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Des cendres sur la neige
Des cendres sur la neige
Des cendres sur la neige
Livre électronique502 pages6 heures

Des cendres sur la neige

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À propos de ce livre électronique

Il y a seize années de cela, le royaume d’Hiver a été conquis et ses habitants réduits à l’esclavage, les laissant sans magie et sans souveraine. Le seul espoir de liberté des Hiverniens se trouve maintenant entre les mains des huit survivants qui sont parvenus à s’échapper lors de l’attaque et qui ont depuis ce temps attendu que s’offre à eux la possibilité de récupérer la magie d’Hiver et de reconstruire leur royaume.

Ayant perdu ses parents lors de la défaite d’Hiver alors qu’elle était en très bas âge, Meira a vécu sa vie entière en tant que réfugiée tout en étant élevée par le général des Hiverniens, Monsieur. Entraînée à être une combattante – et désespérément amoureuse de son meilleur ami et futur roi, Mather – elle
ferait n’importe quoi pour aider Hiver à remonter en puissance.

C’est ainsi que lorsque des éclaireurs découvrent l’emplacement d’un ancien médaillon qui peut leur redonner cette magie perdue, Meira décide de se charger elle-même de le récupérer. Elle se retrouve finalement à escalader des tours et à se battre contre des soldats ennemis comme elle avait toujours rêvé de le faire. La mission ne se déroule toutefois pas comme elle avait été prévue et Meira se retrouve alors plongée dans un monde de magie maléfique et de politiques dangereuses – avant d’ultimement se rendre compte que sa destinée n’est pas et n’a jamais été la sienne.

Ce premier roman fantastique de Sara Raasch est une histoire foudroyante de loyauté, d’amour et de la découverte de sa destinée.
LangueFrançais
Date de sortie5 janv. 2017
ISBN9782897673864
Des cendres sur la neige
Auteur

Sara Raasch

Sara Raasch has known she was destined for bookish things since the age of five, when her friends had a lemonade stand and she tagged along to sell her hand-drawn picture books too. Not much has changed since then: her friends still cock concerned eyebrows when she attempts to draw things, and her enthusiasm for the written word still drives her to extreme measures. She is the New York Times bestselling author of the Snow Like Ashes series, These Rebel Waves, and These Divided Shores. You can visit her online at www.sararaaschbooks.com and @seesarawrite on Twitter.

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    Aperçu du livre

    Des cendres sur la neige - Sara Raasch

    1

    — Bloque !

    — Où ça ?

    — Je ne peux pas te dire à quel endroit — tu es censée suivre mes mouvements !

    — Dans ce cas, va moins vite.

    Mather roule des yeux.

    — Tu ne peux pas dire à un soldat ennemi de ralentir.

    Je souris de toutes mes dents de le voir exaspéré de la sorte, mais mon sourire s’estompe rapidement alors que la lame émoussée de son épée d’entraînement me frappe sous les genoux. Je chute sur le dos avec grand bruit contre le sol poussiéreux de la prairie, ma lame s’échappant de mes mains avant de disparaître dans les herbes hautes tout près de moi.

    Le combat rapproché a toujours été mon point faible. Je blâme Monsieur et le fait qu’il ait seulement commencé à me former peu de temps avant mes 11 ans ; quelques séances ­d’entraînement supplémentaires avec une épée auraient pu m’aider à absorber plus que 3 coups d’épée aujourd’hui. Il est également possible qu’aucune formation ne puisse changer la sensation étrange que me procure une épée quand je la tiens dans mes mains et à quel point j’aime projeter ma lame circulaire rotative de la mort — mon chakram. Prévoir les mouvements d’un adversaire en combat rapproché alors que des coups d’épée traversent mon champ de vision n’a jamais été une de mes forces.

    Les rayons du soleil provoquent un picotement sur ma peau tandis que je lève les yeux vers le ciel bleu tout en grimaçant sous l’effet d’une pierre particulièrement pointue disposée sous mon dos. Cela fait maintenant 4 fois que je me retrouve au sol au cours des 20 dernières minutes à regarder des tiges d’herbes de prairie s’élever autour de ma tête. Ma poitrine se soulève et des perles de sueur glissent sur mon visage. Je décide donc de demeurer sur le dos, savourant ce moment de paix.

