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Snehild - La Voyante de Midgard, Tome 1
Snehild - La Voyante de Midgard, Tome 1
Snehild - La Voyante de Midgard, Tome 1
Livre électronique456 pages6 heures

Snehild - La Voyante de Midgard, Tome 1

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À propos de ce livre électronique

Snehild vient au monde au milieu d'une guerre sanglante. Sa mère se réfugie dans les bois, puis dans la ville de Himlinge où Snehild grandit. Lorsque Ragnfrid, la grande prêtresse toute puissante de la ville devine que Snehild a des dons qui surpassent les siens, elle va tout mettre en œuvre pour se débarrasser d'elle.La série La Voyante de Midgard s'inspire de la mythologie nordique et se déroule au Danemark à l'âge du fer. Un récit captivant qui met en scène des femmes fortes, une vengeance et la faveur des dieux à une époque où la passion et l'honneur faisaient la loi.-
LangueFrançais
ÉditeurSAGA Egmont
Date de sortie22 févr. 2023
ISBN9788726922509

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    Aperçu du livre

    Snehild - La Voyante de Midgard, Tome 1 - Anne-Marie Vedsø Olesen

    Anne-Marie Vedsø Olesen

    Snehild

    La Voyante de Midgard, Tome 1

    SAGA Egmont

    Snehild - La Voyante de Midgard, Tome 1

    Traduit par Hélène Hervieu

    Titre Original Vølvens vej - Snehild

    Langue Originale : Danois

    Copyright © 2021, 2022 Anne-Marie Vedsø Olesen et SAGA Egmont

    Tous droits réservés

    ISBN : 9788726922509

    1e édition ebook

    Format : EPUB 3.0

    Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée/archivée dans un système de récupération, ou transmise, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, sans l’accord écrit préalable de l’éditeur, ni être autrement diffusée sous une forme de reliure ou de couverture autre que dans laquelle il est publié et sans qu’une condition similaire ne soit imposée à l’acheteur ultérieur.

    www.sagaegmont.com

    Saga est une filiale d’Egmont. Egmont est la plus grande entreprise médiatique du Danemark et appartient exclusivement à la Fondation Egmont, qui fait un don annuel de près de 13,4 millions d’euros aux enfants en difficulté.

    Toutes les citations de la Prédiction de la prophétesse sont tirées de l’Edda poétique, traduit par Régis Boyer, Fayard, 1992.

    L’auteur tient à remercier :

    Ses éditeurs Rikke Kühn Riegels et Sune de Souza Schmidt-Madsen pour leur enthousiasme et leur précieuse collaboration. Dès l’idée initiale, ils ont participé à mettre l’œuvre en forme et en valeur, ainsi qu’à la peaufiner.

    Le Statens Kunstfond, le Danske Skönlitterære Forfattere et le Autorkontoen pour leurs subventions.

    Je me rappelle les géants,

    nés à l’origine,

    eux qui, il y a bien longtemps,

    me mirent au monde  ;

    Neuf mondes je me rappelle,

    neuf étendues immenses,

    et le glorieux arbre du monde,

    enfoncé dessous terre.

    Prédiction de Vølva

    Prologue

    Asdis sent à nouveau l’enfant lui asséner des coups de pied, puis un poids, une pression qui l’attire vers le sol, comme si les racines d’Yggdrasil voulaient l’aspirer. Pendant de longs mois, la graine dans son ventre a été un louveteau indomptable et fort.

    Maintenant le petit veut sortir. Elle le sent. D’ailleurs, il est temps.

    Dehors, la neige tombe. Le vent s’est levé et les rafales font grincer la porte en bois, mais le vent ne parvient pas à entrer, elle a soigneusement calfeutré la cabane tout au long de l’automne.

    Puis voilà qu’elle l’entend. D’abord comme une agitation dans l’air, un troupeau d’elfes tourbillonnant, parvient-elle à penser, avant que le son ne devienne si réel qu’elle pouvait en comprendre toute la menace.

    Il n’y a pas de temps à perdre, elle n’a jamais hésité, pas plus maintenant qu’auparavant : elle saisit au passage son manteau en peau de bête et son couteau, se jette dehors dans les ténèbres du soir et se met à courir.

    Ce ne sont que clameurs, tumulte et hurlements.

    Asdis passe en courant devant des cabanes, contourne des hommes armés, il lui faut quitter le village, en direction de la lisière de la forêt. Elle sent le feu derrière elle, elle perçoit le crépitement et la lueur des flammes, et elle entend la rumeur des combats et le bruit des lames qui se rencontrent.

