Ada avait appris que le roi était mort et que le couronnement de son fils allait bientôt avoir lieu. Mais cela ne répondait en rien aux questions qui l’assaillaient depuis qu’on l’avait convoquée à la capitale. Elle s’était même demandé s’il était toujours nécessaire de répondre à l’appel alors que son hôte était décédé.
La ville d’Havlor était beaucoup moins impressionnante que ce qu’elle s’était imaginé, malgré le château qui en imposait par sa structure étrange et alambiquée. Des tours apparaissaient là où il semblait impossible qu’elles poussent. Dans son ensemble, le château ressemblait à s’y méprendre à un buisson moussu couvert de champignons.
— Es-tu certaine de vouloir entrer dans la ville accompagnée d’un loup géant ?
— Ne sois pas idiot.
Breven avait tenté de la dissuader depuis le début de leur voyage. Son espèce était rare et pour ce qu’il en savait, l’étroitesse d’esprit était souvent proportionnelle à la grandeur de la ville. Les loups géants préféraient éviter la compagnie des humains.
Toute sa vie, Ada s’était tenue éloignée des lieux trop fréquentés, préférant les petites bourgades insignifiantes. Jamais elle n’avait vu autant de monde entassé les uns sur les autres et tous étaient trop affairés pour s’intéresser à elle. Après un certain temps, le silence se fit et en se retournant elle s’aperçut qu’un grand nombre d’enfants les suivaient, curieux et intrigués par le loup qui accompagnait cette humaine. Beaucoup d’entre eux n’avaient même jamais vu d’animal sauvage de leurs propres yeux et celui-ci avait des proportions impressionnantes, arrivant presque aux épaules de son acolyte. Cette présence dans son dos la mettait mal à l’aise. Breven, lui, s’efforçait d’avoir l’air indifférent, adoptant le comportement d’un docile chien domestique.
L’ascension jusqu’au château lui parut interminable et une fois devant les hautes portes en chêne, Ada se figea, perplexe. Comment était-elle censée entrer, au juste ? Le messager avait simplement conseillé de s’annoncer à la porte. Mais elle ne voyait aucun garde, personne à qui s’adresser.
— Elle est vivante, lui souffla Breven.
Comment une porte pouvait-elle être vivante ? En l’observant d’un peu plus près, elle constata qu’elle ressemblait à n’importe quel tronc d’arbre et que de petits bourgeons verts, prêts à devenir des feuilles la recouvraient. Fascinée, elle la caressa du bout des doigts. Celle-ci frémit, avant de lui demander son identité.
— Qui es-tu ? Nous ne t’attendons pas.
— Je… Je suis Ada, répondit-elle, surprise.
— Nous n’attendons aucune Ada, d’aucune sorte. Rentrez chez vous.
Interdite, Ada avait la ferme intention de faire ce qu’elle lui demandait. Mais Breven lui lécha la main, l’encourageant du regard. Elle fit claquer sa langue d’impatience, avant de tapoter la porte.
— Je suis attendue, je crois.
— Les croyances ne sont pas les affaires des arbres. Aucune Ada n’est attendue.
— Je suis Ada LouveDeSuie, insista-t-elle.
À ces mots, tous les bourgeons se tournèrent vers elle. Certains même s’ouvrirent délicatement. Le spectacle était un peu effrayant, mais somptueux.
— Louve ? Vous êtes une Louve ? reprit la porte, soudain intéressée.
— Euh… Non, je suis une humaine. Mais Louve est mon nom.
— Et la créature poilue derrière vous ? Nous n’avons pas besoin de trophées de chasse.
Les bourgeons se tournèrent vers le loup, intrigués. Ada ouvrit grand la bouche, outrée. Comment pouvait-on considérer son ami comme un vulgaire trophée de chasse ? Breven s’assit à ses côtés, avec une dignité un peu raide.
— Ce n’est pas un trophée. Ce n’est pas une créature que l’on chasse. Il est ma famille.
— Famille ? Votre famille complète ?
Ada se mordit l’intérieur des joues.
— Ma seule et unique famille.
— Nous inscrivons cela dans notre écorce. La famille de la Louve est autorisée à aller et venir dans l’enceinte du château jusqu’à nouvel ordre.