    Mather se penche au-dessus de moi en plein devant mes yeux, en position tête-bêche, et j’espère qu’il associe la soudaine rougeur de mes joues aux efforts que j’ai déployés. Peu importe le nombre de fois où il me projette ainsi au sol, il n’est rien de moins que magnifique. Il possède ce genre de beauté qui provoque en moi un désir physique et qui me fait perdre l’équilibre lorsque je suis prise par surprise. Quelques mèches de ses cheveux blancs d’Hivernien pendent contre la joue alors que le reste de ses cheveux mi-longs sont maintenus en place par une ficelle. Le plastron en cuir qui s’étire sur sa poitrine souligne le fait qu’il a passé la majeure partie de sa vie à se servir de ces muscles en s’entraînant au combat, et ses bras sont allongés et à découvert, à l’exception des brassards qu’il porte. Des taches de rousseur recouvrent son visage pâle, son cou et ses bras, un témoignage du soleil aveuglant qui plombe sur les plaines de Rania.

    — On fait un 6 de 11 ?

    Le ton teinté d’espoir de sa voix me fait arquer un sourcil. Comme s’il croyait vraiment que j’avais une chance de le vaincre.

    Je pousse un petit grognement.

    — Seulement si les six prochains duels peuvent être étalés dans le temps.

    Mather pousse un petit rire.

    — J’ai des ordres stricts. Je dois faire en sorte que tu remportes au moins un duel à l’épée avant que William et les autres reviennent.

    Je plisse les yeux et je tente de dissimuler le désir qui me parcoure le corps. Monsieur est parti en mission à Printemps avec Greer, Henn et Dendera, et tous les autres sont restés ici : Mather, le futur roi (qui peut se joindre aux missions les plus dangereuses parce qu’il a été entraîné à l’art du combat depuis sa naissance) ; Alysson, la femme de Monsieur (qui n’a jamais démontré la moindre habileté au combat) ; Finn, un autre soldat en bonne santé (c’est une règle de Monsieur — Mather doit toujours pouvoir disposer de la présence d’un combattant chevronné pour le couvrir) ; et moi, l’orpheline en formation perpétuelle (qui, malgré six années d’entraînement, n’est pas encore « suffisamment bonne » pour qu’on lui fasse confiance dans les missions d’importance).

    Oui, j’ai eu à me servir de certaines de mes habiletés lors de missions de recherche de nourriture, pour repousser le soldat occasionnel ou le citoyen mécontent de l’un des quatre royaumes Rythme. Toutefois, lorsque Monsieur organise des missions vers Printemps, des missions qui seront directement bénéfiques pour Hiver et qui ne consisteront pas simplement à rapporter du matériel pour les réfugiés, il trouve toujours une raison pour m’en exclure : le royaume Printemps est trop dangereux ; la mission est trop importante ; on ne peut pas courir le risque de confier cela à une adolescente.

    Mather doit reconnaître cette manière que j’ai de me mordre la lèvre ou la façon dont ma concentration s’évapore, car le voilà en train de pousser un soupir de première force.

    — Tu t’améliores, Meira. Vraiment. William veut seulement s’assurer que tu peux te battre en combat rapproché de même qu’à distance, comme tout le monde. C’est compréhensible.

    Je lève des yeux furieux vers lui.

    — Je ne suis pas si horrible en combat rapproché. C’est seulement que je ne suis pas à ton niveau d’habileté. Mens à Monsieur ; dis-lui que je t’ai enfin battu. Tu es notre futur roi — il a confiance en toi !

    Mather secoue la tête.

    — Je suis désolé. Je peux seulement utiliser mes pouvoirs pour faire le bien.

    Son visage tressaille, et je ne comprends qu’une seconde plus tard le mensonge inattendu dans ce qu’il a dit. Il ne possède pas de pouvoirs, pas vraiment, pas de pouvoirs ressemblant à de la magie, et cette lacune a été une source de lutte pendant toutes nos vies.

    Je me redresse en position assise, arrachant des brins d’herbe pour ensuite les faire rouler entre mes doigts, ne serait-ce que pour avoir quelque chose à faire dans ce moment de tension soudaine.

    — Que ferais-tu avec de la magie ? demandé-je, mes mots si faibles qu’ils s’envolent presque au loin.

    — Tu veux dire, à part mentir à Monsieur pour toi ?

    Le ton de voix de Mather est léger, mais lorsque je me redresse sur mes pieds et que je me tourne vers lui, ma poitrine se comprime en voyant la tension sur son visage.

    — Non, dis-je. Si Hiver disposait d’un conduit entier de nouveau, un conduit qui n’était pas de lignée de sang féminine, que tout monarque, roi ou reine, pourrait exploiter, que ferais-tu avec ce pouvoir ?

