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De la glace en feu
De la glace en feu
De la glace en feu
Livre électronique563 pages7 heures

De la glace en feu

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À propos de ce livre électronique

Snow like Ashes est une histoire palpitante peuplée de personnages inoubliables se déroulant dans un monde fantastique stupéfiant. J’ai tourné les pages à grande vitesse et j’en veux encore ! Morgan Rhodes, auteure du best-seller du New York Times Falling Kingdoms.

L’intrigue et l’écriture sont exceptionnelles. Je le recommande chaleureusement. Une aventure romantique fort plaisante.

— Publishers Weekly.
LangueFrançais
Date de sortie5 janv. 2017
ISBN9782897673925
De la glace en feu
Auteur

Sara Raasch

Sara Raasch has known she was destined for bookish things since the age of five, when her friends had a lemonade stand and she tagged along to sell her hand-drawn picture books too. Not much has changed since then: her friends still cock concerned eyebrows when she attempts to draw things, and her enthusiasm for the written word still drives her to extreme measures. She is the New York Times bestselling author of the Snow Like Ashes series, These Rebel Waves, and These Divided Shores. You can visit her online at www.sararaaschbooks.com and @seesarawrite on Twitter.

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    Aperçu du livre

    De la glace en feu - Sara Raasch

    1

    Meira

    Cinq ennemis.

    Cinq casques cabossés sont posés de travers sur cinq plastrons tout aussi cabossés ; cinq soleils noirs, rayés, mais tout de même reconnaissables, brillent sur le métal argenté. Plus de soldats que je n’aurais jamais pu en affronter seule, mais me voilà debout au centre de leur ring, les bottes plantées dans la neige. Je regarde celui qui est le plus près de moi en arquant un sourcil alors que le calme qui précède le combat fond sur moi.

    Mon chakram est déjà dans ma main, mais une partie de moi ne veut pas le libérer tout de suite alors que je me délecte de la sensation de sa douce poignée contre ma paume. Dendera a cru qu’elle était si astucieuse de le cacher à cet endroit —, mais vraiment, il était presque trop facile de le donner aux soldats de Cordell. À quel autre endroit à part la tente des armes serais-je bien allée pour en trouver une ?

    — Fais-le ! dit une voix aiguë.

    — Silence, elle va t’entendre !

    Un déluge de « chut » se fait ensuite entendre alors que je retourne vivement la tête en direction de la rangée de rochers à l’extérieur de mon ring de faux ennemis. Plusieurs petites têtes plongent derrière le plus gros rocher.

    — Elle nous a vus !

    — Tu marches sur mon pied !

    — Tais-toi !

    Un sourire s’esquisse sur mes lèvres. Je me retourne de nouveau vers le soldat le plus près de moi, et le tas de neige qui remplit le casque cabossé et le plastron s’affaisse quelque peu, poussé de guingois par le même coup de vent glacial qui frappe ma jupe. L’illusion vacille.

    Je ne porte pas de vêtements de combat — je suis plutôt vêtue d’une robe à plis sans manches couleur ivoire et mes cheveux sont tressés d’une manière complexe. Mes « ennemis » sont des tas de neige que j’ai rapidement assemblés avec mes pieds et habillés avec les armures abandonnées de soldats de Printemps qui recouvrent mon royaume comme autant de détritus. Mon auditoire n’est pas une armée, mais un groupe d’enfants curieux d’Hiver qui m’ont suivie hors de la cité. Mon chakram est toutefois bel et bien réel, et la manière avec laquelle mon corps réagit face à lui rend tout ceci presque crédible.

    Je suis une soldate. Les hommes d’Angra m’entourent. Et je vais tous les tuer.

    Mes genoux se plient, mes hanches pivotent, mes épaules tournent et mes muscles se tendent. Inspirer, expirer, tourner, relâcher — les mouvements sont dirigés par ma mémoire, aussi incrustés dans mon corps que le simple fait de marcher en dépit du fait que trois mois se soient écoulés depuis la dernière fois où j’ai lancé mon chakram.

    La lame se libère de ma paume dans un sifflement qui perce l’air froid. Il tournoie vers l’ennemi le plus près, le frappe, puis rebondit sur un rocher avant de frapper le prochain soldat et de revenir dans ma main en fredonnant.

    Chaque nerf tendu de mon corps se détend, puis j’expire longuement, profondément, d’une manière si pure. Par la neige des sommets, que cela est bon !

    Je laisse mon chakram voler encore et encore, réglant le cas des soldats restant. Des acclamations se font entendre derrière moi, de petites voix éclatant de rire alors que des flocons de neige viennent se poser sur les corps vaincus de mes victimes. Je demeure dans la position où j’étais lorsque j’ai récupéré mon chakram, les hanches inclinées et le chakram fermement tenu dans ma main, mais l’illusion est complètement brisée, maintenant — de la meilleure manière possible.

    Un sourire fait remonter les coins de mes lèvres. Je ne peux pas me souvenir de la dernière fois où quelqu’un a pu rire à Hiver. Les trois derniers mois auraient dû être remplis d’une telle joie, mais les seuls sons que j’ai pu entendre ont été les martèlements sourds de la construction, des plans murmurés à propos des récoltes et des mines et des applaudissements polis à des événements publics.

    — Puis-je le lancer ? demande une des filles, et sa requête encourage les autres à demander la même chose.

