Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Boadicée - Reine des Celtes
Boadicée - Reine des Celtes
Boadicée - Reine des Celtes
Livre électronique429 pages5 heures

Boadicée - Reine des Celtes

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

L’Histoire est remplie de femmes si puissantes qu’elles ont bouleversé leur époque et subjugué leurs contemporains. Des femmes brillantes, influentes, parfois sans pitié… De véritables conquérantes.

Lorsque les légions romaines débarquent sur les côtes de la Grande Île, les guerriers celtes peinent à résister. Le sang coule. Les peuples se soumettent. Les représailles de la conquête sèment la rancoeur à tous vents. Boadicée, princesse des Icènes, est témoin de cette calamité.

Amante du prince, femme du roi, mère des héritières, elle ne peut éviter son destin.

Elle refuse de céder les terres des Icènes aux Romains. Les infamies qu'ils lui font subir font resurgir en elle toute la colère et la violence que la déesse Andrasta y avait enfouies.

Boadicée appelle les peuples à la vengeance. Tout ce qui est romain doit disparaître de la surface de la terre. Andrasta l’exige.
LangueFrançais
Date de sortie4 avr. 2021
ISBN9782898180354
Boadicée - Reine des Celtes
Auteur

François Guilbault

Chroniqueur et peintre, François Guilbault collectionne les ouvrages d’Histoire et a toujours été fasciné par les oeuvres de Shakespeare, de Molière et de Nelligan. Passionné de la quête du passé et des mots, il cherche à raconter ce qui a été avec sensibilité et érudition.

En savoir plus sur François Guilbault

Lié à Boadicée - Reine des Celtes

Livres électroniques liés

Romance historique pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Boadicée - Reine des Celtes

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Boadicée - Reine des Celtes - François Guilbault

    2020

    PROLOGUE

    (54 AV. J.-C.)

    « On atteignit la Bretagne, avec toute la flotte, vers midi, sans voir l’ennemi sur ce point ; comme [il] le sut plus tard par des prisonniers, des groupes nombreux s’y étaient rassemblés et, effrayés à la vue de tant de vaisseaux — avec ceux de l’année précédente, et ceux que des particuliers avaient construits pour leur usage, c’était plus de huit cents navires qui avaient paru à la fois ils avaient quitté le rivage pour se cacher sur les hauteurs.

    [Il] fit débarquer ses troupes et choisit un emplacement convenable pour son camp ; lorsqu’il sut par des prisonniers où s’était arrêté l’ennemi, laissant près de la mer dix cohortes¹ et trois cents cavaliers pour la garde des navires, avant la fin de la troisième veille, il marcha à l’ennemi. »²

    Le proconsul replaça d’une main impatiente le peu de cheveux qu’il avait. Le vent ne cessait de le décoiffer et cela l’enrageait. Il aimait bien paraître.

    — Assez, Spilitus. Range tout. Nous continuerons plus tard, une fois les troupes débarquées.

    Quoique, ce matin-là, son maître se soit montré dans une forme intellectuelle étonnante pour dicter sa correspondance, le scribe n’insista pas pour continuer. Comme son estomac le lui confirmait, Spilitus ne s’habituait pas à la mer. N’eût été le plaisir qu’il éprouvait à coucher sur les tablettes un latin d’une si pure qualité, il se serait abstenu de se porter volontaire pour la traversée. Néanmoins, écrire sous la dictée de Jules César valait ce désagrément.

    — Que veulent-ils ?

    — Je n’en suis pas certain, murmura Cassivell.

    — Notre or ?

    — Je ne crois pas.

    — Commercer ? l’interrogea Téneufant.

    — Possible. Toutefois, je trouve qu’ils déploient beaucoup d’efforts s’ils veulent tout bonnement marchander.

    Cassivell ne laissa rien voir du plaisir qu’il avait à être sarcastique.

    — Nos femmes ? Nos hommes, pour les enchaîner à leurs bateaux ? Nos terres ? mitrailla Téneufant.

    — Qu’attendent-ils ? murmura Cassivell, ignorant les questions de son neveu.