    Une flèche siffle près de sa tête mais elle ne crie ni ne regarde en arrière. Pour survivre, il faut agir avec détermination, sans hésitation ni émotion, elle l’a toujours su. À l’heure du danger, il n’y a pas de place pour les rêves d’elfes.

    La neige tombe dru, c’est un murmure dense et froid, tel un souffle venu de Niflheim, mais c’est une bonne chose, les flocons de neige tourbillonnants offrent un abri contre les regards ennemis.

    Elle remercie la neige qui tombe, lorsque finalement elle réussit à se réfugier en courant parmi les sapins.

    Derrière elle, les cris se font plus vagues, ils ont changé de caractère, on entend moins de mugissements d’hommes à présent, et davantage de cris de femmes.

    Il faut qu’elle s’enfonce encore plus profondément dans les bois. Elle court jusqu’à ne plus percevoir la rumeur des combats.

    Une douleur la transperce, semblable à la glace et au feu, comme l’eau créatrice de l’abîme du Ginnungagap qui coule maintenant à ses pieds, elle se courbe en deux et se retrouve à quatre pattes dans la neige.

    La neige est profonde, ses mains s’y enfouissent et subissent la morsure du froid, mais elle ne peut toujours pas se relever. Elle gémit de douleur, son corps tendu comme l’arc ennemi, mais elle les entend encore dans le lointain et doit se redresser, elle le sait, et poursuivre sa route. Elle ne peut pas enfanter ici, car ce serait la mort annoncée pour les deux.

    Mais le travail a commencé, elle a perdu les eaux. Il ne lui reste plus beaucoup de temps pour trouver un gîte convenable.

    Lorsque la contraction est passée, Asdis se relève péniblement. Elle réchauffe ses mains avec son haleine et resserre autour de son corps son manteau fait de nombreuses petites peaux de renard cousues ensemble et qui lui a rendu moult services.

    La neige pèse sur les branches des pins, elle semble tomber en silence dans la forêt, le vent souffle au-dessus de la cime des arbres, mais pas au niveau du sol dans la forêt, et ses pas lourds crissent dans la neige profonde. Des flocons froids s’accrochent à ses cils et fondent sur ses joues.

    Elle sait qu’au bord de la rivière se trouve un abri utilisé par les pêcheurs, et en plein jour elle n’aurait eu aucun mal à le trouver. Mais l’obscurité est remplie de flocons qui virevoltent et le ciel nocturne ne montre ni lune ni étoiles pouvant la guider.

    Elle se demande pourquoi les anciens guerriers et les dieux féroces sont pris d’une telle furie cette nuit.

    Il faut qu’elle retrouve l’abri. C’est son seul espoir.

    L’enfant pousse encore, elle halète, la neige tombe sur elle, le géant Fornjot a convoqué toute sa famille, le Gel, la Neige et le Vent, le monde n’est composé que de sapins revêtus de neige, de douleur aux genoux et de froid aux mains et aux pieds.

    Les larmes coulent sur ses joues, elle aimerait tant tenir l’enfant dans ses bras. Mais elle n’est pas un géant, elle ne peut vaincre la lignée de Fornjot, le vent, le gel et la neige, elle ne possède aucune force divine. Et pour la première fois, elle se dit que c’est probablement la nuit de sa mort. On ne saurait lutter contre sa destinée.

    Les contractions reprennent et elle tombe de nouveau à quatre pattes comme un animal.

    Elle pourrait être un chien, un renard ou un loup, elle pourrait être un chaton au chaud devant le feu, songe-t-elle en se fâchant contre elle-même à cause de ses rêves d’elfes. Ils n’apportent que la mort.

    Elle préfèrerait être un loup. La douleur la submerge, elle est de nouveau feu et glace. La souffrance est insupportable, elle a des nausées et des sueurs froides, ses doigts sont bleus et son regard vogue vers la mort tandis que des lames par milliers lui transpercent le sexe.

    Des brumes de neige l’enveloppent, sa vue vacille et se couvre de taches sombres. Et elle voit venir la mort chevauchant un énorme loup.

    Elle l’accueille : « Douce mort », gémit-elle en s’adressant à la géante, lorsque survient la contraction suivante.

    La géante descend du loup, les rênes du loup glissent d’elles-mêmes, elles ressemblent à des serpents, des rênes de vipère, lisses, squameuses, qui s’enroulent autour du cou du loup.

    Asdis ressent l’épuisement mortel, elle coule vers Helheim, la terre grise des morts non victorieux, et c’est tant mieux, car ses forces l’abandonnent.