    — Il serait préférable de commencer par quelque chose de moins coupant, dis-je en me penchant pour ramasser de la neige et en faire une boule assez molle que je laisse glisser hors de ma main. Et de moins mortel.

    La première fille qui m’a demandé si elle pouvait lancer mon chakram a compris avant tous les autres. Elle se laisse tomber sur ses genoux, forme une boule de neige avec ses mains et la lance vers le garçon derrière elle.

    — Je t’ai eu ! dit-elle en couinant avant de détaler sur les terres, à la recherche d’un endroit où se cacher.

    Le reste de la bande passe en mode frénétique, et ils se mettent tous à former des projectiles de neige et à se les lancer les uns aux autres en courant dans les champs.

    — Tu es mort ! Je t’ai touché ! crie un petit garçon.

    Mon sourire s’estompe.

    « Nous n’avons plus à combattre, maintenant. Ils n’auront jamais à lancer autre chose que des boules de neige », me dis-je.

    — Tout cela n’est-il pas un peu… morbide ?

    Je me retourne en vitesse, et mes doigts se serrent autour de mon chakram. Je n’ai toutefois pas le temps de soulever la lame avant que mes yeux se posent sur la personne qui fait son entrée dans la petite clairière créée près des contreforts des montagnes Klaryn d’un côté et des champs ondoyants de neige de l’autre.

    Theron incline la tête, et certains des cheveux qui se trouvaient derrière ses oreilles se libèrent pour venir former un rideau châtain devant son visage. Une question demeure suspendue dans son regard et les lignes autour de ses yeux indiquent qu’il est préoccupé.

    — Morbide ? dis-je en parvenant à esquisser un demi-­sourire. Ou cathartique ?

    — La plupart des choses cathartiques sont morbides, ­corrige-t-il. La guérison à travers la mélancolie.

    Je roule des yeux.

    — Je peux me fier à vous pour que vous trouviez quelque chose de poétique à dire à propos du fait de trancher les têtes de bonshommes de neige.

    Il éclate de rire et l’air devient un peu plus froid, une fraîcheur délicieuse qui pétille contre mon cœur. Son apparence colorée semble éblouissante lorsque posée contre le décor perpétuellement ivoire d’Hiver — les muscles allongés de son corps sont moulés dans l’uniforme vert chasseur et or de Cordell, le tissu étant plus épais à présent pour tenir compte du froid qui règne à Hiver et du fait que son sang cordéllien ne le protège pas du climat de mon royaume.

    Theron fait un signe de tête vers la direction d’où il est venu, soit vers la cité de Gaos. Si les montagnes Klaryn étaient ­plutôt un océan, Gaos serait le plus grand port d’Hiver — la plus grande cité offrant un accès au plus grand nombre de mines.

    C’est un endroit où j’ai passé bien trop de temps au cours des trois derniers mois.

    — Nous sommes prêts à ouvrir la mine Tadil, dit-il en bougeant légèrement comme s’il avait eu un frisson de froid, mais cela aurait aussi pu être un frisson d’impatience.

    — Nous venons tout juste d’ouvrir une mine hier. Et deux autres la semaine dernière, dis-je en ripostant.

    Je déteste la manière dont ma voix se déforme. Theron ne devrait pas être le récipiendaire de ma colère.

    Sa mâchoire se serre.

    — Je sais.

    — Votre père viendra à Jannuari pour la cérémonie qui aura lieu à la fin de la semaine, n’est-ce pas ?

    Il décode l’intention derrière ma question.

    — Les membres de la famille royale d’Automne seront ici, eux aussi. Vous ne devriez pas affronter mon père en leur présence.

    — Cordell est aussi impliqué avec Automne qu’il l’est avec Hiver. Leur roi veut probablement écarter Noam autant que moi.

    Theron grimace, et je me rends compte un peu trop tard à quel point mes paroles ont été dures. Noam est encore le père de Theron et son roi, et peu importe comment ma poitrine se serre lorsque Noam donne un nouvel ordre… nous avons besoin de Cordell. Sans l’aide de Noam, nous n’aurons pas d’armée — les corps des Hiverniens viennent de passer d’un état décharné à un état en santé, et ils commencent tout juste à pouvoir être en mesure de se remettre à l’entraînement. Sans l’aide de Cordell, nous n’aurons pas de fournitures. Hiver n’a pas encore rétabli de liens commerciaux, et les céréales que nous pouvons faire pousser dans notre royaume gelé — grâce à ma magie — viennent d’être semées et ne pourrons être récoltées avant encore plusieurs mois, même en dépit de l’aide supplémentaire que peut offrir le conduit d’Hiver.

    Je n’ai donc pas d’autres choix que d’obéir aux demandes de Noam. Nous avons une telle dette envers lui que parfois, j’ai peine à croire que je ne porte pas encore les couleurs de Cordell moi aussi.

    — D’accord, dis-je en cédant. Je vais ouvrir cette mine. Je vais offrir à Noam et à Automne le paiement auquel ils ont droit pour le rôle qu’ils ont joué dans le sauvetage d’Hiver, mais dès que la cérémonie sera terminée…

    Qu’est-ce que j’ai l’intention de faire au juste après la cérémonie ? Parce que c’est tout ce que c’est, une cérémonie — une jolie performance pour remercier Automne et Cordell pour leur aide ayant permis de libérer Hiver de Printemps. Nous les paierons avec les biens que nous aurons extraits des mines, mais ce ne sera même pas une fraction de ce que nous leur devons. Nous serons dans la même situation après la cérémonie que celle dans laquelle nous nous trouvons actuellement : à la merci de Cordell.