    — L’an passé, ils sont venus et repartis. Sans notre or, ni nos femmes, ni nos moutons. Pourquoi reviennent-ils ? Cela n’a aucun sens.

    Le roi des Catuvellauni se retint de frapper Téneufant. Ce garçon ne comprenait rien à rien. Quel dommage qu’il soit son successeur.

    — Ils sont plus nombreux cette fois-ci. Dix fois plus nombreux. Ce sera différent, observa Cassivell.

    Il secoua les guides et son chariot s’élança le long de la falaise. Ses fidèles le suivirent, laissant Téneufant derrière, perdu dans ses conjectures.

    Si l’on oubliait les huit cents vaisseaux qui se balançaient près du rivage, la journée s’avérait bien ordinaire. Le crachin habituel aspergeait la côte, cette éternelle bruine qui ne tenait pas compte que l’on était en juillet. Les vagues se fracassaient sur la rive, agitées par le souvenir des orages des jours précédents. N’eût été les vingt mille soldats entassés dans les embarcations, on aurait pu retourner aux champs ou partir à la chasse.

    Mais le roi des Catuvellauni n’était pas aveugle et savait compter.

    Il quitta le bord de la falaise pour se diriger vers un boisé. Ses guerriers lui emboîtèrent le pas. D’un geste brusque, il ralentit son chariot et sauta à bas. Son cocher s’empressa de calmer les deux bêtes qui avaient l’écume à la gueule. Le roi signifia à sa suite qu’il voulait ne pas être suivi. Il pénétra dans le bois. Sa suite crut qu’il allait invoquer quelque dieu local dont lui seul connaissait l’existence. Ses hommes mirent pied à terre en attendant que les fantassins les rejoignent.

    Le roi s’assit sur un tronc tombé au sol près d’une immense pierre. Les effluves de la forêt durant l’ondée étaient un ravissement. Après l’odeur du sang d’un ennemi et celle de sa femme, c’était sa préférée.

    Lorsqu’il avait entrepris de mettre sous sa coupe les tribus environnantes, il savait qu’il se créerait une myriade d’ennemis. Peu lui avait importé. Pour qu’ils lui cèdent leurs terres, il avait tout bonnement suffi de les tuer. Ce qu’il avait fait sans hésiter pour le roi des Trinovantes. Cependant, la sujétion de ce peuple lui avait appris que les ennemis n’oublient jamais.

    Fier d’avoir mis à genoux cette tribu, la plus puissante et orgueilleuse de toutes, Cassivell avait, en signe d’apaisement, confié la régence du territoire à Mandubrac, le fils du roi assassiné. La lâcheté démontrée par cet ingrat, enfui au-delà du Grand Détroit³ pour chercher la protection des Romains, nourrissait la colère de Cassivell. Si Mandubrac rechignait à payer le tribut entendu, pourquoi n’était-il pas venu s’expliquer à Verlamion⁴ ? Cassivell aurait préféré voir Mandubrac se révolter ouvertement et le confronter, comme un chef digne de ce nom l’aurait fait. Il aurait souhaité que le rebelle exige de l’affronter en combat singulier, à défaut d’en découdre avec leurs armées respectives. Fallait-il qu’il l’ait couronné roi des Trinovantes pour prendre conscience que Mandubrac adorait comploter et tisser des intrigues ? Qui plus est, ce petit prince s’était montré stupide. Comment pouvait-il s’imaginer que lui, Cassivell, le roi des Catuvellauni, n’apprendrait pas où il se cachait ? Ses alliés l’en avaient informé. Maintenant, Cassivell haïssait Mandrubac profondément.

    Cassivell se reprochait sa mansuétude passée, surtout que ce n’était pas une habitude chez lui. Voilà pourquoi il espérait que Mandubrac soit sur les vaisseaux s’approchant de la rive. Il pourrait le tuer de ses propres mains à la première occasion.

    César se trouvait dans son élément.