Sur un ultime frisson, la porte se sépara en deux par son centre. La cour était entièrement pavée et au moins aussi grande que leur village d’origine. Mais ce qui surprit le plus Ada fut qu’elle ne trouva aucun garde. Personne ne semblait se soucier de la sécurité du château et de ses habitants. Une porte, aussi vivante et capricieuse fut-elle ne pouvait pas à elle seule garder une telle bâtisse. Maintenant que la première étape était passée, la jeune femme se retrouva embarrassée. Toutes les portes qui menaient à l’intérieur du château avaient la même taille.
— Tu t’attendais à ça, toi ? souffla-t-elle à Breven.
— Les portes vivantes sont devenues rares, mais il n’y a rien d’étonnant à en trouver à la capitale, je suppose. Ah, les chevaux ont senti mon odeur.
En effet, à leur gauche, ils purent entendre les coups de sabot résonner contre les stalles et des hennissements inquiets. Les écuries détonnaient étrangement avec le château incongru, comme si elles avaient été le fruit d’une erreur. C’était une grange, dotée d’une architecture tout à fait banale.
— J’espère que nous n’aurons pas à rester ici trop longtemps, il n’y a pas plus têtu qu’un cheval, commenta Ada.
Breven ricana, la langue pendante sur le côté, quand un homme à l’allure replète les interrompit. Il paraissait plus large que grand et portait un monocle en dessous de sourcils broussailleux.
— Bien le bonjour Dame Louve et sa… famille.
Il avait été quelque peu perturbé en constatant que la famille en question se tenait à quatre pattes, mais se ressaisit immédiatement. Ada, en revanche, se demanda quelle mouche avait bien pu piquer cet homme pour l’appeler dame. Un rapide coup d’œil sur ses chausses brunes à la propreté douteuse et sa tunique d’un vert soutenu, très banale, suffisait pour comprendre qu’elle n’avait rien d’une dame.
— Les portes m’ont averti de votre arrivée, j’espère ne pas vous avoir fait trop attendre. C’est que nous sommes tous tellement débordés avec le couronnement qui approche… Suivez-moi.
Après avoir échangé un regard, Ada et Breven lui emboîtèrent le pas. Ils entrèrent dans le château par une porte dérobée, qui menait pourtant sur un immense hall. L’intérieur du bâtiment était aussi biscornu que son apparence le laissait présager.
— Ne vous laissez pas impressionner par les portes, elles sont parfois un peu capricieuses, mais elles savent toutes si elles ont l’autorisation de vous laisser passer. Vous avez déjà rencontré leur mère, d’ailleurs. Personnellement, aucune ne me résiste, mais elles sont habituées à moi, voyez-vous, je les fréquente depuis mes trois ans. Nombre d’entre elles me considèrent comme leur fils. Ma mère était une femme de chambre aussi féroce que les portes de ce château. Elle m’emmenait partout avec elle. Oh, je viens de m’apercevoir que je ne me suis pas présenté, je vous demande pardon, je suis d’une impolitesse ! Je m’appelle Jales et je serais votre dévoué chaque fois que vous séjournerez au château.
Il avait débité cela avec une fluidité experte, sans se soucier si ses interlocuteurs l’écoutaient ou non. Breven éprouvait parfois quelques difficultés à circuler dans certains couloirs, qui se révélaient assez étroits. Ada quant à elle, était complètement perdue. Depuis leur arrivée, ils étaient passés par une enfilade de portes, chacune de tailles différentes, de couloirs plus ou moins décorés, plus ou moins propres. Ils avaient aussi grimpé quelques escaliers, sans pour autant savoir où ils allaient.
Ada avait pensé qu’elle serait directement menée à la salle du trône, mais elle n’était pas sûre que l’on puisse mettre une telle pièce dans les étages. À la dernière déclaration de l’homme, elle rata une marche avant de se rattraper de justesse à la rampe.
— Séjourner ici ? Non. Nous possédons une maison, au nord-ouest, nous ne pouvons pas vivre ici. Ça suffit maintenant. Il y a trois semaines, on m’informe que je suis convoquée par le roi en personne, n’ayant pas d’autre choix, je voyage jusqu’ici, sans aucune information, le roi décède et l’on m’annonce que je vais séjourner là ? J’exige des explications.