    C’est pourquoi j’ai passé une si grande partie des trois derniers mois à convaincre Dendera que les reines peuvent porter des armes. C’est pourquoi j’ai trouvé mon chakram et que j’ai pensé mettre en scène ce moment de normalité — parce que même si nous avons récupéré Hiver, je me sens exactement comme lorsque je me sentais au moment où Printemps possédait notre royaume. Esclave et à la merci d’un autre royaume. La menace n’est toutefois pas aussi immédiate, ce qui est la seule raison pour laquelle j’ai toléré Noam aussi longtemps que j’ai pu le faire. Mon peuple ne voit pas la présence de Cordell comme étant oppressante — ils voient de l’aide.

    Theron tend la main vers moi, mais je tiens encore mon chakram. Il se contente donc de prendre une de mes mains dans la sienne, m’extirpant de mes inquiétudes. Il n’est pas seulement un délégué de Cordell ; il n’est pas que le fils de son père. C’est aussi un garçon qui me regarde avec du désir dans les yeux, le même regard qu’il m’a adressé dans les couloirs sombres du palais d’Angra avant qu’il ne m’embrasse — un regard qu’il m’a donné une dizaine de fois au cours des trois derniers mois.

    Je retiens mon souffle. Il ne m’embrasse toutefois pas maintenant et je ne peux me décider à savoir si je voudrais qu’il le fasse — et si je le voulais, est-ce que ce serait parce que je veux du réconfort, une distraction, ou bien lui.

    — Je suis désolé, dit-il doucement. Nous devons toutefois continuer d’essayer — et ce travail est bon pour Hiver. En fait, votre royaume bénéficiera aussi de ces ressources. Je déteste qu’il ait raison, mais nous avons besoin…

    — Noam n’a pas besoin d’Hiver, dis-je en lui coupant la parole. Il veut Hiver — il veut avoir accès au gouffre de la magie. Pourquoi dites-vous qu’il a raison ?

    J’hésite.

    — Vous êtes d’accord avec lui ?

    Theron s’approche un peu plus de moi, et un nuage de lavande du savon parfumé qu’il utilise se dégage de son corps. Il déplace ses mains sur mes bras, les manches de son veston se relevant, révélant ses poignets et ses cicatrices roses irrégulières. La culpabilité laisse un goût piquant plutôt horrible dans ma bouche.

    Il a obtenu ces cicatrices en tentant de me sauver.

    Theron suit mon regard jusqu’à ses poignets exposés. Il relâche mes bras et abaisse ses manches.

    Je déglutis. Je devrais dire quelque chose à propos de ça : ses cicatrices, sa réaction. Il change toutefois le sujet de la conversation avant que je…

    — Je ne pense pas qu’il ait entièrement raison, balbutie Theron en ramenant la conversation sur ses rails, mais je ne peux faire autrement que de remarquer la manière selon laquelle il laisse sa main sur sa manche, appuyant le tissu contre son ­poignet. Pas en ce qui concerne la manière avec laquelle il ­procède, du moins. Hiver a besoin de soutien, et Cordell peut l’offrir. Et si nous trouvons le gouffre de la magie, nous serons tous dans une meilleure position.

    Son regard demeure fixé sur le mien, me suppliant silencieusement de continuer comme si tout était normal.

    Je me radoucis. Pour le moment.

    — Et comment Noam devrait-il être récompensé de son aide ?

    Je connais toutefois la réponse dès le moment où je pose la question et mon corps ressent une vague de désir déferler en lui qui me fait m’avancer vers lui.

    Theron se penche vers l’avant.

    — Je veux que mon père rétablisse nos fiançailles.

    Ses mots ne sont pas plus lourds que les flocons de neige qui tombent autour de nous.

    — Si nos royaumes étaient unis, l’un ne dominerait pas l’autre, et l’autre n’aurait pas de dette envers l’un — nous serions unis, puissants.

    Il fait une pause, puis il libère un nuage de condensation.

    — Protégée.

    Des frissons glacés traversent mon corps, incompatibles avec les parties de moi qui savent que Theron et moi ne sommes pas destinés à être ce que nous avons déjà été censés être. Noam a dissous notre mariage parce qu’il considérait que la dette ­qu’Hiver avait envers Cordell était un lien suffisant entre nos deux royaumes — et peut-être un peu parce qu’il se sentait trahi par Monsieur d’avoir arrangé un mariage entre son fils, l’héritier d’un royaume Rythme, avec une fille qui aurait dû n’être qu’un pion hivernien, et non une reine en bonne et due forme.

    Noam veut nos mines ; il veut obtenir un accès au gouffre perdu de la magie. Il sait qu’il les aura, grâce à notre dépendance envers lui. De cette manière, il peut traiter Hiver comme cette modeste chose que nous sommes — et non un royaume égal au sien sur le plan politique. Et honnêtement, je suis quelque peu soulagée de ne pas avoir à m’inquiéter à propos de me marier maintenant.