    Il avait laissé sa jument grise à une ordonnance et déambulait d’un pas calme entre les rangs de soldats disposés en quinconce. Il passait d’une centurie⁵ à l’autre, prenant le temps de saluer un centurion ou un légionnaire aux côtés duquel il avait combattu en Gaule. Certains osaient l’interrompre dans sa promenade en se moquant de ses talents de séducteur. Ayant l’oreille fine, César s’accommodait de ces moqueries et rétorquait qu’il les croyait incapables de rivaliser avec tous les talents que les dieux lui avaient conférés.

    Lorsqu’il sortit des premiers rangs afin de mieux évaluer le dispositif des Celtes, les légionnaires hochèrent la tête en signe d’approbation. Ils avaient vu cette scène si souvent en Gaule qu’ils croyaient pouvoir décrire exactement ce qui allait se produire. Leur chef convoquerait les légats⁶ d’un geste de la main. Puis, il pointerait divers endroits de la position ennemie pour qu’ils sachent ce qu’il attendait d’eux. Il tendrait le bras et son aide de camp lui remettrait son casque, qu’il enfoncerait sur sa tête. Il reviendrait alors vers ses légionnaires, prenant place parmi eux, à pied.

    Mais il en fut autrement.

    Un groupe se détacha de la masse des Barbares. Quelques chars suivis d’une dizaine de cavaliers. Dans le char de tête, le meneur portait une hampe surmontée de deux cornes qui semblaient égratigner les nuages et à laquelle flottaient des queux de loups. Son cocher laissait caracoler les chevaux. Par bravade ? Par orgueil ? César sentit qu’il fallait impressionner ces sauvages.

    Sans monter son cheval, il s’avança seul dans la plaine. Il refusa net qu’on l’accompagne.

    — Tenez-vous prêts ! ordonna-t-il aux légats. Je ne suis pas éternel.

    Déconcertés par tant d’insouciance, les officiers le regardèrent s’avancer vers l’ennemi.

    Une fois Cassivell descendu de son char, un autre guerrier l’imita. C’était un interprète.

    Le roi s’adressa à ses compagnons.

    — Que dit-il ? s’enquit César.

    — Que tu es soit fou, soit courageux, traduisit l’interprète.

    César retira son casque d’un geste lent et cérémonieux et le plaça sous son bras. Cassivell conserva le sien et s’approcha afin de mieux toiser son vis-à-vis, qu’il dépassait d’une tête. Le proconsul le laissa tourner autour de lui, quoiqu’il trouvât que le Barbare puait plus qu’il n’était prêt à souffrir. Le chef celte revint se planter devant le général romain.

    — J’ai vu tes hommes se battre, laissa tomber Cassivell.

    — Et moi, les tiens, lors de mon premier séjour, répliqua César d’un ton sarcastique.

    Un éclair de colère apparut dans les yeux du Celte au souvenir de ses hommes se repliant après quelques échauffourées sur la plage, l’an passé. Voilà pourquoi cette fois-ci, il avait intentionnellement évité tout contact sérieux avec les troupes de l’envahisseur. Il ne trouvait pas comment vaincre cette machine de guerre qu’étaient ces légions bardées de fer.

    — T’es-tu avancé pour me braver ou as-tu quelque chose de sérieux à me dire, Romain ?

    — Je te rappelle que tu t’es approché le premier.

    Cassivell acquiesça avant d’attacher son regard à celui du Romain. Pas un trait, pas une ride ne bougeait sur le visage de cet homme.

    — Je suis venu t’annoncer que nous pouvons arrêter, déclara Cassivell, économe de mots.

    — Arrêter quoi ? tiqua César.

    — Cesse de faire le bouc. Je ne pense pas que tu sois idiot.

    Lorsque Cassivell vit que l’interprète ne voulait pas traduire, il prit sa dague, tendit le bras et lui posa la lame sous la gorge.

    — Dis-lui mot pour mot ! siffla-t-il.

    Le Romain signifia de la main qu’il ne fallait pas avoir recours à ce genre d’expédient tandis que le pauvre interprète terrifié traduisait en souhaitant que la rencontre s’achève le plus tôt possible.

    — Alors, que proposes-tu ? s’enquit César, feignant d’ignorer l’insulte.

