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Betzuba
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Livre électronique249 pages4 heures

Betzuba

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À propos de ce livre électronique

Élève prodige passionné d’Histoire, Fabien Fanchon obtient la permission de voyager au Danemark afin d’achever sa maîtrise. Sa destination : le village reculé de Frygtheim. Son but : y rédiger son mémoire, portant sur la période honteuse de notre patrimoine, intitulée les Chasses aux Sorcières. Éternel sceptique, Fabien part du principe que les sorcières n’ont jamais existé tel que les dépeint le folklore, mais plutôt qu’il s’est agi de mouvements socio-politiques et économiques, menés par l’Église. Toutefois, dès son arrivée, il est forcé de remettre en doute ses propres idées préconçues et s’ouvrir à des possibilités jusque-là non admises. Se pourrait-il que de noires créatures aient vraiment existé et qu’elles oeuvrent encore à ce jour ? Dans tous les cas, il est vraiment déconseillé de prononcer le nom de celle qui semble être la figure principale de toute cette horreur : Betzuba.
LangueFrançais
Date de sortie3 mai 2023
ISBN9782898312557
Betzuba
Auteur

Wiliam Roy Paquet

Le parcours de l’auteur, des plus sinueux, prend racine dans ses études en langues, en passant par une exploration musicale. Son cheminement lui a permis de rédiger ses premières ébauches de textes francophones et anglophones, destinés à des genres variés. Aujourd’hui, se réalisant pleinement dans son métier d’acupuncteur, une partie de lui cherche encore à s’exprimer à travers l’écriture par ce médium qui répond parfaitement à son impulsion profonde de communiquer. Il possède déjà à son actif deux autres romans des plus intéressants que vous aimerez certainement vous procurer, « Daimôn » ainsi que « Loka et Tala ».

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    Aperçu du livre

    Betzuba - Wiliam Roy Paquet

    Avertissement

    Je ne suis pas fou.

    De cela, j’en suis hautement convaincu ; tellement qu’une quelconque obligation de ma part de prouver ce fait indubitable ne prend pas pour moi l’aspect d’une nécessité, mais plutôt d’une vaine dilapidation de mes forces, ô combien faibles déjà. Pour cette raison, je ne voudrais pas qu’il y ait confusion quant au réel motif à la base de ma démarche présente, qui n’est en rien une tentative de ma part de convaincre qui que ce soit de la véracité de ce que je m’apprête à dévoiler. Les raisons de mon internement volontaire au sein de l’Institut psychiatrique de la Grande-Capitale, m’ayant catapulté en un état authentique de dépression nerveuse, étaient jusque-là, et demeurent encore, inconnues de mes intervenants. Le mutisme délibéré que je maintiens depuis mon admission entre ces murs ne découle pas de lésions cérébrales faisant suite à un grand choc nerveux, préparé par des années de surmenage intellectuel de ma part, comme le soutient le docteur Godefroy Godbout, mon psychiatre attitré. La vérité est, malheureusement, tout autre.

    Si je me refuse intentionnellement tout commentaire sur ma propre histoire, toute expression vocale, c’est surtout parce que je redoute les conséquences potentielles, que je connais maintenant trop bien, de ce laisser-aller, en apparence inoffensif. Mais voilà que depuis près d’un an déjà, le docteur Godbout me visite presque quotidiennement et tente, malgré ses piètres efforts de dissimulation, de percer le mystère de mon cas. Voyant que les résultats de son acharnement à vouloir me faire parler se résument en la réception inéluctable de mon silence, cet homme a maintenant décidé d’explorer une autre avenue et a modifié son orientation thérapeutique. Hier, il m’a approché en me rassurant d’abord sur le fait qu’il comprenait qu’un événement majeur pouvait être trop douloureux pour être discuté, mais qu’en connaissant précisément la cause de mon déséquilibre, les professionnels de l’Institut pourraient, et devraient, être beaucoup plus en mesure de m’aider. Pour autant que faire se peut, il me propose désormais d’explorer le chemin de l’écriture comme voie cathartique, celle-ci ayant une capacité démontrée de mener à la fois vers une récupération, mais aussi vers une réhabilitation éventuelle.