    Theron a toutefois mentionné clairement à plusieurs reprises qu’il n’était pas heureux de la décision de Noam.

    Comme s’il voulait confirmer mes pensées, le voilà qui se tourne et se penche vers moi.

    — Je vais toujours me battre pour vous. Je veillerai toujours à ce que vous soyez en sécurité, ajoute-t-il.

    Cette manière qu’il a de me dire ça est à la fois une ­promesse, une déclaration et une demande. Les mots alimentent des secousses qui le font trembler jusqu’à ses poignets, soulignant les peurs qu’il n’ose pas prononcer à haute voix.

    « Protégée. Veiller sur votre sécurité. »

    Il a aussi peur de nos passés. Il craint que ce qui s’est passé se déroule de nouveau, que les cauchemars se répètent.

    — Vous n’avez pas à veiller sur ma sécurité, lui dis-je dans un murmure.

    — Mais je le peux. Je le ferai.

    La déclaration de Theron est si sévère que je la sens couper mon visage.

    Je ne veux toutefois pas avoir besoin de lui — ou de son père, ou de Cordell. Je ne veux pas que mon royaume ait besoin de qui que ce soit. La plupart du temps, je ne veux même pas que mon peuple ait besoin de moi.

    Je touche mon médaillon, ce bijou vide qui tient lieu de symbole de la magie d’Hiver pour tout le monde. Ils croient que depuis que les deux moitiés du médaillon ont été réunies, ce dernier a retrouvé son statut en tant qu’une des huit sources de magie dans ce monde — les conduits royaux. Ils croient que la magie que j’ai pu utiliser avant cela — avec laquelle j’ai pu ­guérir Monsieur et le garçon dans le camp d’Abril tout en donnant de la force aux esclaves hiverniens — était un coup de chance, un miracle, parce que tous les autres conduits royaux sont des objets comme une dague, un anneau, un bouclier. Il ne leur est jamais venu à l’esprit — et à moi non plus, avant que cela se produise — que la magie pouvait être accueillie par une personne.

    Ils n’ont aucune idée où est la vraie magie. Et honnêtement, Cordell est le dernier de mes soucis — parce qu’il y a quelque chose d’autre en moi qui pourrait être beaucoup plus dangereux.

    Je pose ma main libre sur la poitrine de Theron. Nous sommes seuls ici, et je nous laisse vivre ce moment, avec la neige qui tombe et le vent froid qui tourbillonne et son pouls que je sens battre sous mes doigts. Malgré ce que nous sommes maintenant, ce sont des moments comme celui-ci, où nous pouvons oublier la politique et les titres et nos passés qui nous empêchent de nous écrouler sous le stress de nos vies.

    Je me colle contre lui et je me soulève sur mes pieds, saisissant ses lèvres avec les miennes. Il pousse un grognement et passe ses bras autour de mon corps, suivant de ses mains la courbe de mon corps et retournant mon baiser avec une passion qui cause ma perte.

    Theron glisse une main le long de ma tempe, par-dessus mon oreille et vers le bas de ma joue, ses doigts repoussant les cheveux qui dépassent de leurs épingles. J’incline la tête sur le côté, m’appuyant contre sa paume, mes propres doigts encerclant son poignet.

    Ses cicatrices sont protubérantes et difformes sous mes doigts. Mon cœur — qui bat déjà d’une manière irrégulière par la manière dont les lèvres de Theron sont brusques et douces à la fois et aussi sous l’effet de ce désir que je ressens dans le ventre quand il grogne comme ça — perd complètement la carte.

    Je recule quelque peu, nos souffles se transformant en givre.

    — Theron, que vous est-il arrivé à Abril ?

    Les mots sortent à peine, mais ils sont enfin là, dansant à travers les flocons de neige.

    Il hésite, ne m’entendant pas le temps d’un battement de cœur. Puis, il tressaille, son visage inondé d’horreur qu’il parvient à réduire à un état de confusion.

    — Vous étiez là…

    — Non. Je veux dire… avant.

    Je prends de grandes inspirations.

    — Vous étiez à Abril avant que je sache que vous y étiez. Et… vous pouvez me le dire. Si vous ressentez un jour le besoin de le faire, je veux dire. Je sais que c’est difficile, mais je…

    Je pousse un gémissement pour moi-même, ma tête penchée entre nous.

    — Je ne suis pas douée pour ça.

    En dépit de tout ça, Theron éclate de rire.

    — Douée pour quoi ?

    Je lève les yeux vers lui et je commence à sourire avant de me rendre compte qu’il a balayé tout ce que je lui avais dit.

    — Douée pour… nous.

    Un sourire explose sur ses lèvres qui ne fait que me rappeler tout ce qu’il recouvre.

    — Vous êtes plus douée pour nous que vous le pensez, murmure-t-il en libérant sa main de mon emprise pour glisser ses doigts le long de mon visage et de mon cou jusqu’à ce qu’il recouvre mon épaule.

    Je lui offre un faible sourire et je secoue la tête.

    — Les mineurs. Je devrais me rendre auprès d’eux.

    Theron hoche la tête.

    — Oui, acquiesce-t-il.

    Un éclat d’espoir illumine son visage.

    — Peut-être que cette mine sera la bonne.