    — Je renvoie mes hommes chez eux, nous nous entendons pour commercer et mes peuples te verseront un tribut annuel.

    — Et quels otages m’offres-tu ?

    — Tu as déjà Mandubrac, le Trinovante. Cela devrait te suffire, répliqua Cassivell, l’œil malicieux. Tu peux lui trancher le cou quand bon te semblera.

    — Non, je ne l’ai plus, répliqua César.

    Cassivell n’apprécia pas la réponse. Il avait déjà repéré le traître, entouré de quelques officiers et légionnaires, dans les premiers rangs des troupes romaines. Il se douta que ce général romain avait l’esprit tortueux.

    — Explique-toi, exigea-t-il.

    — Je remets Mandubrac sur le trône des Trinovantes, au-delà de l’estuaire. Son peuple le réclame. Lui aussi sera protégé par le bras de Rome, comme le seront tes autres peuples.

    Chacun des muscles de Cassivell se crispa. Il posa une main sur la tête de sa hache. Souhaita tuer le Romain du regard. Il se détourna pourtant et cria un ordre à l’intention de sa suite. Les auriges regagnèrent leurs chars et les cavaliers saisirent la crinière de leurs chevaux qu’ils montèrent d’un bond.

    Mais le roi hésita. Les Romains ne feraient qu’une bouchée de son armée, quoiqu’elle fût deux fois plus nombreuse que la leur. En terrain découvert, rien n’arrêtait les légions. La petite rivière séparant les deux forces et la pente de la colline menant aux guerriers celtes n’endigueraient pas leur avance. Que lui resterait-il pour asseoir son pouvoir si ses guerriers mouraient sous les jets des pilums⁷ ?

    — Prévois-tu installer des forts sur nos terres ?

    — Non. Seulement un ou deux postes commerciaux, affirma César, distraitement.

    — Près de la mer ?

    — Bien sûr.

    — Et comment me dédommageras-tu de la perte des Trinovantes ?

    César ne put éviter un léger sourire. Ce Barbare avait gardé sa demande la plus importante pour la fin de la négociation, comme tout homme intelligent l’aurait fait. Malheureusement pour lui, ce roi celte ignorait à qui il avait affaire.

    — Tu deviendras ami de Rome, t’assurant ainsi de sa protection, et je te laisserai tes guerriers, annonça César sur un ton de fausse confidence.

    Cassivell inspira profondément et parut grandir d’une main tant il essayait de contenir sa fureur. La condescendance de ce Romain mettait son orgueil à rude épreuve.

    — Et je dirai aux Trinovantes de te verser un tribut, termina César, fier de lui.

    — Cela est juste, maugréa Cassivell, les dents serrées, sachant qu’il n’avait d’autre choix que de s’incliner.

    — Bien. Cela me convient… et à Rome.

    Si le chef des Catuvellauni ne trancha pas la tête du Romain ce jour-là, c’est qu’il prévoyait s’occuper à sa manière des Trinovantes, une fois ce prétentieux reparti pour la Gaule.

    D’ailleurs, après le départ de César, il ne rata pas la première occasion qui se présenta de reprendre le territoire des Trinovantes. Il en fut de même pour Camulodunon⁸, le principal chef-lieu de Mandrubac. Personne ne sut ce qu’il advint de ce traître.

    1. Une cohorte est une unité militaire comptant environ quatre cent quatre-vingts fantassins. Dix cohortes composent une légion romaine.

    2. César Jules. Guerre des Gaules. Traduction de L.-A. Constans, Éditions Gallimard, Paris, 1981, 480 pages.

    3. La Manche.

    4. Village le plus important du territoire catuvellauni servant de résidence au roi. Aujourd’hui St Albans dans le Hertfordshire.

    5. Groupe d’une centaine de fantassins formant le sixième d’une cohorte et le soixantième d’une légion.

    6. Un légat est un général de légion, une formation militaire d’environ cinq à six mille hommes.

    7. Javelot romain dont le tiers avant, fait d’acier, pliait sous son poids une fois fiché dans un bouclier, empêchant l’ennemi d’utiliser ce dernier.