    Loin d’être au courant qu’une des raisons de mon propre internement est qu’entre ces murs de béton, je trouve une fausse impression de sécurité, et donc que je ne souhaite en aucun cas une réhabilitation, le docteur Godbout s’est tout de même réjoui de constater que j’accepte finalement de jouer le jeu. Bien heureux les ignorants, me suis-je dit au moment où ce dernier quitta ma chambre, visiblement satisfait de la réussite de ses efforts continus, car en acceptant de partager mon récit, je risque de condamner tous ceux qu’une curiosité trop importante fera se pencher sur ces lignes. Néanmoins, j’ai quand même espoir que la substitution d’une communication orale par la forme écrite atténuera les effets négatifs que je crains tant en rapport avec la terrible vérité que je garde à l’abri, bien calfeutrée à l’intérieur de mon esprit déjà brisé.

    C’est pourquoi, avant d’aller plus loin avec cette rédaction, je vous conjure de prendre au sérieux l’avertissement qui suit, que je ne saurais mettre plus en surbrillance.

    NE PRONONCEZ NI LE TEXTE, NI SON NOM, NI ENCORE LA FORMULE À VOIX HAUTE

    Peut-être de telles précautions vous sembleront absurdes et issues d’un esprit ignare et beaucoup trop crédule, dans lequel cas je vous comprendrais. Il n’y a pas très longtemps de cela, j’étais cette personne, ce qui ne m’a pourtant pas empêché de devenir son exact opposé en l’espace de quelques semaines seulement. J’aimerais donc conclure, avant de commencer la chose, en disant que vous aurez été prévenu. Je suis condamné ; cela, je le sais. Toutefois, tous ne sont pas dans l’obligation de suivre le même chemin, qui ne résulte que dans la désillusion la plus totale et la perdition de l’âme ; cette chose à laquelle je ne croyais même pas avant de faire le constat terrible qu’elle ne m’appartenait désormais plus. Enfin, de l’authenticité de mes mots, seul le temps saura juger.

    Voici donc l’abominable exposé de mon dépérissement.

    Chapitre Un

    Frygtheim et le loup

    Mon nom est Fabien Fanchon ; j’ai 25 ans.

    Un an auparavant, j’étais comme la plupart d’entre vous. Passionné d’histoire depuis ma tendre enfance, j’entretenais un intérêt pour ce domaine, jusqu’au jour où je fus à la croisée des chemins quant au choix de mon parcours universitaire. À partir de là, mon intérêt se transforma en véritable amour. Vous ne serez donc pas surpris de savoir qu’aucune hésitation ne s’éprit de moi lorsque j’orientai mon avenir vers le baccalauréat en histoire, raffinant ensuite mon expertise dans une maîtrise au sein du même champ d’études, afin d’éventuellement m’attaquer au doctorat. Je m’y sentais là comme un poisson dans l’eau et n’avait de cesse de renouveler l’ardeur avec laquelle je me plongeais dans mes recherches. Vingt-quatre heures n’étaient pas suffisantes pour répondre à mon envie incessante de tout vouloir explorer, et puisque j’étais, et que je suis toujours, quelqu’un de timide, je n’avais pas de compagne de vie avec laquelle j’aurais été dans l’obligation de partager mon temps précieux. Des amis, je n’en avais que très peu et d’aucuns étaient plus sociables que je ne l’étais, ce qui donnait à nos rencontres un caractère très rarissime.