    Peu probable, lui dis-je presque. Nous avons commencé à creuser dans plus de la moitié des mines d’Hiver et aucune d’elle n’a offert autre chose que leurs ressources habituelles. Le fait que Noam croit que nous trouverons le lieu d’où proviennent les conduits royaux est exaspérant. Le gouffre de la magie a été perdu sous les royaumes des Saisons depuis des siècles et il pense pouvoir le découvrir juste parce qu’un royaume Rythme est maintenant à sa recherche ?

    Ce sont les mines d’Hiver, et il oblige les membres de mon peuple à se servir du peu de force qu’ils ont pour les creuser. Ils ont passé 16 ans dans les camps de travail d’Angra ; ils devraient être en train de guérir, et non d’être à la recherche d’une source de pouvoir pour un homme qui en possède déjà trop.

    Ma colère éclate de nouveau et je tourne les talons, laissant les carcasses de mes faux ennemis derrière moi.

    Theron marche à mes côtés en silence et tandis que nous nous frayons un chemin entre quelques rochers, Gaos apparaît devant nous comme si les montagnes Klaryn avaient fait en sorte qu’elle demeure cachée jusqu’à mon retour. Elle ressemble beaucoup à ce dont avait l’air Jannuari lorsque nous sommes arrivés, mais certaines parties de la cité ont au moins été rafistolées depuis ce temps. Si peu de gens ont décidé de repeupler Gaos que nous avons seulement été en mesure de réparer le secteur le plus près des mines, laissant la majeure partie de la cité en ruines. Des cottages décrépits d’avoir été laissés à l’abandon bordent les rues ; des gravats remplissent les ruelles en piles ­rapidement constituées. La neige recouvre tout, dissimulant une partie de la destruction sous une couche d’ivoire pure.

    J’hésite lorsque Gaos apparaît devant moi, mais seulement une toute petite pause. Elle est toutefois suffisante pour que Theron passe un bras autour de ma taille en tirant mon corps contre le sien.

    — Ce sera mieux cette fois-ci, m’assure-t-il.

    Je lève les yeux vers lui, m’accrochant encore désespérément à mon chakram. Sa main recouvre ma hanche, produisant une chaleur venant s’opposer au froid perpétuel d’Hiver.

    — Merci.

    Theron sourit, mais avant même qu’il ne puisse répondre, une autre voix se fait entendre.

    — Ma reine !

    Le son de la neige écrasée sous ses pieds suit le cri de Nessa, suivi tout aussi rapidement par les cris surpris de ses frères. Lorsque je me retourne pour lui faire face, elle est déjà à ­mi-chemin entre la dernière étendue de neige me séparant de Gaos, sa robe battant autour de ses jambes.

    Elle s’arrête en titubant, respirant avec force entre deux sourires. Les mois de liberté ont finalement fait leur travail — il y a une rondeur autour de ses bras et de son visage et une douce lueur sur ses joues.

    — Nous vous avons cherchée partout ! Êtes-vous prête ?

    Mon visage se transforme en quelque chose pouvant être compris entre une grimace et un sourire.

    — Quel est le degré de colère de Dendera ?

    Nessa hausse les épaules.

    — Elle sera apaisée lorsque la mine sera ouverte.

    Elle adresse une curieuse révérence à Theron, puis agrippe ma main.

    — Puis-je vous la voler, prince Theron ?

    Il frôle ma hanche de son pouce d’un mouvement qui déclenche des frissons sur ma peau.

    — Bien sûr.

    Mais Nessa est déjà en train de me tirer dans la neige.

    Conall et Garrigan viennent à notre rencontre dans la première rue de la cité. Conall nous lance un regard noir, et Garrigan, un petit sourire satisfait.

    — Vous auriez dû demander à ce que nous nous joignions à vous, dit Conall en me réprimandant.

    Il se rend ensuite compte de qui il est en train de réprimander et il se racle la gorge.

    — Ma reine.

    — Elle est parfaitement capable de prendre soin d’elle, dit Garrigan en me défendant.

    Il tente toutefois de dissimuler son petit sourire satisfait ­derrière une toux plutôt agressive lorsque Conall lui jette son regard noir.

    — Ce n’est pas le but de la chose.

    Conall se retourne vivement vers moi.

    — Henn ne nous entraîne pas pour rien.

    Je répète presque les mots de Garrigan en soulevant presque mon chakram pour les appuyer, mais les lignes tendues que je vois autour des yeux de Conall me font ranger mon chakram dans mon dos.

    — Je suis désolé de vous avoir inquiétés, dis-je. Je ne voulais pas…

    — Où étiez-vous ?

    Un couinement tremblotant coince dans ma gorge alors que Dendera se pointe comme une furie sur la route.

    — Je te laisse seule pendant une minute et tu te sauves comme…

    Elle s’arrête subitement. Je tente de dissimuler mon chakram encore mieux derrière mon dos, mais il est trop tard.

    Le regard qu’elle m’adresse n’est pas le regard noir furieux auquel je m’attendais. C’est un regard fatigué et épuisé, et comme elle referme l’espace entre nous, ses 40 ans semblent encore plus lourds sur son visage.

    — Meira, dit-elle sur un ton de reproche.

    Je ne l’ai pas entendu m’appeler comme ça depuis des mois. Ni elle, ni Nessa ni personne d’autre, sauf Theron. C’est toujours « ma reine » ou « ma lady ». De l’entendre maintenant est une bouffée d’air frais dans une pièce étouffante et je l’avale sans remords.