— Je peux comprendre que cela puisse vous incommoder, mais je ne suis pas encore autorisé à vous fournir la moindre information, j’en suis navré, déclara-t-il, l’air sincère. Laissez-moi vous conduire à vos appartements, nous serons plus à l’aise pour discuter.
Ada soupira bruyamment, mais Breven la poussa en avant d’un coup de tête. Quelques minutes plus tard, Jales s’arrêta devant une porte dénuée de serrure, comme apparemment toutes celles du château. Celle-ci était faite en bouleau. Il n’eut pas à s’annoncer, car elle s’ouvrit instantanément en les voyant arriver. La pièce principale était plutôt grande, meublée d’un petit salon et d’une table ronde où trois personnes pouvaient manger. Face à eux, encadrée par deux fenêtres donnant sur un jardin, se trouvait une immense cheminée où un feu ronronnait doucement.
— La porte de gauche, c’est votre chambre, Dame Louve. Vous y trouverez un lit très confortable, un coffre et deux commodes. À droite, la première porte est la chambre de… votre famille… nous avons préparé un lit, mais si vous avez besoin d’autre chose, famille de Louve…
Pour la première fois, il s’adressait directement à Breven. Celui-ci soutint son regard un moment avant d’acquiescer de la tête. Jales s’affaira à préparer du thé.
— Et la dernière porte, c’est la chambre de votre dévoué. La mienne, donc.
Il lui jeta un coup d’œil par-dessus son monocle.
— Vous pouvez poser vos affaires, le plancher ne va pas avaler votre sac. Alors, voici ce que je peux vous dire. Le roi Valanor vous a fait venir. Il estime… estimait, pardon que le prince Eldrik aura besoin de vous, d’une manière ou d’une autre. Je n’en sais pas plus, mais vous savez que vous n’avez pas le choix.
Ada se laissa tomber dans un fauteuil. En effet, elle savait qu’elle ne pouvait faire autrement. En Yngvarr, le roi pouvait demander à n’importe lequel de ses sujets trois services, aussi humiliants, dangereux ou impossibles fussent-ils. Mais le jeu en valait la chandelle, puisque celui qui réussissait se voyait généralement couvert d’or et de gloire. Or, ceci n’intéressait aucunement Ada. Mais telle était la loi. En échange de ce risque planant au-dessus de chacun, le roi s’efforçait de fournir nourriture, paix et commerces enrichissants au royaume, pendant toute la durée de son règne.
— Combien de temps ?
Jales se contenta de hausser les épaules en lui tendant une tasse de thé. Breven s’aventura dans ce qui était censé être sa chambre, peu intéressé par cette conversation.
— Excusez-moi, Dame Louve…
Jales, qui avait normalement une voix tonitruante s’était mis à chuchoter.
— Appelez-moi Ada, je vous en prie. Je ne suis ni une épouse, ni une propriétaire terrienne.
— Très bien, A… da. Je suis un peu déboussolé et je n’aimerais pas paraître inculte, ou pire, insultant. Je n’en ai jamais vu de ma vie, mais… Votre famille… C’est l’un des Huit ?
Ada était toujours gênée lorsque des inconnus lui posaient des questions sur Breven. Elle était loin d’avoir toutes les réponses et partageait une telle intimité avec son ami qu’elle ne savait jamais ce qu’elle avait le droit de divulguer ou non.
— Je ne connais pas la réponse moi-même. La logique voudrait que, si les légendes sont vraies, il fasse partie des Huit Loups.
Gênée et étrangement en colère, elle se mit à fouiller dans son sac sans aucun but, espérant que la discussion mourrait d’elle-même. Jales se leva en lissant le tissu de sa redingote rouge. Il n’avait pas l’intention d’insister.
— Le futur roi vous attend pour le dîner, qui sera servi dans deux heures. Je viendrai vous chercher vingt minutes plus tôt. Je ne saurais que vous conseiller de prendre un bain et de vous changer. J’ai déposé sur votre lit une tenue qui devrait vous convenir pour l’occasion. La femme de chambre, Lily, sera là dans quelques minutes. Détendez-vous.
Sur ces mots, il disparut et Breven en profita pour réapparaître.