    J’étais donc absolument investi dans mes études, par lesquelles j’avais sincèrement l’impression de me réaliser. En toute humilité, et bien que mes enseignants n’avaient pas réellement le droit de montrer une forme de favoritisme à mon égard, plusieurs d’entre eux eurent l’audace de partager avec moi qu’ils me surnommaient l’élève prodige lors des réunions du corps professoral. Celui-ci était fasciné par l’ampleur de mes recherches, leurs natures ainsi que les liens que j’établissais entre le passé et le présent, que j’arrivais à mettre merveilleusement bien en relation. C’était l’un des buts de la maîtrise, certes, mais, toujours selon eux, trop peu réussissaient à le faire avec autant d’élégance et de raffinement. Je me gardai bien de leur partager que tout ceci n’était pour moi qu’un jeu d’enfant, car je n’avais pas envie d’étaler mon égo à leurs yeux, mais aussi parce que je me complaisais sous tous ces éloges.

    Ce fut probablement en raison de cette inégalité en ma faveur que ma demande de voyage à l’étranger dans le but d’y fignoler mon projet de mémoire fut acceptée avec si peu d’objection. Ma destination d’intérêt, le Danemark, qui n’était pas une nation qu’il m’avait été donné de visiter jusqu’à ce jour. Malgré la froideur pour laquelle le pays était réputé, je me réjouissais toutefois d’y séjourner lors des trois dernières semaines d’avril, alors que le printemps s’était indéniablement immiscé jusqu’en ces terres. La raison qui m’amenait à traverser l’océan Atlantique était directement en lien avec mon projet de recherche, qui prenait racine dans une assomption foncièrement erronée de ma part. Laissez-moi d’abord vous expliquer quel était mon point de vue, avant que mon histoire ne vienne faire office de faille au sein de vos propres certitudes.

    Toute ma vie durant, je me suis émerveillé devant la bêtise humaine. Pour moi, rien ne représentait mieux la chose que l’infâme et sombre période de notre histoire qui a été marquée par les chasses aux sorcières. Je ne pouvais pas me mettre en tête que la raison eut pu être à ce point bafouée, pour que seules la peur et les fantasmagories ne prévalent. Pour être catégoriquement clair, en aucun cas je ne croyais que les sorcières, telles que les présentaient leurs persécuteurs, avaient un jour existé. Ces tableaux caricaturaux que nous dépeignaient les livres et les manuscrits, tels que le Formicarius ou le Malleus Maleficarum, pour ne nommer que ceux-ci, cachaient d’autres desseins, dont la populace effrayée et analphabète était majoritairement ignorante. En réalité, même le mot sorcellerie, qui est une extension du mot sorcier, n’était à la base qu’un terme politique, qui n’apparut à l’écrit que vers la fin du VIe siècle.

    Ici, il s’agissait surtout d’une déformation du mot sourcier, ce dernier faisant référence à celui qui détectait la source d’eau et qui sous-entendait que la personne détenait le pouvoir d’agir à distance. Il faut dire que lors de leur introduction politique, l’utilisation de mots tels que sorcier ou sorcellerie venait avec une connotation extrêmement péjorative, car cela ciblait les gens qui pratiquaient ce que l’on nommait « les vieilles coutumes ». L’Église tentait d’éradiquer les anciennes croyances païennes, profondément enracinées dans l’esprit des gens, afin que seule sa Doctrine christique demeure. Personne ne sera donc surpris de savoir que ces persécutions avaient principalement pour cibles les herboristes, les druides, les guérisseurs, les devins, les sage-femmes ainsi que tous ceux et celles qui détenaient un savoir ancestral, transmis oralement, de génération en génération.