    La question glisse hors de ma bouche comme une pierre lisse dans un cours d’eau, ses rebords libres d’aspérités tant je l’ai passée et repassée en boucle dans ma tête. Nous ne parlons jamais du conduit d’Hiver, le médaillon que le roi Angra Manu de Printemps a brisé lorsqu’il a détruit notre royaume il y a 16 ans de cela, à moins que cela n’ait un lien avec une mission. C’est toujours quelque chose dans le genre « Nous avons entendu dire qu’une des deux moitiés du médaillon sera en ce lieu à ce moment » ; ce n’est jamais « Même si nous parvenons à restaurer notre conduit de lignée de sang féminine, comment pourrons-nous savoir si la magie fonctionne alors que le seul héritier de la couronne est un mâle ? »

    Mather transfère son poids d’une jambe à l’autre, donnant des coups d’épée dans les herbages comme s’il livrait sa propre guerre contre la prairie.

    — Cela n’a pas d’importance de savoir ce que je ferais avec ce pouvoir — ce n’est pas comme si je pouvais l’utiliser.

    — Bien sûr que ça importe, dis-je en fronçant les sourcils. Avoir de bonnes intentions…

    Il me jette toutefois un regard exaspéré avant que je puisse terminer ma phrase.

    — Non, ça n’a pas d’importance, réplique-t-il.

    Plus il parle, plus ses mots sortent vite, émanant de lui d’une manière telle que j’en viens à penser qu’il a besoin d’en parler, lui aussi. Peu importe ce que je veux faire, peu importe à quel point je suis un bon meneur ou avec quelle vigueur je m’entraîne, je ne serai pas en mesure de faire naître la vie dans les champs gelés, de guérir des épidémies, ou encore de donner de la force aux soldats comme je pourrais le faire, si je pouvais utiliser le conduit. Les Hiverniens préféreraient sans doute disposer d’une reine cruelle plutôt que d’un roi possédant de bonnes intentions, puisqu’avec une reine, ils pourraient au moins avoir une chance que la magie puisse être utilisée pour eux. Cela n’importe pas de savoir ce que je ferais avec de la magie, parce que les chefs sont estimés pour les mauvaises raisons.

    Mather halète, son visage tendu tandis qu’il entend tout ce qu’il dit, toutes ses inquiétudes et ses faiblesses ainsi mises à nues. Je mords l’intérieur de ma joue, tentant de ne pas le fixer du regard alors qu’il grimace pour lui-même et qu’il recommence à frapper les herbes. Je n’aurais pas dû insister, mais quelque chose en moi vibre toujours avec le besoin d’en dire plus, d’en apprendre autant que possible à propos d’un royaume que je n’ai jamais vraiment vu.

    — Je suis désolée, dis-je dans un souffle tout en frottant mon cou. Le fait d’avoir abordé un sujet délicat alors que tu es armé n’était pas très futé de ma part.

    Il hausse les épaules, mais n’a pas l’air convaincu.

    — Non. Nous devrions en parler.

    — Il faudrait dire cela aux autres, dis-je en grognant. Ils ne font que partir en mission pour en revenir dégoulinant de sang en disant : « Nous allons l’avoir la prochaine fois, nous allons récupérer l’autre moitié, ensuite nous attirerons des alliés, puis renverserons Printemps et sauverons tout le monde. » Comme si tout cela était si facile. Si c’est si facile, pourquoi n’en parlons-nous pas davantage ?

    — Parce que cela est trop douloureux, répond Mather. C’est aussi simple que ça.

    Ces mots me font taire. Je lève les yeux vers les siens, un long et prudent regard.

    — Un jour, il n’y aura pas de douleurs.

    La promesse que nous, réfugiés, nous faisons toujours entre nous — avant de partir en mission, lorsque les gens reviennent, blessés et ensanglantés, lorsque les choses vont vraiment mal et que nous nous blottissons les uns contre les autres, terrifiés. Ça ira mieux… un jour.

    Mather glisse son épée dans son fourreau et s’arrête, sa main posée sur le pommeau, avant de faire deux pas vers moi et de refermer la paume de sa main sur mon épaule. Je sursaute, mes yeux se levant rapidement vers les siens, et il se rend compte de ce qu’il fait tout en retirant sa main.

    — Un jour, acquiesce-t-il, sa voix s’exprimant d’un ton sec.

    Cette manière qu’il a d’ouvrir et de fermer la main avec laquelle il m’a touchée me retourne les entrailles en produisant une spirale de frissons.