    8. Colchester dans le Kent.

    PARTIE I

    LA FILLE DU ROI

    (26 À 42 APR. J.-C.)

    « Quand ma mère m’expulsa de son ventre, j’ai attendu que l’on reconnaisse mon existence.

    Ce n’est qu’au moment où l’on me frappa que je fis entendre ma voix.

    Une voix de lionne.

    La voix d’Andrasta, la déesse.

    Ma mère ne l’entendit pas.

    La fente entaillée par laquelle j’avais vu le jour l’avait fait se vider de ses entrailles. »

    LE CHÊNE-DIEU

    (26 APR. J.-C.)

    — Pourquoi nous racontes-tu ces vieilles histoires ? Cela s’est passé il y a si longtemps. Personne ne les a revus, souligna Rica.

    — Et s’ils revenaient ? répliqua Faloque.

    En tant que druidesse, elle se devait d’être patiente. La jeune Rica disait tout ce qui lui passait par la tête, sans se soucier des répercussions possibles. Lorsque Faloque s’avança, tenant d’une main son bâton et de l’autre une branche de lierre tressé, les autres jeunes filles s’écartèrent. Rica voulut se lever aussi. Elle n’eut pas le temps de déplier les jambes. La prêtresse posa le bout de son bourdon sur l’épaule de la jeune fille et y appliqua une pression suffisante pour l’empêcher de bouger. Puis, elle s’agenouilla et scruta le visage plein de boue pour y trouver la raison de l’inquiétude de Rica.

    — Je me soucie plus des maudits Catuvellauni que de Romains qui ne reviendront sans doute jamais, déclara Rica.

    — Nos guerriers nous ont toujours protégés contre les Catuvellauni, contrairement aux Trinovantes, qui ont plié l’échine devant Cunobelin, leur roi, rappela Faloque.

    — Qu’attendons-nous pour les punir de leurs ravages et brûler leurs fermes ? Pourquoi les Catuvellauni veulent-ils nos terres ? N’en ont-ils pas assez de celles des Trinovantes ?

    — Ils nous jalousent probablement pour autre chose que nos terres. Nous avons beaucoup à offrir.

    Chez les Icènes, la vie était simple et gratifiante. Ils habitaient au nord des terres bordant les côtes du Grand Détroit. Les forêts et les collines qui ceinturaient leur territoire le protégeaient des influences étrangères. Riches plaines, boisés bien garnis et rivières aux cascades joyeuses invitaient les gens à s’y établir et à prospérer. Néanmoins, le peuple icène ne vivait pas cloîtré. La richesse de son sous-sol et l’habileté de ses artisans rendaient ses produits et ses minerais fort recherchés. Les Icènes avaient appris à commercer, à leur plus grand bénéfice.

    Le peuple, quant à lui, était beau, sage et léger. Chasser, cultiver et fouiller les mines sculptaient les corps. Respecter la parole des druides et suivre les rites lui conciliait la faveur des dieux. Se battre avec sa parentèle, ou quiconque le souhaitait, pour départager le plus fort, permettait aux guerriers de libérer leur trop-plein d’énergie et d’orgueil. Les femmes étaient grandes, robustes. Des génitrices accomplies.

    — Jamais une autre tribu ne nous assujettira. Nous sommes Icènes, fils et filles d’Icènes. Depuis la nuit des temps, affirma Faloque.

    Elle se redressa et son regard gris contempla la douzaine de jeunes filles qui l’entouraient. Le silence qui suivit leur permit d’apprécier le gazouillis du ruisseau zigzaguant à l’abri des fourrés.

    Lorsque Faloque vit les yeux de Rica se plisser et quelques rides apparaître sur son front, elle sourit.

    — Mais les hommes de Rome, eux, le pourraient, n’est-ce pas ?

    — Seulement s’ils revenaient, avoua la druidesse, satisfaite.

    — Pourrais-tu nous expliquer pourquoi ils reparaîtraient ? ajouta la jeune fille. Tu connais toutes les histoires, même les plus anciennes.