    Elle tend les bras vers la femme.

    Des bras puissants la soulèvent.

    Puis elle flotte dans les flocons de neige, dans la nuit, dans le néant.

    « Du calme », dit la géante.

    Asdis repose sur une couche bien sèche de branches de sapin. L’abri a trois côtés et elle peut voir dehors dans la nuit. Un petit feu est allumé à l’entrée. On ne voit pas le loup aux vipères, seulement la tempête de neige qui semble avoir gagné en intensité. Le vent souffle toujours, mais elle repose à l’abri. Peut-être le loup n’était-il qu’une vision.

    « Tu n’es pas la mort  ? demande Asdis en levant les yeux vers un visage ravagé, entouré de cheveux en mèches d’un brun grisâtre.

    — Bien sûr que non, répond la femme en souriant. Je suis Hyrrokin de la lignée des géants. N’aie crainte. J’ai déjà fait cela. Je sens la tête de l’enfant à présent. Dans un instant, tu devras pousser aussi fort que tu pourras. »

    La géante Hyrrokin a écarté les jambes d’Asdis et enfoncé ses doigts dans son ventre.

    Les hurlements du vent reprennent et lorsque survient la contraction suivante, Asdis a l’impression que le vent se transforme en mots dont elle saisit le sens.

    « Les Nornes », dit Hyrrokin, étonnée, en jetant un regard dehors, vers les ténèbres. Puis elle baisse les yeux sur Asdis et lui ordonne de pousser.

    « Là, là, elles sont trois  ! » crie Asdis, tout en poussant le désespoir et la douleur.

    Les trois silhouettes indistinctes penchent dehors dans les tourbillons de neige sous le frêne et elle les connaît et les entend, elle pousse et pousse encore, les voix des Nornes sont le vent lui-même, leurs mots sont des flocons de neige dans la tempête, et l’enfant est expulsé.

    Les Nornes lancent des cris vers le ciel où se déroule le combat de la neige.

    Urd dit:

    Le borgne fut ton père,

    Tu as bu au même puits.

    Verdandi dit:

    Dans les tempêtes tumultueuses du gel,

    tu trouves ton être et ton nom, Snehild.

    Skuld dit:

    Royaumes et rois te devront le sang,

    pèseront tes paroles, porteront le fer dans ton cœur.

    Les Nornes crient avec une triple joie:

    Invisible pour la progéniture d’Ash et Embla,

    mais pas pour Snehild :

    La hache meurtrière,

    la promesse rompue,

    la terre tachée,

    l’esprit du loup et la trahison des dieux.

    Suis ton sentier, toi, fille de la vision,

    étreins ta gloire, afin de ne pas disparaître pas

    avec le soleil crépusculaire dans la gueule du loup

    PREMIÈRE PARTIE

    VERDANDI

    Chapitre 1

    Une ligne droite montait et sur cette ligne se trouvait quelque chose qui ressemblait à un nez pointu. Les doigts de Snehild glissaient sur les signes. Le signe suivant ressemblait à une maison dont le toit était sur le point de s’effondrer.

    Sa mère, Asdis, avait emprunté le bâton de Brynjulf. Il était en bois de hêtre et couvert de signes sculptés. Brynjulf Ravneblik n’était pas comme les autres, il savait interpréter les runes et était le conseiller le plus important du roi. Tout le monde avait un peu peur de lui. Sauf Asdis qui lui parlait souvent et longtemps, et semblait toujours ravie de son passage.

    Snehild comprenait ce que cela signifiait. Petite, elle avait souvent imaginé comment cela serait d’avoir un père et elle se demandait si Brynjulf serait un bon père. Il était talentueux et puissant, mais semblait ne faire aucun cas de Snehild qui n’était encore qu’une adolescente. Il ne la regardait ni ne lui parlait quand il rendait visite à sa mère.

    Asdis disait que les runes renfermaient la puissance des dieux. Et elle disait aussi qu’un jour Snehild saurait interpréter les runes. Pour l’heure, c’était à sa mère de les apprendre en premier.

    « Snehild, viens  ! »

    La voix d’Asdis était reconnaissable entre toutes.

    Snehild se leva à contrecœur et se dirigea vers la porte. Elles devaient sortir pour aller chercher des herbes.