    — Je te l’ai dit, dis Dendera en retirant le chakram de ma main et en le refilant à Garrigan. Tu n’as plus besoin de ça, maintenant. Tu es reine. Tu nous protèges avec d’autres moyens.

    — Je sais.

    Je garde ma mâchoire serrée, ma voix sur le même ton.

    — Pourquoi ne puis-je être les deux ?

    Dendera pousse le même soupir triste et pitoyable qu’elle m’offre beaucoup trop souvent au cours des trois derniers mois.

    — La guerre est terminée, me dit-elle.

    Ce n’est pas la première fois qu’elle me le dit, et ça ne sera sans doute pas la dernière.

    — Notre peuple a vécu l’état de guerre bien trop longtemps — il a besoin d’une reine sereine, pas d’une reine guerrière.

    C’est logique dans ma tête, mais pas dans mon cœur.

    — Vous avez raison, duchesse, lui dis-je en lui mentant.

    Si j’insiste trop, je vais voir cette même expression sur son visage que j’ai vu une centaine de fois en grandissant — la peur d’échouer. Tout comme Theron et ses cicatrices, et Nessa aussi — si je l’attrape alors qu’elle pense que personne ne la regarde, ses yeux deviennent vides et vitreux. Et lorsque le sommeil l’emporte dans un monde de cauchemar, elle pleure si fort que mon cœur se serre.

    Nous irons bien tant que personne ne mentionnera le passé ou quelque chose de mauvais.

    — Viens, dit Dendera en tapant dans ses mains, de retour à la normale. Nous sommes assez en retard comme ça.

    2

    Meira

    Dendera nous mène vers une place qui s’ouvre à quelques pas de la mine Tadil. Les édifices que l’on trouve ici sont entiers et propres, les allées sont libres de débris et les cottages ont été ­réparés. Les familles des mineurs qui se trouvent déjà profondément dans la Tadil remplissent la place avec des soldats de Cordell, la plupart d’entre eux sautant sur place d’un pied à l’autre pour tenter de se garder au chaud. Une tente à aire ouverte recouvre l’entrée de la place, et c’est là notre premier arrêt alors que nous marchons les uns à la suite des autres le long des tables couvertes de cartes et de feuilles de calcul.

    Monsieur et Alysson ont la tête inclinée tandis qu’ils sont occupés à discuter calmement dans la tente. Ils concentrent ensuite leurs regards sur moi. Un sourire véritable traverse le visage d’Alysson alors que celui de Monsieur affiche brièvement l’expression d’un homme en pleine analyse. Ils sont tout aussi bien vêtus que Nessa et Dendera dans leurs vêtements — l’habille­ment traditionnel pour les femmes d’Hiver consiste en des robes longues à plis ivoire, et la plupart des hommes portent des tuniques et des pantalons bleus sous des longueurs de tissu blanc qui forment un X sur leurs torses. C’est encore étrange pour moi de voir Monsieur vêtu d’autre chose que ses vêtements de bataille, et il ne porte même pas de dague à sa hanche. La menace n’est plus, notre ennemi est mort.

    — Ma reine.

    Monsieur incline la tête. Les poils sur ma peau se hérissent en entendant ce titre sur ses lèvres, une autre chose à laquelle je ne me suis pas encore habituée. Monsieur, m’appelant « ma reine ». Monsieur, mon général. Monsieur, le père de Mather.

    De penser ainsi à lui me fige sur place.

    Je n’ai pas vraiment parlé avec Mather depuis que nous étions assis côte à côte sur nos chevaux à l’extérieur de Jannuari, avant que je n’assume totalement mes responsabilités de reine et qu’il ait abandonné tout ce qu’il croyait avoir déjà été.

    J’espérais qu’il n’avait besoin que de temps pour s’ajuster, mais cela fait trois mois maintenant qu’il ne m’a pas dit autre chose que « Oui, ma reine ». Je n’ai aucune idée de ce que je dois faire pour combler la distance qui nous sépare — je ne cesse donc de me dire, peut-être de manière quelque peu sotte, qu’il me parlera de nouveau lorsqu’il sera prêt à le faire.

    Peut-être aussi que cela a moins à voir avec le fait qu’il ne soit plus roi et plus à faire avec Theron qui, même si nos fiançailles ont été rompues, est encore dans ma vie de manière permanente. Pour l’instant, il est plus facile de ne pas penser à Mather. De me coller un masque au visage, de me forcer à sourire et de couvrir toute l’atrocité sous-jacente.

    Je regrette de devoir faire cet effort — je regrette que ­quiconque ait à le faire et j’aimerais que nous soyons tous assez fort pour gérer les choses qui nous sont arrivées.

    Un picotement de fraîcheur prend naissance dans ma ­poitrine. Il produit des étincelles de manière sauvage, glacée et vivante, et j’étouffe un soupir à ce que cela signifie.

    Lorsqu’Angra a fait la conquête de mon royaume 16 ans plus tôt, il l’a fait en brisant notre conduit royal. Et lorsqu’un conduit est brisé dans la défense d’un royaume, le dirigeant de ce royaume devient le conduit. Leur corps, leur force vitale — tout vient s’unir avec la magie. Personne ne sait cela à part moi, Angra, et la femme dont la mort m’a transformée en conduit d’Hiver, ma mère.