    — Allons d’abord remercier le dieu de la source en lui offrant ce lierre.

    Elle tendit le lierre tressé à Rica et les autres jeunes filles les suivirent jusqu’au ruisseau.

    Quelques semaines plus tard, Rica invita Bléta à la suivre pour une promenade en forêt.

    Il y avait dans cette forêt un chêne-dieu, une immense créature de la nature. Des branches grosses comme le tronc d’une femme, tordues telles les jambes d’un homme qui danse. Certaines affleuraient le sol humide, la plupart s’élançaient dans le ciel, défiant les vautours. Un être merveilleux où pendait le gui.

    Ayant suivi et espionné Faloque lors du solstice d’hiver, Rica savait que la précieuse plante existait. C’était le moment où la druidesse devait la cueillir à l’aide de sa serpe d’or.

    — Viens, Bléta. Cesse de traîner ! As-tu peur ?

    — Nous ne devrions pas être là. Ce sol est sacré.

    — Nous sommes tous les enfants des dieux. Leur terre est notre terre, déclara Rica comme s’il s’agissait d’une évidence.

    Elle tendit la main afin que la fillette de douze ans s’en empare.

    Du haut de ses seize ans, Rica s’était liée d’amitié avec cette minuscule poétesse. Elle l’avait entendue pour la première fois lors de la fête de Beltaine⁹. Bléta, essuyant son nez qui gouttait, déclamait par cœur les chants du feu sacré sous le regard médusé des druides. Ce spectacle l’avait émue. Elle espérait que cette enfant la guiderait dans les lieux sacrés et lui permettrait d’être aimée des dieux. Bléta s’était réjouie de cette amitié, car ses talents occultes faisaient fuir ses rares camarades. Elle inspirait davantage la crainte que la confiance. Cependant, Rica ne connaissait pas ce genre d’émotion.

    Bléta inspira profondément lorsqu’elle constata que Rica poursuivrait son chemin, qu’elle la suive ou non.

    Il lui était toutefois impossible de ne pas lui emboîter le pas. Elle rêvait depuis toujours de voir un chêne-dieu, d’en enlacer le tronc et de chanter sous son feuillage pour en célébrer les charmes magiques. Elle trouvait contradictoire que Faloque ne l’ait jamais amenée à la rencontre de cet arbre. Elle, la seule enfant du village capable d’en chanter les mystères ! On pourrait croire que la druidesse ne voulait pas risquer de l’exposer à un danger. Ou à un malheur sans doute.

    Bléta s’était confiée à son amie à ce sujet, lui précisant de ne pas en glisser mot à Faloque.

    — Et pourquoi ? La crains-tu ? avait riposté Rica, bravache.

    — Non. Je la respecte. Je respecte aussi le chemin qu’elle m’indique.

    — Il ne semble pas te mener où tu voudrais aller, s’était moquée Rica.

    — Je ne sais pas où je vais. Encore moins le chemin m’y menant. Faloque me guide, avait répliqué la fillette.

    — Et moi, ton amie, je vais t’y mener.

    Rica se souvenait encore du regard ébahi de Bléta, dont les yeux bleu cendre s’étaient embués. Elle les avait cachés derrière sa chevelure en baissant la tête. Néanmoins, il avait fallu longtemps à son aînée pour la convaincre qu’elle ne transgresserait aucune règle. Rica avait fini par gagner sa confiance en lui faisant remarquer que, si elles ne disaient rien, personne ne saurait.

    Tout à coup, Rica s’arrêta et redressa les épaules.

    — Qu’y a-t-il ? murmura Bléta. Es-tu perdue ?

    Rica lui signifia de se taire. Son regard scrutait l’orée du bois. Elle avait appris à ne pas toujours répondre aux questions de sa protégée. Trop souvent perdue dans ses rêveries, il fallait parfois quelques secondes à Bléta pour reprendre conscience de ce qui se passait autour d’elle. Même cet arrêt soudain ne l’empêcha pas de babiller.

    — Arrivons-nous ?

    — Oui. C’est là-bas.