    Lorsqu’elle sortit de la cabane sombre, le soleil de fin d’été l’éblouit, la lumière du jour était crue, le ciel blanc et malgré les premières teintes jaunâtres ici et là à la lisière de la forêt, la plupart des arbres portaient encore des couronnes vert foncé, les prairies fleurissaient comme une mer de plantes multicolores, les buissons regorgeaient de baies et, à l’horizon, on apercevait les champs dorés des paysans prospères

    Elles habitaient à la lisière de la ville. Himlinge était une ville riche, située à l’extrémité est du royaume de Sialand, et le palais du roi Tormod et de la reine Grid était connu à des lieues à la ronde. Des marchands s’y rendaient au marché avec des charrettes, il y avait là des paysans avec des racines comestibles et des chasseurs avec des peaux, et un vendeur d’hydromel s’était installé devant le tanneur, criant d’une voix exaltée.

    Elles suivirent le chemin de terre pour sortir de Himlinge. Asdis interrogea Snehild sur le genre d’herbes médicinales qu’elles pourraient trouver en cette saison.

    « Du lamier blanc, répondit Snehild après quelques hésitations. Des bourses-à-pasteur, de la grande bardane.

    — Asdis, attends  ! »

    La voix avait surgi derrière elles, Snehild se retourna et aperçut Ragnfrid, la grande prêtresse aux cheveux roux, qui s’avançait vers elle d’un pas pressé.

    Elles s’arrêtèrent pour l’attendre.

    « Que puis-je faire pour toi  ? » demanda Asdis froidement, lorsque Ragnfrid les eut rejointes.

    Snehild se mit un peu à l’écart. Prise de vertige, elle vit des taches danser devant ses yeux. L’air entre les deux femmes avait la couleur du sang de combat.

    « La paix de Freyja soit avec toi, dit Ragnfrid en guise de salut. Est-il vrai que tu es en train d’apprendre les runes  ? Asgar a vu Brynjulf te donner un bâton.

    — Ce qu’il y a entre Brynjulf et moi ne concerne que les dieux, répondit Asdis. Serais-tu jalouse  ? J’ai vu de quelle façon tu le regardes avec des yeux de miel.

    — Je suis la langue des dieux dans Midgard, répliqua Ragnfrid qui réprima difficilement un accès de colère. Tu sais parfaitement que la magie des runes n’appartient qu’à des personnes spécialement choisies. Comme nous les prêtres. Ou Brynjulf qui est conseiller du roi et messager. Tu n’es ni l’un ni l’autre, Asdis. »

    Asdis s’abstint de répondre et son visage resta impassible quand elle se tourna pour appeler Snehild.

    « Snehild, viens, j’ai promis à la reine Grid de lui rapporter davantage d’écorce de saule. »

    Elles s’en allèrent en laissant derrière elles une Ragnfrid furibonde. Snehild comprit que sa mère avait mentionné à dessein le nom de la reine Grid, parce que Ragnfrid avait essayé de la rabaisser. Connaître la reine lui conférait un certain pouvoir.

    Lorsqu’elles furent sorties de la ville, Snehild demanda pourquoi sa mère et Ragnfrid ne pouvaient pas se supporter.

    « C’est comme ça parfois avec les adultes.

    — Mère, j’ai douze ans. Je comprends ce qui se passe avec Brynjulf. »

    Asdis la regarda. Un merle chantait, les pâquerettes s’étaient ouvertes, pourtant il sembla à Snehild que quelque chose de désagréable se cachait derrière cette journée d’été ensoleillée, quelque chose déclenché par l’affrontement entre sa mère et Ragnfrid.

    « Un grand pétasite, dit Asdis en se baissant pour extraire une tige à fleurs rouges avec sa racine. On le reconnaît à l’odeur. Essaie de casser la tige. La racine guérit les blessures. »

    Snehild sentit le rouge lui monter aux joues. Sa mère répondait trop souvent à côté et Snehild se sentait impuissante lorsque cela se produisait.

    « Et celle-ci  ? continua Asdis en désignant une grappe de fleurs d’un bleu violacé qui arrivaient jusqu’aux tibias de Snehild. Dis-moi ce que c’est.

    — C’est la buglosse médicinale, répondit sèchement Snehild. On l’utilise contre la toux et les chagrins. »

    Asdis perçut la colère qui couvait chez Snehild.

    « Tu es devenue savante, dit-elle doucement en regardant attentivement Snehild. Un jour, on te demandera aussi des conseils. Il y a pas loin d’ici la fête de la moisson. Tu as bien mérité de venir avec moi à la soirée qui s’ensuivra. Tu auras bientôt l’âge, de toute façon. »

    Chapitre 2

    Ragnfrid s’apprêtait à entrer en ville. Elle utiliserait un nouveau poignard aux runes gravées dans le manche. Il posséderait un pouvoir spécial lorsqu’elle le brandirait, alors elle voulait s’assurer qu’il soit prêt pour la fête des moissons qui s’annonçait.