— Tu crois que moi aussi, je dois prendre un bain ? lança-t-il, goguenard.
Ada n’avait pas l’habitude d’être ainsi servie, mais elle reconnut que s’immerger dans un bain brûlant tandis qu’on lui lavait puis coiffait les cheveux avait quelque chose de plaisant, bien qu’elle ne puisse s’imaginer vivre cela au quotidien. Elle avait décidé de suivre le conseil de Jales à la lettre. Il ne lui restait plus beaucoup de temps avant de se voir assigner une tâche plus ou moins réalisable, autant profiter de ces quelques heures de liberté.
En pénétrant pour la première fois dans sa chambre, Ada découvrit que Jales n’avait pas menti : son lit était immense et rebondi et des vêtements neufs l’y attendaient. Elle craignait de se retrouver avec une de ces énormes robes colorées qui étaient à la mode actuellement. Mais la jeune femme fut agréablement surprise lorsqu’elle découvrit une tunique de brocart d’un vert émeraude, décorée de feuilles de lierre plus soutenues ; un pourpoint de cuir d’une délicatesse qu’elle n’avait encore jamais vue et de chausses de coton teinté qui s’accordaient parfaitement au pourpoint. Près de la commode se trouvait une paire de bottes de cuir, gravées au même motif que la tunique. Elle était aussi gênée que flattée par le travail que cela représentait. Jamais, de toute sa vie, elle n’aurait eu les moyens de s’offrir une pareille tenue. Une fois vêtue, elle regretta de ne pas avoir l’occasion de s’admirer dans un miroir. Dans le petit salon, Breven somnolait, occupant une bonne partie du plancher.
Jales entra avec discrétion, s’assurant qu’elle fût prête. Lui aussi s’était changé et sa redingote arborait le même vert que la tunique d’Ada. Elle n’aimait pas l’idée d’avoir un dévoué, car d’ordinaire seules les personnes importantes y avaient droit. Et ceux-ci appartenaient à vie à leur maître. Son unique ambition était d’effectuer rapidement la tâche qui lui serait confiée et de retourner à sa vie, sans serviteur.
— Prête ?
— Autant qu’on puisse l’être.
Jales s’éclaircit la voix, cherchant ses mots.
— Je pense deviner juste en affirmant que vous n’êtes pas familière avec les coutumes de la cour… Je vous propose donc d’être votre guide. Je saurai être discret et il va de mon honneur de vous éviter tout impair. Vous et votre famille allez sûrement être dévisagés et je me doute que vous n’appréciez guère ce genre de comportements. Je ferais mon possible pour que vous ne soyez pas trop brusquée, mais je ne peux que vous conseiller de faire preuve de patience et d’indulgence envers nos nobles. Et ce soir, ils seront tous présents, maintenant que le couronnement du prince Eldrik approche.
Ada observa le silence quelques instants avant d’acquiescer lentement. Jales était prévenant, ce qu’elle trouvait à la fois bienveillant et fort agaçant. Le loup qui jusqu’à présent faisait semblant de dormir décida qu’il était temps de manifester sa présence. Avec minutie, il se leva, s’étira, tout en fixant Jales du regard.
Sans Jales, Ada aurait été incapable de trouver le chemin de la salle de réception. L’itinéraire qu’ils empruntèrent n’avait aucun sens, montant et descendant certains escaliers, tout en prenant encore une fois différentes portes plus ou moins récalcitrantes. Mais le dévoué avait raison, aucune ne lui résistait. Ils s’arrêtèrent devant l’une d’entre elles, anodine, en chêne brut, sans aucune fioriture. Jales adressa une œillade à sa suite incongrue avant de chatouiller le bois. La porte s’ouvrit alors sur un brouhaha assourdissant. La pièce avait des allures de salle des gardes, avec deux longues tables interminables et une troisième, qui servait de table d’honneur, posée sur une estrade, faisant face aux deux autres. Celle-ci était vide.
— Là-bas, c’est la Haute Table, seuls les membres de la famille royale y sont autorisés. Nous sommes placés tout à côté, c’est un honneur, souffla Jales à son adresse.