    Tu peux les aider à gérer ce qui s’est passé, dit Hannah.

    Puisque je suis la magie et qu’elle n’a pas de limites dans mon corps, elle est en mesure de me parler, même après sa mort.

    Je ne leur impose pas la guérison, dis-je en critiquant la pensée.

    Je sais que la magie pourrait guérir leurs blessures physiques, mais leurs blessures émotionnelles ? Je ne peux…

    Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire, me dit Hannah. Tu peux leur montrer qu’ils ont un avenir. Qu’Hiver est capable de survivre.

    Ma tension se détend.

    D’accord, parviens-je à dire.

    La foule s’immobilise alors que Monsieur me guide hors de la tente. Vingt travailleurs sont déjà dans la mine, et chaque ouverture s’est passée de la même manière — ils entrent ; et je demeure à l’extérieur en me servant de ma magie pour les doter d’une agilité et d’une endurance surhumaines. La magie fonctionne seulement sur de courtes distances — je ne pourrais m’en servir avec les mineurs, si je me trouvais à Jannuari. Mais ici, ils sont dans les tunnels tout juste devant moi.

    — À vous d’agir quand vous serez prête, ma reine, dit Monsieur.

    S’il devine à quel point je déteste ces ouvertures de mine, il n’en dit pas un mot et se contente de reculer avec ses bras ­derrière son dos.

    Je serre la mâchoire et je tente d’ignorer tout le reste — Hannah, Monsieur, tous les regards sur moi, puis le lourd silence qui s’installe.

    Ma magie était glorieuse, autrefois. Lorsque nous étions coincés à Printemps et qu’elle s’est manifestée pour nous sauver ; lorsque nous sommes rentrés à Hiver pour la première fois et que j’étais incertaine de savoir comment aider tout le monde, elle est sortie de moi pour apporter de la neige et remplir mon peuple de vitalité. Lorsque je n’avais aucune idée de ce que je voulais ou comment faire quoi que ce soit, j’étais reconnaissante de la manière dont la magie savait juste toujours comment s’y prendre.

    Je me rends toutefois compte que je ne pourrais rien faire, si je voulais qu’elle cesse de s’écouler hors de moi, de traverser la terre et de remplir les mineurs de force et d’endurance. C’est ce qui me fait le plus peur de ces moments — la magie se déploie et augmente en intensité et je sais dans l’abîme palpitant de mon cœur que mon corps rendrait les armes bien avant que la magie se mette seulement à penser s’arrêter.

    Initiés par un signal inexprimé, des flots de grande froideur tourbillonnent dans ma poitrine et transforment chacune de mes veines en neige cristallisée. Mon instinct réagit à cela avec un besoin étouffant de les arrêter, de les maîtriser, mais la raison bloque ma certitude, car je sais que mon peuple a besoin de cette magie que je tente de retenir. C’est ainsi que la magie se déverse dans le corps des mineurs avant même que je puisse ­respirer. Je me tiens droite dans son sillage, prise de tremblements, mes yeux s’ouvrant en vitesse pour regarder les visages chargés ­d’espoir dans la foule. Ils ne peuvent la voir ou la ressentir à moins que je la canalise en eux. Personne ne sait à quel point je me sens vide, comme un carquois sans ses flèches, existant seulement pour tenir une arme plus puissante encore.

    J’ai tenté de parler de cela avec Monsieur — et j’ai immédiatement refoulé mes mots lorsque Noam a fait irruption dans la pièce. Si Noam découvre que tout ce qu’il a à faire est de s’assurer qu’un ennemi brise son conduit royal, lui permettant ainsi de devenir son propre conduit, il n’aurait pas à trouver le gouffre. Il serait tout puissant, rempli de magie.

    Il n’aurait également plus à prétendre se soucier d’Hiver.

    Je me retourne, avide de trouver une diversion. La foule considère cela comme étant mon renvoi et applaudit doucement.

    — Parlez avec eux, insiste Monsieur alors que je me dirige vers la tente.

    — J’ai déclamé le même discours chaque fois que nous avons procédé à l’ouverture d’une mine. Ils ont déjà tout entendu — la renaissance, la progression, l’espoir.

    — Ils s’y attendent.

    Monsieur ne cède pas, et c’est ainsi qu’il agrippe mon bras lorsque je fais un autre pas vers la tente.

    — Ma reine, vous oubliez la position que vous occupez.

    « Si seulement », est la pensée qui naît dans ma tête, pensée que je regrette sur-le-champ. Je ne veux pas oublier qui je suis, à présent.

    J’aimerais seulement pouvoir être à la fois cela et moi-même.

    Alysson et Dendera se tiennent en silence derrière Monsieur ; Conall et Garrigan attendent à quelques pas de nous, sur le côté. Theron s’est amené ici et il est en conversation avec certains de ses hommes. Cette normalité fait en sorte qu’il est plus facile pour moi de remarquer à quel point Nessa ne semble soudainement pas à sa place à côté de ses frères. Ses épaules sont inclinées vers l’avant, mais son attention est portée sur une ruelle à ma droite.

    Je me libère de l’emprise de Monsieur et je hoche la tête en direction de Nessa tout en marchant vers l’avant.

    — Ils sont de retour, dit-elle dans un murmure alors que j’arrive à sa hauteur.