    La maison de Ragnfrid était située à l’orée du bois à l’extérieur de Himlinge. On lui avait attribué la maison de l’ancienne grande prêtresse Freydis, idéalement située par rapport au bosquet sacré de la forêt, et chaque matin au lever du soleil, Ragnfrid saluait les dieux avant d’entrer dans le palais royal pour écouter et prodiguer ses conseils.

    À son habitude, elle se déplaçait à un rythme soutenu, ne supportant guère de traînasser inutilement, et elle apprécia la vue des paysans qui, dans les champs à l’ouest, faisaient la moisson. Toutes les mains disponibles étaient mobilisées. L’orage menaçait. Devant elle, des charrettes étaient en route pour la ville et elle vit un petit groupe de lanciers du roi Tormod procéder à la relève de la garde aux abords des palissades en construction.

    Ragnfrid repensa à la rencontre de la veille avec Asdis. Elle devait prendre des mesures puisque Asdis voulait apprendre les runes. La maîtrise des runes était réservée à quelques-uns seulement. Ragnfrid ne saurait autoriser que le pouvoir du prêtre fût dilué.

    Depuis que Ragnfrid était une petite fille avec des taches de rousseur et de longues tresses, elle avait rêvé de devenir prêtresse. D’être la seule à comprendre la volonté des dieux et à pouvoir leur demander de l’aide. Enfant, elle avait suivi attentivement les fêtes des saisons, la fête des Dises, la fête du Seidr et la fête des Elfes. Elle avait écouté les voix des bois et des rivières, et senti la présence des dieux en touchant certaines pierres et certains troncs d’arbre. Elle s’était exercée à entrer en transe, avait capturé de petits animaux comme des couleuvres et des souris et les avait sacrifiés avec des pierres aiguisées par ses soins. Elle s’était accrochée aux jupes de vraies prêtresses et les avait harcelées jusqu’à ce qu’elles acceptent de lui montrer leurs bols sacrés et le membre de cheval embaumé. Prenant note de sa persévérance, elles acceptèrent de la prendre comme élève.

    Ragnfrid passa devant les esclaves qui mettaient en place la palissade autour de Himlinge sous la surveillance du maître d’œuvre Eik. Elle arriverait bientôt à la forge et tout près du palais royal où Brynjulf conseillait le roi. Rien qu’à cette pensée, elle se sentit émoustillée. Il fallait absolument qu’elle trouve un motif pour entrer dans le palais royal après être passée à la forge.

    Elle ne supportait pas Asdis, mais les runes n’étaient pas la seule raison : elle ne lui pardonnait pas d’avoir détourné l’attention de Brynjulf.

    Brynjulf avait jeté le trouble dans sa vie. Ils s’étaient enlacés à trois reprises, et les trois fois cela avait été comme un voyage au-delà de Midgard. Elle avait vécu une extase dont elle avait toujours rêvé mais qu’elle avait cru ne devoir trouver que dans la rencontre avec les dieux et non pas dans un accouplement ordinaire avec un mortel.

    Cette extase l’avait plongée dans un abîme de réflexions. Son corps la chatouillait quand elle pensait à Brynjulf, mais cela la faisait douter de ses capacités en tant que prêtresse. Ses rites n’étaient-ils qu’imagination  ? Quand elle était dans la transe du Seidr, chevauchait-elle vraiment l’arc-en-ciel Bifrost jusqu’à Asgard, la résidence des dieux  ? Elle n’en était plus si sûre.

    Ragnfrid traversa la ville jusqu’à la forge. Le forgeron se montrant parfois paresseux, elle avait préparé quelques mots bien sentis pour le secouer et le faire terminer son travail sur le poignard. La fête des moissons était importante et elle-même était la personne la plus importante de ce rituel. Tous les yeux seraient rivés sur la grande prêtresse. Ceux du roi et de la reine et ceux de Brynjulf.

    L’image d’une fille blonde surgit dans son esprit. La fille d’Asdis. Snehild l’avait fixée de façon si singulière, presque comme si elle avait le don de lire en elle. Elle ressemblait à un enfant elfe.

    Ragnfrid fut saisie d’inquiétude. Il y avait quelque chose de spécial chez cette fille et elle n’aimait pas ça. Elle aurait aimé chasser la mère et la fille de Himlinge.

    Chapitre 3

    Snehild porta encore une fois la main à ses cheveux pour les toucher et vérifier qu’on ne voyait pas qu’elle en avait coupé une touffe sur le côté gauche. Encore une chance que sa chevelure fût abondante et volumineuse. Elle avait aussitôt regretté sa réaction sous le coup de la colère.