    Bléta suivit du regard la main de Rica qui pointait vers la gauche, là où le boisé se clairsemait. Déception. Il n’y avait pas de chêne-dieu.

    Elles n’avaient pas fait dix pas que des hommes se jetèrent sur elles en hurlant. Des diables.

    Ses bras et ses jambes étaient si tuméfiés qu’elle ne sentait plus les cordes qui lui tailladaient les poignets et les chevilles. Suspendu à une branche que deux hommes transportaient sur leurs épaules, son corps mou ballotait au-dessus du sol au gré des obstacles à franchir et des dénivellations. Rica ne voyait que d’un œil, une épaisse croûte de sang empêchant l’autre de s’ouvrir.

    Comment se faisait-il qu’elle soit là ? Ce qui s’était passé n’avait aucun sens. Depuis quand des hommes surprenant des jeunes filles seules dans un bois ne les violaient-ils pas ? Elle se souvenait les avoir vus s’emparer de Bléta. Ils l’avaient abrutie de quelques coups de poing et plaquée au sol. Terrifiée, elle n’avait pas réussi à crier.

    Rica regarda vers la droite. Elle ne vit pas Bléta.

    Tournant péniblement la tête pour regarder à gauche, elle ne la trouva pas davantage.

    Rica se souvint des coups sourds que faisaient les pieds et les poings de ces malfrats lorsqu’ils s’en étaient pris à elle. Elle en avait blessé quelques-uns en les griffant et en les mordant jusqu’au sang. Sa dague avait entaillé une épaule, une cuisse. Pourquoi l’avait-on épargnée ? Pourquoi deux de ces monstres avaient-ils repoussé leurs semblables afin qu’ils lâchent prise ? Pourquoi était-elle toujours intacte ?

    Refermant les yeux, elle entendit un tintement. Sourd, monocorde, régulier. Le son s’approchait. Elle perçut des gémissements étouffés, des reniflements, des plaintes étranglées. Elle regarda. Retenues par une corde les reliant par la taille, une dizaine de femmes avançaient péniblement, évitant de trébucher pour ne pas emporter leurs compagnes dans la chute. Déguenillées, sales comme des pourceaux, le corps couvert de contusions.

    Une larme s’échappa de l’œil de Rica. Bléta ne se trouvait pas dans ce groupe.

    Elle ne la reverrait jamais plus.

    Ses mâchoires se crispèrent.

    Elle tenta de laisser la rage monter dans son cœur. Rien n’y fit. Elle était trop lasse, trop estropiée pour que son âme ressente quoi que ce soit avec force. Elle avait l’impression de s’éveiller d’un mauvais rêve. Elle se crut au moment où l’on cherche à se rattacher à la réalité, espérant chasser l’effroi que fait naître en nous ce cauchemar. Ce dont elle se souvenait par bribes s’était-il vraiment produit ? Avait-elle réellement crié telle une possédée à la vue du corps de Bléta, lancé dans les ronces après que les hommes eurent assouvi leurs pulsions ? Pourquoi le chêne-dieu avait-il laissé faire cela ?

    Ses pensées s’effilochaient.

    L’homme qui marchait devant et portait la branche où elle pendait avait saigné. La manche de sa veste était maculée de sang. Elle se souvint avoir frappé de sa dague un des deux hommes qui l’avaient protégée. Quand il se retourna pour lancer un ordre, elle le reconnut. C’était bien lui.

    Il ne parlait pas la langue des Icènes.

    9. Beltaine signifie feu de Belen. Cette fête coïncidait avec la pleine lune de mai.

    LES ESCLAVES

    Il avait fallu plus d’une semaine pour arriver au village. Quatre de plus pour que Rica se remette de ses blessures et puisse marcher de nouveau. Toutefois, cela lui avait pris beaucoup moins de temps pour saisir la trame des événements.

    Elle balaya l’air d’un geste impatient, agacée par la fumée qui, à cause du temps lourd et humide, s’échappait avec peine par le trou aménagé dans le toit de la case. Elle voulait mieux voir le visage de cette femme.