Ada reconnut une petite pointe d’orgueil dans sa voix. Elle sut tout de suite qu’un univers entier la séparait de tous ces nobles. Leurs tenues prenaient beaucoup trop de place, pour les femmes comme pour les hommes et les couleurs vives qu’ils arboraient lui parurent presque obscènes. Leur roi, homme qu’ils avaient forcément fréquenté, n’était mort que cinq jours plus tôt. Mais tous riaient et semblaient impatients de commencer leur repas et d’attaquer leurs carafes de vin épicé. La troupe aurait même pu passer inaperçue si un loup de taille démesurée ne les avait pas accompagnés. Tandis que Jales les dirigeaient vers leur place, le silence se fit, uniquement rompu par des chuchotements curieux. Gardant la tête haute, Ada se contenta de remercier son dévoué lorsqu’il tira une chaise dans sa direction. Elle était résolue à ne croiser le regard de personne et ne surtout pas donner l’impression que l’on pouvait lui adresser la parole. Breven, quant à lui, garda l’attitude d’un loup domestiqué, s’asseyant aux côtés d’Ada, fixant obstinément le mur devant lui. Jales contourna la table et se mit face à ses maîtres, comme les autres dévoués, installés sur un tabouret à l’allure inconfortable.
À l’instant même où il s’assit, une porte, qui jusque-là était invisible, s’ouvrit derrière la Haute Table et le prince Eldrik apparu. Ada fut surprise de découvrir un homme sensiblement du même âge qu’elle. Tandis que les ducs et marquis affichaient clairement leur richesse en cascades de bijoux, Eldrik s’habillait avec simplicité, un peu comme elle, bien que son pourpoint à lui fut beaucoup plus travaillé. Il était grand, large d’épaules et très brun. Ses cheveux donnaient l’impression de ne plus avoir été coiffés depuis la mort de son père, ce qui était peut-être le cas. D’ordinaire, Ada n’aurait jamais observé quelqu’un avec une telle intensité. Mais la simplicité qui émanait du prince l’étonnait. S’il ne s’était pas installé à la place d’honneur de la Haute Table, elle aurait très bien pu le croire garde.
Alors, la princesse Sanna PerceFlammes fit son entrée. Aussi blonde que son frère fût brun, elle était petite et menue. Mais ce qui choqua pardessus tout Ada, avant même sa blancheur extrême, presque maladive, c’était ses yeux. Ce petit corps ne semblait plus héberger d’âme.
Le silence absolu qui s’était fait parut enfin respectueux aux yeux d’Ada lorsque quelqu’un fit tinter des verres. D’un seul coup, tout ce petit monde reprit sa conversation, comme si de rien n’était, et les dévoués servirent en alcool leurs maîtres. Elle était abasourdie et cela devait se voir sur son visage puisque Jales lui dit :
— Bienvenue dans le monde des faux semblants. Normalement, personne n’a le droit de montrer le moindre sentiment négatif. C’est comme ça, par ici.
— Mais… Cette enfant est…
— Comme morte, oui, je sais. On m’a dit qu’elle ne s’alimentait plus.
Le dîner n’en finissait pas. Non seulement l’abus de nourriture commençait à embrumer son esprit, mais en plus Jales n’avait de cesse de remplir son verre de vin épicé et Ada ne savait pas s’il serait mal vu de cesser de boire. Les yeux de plus en plus vagues, Jales insista pour qu’elle pose sa main sur son verre, car c’était le seul moyen convenable de refuser de boire en public. De temps en temps, elle jetait des coups d’œil inquiets à la princesse. Elle n’avait pas touché à son assiette et Ada la voyait ravaler ses larmes à plusieurs reprises. À chaque fois que le prince Eldrik s’était aventuré à lui parler, elle avait semblé être sur le point d’exploser de chagrin. Ce devait d’ailleurs être les seuls parmi l’assemblée à ne pas avoir remarqué qu’un loup se tenait à table. Breven n’avait pas bougé. Son orgueil l’empêchait de s’abreuver ou de se nourrir devant des personnes autant attachées aux apparences. Ada eut de la peine pour lui, il devait mourir de soif et la chaleur de la pièce ne faisait que grimper au moment où un barde fit son entrée.