    Elles devaient aller à la fête de la moisson et Asdis avait démêlé ses cheveux blancs enchevêtrés avec un peigne, même si Snehild avait insisté pour le faire elle-même. Elle n’était plus une petite fille et dès qu’Asdis eut le dos tourné, Snehild, agacée, s’était emparée des ciseaux.

    Fort heureusement, sa colère était passée. Maintenant elle était juste un peu tendue. Après la cérémonie dans le bosquet sacré, elle participerait à la fête au palais royal.

    « Mais seulement pour un court moment », avait précisé Asdis. « Les invités boiront comme Thor dans le chaudron d’Ægir, et toi, tu devras vite rentrer à la maison, avant que l’hydromel ne les rende fous. »

    Sa mère était magnifique. Dans une tunique rouge, cette couleur rare et chère, offerte par la reine Grid, elle semblait issue de haute lignée. Pour sa part, Snehild avait l’air d’une jeune villageoise ordinaire dans sa tunique brune toute simple. Mais elle était propre et elle se disait que ses cheveux bien démêlés devaient malgré tout être du plus bel effet.

    Beaucoup d’autres quittaient la ville vers le bosquet derrière les tumulus funéraires. Le soleil d’automne brillait à travers des nuages légers qui s’effilochaient, c’était une chaude journée et des voix joyeuses s’élevaient de partout. Les champs moissonnés du Sialand révélaient leurs chaumes dorés d’orge et de blé derrière elles et moutonnaient à l’horizon vers le nord et l’ouest, à perte de vue, et devant elles, au sud, croissait la forêt de hêtres qui s’étendait, disait-on, jusqu’au fleuve Tryggveld et peut-être même au-delà, jusqu’au pays des elfes.

    Asdis parla du jour où elle avait assisté à un sacrifice humain. Elle venait de s’installer à Himlinge, Snehild, encore toute petite, était gardée par une voisine, et Asdis, en tant qu’herboriste, avait aidé les prêtres à préparer des potions apaisantes à l’intention de la victime. C’était un jeune homme, à qui elle avait administré un mélange corsé de valériane, de jusquiame noire et de pavot. Cela l’aida à affronter sereinement la mort. Il fut étendu sur la pierre sacrificielle, après quoi on trancha sa grosse artère carotide, de manière à ce que le sang puisse s’écouler dans le bol sacré d’Odin.

    « J’espère que les prêtres n’auront plus jamais besoin de mon aide, dit Asdis. Ce fut une dure journée. La pluie tombait dru et les gens avaient peur. Mais Tormod gagna la guerre. Les dieux acceptèrent son sacrifice. »

    Chose étrange que d’accepter ainsi son sort, songea Snehild. On prétendait que c’était un honneur. Pour sa part, jamais elle ne se rendrait sans résistance. Et si on l’y contraignait, elle ne voudrait pas non plus qu’on lui administre des mixtures apaisantes. Elle marcherait avec dignité et en possession de tous ses moyens, même dans la mort.

    Mais cette journée était joyeuse, la récolte de l’année avait été abondante et seul un animal serait sacrifié en remerciement.

    Le petit Krimbjørn marchait un peu devant elles en tenant sa mère Birla par la main. Snehild lui fit signe. Il eut l’air déconcerté quand ils approchèrent des tumulus qui se dressaient dans une zone vallonnée juste avant la lisière de la forêt.

    En dépit de la différence d’âge, Krimbjørn était l’un des rares amis de Snehild. Quelque chose chez elle faisait que la plupart se tenaient à distance. Peut-être était-ce dû à son teint si pâle. Krimbjørn lui avait dit un jour, en touchant avec dévotion sa magnifique chevelure frisée et blanche, qui formait une couronne autour de sa tête comme des semences de pissenlit, qu’elle ressemblait à un elfe blond translucide.

    Il y avait sept tumulus en tout et on disait que les premiers rois et reines de Himlinge des temps révolus y étaient ensevelis, que leurs ossements donnaient de la force à la terre, et qu’en cas de besoin on pouvait les faire venir du Valhalla pour protéger la ville royale contre les ennemis. Il était donc normal que le bosquet sacré soit situé tout près.

    Elles suivirent le sentier entre les tumulus, les gens commencèrent à baisser la voix et une atmosphère de recueillement plana au-dessus de l’assemblée.