    — D’où viens-tu ? Tu n’es pas Icène. Tu ne parles pas comme nous, mitrailla-t-elle.

    — Je viens d’un village près de Camulodunon.

    — C’est où, Camulodunon ?

    — Près du Grand Détroit.

    — À quoi ressemble ton village ? la questionna Rica, fascinée par cette femme à l’accent si différent du sien.

    — À un village comme les autres. Six maisons rondes, quelques têtes de bétail, des poules, des enfants braillant tout le temps, des hommes qui s’amusent à se battre entre eux quand ils ne sont pas à la pêche.

    — La pêche ? Beaucoup de pêche ?

    Ablée trouvait étrange l’intérêt qu’elle suscitait chez l’Icène. N’aimant pas les confidences, elle préférait garder ses distances et se contentait de survivre. Néanmoins, elle trouvait étonnant que cette jeune fille semblât tout ignorer du pays des Trinovantes. Avant d’être soumise par les Catuvellauni, sa tribu avait été la plus puissante, et tous, qu’ils soient au Septentrion, au Levant ou au Couchant, avaient connu leurs rois.

    — La rivière Colne passe devant mon village avant de se jeter dans le Grand Détroit. Et…

    — Vous donnez des noms aux cours d’eau ? l’interrompit Rica, médusée.

    — Nos druides lui ont donné le nom du dieu glissant dans ses flots. C’est Colne qui permet que nous soyons nourris de ses poissons. Ainsi, chaque fois que nous nommons la rivière, nous faisons une prière d’Action de grâces pour les bienfaits de Colne, expliqua Ablée.

    — Pourvu que la pêche soit bonne ! Il ne faudrait pas insulter le dieu si le poison se fait rare, se moqua la jeune Icène.

    — Cela n’arrive jamais. Les Trinovantes sont les meilleurs pêcheurs, fanfaronna Ablée.

    — Les Icènes, les meilleurs chasseurs, riposta Rica.

    Ablée sourit. Ses yeux verts se paraient alors de tout leur éclat et les taches sur sa peau blanche prenaient vie. Rica l’avait remarqué dès le premier sourire de cette femme, lorsqu’elles s’étaient retrouvées seules dans cette cabane. Pourquoi s’étaient-elles souri spontanément ? Peut-être étaient-elles tout bonnement heureuses d’être encore vivantes.

    Sans prévenir, Ablée se tendit tout entière et se saisit les côtes, comme si quelqu’un la frappait à coups de pied. Les yeux exorbités, elle suffoquait. Sans hésiter, Rica s’approcha d’elle, passa le bras autour de sa taille, lui mit une main sur le ventre, l’autre sous l’aisselle, et la souleva. À peine. Elle sentit la respiration revenir à la normale et les muscles se détendre.

    — Ferme les yeux. Pense au ciel, murmura Rica.

    Une larme coula sur la joue d’Ablée, accablée par la douleur.

    Au cœur du village, cela n’aurait pas été une journée normale si Caratoc et Togod ne s’étaient pas défiés. Cunobelin, leur père, avait deviné qu’ils se battraient. Leurs éternelles crâneries se terminaient toujours ainsi. D’ailleurs, tout le village s’était rassemblé dès que les deux jeunes avaient commencé leur cérémonial.

    Les femmes retenaient difficilement leur marmaille lorsque les hommes décidaient d’être idiots. Garnements et fillettes crottés se glissaient entre les jambes des guerriers qui formaient le premier rang, question de mieux voir. Les mères avaient beau crier pour rappeler leurs gamins, elles semblaient seules à entendre les menaces adressées aux marmots.

    Les jeunes filles du village réussissaient toujours à esquiver la surveillance parentale lorsque Caratoc et Togod décidaient de s’affronter. Les autres jeunes hommes n’attiraient pas autant de prétendantes quand ils jouaient les coqs, n’étant pas princes de sang. Et non seulement n’étaient-ils pas princes, mais aucun ne possédait le charme animal que dégageaient les deux frères.

    — Tu ne l’auras pas ! rugit Togod.

    — Je

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1