Le public était bien trop occupé à l’acclamer — il était apparemment très apprécié — pour s’intéresser au fait que le prince s’était levé, prêt à partir. C’est à ce moment que la princesse vacilla dans son fauteuil, au bord de l’évanouissement. En deux pas, Breven fut à ses côtés, suivit de près par Ada qui la rattrapa sous les aisselles. Eldrik, qui avait assisté impuissant à la scène souleva sa petite sœur avec douceur et facilité, sans quitter Ada du regard.
— Venez avec moi.
En silence, ils disparurent de la salle de réception, Jales sur les talons.
Un escalier, trois portes plus tard, ils se retrouvèrent dans l’aile du château réservée à la famille royale.
— La pauvre petite… se désola une porte, s’ouvrant pour les laisser entrer dans les appartements de la princesse.
Le prince déposa Sanna sur le lit tandis qu’Ada ajustait les oreillers. Elle l’entendit pleurer et une vague de compassion l’envahit. Elle aussi avait perdu son père et sa mère. Mais elle se demanda s’il n’était pas plus dur de les perdre alors que l’esprit est chargé de leur souvenir. Elle, au moins, ne se souvenait plus. Eldrik s’assit sur l’édredon en enfouissant son visage dans ses grandes mains de bretteur.
Ada et sa suite attendirent, mal à l’aise. Le temps s’écoula, sans que le prince bougeât. Il semblait s’être changé en pierre.
— Majesté ? osa Ada après un long moment.
Enfin, il s’anima.
— Je vous prie d’excuser ma conduite. Je ne vous avais encore jamais vue à notre table, vous êtes donc la nouvelle. Je suis navré du triste spectacle que ma sœur et moi vous avons offert en guise de bienvenue.
Il avait débité sa tirade d’une traite, les yeux rivés sur Sanna qui tremblait de froid, malgré les couvertures douillettes.
— Je sais ce qu’un cœur brisé fait comme ravages.
Breven contourna le lit avant de sauter dessus. Eldrik sursauta et se releva comme s’il n’avait pas encore remarqué sa présence. Breven se laissa tomber contre le corps de la princesse et elle se blottit dans son pelage.
Ada pouvait presque voir le cheminement des questions qui assaillirent l’esprit d’Eldrik.
— Qui êtes-vous ? demanda-t-il, soudain suspicieux.
Jales s’interposa en prenant une grande inspiration pompeuse, mais Eldrik eut un geste agacé de la main.
— Pas vous, Jales, elle peut parler seule.
Alors Ada s’approcha pour n’être plus qu’à un mètre du prince.
— Je me nomme Ada LouveDeSuie. Votre père…
— Mon père vous a fait venir ici, souffla-t-il.
Un bref silence s’installa.
— Cela n’explique pas la présence d’un loup dans cette chambre… Excusez-moi, c’est peut-être l’heure tardive ou les événements, mais mon esprit ressemble à de la marmelade. Asseyons-nous, je vais faire préparer un peu de thé.
— Ce serait avec plaisir, mais… ne croyez-vous pas que nous devrions faire manger votre sœur ?
— C’est peine perdue, voilà des jours que j’essaie de la nourrir, tentant différentes approches, à la manière d’une maman oiseau. Elle reste là, les yeux dans le vide. Elle me fait un peu peur, pour tout vous dire, ajouta-t-il en se penchant vers elle.
À ces mots, une voix étouffée sortit du pelage de Breven. Enfin, Sanna prit la peine de montrer son visage, rougit par les larmes. Il n’en paraissait que plus pâle.
— Je vous entends.
— Ah, parce que tu parles maintenant ? Première nouvelle !
— Ne sois pas méchant.
Ada réprima un sourire en coin. Elle avait toujours aimé assister aux disputes des frères et sœurs qu’elle croisait sur les places de marché. Cela démontrait une certaine complicité entre les deux, un lien unique, qu’elle enviait, parfois.
— Je vois que la présence de Breven vous fait du bien, princesse Sanna.
Eldrik fronça à nouveau les sourcils, interrogateur.
— Dans mes pires instants de détresse, il m’a toujours apporté le réconfort et la force nécessaire pour me relever, précisa Ada.
L’intéressé lui lança un regard plein d’éloquence.
— Disons que j’ai de l’entraînement.