    Il est important de savoir que les offensives envers ceux que l’on appelait sorciers et sorcières ne dataient pas de la veille et qu’elles remontaient loin dans nos annales. Contrairement à ce que l’on pourrait en penser, jusqu’à un certain point tournant de notre Histoire, les hommes étaient plus souvent qu’autrement ceux que l’on accusait et que l’on éliminait. Toutefois, la véritable contagion de peur irraisonnée, qui a marqué la période que l’on appelle celle des chasses aux sorcières, s’est étendue à peu près entre le début du XVe et le milieu du XVIIe siècle, mais surtout entre 1580 et 1630. Pour bien comprendre le phénomène, il est primordial de se remettre dans le contexte et de voir le monde à travers les yeux de ceux qui vivaient au cours de cette époque moyenâgeuse. Culturellement, il était admis que la nature était peuplée d’esprits et de forces surnaturelles. Il était donc possible pour quelqu’un, grâce à différents moyens, de soumettre ces forces à sa guise, afin de les utiliser temporairement dans un but bon ou mauvais. D’ailleurs, cette croyance a mené plusieurs personnes à la mort, celles-ci ayant été désignées comme coupables sous motif qu’une intempérie était survenue, ou encore qu’un bétail soit tombé malade. Aucune preuve n’était nécessaire pour la condamnation.

    Il est aussi essentiel de prendre en compte le contexte économique de ce segment historique. Les chasses aux sorcières ont coïncidé avec ce que l’on appelle le « mouvement des enclosures », qui a eu comme résultat une perte drastique d’autonomie pour les paysans, notamment en raison de la suppression des communaux. De plus, de toutes les personnes souffrant de ces nouvelles mesures, les femmes étaient indéniablement les plus touchées, car elles étaient les plus dépendantes de ces biens communs. Plusieurs historiens ont vu dans ces persécutions une forte application de l’Église à supprimer l’opposition féminine, qui élevait la voix contre ces régimes féodaux étouffants.

    Néanmoins, le véritable tournant dans l’association des femmes avec le phénomène des sorcières découle de la publication de plusieurs manuscrits ainsi que de certaines bulles pontificales. Dans des textes comme Le Champion des Dames ou, encore une fois, le Malleus Maleficarum, les femmes furent présentées comme des êtres à l’esprit et à la foi inférieurs, aisément tentées par le Diable et ses œuvres. Même le pape Innocent VIII participa à cette propagation des chasses genrées, même si l’Église s’occupait surtout des cas d’hérésie et croyait que tout cela ne s’agissait que de superstitions païennes, car, selon elle, d’aucuns étaient en mesure de commander les démons. À partir de ce moment, les tortures et les exécutions à l’endroit de la femme grandirent en nombre, et cela jusqu’à la fin de cette parenthèse honteuse de notre patrimoine commun.

    Revenons maintenant à ce qui m’amenait à voyager à l’étranger, empli de la motivation à terminer mon entreprise scolaire. Il était dit que les condamnations aux bûchers diminuaient à mesure que l’on se rapprochait de Rome, c’est-à-dire qu’elles étaient surtout rares en Italie et en Espagne. Ces horreurs étaient majoritairement observables dans des pays plus éloignés du Vatican, notamment la France, l’Angleterre, l’Allemagne et le Danemark, et encore plus au sein des régions pauvres et rurales. Mon parcours s’orientait donc vers ce dernier pays, afin d’y faire ressortir la peur irrationnelle d’un danger imaginaire – ici, les sorcières – et d’établir un parallèle avec le thème de la crainte de l’inconnu, sujet qui était encore d’actualité de nos jours. Pour ce faire, j’avais choisi un coin fortement reculé du pays, là où les vieilles croyances et les mentalités faisaient toujours office de dogme. J’avais comme intention de passer les quelques semaines que durerait mon séjour à m’y entretenir avec les gens du village afin d’entendre leurs propres récits au sujet de la sorcellerie. J’avais entendu dire que cette dernière y était encore perçue de la même façon erronée et déformée que quelques siècles auparavant, lorsque la suspicion seule pouvait faire office de preuve à une condamnation.