    Était-ce la pensée des ossements ou du sacrifice imminent  ? Elle n’aurait su le dire, mais soudain il sembla à Snehild qu’elle entendait l’herbe jaunie des tumulus funéraires chuchoter dans le vent :

    Justement, toi qui es forte parce que née de la neige : avec du fer dans le cœur et du sang dans les yeux, tu marches sur l’arc-en-ciel Bifrost. Ta langue de flamme parle le langage des Nornes et ton œil, tu l’as trouvé dans le puits.

    Le frêne qui poussait au sommet du tumulus le plus haut étendait ses branches vers le ciel, un magnifique arc-en-ciel apparut, des arcs violets, verts, rouges et jaunes s’élevèrent comme des sentiers célestes vers Asgard, la résidence des dieux. Roseaux et massettes commencèrent à se balancer, elle les imita, les feuilles qui tombaient du frêne étaient des étoiles filantes en plein jour, et elle-même tombait du ciel vers la terre, d’Asgard vers Midgard.

    Asdis l’empoigna.

    « Assez rêvé d’elfes, ils ne te font aucun bien  ! »

    L’arc-en-ciel avait disparu. Le frêne n’étendait plus ses branches.

    « Mais j’ai vu l’arc-en-ciel », protesta-t-elle tout bas. Il était impossible que voir Bifrost soit un mauvais présage.

    Elles s’enfoncèrent à la suite des autres parmi les pins de l’orée du bois, passèrent devant des bouleaux aux formes élancées et arrivèrent enfin au bosquet de hêtres.

    Ragnfrid se tenait près de la pierre sacrée. Elle avait peint des cercles rouges autour de ses yeux et des traits blancs sur son front, ses joues et son menton. Derrière elle, on notait la présence de deux prêtres et deux prêtresses, tous grimés comme elle. Chacun d’eux veillait sur un animal attaché, promis au sacrifice : une brebis, une chèvre, un cochon et un chien. Le chien gémissait et le cochon tirait violemment sur sa corde. Seules la brebis et la chèvre se tenaient tranquilles.

    Ils se rassemblèrent en cercles sous les arbres. Le sol était jonché de feuilles mortes et, au-dessus d’eux, les couronnes des hêtres s’élevaient dans la splendeur du début de l’automne : les ombres des feuilles s’étendaient sur le bosquet comme un dôme scintillant parsemé de taches de soleil.

    Tous les bavardages cessèrent lorsque le roi Tormod et la reine Grid firent leur entrée en dernier, accompagnés d’Aslak et de Roald. On s’écarta devant eux afin qu’ils puissent se tenir juste en face de Ragnfrid et ses prêtres.

    Snehild regarda les jeunes garçons avec curiosité. Cela faisait un an qu’elle ne les avait pas revus et, comme elle, ils avaient grandi et ressemblaient désormais à deux jeunes hommes. Il y avait quelque chose de lumineux chez Aslak. Il était d’une beauté si impressionnante qu’il aurait pu être le fils du dieu Baldr dont on disait qu’il était le plus beau de tous. Tout le monde à Himlinge louait la beauté d’Aslak. Son frère Roald était tout à fait différent : sauvage et fanfaron, il ressemblait davantage à un ours et personne n’aurait pu deviner qu’ils étaient jumeaux. Lequel d’entre eux hériterait du titre de roi  ? Cela n’étant pas encore décidé, la succession faisait constamment l’objet de spéculations à Himlinge.

    Ragnfrid fit monter la chèvre sur la pierre, la première victime. D’une voix chantante, elle invoqua l’un après l’autre les dieux : Odin et Frigg, Thor et Sif, Tyr et Njord et Baldr et Freyja, et en dernier, mais non des moindres, Freyr. Puis elle but dans une grande coupe en bronze, leva son couteau et parla alors à Freyr de l’animal qu’ils allaient sacrifier en remerciement des récoltes.

    Le couteau s’enfonça profondément dans la gorge de la bête, le sang jaillit en petites giclées saccadées et la prêtresse à côté recueillit le maximum de sang dans un récipient.

    Tormod s’avança vers la pierre sacrificielle et Ragnfrid lui traça un trait sur le front avec le sang. Finalement, la chèvre fut suspendue à un arbre, la tête en bas, afin que les dernières gouttes de sang puissent s’écouler dans le récipient.

    Tout le monde poussa des cris d’allégresse. La première victime était envoyée auprès des divinités.

    L’animal suivant fut le cochon. Il s’était mis à couiner lorsque la chèvre avait été sacrifiée et poussait maintenant des cris aigus à fendre le cœur. Il tirait tant sur sa corde qu’il fallut l’intervention de quatre hommes pour aider les prêtres à maintenir fermement la bête hurlante sur la pierre.