D’un seul mouvement, toutes les têtes se tournèrent vers le loup. Jales, qui n’en croyait pas ses oreilles, dut se tenir à un meuble pour ne pas s’effondrer.
— Vous parlez ? demanda Eldrik, de plus en plus confus.
— Seulement en présence de personnes qui en valent la peine, dit-il dans un bâillement.
— Il me laisse me débrouiller seule face à des gens que je préférerais fuir, précisa Ada, amusée par la situation.
Sanna contempla Breven, les yeux dans les yeux, tout en continuant de caresser son flanc.
— Peux-tu me gratter derrière l’oreille ? J’ai du mal à y accéder moimême, demanda-t-il en tournant la tête. Et je sais que tu as faim, moi aussi d’ailleurs, on devrait partager un repas, tu ne trouves pas ?
— Je… Je m’en occupe, déclara Jales, toujours sonné. Monsieur Breven, que préféreriez-vous manger ?
— Pas de sucre, ça le rend grincheux, intervint Ada.
Elle leva les yeux au ciel, amusée, en voyant son compagnon réagir comme un chiot aux gratouilles de plus en plus fortes que Sanna lui administrait. Il avait le don de se faire aimer et respecter de tous en un rien de temps. Parfois, elle le jalousait pour ça. Cela avait l’air si facile avec lui.
— Et de l’eau, beaucoup d’eau ! lança-t-il, entre deux grognements bienheureux.
Jales approuva d’un signe de tête. Après qu’il eut quitté les appartements, un silence gêné retomba. Eldrik remit une bûche dans la cheminée et l’observa prendre feu. Sanna grattait toujours Breven, mais plus distraitement, le regard perdu dans ses pensées. Quant à Ada, qui avait dessaoulé à l’instant où elle avait vu la princesse s’effondrer, elle tapotait de ses doigts la table sculptée près de laquelle elle était assise.
— Je suis soulagée de l’intervention de Draegon, ce dîner tirait en longueur, murmura Sanna.
— Qui est-ce ? demanda Ada.
— Le barde, Draegon Chardon.
Chardon. En ces terres, un tel nom ne pouvait laisser supposer qu’une seule chose. Ce barde était un bâtard.
— Je lui ai demandé de venir, expliqua Eldrik. Je voulais avoir la possibilité de partir assez tôt. Je crois que je n’aurai pas pu supporter de voir encore le duc de Chandelles s’écrouler sous la table.
— Vos nobles ont une drôle de façon d’exprimer leur deuil, commenta Ada.
— Ne les diabolisez pas trop, ils se réjouissent pour moi. C’est leur manière d’affronter l’avenir.
Ada n’était pas franchement convaincue. Ce qu’elle avait vu ce soir, c’était essentiellement des personnes égocentriques, riches et bien trop promptes à le montrer. Elle surprit un regard de connivence entre Sanna et Eldrik. Il prit une inspiration, cherchant ses mots.
— Je vous avoue que Sanna et moi-même ne comprenons pas encore la raison pour laquelle notre père vous a conviée. Il n’a pas eu beaucoup de temps pour nous expliquer tous les tenants et aboutissants.
Les explications du prince l’angoissaient. Tant qu’il ne saurait pas lui-même les raisons de sa venue à la capitale, elle resterait coincée. Un vague sentiment de claustrophobie l’envahit.
— Comme le veut la tradition, reprit Eldrik, après le décès d’un monarque, nous devons attendre sept jours de deuil, avant de célébrer un couronnement. Dans deux jours, je serais roi. À compter de cet instant, je pourrais lancer des recherches, qui justifieront ou non votre présence parmi nous. En attendant, tout ce que je peux vous dire, c’est que notre père souhaitait vous interroger. Il pense que vous vous êtes trouvée à certains endroits, lors de certains événements. Mais il n’a pas eu le temps de me présenter ses idées. Alors, en attendant d’avoir des réponses, je vous demanderai d’être la garde rapprochée de Sanna. Ainsi que mes yeux et mes oreilles.