    Situé sur la plus grande des îles du nord-ouest, tout près de l’Älborg Bugt, le petit village auquel je m’intéressais était à peine qualifié d’autonome avec ses quelques commerces et autres boutiques. Ceux-ci se dressaient apparemment comme des châteaux lorsqu’on les comparait avec la petitesse des autres édifices peuplant l’endroit. À partir du lieu de mon arrivée, l’aéroport de Copenhague, ma destination finale nécessitait plus de quatre heures de transport en voiture sur les routes principales, puis près d’une heure trente additionnelle, pour négocier les chemins primitifs qui menaient jusqu’à l’aboutissement de ma quête. Je m’étais préparé à être accueilli au sein du village avec le soupçon de méfiance que l’on réservait aux étrangers, ceux-ci incarnant la notion même de l’inconnu, mais je fus surpris de me heurter à la chose dès l’instant de mon atterrissage. L’homme chargé d’approuver mon séjour au Danemark semblait éprouver de la difficulté à associer mon visage avec celui sur la photographie de mon passeport. Ses yeux pleins de doutes alternaient les allées et venues entre mon carnet et ma propre personne.

    Pourtant, l’image sur laquelle ses paupières se plissaient me représentait tel que j’étais, avec ma maigreur prononcée, mes cheveux noirs ébouriffés, mon teint pâle et mes yeux bleus. À moins que ce ne fussent les informations dans le carnet qui lui posaient un problème, dans lequel cas je ne comprenais pas plus la raison d’un tel agissement, car j’avais le même âge et mesurais encore les mêmes 5 pieds 11 pouces. Au bout d’un moment, alors que j’étais en train de contempler l’idée d’un refus potentiel, le douanier estampa avec nonchalance mon passeport et me le remit dans les mains, sans m’adresser le moindre regard ni la moindre parole. Je me mis en marche, quelque peu choqué par cet accueil plus que décevant, mais décidai de ne pas teinter mon séjour de cette impression ponctuelle ; l’homme devait probablement avoir eu une mauvaise journée.

    Je trouvai mon chemin vers la sortie et hélai un des nombreux taxis disponibles. En bon anglais, j’expliquai au chauffeur que je souhaitais me rendre à une succursale précise de location d’automobiles. L’homme me fit comprendre qu’il savait exactement de quel endroit il s’agissait et se mit immédiatement en route. Ce personnage était l’antipode du douanier que je venais de croiser, en ce sens que nous échangeâmes en continu, tout le long des vingt minutes que dura le trajet. Ainsi, Lars, de son prénom, me souhaita la bienvenue au Danemark et parut se réjouir d’entendre qu’il s’agissait d’une première visite de ma part, d’autant plus que j’y séjournais dans le but d’y faire des recherches historiques. Entre vous et moi, je n’étais pas allé jusqu’à lui dévoiler la nature de ces dernières. Lars m’annonça qu’il avait eu cinq enfants, aujourd’hui tous en âge de maturité, mais qu’aucun d’eux n’était resté en leur terre natale, préférant l’attrait de l’Occident à la richesse du patrimoine danois.

    —Pourtant, si l’on y regarde d’assez près, les vestiges d’hier nous sembleront encore vivants aujourd’hui, me dit-il avec un sourire. Vous devez bien savoir de quoi je parle, vous, M. Fanchon l’historien.

    Il prononça mon nom de famille avec un accent grotesque, ce qui eut l’effet de désamorcer le semblant de malaise qui s’était élevé en moi, alors que mon inconscient recevait cette dernière déclaration avec je-ne-savais quelle appréhension. Nous parvînmes à l’endroit prévu et je fis mes adieux à l’homme moustachu qui m’y avait conduit.

    Tous les détails ayant trait à la location d’une voiture avaient préalablement été adressés à l’avance via un site internet formidable, depuis le confort de ma maison, ce qui me permit de régler le tout en quelques minutes seulement. Je quittai l’établissement, clés en main, et me dirigeai vers le véhicule qui m’avait été désigné pour les trois prochaines semaines. Nous étions le 11 avril ; de cela, je m’en souviendrai toujours. Je ne le savais pas encore, mais il s’agissait de ma dernière journée d’innocence en ce monde.