    Sans se laisser démonter, Ragnfrid demanda d’une voix ferme à Odin de lui donner la sagesse, tout en plongeant sa lame dans la gorge du porc. Il se débattit et poussa deux ou trois derniers hurlements stridents qui obligèrent la plupart des gens à se boucher les oreilles. Puis il resta totalement immobile.

    Grid s’avança et reçut son jet sanglant.

    La cérémonie se poursuivit avec la brebis et le chien, et ce fut alors au tour des jumeaux de se faire peindre le front avec du sang. Le regard de Roald luisait d’excitation, tandis qu’Aslak restait impassible. Avec la brebis, Ragnfrid demanda la victoire à Thor et avec le chien elle invoqua Njord pour un commerce florissant.

    Lorsque vint le tour du chien pour l’immolation, Snehild pensa à Kræ, son chien mort. Elles avaient aimé Kræ et choyé le chiot à un tel point qu’il avait eu sa trappe bien à lui dans la cabane, ce qui lui permettait d’entrer et de sortir à sa guise. Le chien ici geignait et remuait la queue en même temps, il lui faisait tellement pitié qu’elle avait envie de le caresser et de le réconforter.

    Du fer au cœur, du sang dans les yeux. Elle ne devait pas se laisser attendrir. L’avenir n’appartenait qu’à celui qui était fort de corps et d’esprit, pensa-t-elle en s’obligeant à observer le sacrifice dans ses moindres détails.

    Sur le chemin du retour vers le palais royal, l’ambiance était à son comble. La ville ferait la fête jusque tard dans la nuit.

    « La tunique te va bien », dit Birla la tisseuse qui avait remis le cadeau à Asdis une pleine lune plus tôt et qui était à présent accompagnée de Snehild et de sa mère.

    C’était une somptueuse tunique rouge que le couple royal avait offerte à Asdis pour avoir traité les douleurs menstruelles de la reine Grid. Le présent avait été accompagné d’une invitation à célébrer la fête des moissons dans l’enceinte même du palais royal.

    « Oui, certains d’entre nous devront se contenter de faire la fête sur la place du marché, poursuivit Birla. Maintenant, tu tiens le haut du pavé pour de bon. Il faut dire aussi que tu le mérites. Tu as travaillé dur pendant des années pour le bien de tout le monde, ici à Himlinge. Que lui donnes-tu à Grid  ? De l’écorce de saule  ? Au bout du compte, les gens ne te reprochent pas d’être la seule à avoir réussi à t’enfuir, le jour où les hors-la-loi ont attaqué ton village. Dire qu’à présent ils ont aussi pris Vallev. Je ne comprends pas que le roi Tormod ne fasse rien contre Gisle et ses brigands d’Egedal.

    — Il y en a encore pas mal qui me regardent de travers et me prennent pour une menteuse ou une folle, dit Asdis.

    — Cela ne signifie rien. Les gens sont envieux, c’est tout. Mais il faut bien convenir que ton histoire n’était pas banale aussi. Je croyais que tout le monde l’avait oubliée, puisque tu n’en as pas reparlé ces dernières années. Pour moi, cela n’a aucune importance. On peut coucher avec qui on veut, et il doit être vrai que les forces magiques apparaissent parfois et se divertissent un peu parmi nous, les mortels. »

    Elles arrivèrent sur la place du marché où étaient disposés des récipients d’hydromel et où l’on faisait rôtir des porcs sur des feux. Les premiers arrivés remplirent les cornes à boire et les coupes.

    Dès qu’elles eurent traversé la place, Asdis aborda Brynjulf.

    « J’emmène Snehild avec moi au début, dit Asdis, cela ne pose pas de problème, j’espère  ? »

    Brynjulf jeta un coup d’œil rapide à Snehild.

    « Quel âge a-t-elle  ?

    — Douze ans. Mais elle est réfléchie pour son âge. Elle sait se comporter.

    — Réfléchie… » Il la regarda un peu plus attentivement. « A-t-elle aussi des dons  ?

    — Oui », répondit Snehild avant que sa mère ne puisse répondre. Elle avait enfin une occasion de se faire remarquer. « Je connais déjà les herbes, je vais apprendre les runes et j’apprendrai aussi à connaître les neuf mondes d’Yggdrasil. Et puis je veux apprendre à me battre avec des armes. »

    Brynjulf la dévisagea, ébahi. Puis il éclata de rire.

    « Je ne dirais pas que tu es réfléchie, si tu crois

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