Ada se laissa tomber sur le dossier de son fauteuil. La garde rapprochée d’une princesse ? Elle n’était qu’une garde et malgré des états de service irréprochables, elle n’avait jamais aspiré à monter en grade. Protéger une princesse signifiait être capable de déjouer n’importe quelle tentative d’assassinat. Elle ne se pensait pas à la hauteur. Malheureusement, la loi l’empêchait de refuser. Elle voulut répondre que quelqu’un de plus entraîné y arriverait certainement mieux qu’elle, mais Breven fut plus rapide. Il descendit du lit pour se placer devant Eldrik.
— Sache que si tu confies un travail à Ada LouveDeSuie, tu me confies le même travail. Nous allons de pair. Acceptes-tu cette condition ?
La manie qu’avait Breven de tutoyer tout le monde agaçait fortement Ada. C’était d’autant plus gênant qu’il s’adressait ici à un homme presque roi. Eldrik esquissa un sourire amusé avant d’approuver d’un signe de tête.
— Bien sûr. Vous avez réussi à convaincre la tête de mule qu’est ma sœur de manger, je ne peux pas vous le refuser.
Sanna jeta un oreiller à la tête de son frère.
— Une dernière chose. Je te propose d’être moi-même tes yeux et tes oreilles. Si personne ne sait que je parle, personne ne pense que j’écoute.
— Non seulement j’accepte, mais j’approuve aussi. Néanmoins… cette fois-ci, il se tourna franchement vers Ada. Je souhaite avoir votre avis.
La jeune femme soutint le regard de Sanna, qui l’observait depuis un moment déjà. Effondrée quelques instants plus tôt, voilà qu’elle analysait dans les moindres détails celle qui allait devoir lui coller le train pour une durée indéterminée.
— Princesse, j’ai le sentiment de ne pas être la seule concernée par cette affaire. Je souhaiterais entendre votre avis avant de donner le mien.
Un mince sourire apparut sur les lèvres de Sanna.
— Je suis heureuse que vous me demandiez, dit-elle avant de déglutir avec difficulté. Les paroles de mon père m’ont laissée perplexe. Je ne souhaite pas entraver ses dernières volontés. S’il vous a choisie, c’est qu’il savait ce qu’il faisait. J’accepte de vous écouter et d’être protégée par vous, aussi bien que vous le puissiez. À condition que vous ne m’appeliez plus jamais « princesse ». Contentez-vous de Sanna, je me contenterai d’Ada.
Ada sourit et s’apprêtait à accepter officiellement son nouveau rôle lorsque la porte s’ouvrit à la volée. Jales, hors d’haleine, tenait une bassine immense, remplie d’eau. Sa redingote était imbibée et dégoulinait. Eldrik se précipita pour l’aider à poser la bassine dans un coin et Breven se mit à boire avec délectation. Derrière Jales se trouvaient trois petites servantes, particulièrement impressionnées à l’idée de se trouver dans les appartements de la princesse. Chacune tenait un plateau. Les deux premiers étaient chargés de pains, de beurre, tourtes et légumes en tout genre. Sur le dernier se trouvait un jambon.
— Oh bon sang, haleta Jales, incapable de reprendre son souffle.
Il sortit un mouchoir — lui aussi trempé —, pour s’essuyer le front et s’empressa de se servir un grand verre d’eau.
— Je crois que ce jambon est pour le loup, lança Ada en se levant pour le récupérer.
Eldrik remercia les servantes, en leur tendant une pièce dorée à chacune. Elles s’enfuirent en riant, tandis que Sanna humait avec gourmandise une des tourtes à la volaille et aux champignons.
Jales s’installa dans un fauteuil, près de la cheminée, espérant sécher un peu. Pourtant, il était très content de se trouver là. Être là où les choses importantes se décidaient, être concerné, même de loin, voilà quelque chose qu’il appréciait !
— Je disais donc, reprit Ada, puisque toutes les parties concernées par cette affaire ont l’air d’approuver et dans la volonté de ne pas contrarier les plans de votre père, je n’ai plus d’autre choix d’accéder à votre demande, prince Eldrik.
Eldrik parut soulagé.
— Magnifique ! Ada LouveDeSuie et Breven le loup géant entrent dès à présent au service de la princesse Sanna PerceFlammes et du futur roi Eldrik LesteLame.
CHAPITRE 3
La nuit était déjà bien avancée lorsque Ada et Breven, guidés par Jales, retournèrent dans leurs appartements. Sur le