    Je pris place sur le siège et constatai que les dimensions modestes de l’habitacle permettaient néanmoins un confort acceptable. La voiture était munie d’un système de navigation intégré, ce qui voulait dire qu’il m’était impossible de m’égarer. J’entrai les coordonnées de ma destination et fis ressortir l’itinéraire entre elle et ma localisation actuelle. Le temps indiqué correspondait à ce qui fut mentionné un peu plus haut, et je m’attelai à la tâche de m’y rendre, car l’après-midi venait déjà de commencer et j’avais l’espoir d’atteindre mon but avant que le soleil ne se couche. Je n’aime pas le noir.

    De mon parcours, peu de choses marquantes peuvent être dites, mis à part l’enchaînement de panoramas à couper le souffle, tantôt montagnards, tantôt maritimes, desquels je me régalai comme je le pus, en même temps que je gardais un œil vigilant sur la route. La période printanière qui régnait m’alloua le plaisir d’entrouvrir les fenêtres afin de pouvoir humer à plein nez l’odeur saline qui provenait de la mer environnante. L’eau était l’élément que je chérissais le plus dans mon cœur, et ce, d’aussi loin que je pouvais me souvenir. Ma mère maintenait que c’était en raison du fait que j’étais né coiffé, ce qui voulait dire que j’avais vu le jour entouré de la totalité de ma poche de liquide amniotique, en plus du fait qu’elle avait accouché de moi directement dans l’eau du bain. Il y avait là, selon ses dires, une double justification de ma préférence aquatique.

    À partir d’un certain moment, je commençai à m’éloigner des grandes voies de circulation et cheminai au travers de décors absolument sublimes à la vue, ceux-ci combinant à la fois une multitude d’élévations rocheuses et de grandes étendues, dont la tendance au vert commençait déjà à se faire voir, malgré la présence encore discernable de neige en certains points. Plusieurs heures s’étaient écoulées depuis mon départ de Copenhague, et je voyais au système de localisation que je m’approchais toujours plus de mon point d’intérêt. À l’extérieur, je le remarquai surtout à travers ce drôle de sentiment qui s’emparait de moi et qui me donnait l’impression de quitter la civilisation pour m’enfoncer vers un passé lointain, miraculeusement ressuscité. La rareté avec laquelle je croisai d’autres automobilistes paraissait s’accentuer, tout comme diminuait le nombre de bateaux observables sur la ligne d’horizon.

    Le soleil atteignait la fin de sa course, alors que la mienne n’avait de cesse de s’allonger. Malgré les somptueux mélanges de couleurs que ces ultimes rayons lumineux projetaient dans le ciel, je n’étais plus disposé à apprécier la beauté de la nature. Cela faisait déjà plus de trente minutes que j’avais outrepassé le temps précédemment estimé à l’atteinte de mon but, cependant que ce dernier ne s’était pas encore dévoilé à mes yeux. Les voies de circulation s’étaient graduellement transformées en chemins étroits, dont la négligence apparente obligeait un ralentissement de ma vitesse de croisière pour que je n’abîme pas mon véhicule de location ; mes finances personnelles ne me permettraient pas un tel imprévu. Les derniers instants du crépuscule faisaient flamboyer les ultimes pigmentations du jour, alors que mon environnement, entièrement constitué de vastes champs à l’abandon était déjà plongé dans la pénombre. Je ne pouvais me rappeler à quand remontait la dernière fois que j’avais pu apercevoir une quelconque trace de vie humaine, mais cela faisait déjà longtemps que j’avais compris que mon système de localisation m’avait fait défaut. L’itinéraire s’était arrêté alors que je me trouvais au beau milieu de nulle part, à mi-chemin entre l’angoisse et le désespoir.

    À peine l’astre solaire avait-il franchi la ligne d’horizon, derrière le miroir calme de la mer, que déjà la lune le remplaçait sur son trône céleste. Elle entamait sa phase de croissance, ce qui ne laissait qu’une infime partie de sa rondeur visible. Cela était bien loin d’illuminer mon passage, et malgré le fait que mes phares lumineux étaient passés en mode nocturne, je ne me sentais pas le courage de faire face à cette nouvelle réalité.

    L’agitation qui s’emparait

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