    Ses yeux se posent de nouveau sur la ruelle, et tout ce que je peux voir depuis l’angle où je me trouve est que Finn et Greer se tiennent immobiles, à la limite d’une zone éclairée, jusqu’à ce que mon attention se concentre sur eux.

    Finn hoche la tête, et ils se dirigent ensuite vers la tente principale comme s’ils avaient été à Gaos pendant tout ce temps. Ils avaient quitté Jannuari avec nous, mais s’étaient éclipsés peu de temps suivant le départ, s’éloignant en douce avant que l’un ou l’autre des Cordélliens puisse se rendre compte que le conseil hivernien de la reine était passé de cinq à trois membres.

    Monsieur me guide vers la tente comme s’il craignait que je refuse également de m’y rendre. Je me dégage toutefois de lui en passant devant, allant me poster autour de la table sise au centre de la tente avec Alysson et Dendera. Nous tentons tous de conserver un air détendu, agissant comme si rien ne sortait de l’ordinaire et que rien n’attirait notre attention de manière particulière. Mon anxiété se divise toutefois en plusieurs petites cordes tendues qui se resserrent de plus en plus autour de mes poumons à chaque seconde qui passe.

    — Qu’avez-vous trouvé ?

    Monsieur est le premier à prendre la parole et son ton de voix est bas.

    Finn et Greer se rapprochent de la table, de la sueur laissant des traces à travers les taches de saletés qui recouvrent leurs visages. Je croise les bras. Il s’agit là de quelque chose de très routinier — les conseillers de la reine qui rentrent d’une mission. Je ne parviens toutefois pas à faire en sorte que mon esprit soit en accord avec cette façon de faire, et cela me tiraille.

    J’aurais dû être de cette mission consistant à recueillir de ­l’information pour le monarque — je ne devrais pas être dans la position du monarque.

    Finn ouvre son sac et en sort un paquet alors que Greer en retire un accroché à sa taille.

    — Nous avons d’abord fait un arrêt à Printemps, dit Finn, son attention portée sur la table.

    Seuls Conall, Garrigan et Nessa regardent vers l’extérieur de la tente, surveillant les Cordélliens au cas où ils feraient un mouvement vers nous.

    — Les rapports préliminaires que les Cordélliens ont reçus étaient exacts — aucun signe d’Angra. Printemps s’est transformé en un état militaire dirigé par une poignée de ses derniers généraux. Nous n’avons cependant pas vu de magie et pas de bellicisme.

    Un soulagement lutte pour crépiter hors de moi, mais je le retiens. Ce n’est pas parce que Printemps est silencieux que tout est correct — si Angra a survécu à la bataille d’Abril et qu’il tient à ce que sa survie demeure un secret, il serait idiot de sa part qu’il demeure à Printemps.

    Et puisque nous n’avons eu aucune nouvelle de lui depuis la bataille, il ne veut absolument pas que quiconque sache qu’il est encore en vie, si tel est le cas.

    — Nous sommes ensuite passés par Automne alors que nous nous rendions vers Été — rien n’a changé dans ces deux royaumes, continue Finn. Automne était courtois, et Été ne s’est même pas rendu compte que nous étions là, ce qui a rendu notre pêche aux rumeurs à propos d’Angra plus facile. Yakim et Ventralli, d’autre part.

    Je m’approche vitement de la table.

    — Ils vous ont trouvé ?

    Greer hoche la tête.

    — Le bruit s’est répandu que deux Hiverniens se trouvaient dans leurs royaumes. Ils ont heureusement semblé adoucir leur réaction face à nous lorsque nous leur avons dit que nous étions là en tant que représentants de notre reine. Ils ne nous ont ­toutefois pas quittés des yeux tant que nous n’avons pas quitté leurs royaumes. Les deux royaumes Yakim et Ventralli ont offert des présents pour vous.

    Il fait un signe de la tête vers les paquets disposés devant moi. Je prends le premier et je retire le morceau de tissu qui le recouvre, découvrant un livre d’une bonne épaisseur doté d’une couverture en cuir avec des lettres noires embossées sur cette dernière.

    La mise en place efficace des lois fiscales sous le règne de la reine Giselle, sont les mots que je peux lire.

    — La reine yakimienne m’a fait parvenir un livre à propos des lois fiscales qu’elle a promulguées ?

    Finn hausse les épaules.

    — Elle voulait nous donner plus que cela, mais nous lui avons dit que nous n’avions pas les ressources pour tout transporter. Elle vous invite dans son royaume. Les deux dirigeantes l’ont fait.

    Cela me pousse à ramasser l’autre paquet. Celui-là se déroule, s’étalant sur la table en offrant à nos regards une tapisserie comprenant des fils multicolores tissés entre eux pour représenter une scène où les champs couverts de neige d’Hiver prennent le pas sur les forêts vertes et remplies de fleurs de Printemps.

    — La reine Ventrallienne a fait créer cela pour vous féliciter de votre victoire, fait remarquer Finn.

    Je fais glisser mon doigt sur la ligne courbe formée par un fil d’argent qui sépare Hiver de Printemps. Nous avons déjà été à Ventralli et à Yakim avant la chute d’Angra pour nous procurer des marchandises et d’autres trucs du genre et les gens nous ont vus. Les familles royales ne se sont jamais souciées de nous. Pourquoi le faire maintenant ?

    L’âge de

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