    — Pour le moment, nous devons seulement nous inquiéter de retrouver notre médaillon afin que nous puissions être de nouveau considérés comme étant un royaume afin de pouvoir ensuite rassembler des alliés qui viendront combattre Printemps avec nous. Oh, et nous devons nous assurer que tu pourras faire plus que de simplement t’étendre au sol au cours d’un combat à l’épée.

    Je fais mine de rire.

    — Hilarant, Votre Majesté.

    Mather tressaille, et je sais que c’est une réaction au titre que j’ai utilisé. Le titre que je dois utiliser. Ces deux mots — « Votre Majesté » — sont les cales qui font en sorte de maintenir une distance adéquate entre nous — moi, la soldate orpheline en formation, et lui, notre futur roi. Peu importe nos circonstances désespérées, peu importe le fait que nous avons été élevés ensemble, peu importe le frisson que son sourire provoque en moi, il demeure lui et je demeure moi, et, oui, il aura besoin d’une héritière un jour, mais avec une dame convenable, une duchesse ou une princesse, pas la fille avec laquelle il s’entraîne.

    Mather tire son épée de nouveau tandis que je cherche la mienne dans les herbes de la prairie, me concentrant une fois de plus sur la tâche qui m’incombe en ce moment plutôt que sur la manière dont ses yeux me suivent dans les grandes tiges jaunes. Le campement est situé à quelques pas devant nous, les vastes terres des prairies offrant un bon camouflage à nos pâles tentes jaunes et brunes. Cela et le fait que les plaines Rania ne soient pas très amicales pour les visiteurs nous a permis de demeurer en sécurité au cours des cinq dernières années dans ce chez-nous lamentable — ou du moins, ce qui peut le plus passer pour un chez-nous en ce moment.

    Je fais une pause dans ma recherche, fixant le campement avec un poids de plus en plus important sur mes épaules. Nous sommes assez loin de Printemps pour qu’ils ne puissent pas nous localiser, et en sommes suffisamment près pour mettre sur pied de rapides missions de reconnaissance. Le campement n’est composé que de cinq tentes, d’un enclos pour les chevaux et d’un autre pour nos deux vaches. Autrement, les plaines Rania sont arides, sèches et chaudes, même selon les standards accablants du royaume Été. Ainsi, elles sont donc désertes, constituant un territoire qu’aucun des huit royaumes de Primoria ne souhaite revendiquer. Il nous a fallu trois années pour qu’une poignée de légumes rachitiques poussent dans notre jardin, et encore moins de récoltes pour que le fait d’occuper les plaines en vue d’y établir un royaume en vaille la peine. Il faudrait utiliser tant de magie de conduit pour que le sol puisse produire des récoltes que cela n’en vaudrait pas tellement la peine, et personne ne peut générer un profit à simplement regarder le soleil se coucher.

    Cela demeure cependant suffisant pour que les huit personnes que nous sommes puissent demeurer en vie. Huit sur les vingt-cinq personnes qui ont pu s’enfuir de la chute d’Hiver. De penser ainsi à ce nombre me noue l’estomac. Notre royaume était autrefois le lieu de vie de plus de 100 000 Hiverniens, et la plupart d’entre eux ont été massacrés suivant l’invasion de Printemps. Ceux qui ont survécu à cela sont maintenant localisés dans des camps de travail un peu partout à Printemps. Il n’en reste peut-être plus beaucoup, attendant dans un état d’esclavage, mais ils valent la peine que nous endurions ce mode de vie nomade qui est actuellement le nôtre. Ces gens sont Hiver, parties d’une vie que nous devrions tous vivre, et ils méritent — nous méritons tous — une vraie vie, un vrai royaume.

    Et peu importe pendant encore combien de temps Monsieur me limite à des missions de moindre envergure, peu importe combien de fois je me questionne pour savoir si le fait de retrouver les morceaux du médaillon sera suffisant pour que nous puissions gagner des alliés et libérer notre royaume, je serai prête à apporter mon aide. Je sais que Monsieur est au courant du dévouement qui palpite en moi ; je sais qu’il comprend que je partage son désir de retrouver Hiver. Et un jour, il ne sera plus en mesure de m’ignorer.

    Lorsque j’avais 12 ans, lors d’un voyage à Yakim, un des royaumes Rythme, Monsieur et moi avons été encerclés par un groupe d’hommes dans une allée, qui divaguaient à propos des Saisons barbares et belligérantes. Ils parlaient de comment ils préféreraient se tuer entre eux pour que leur reine puisse ensuite fondre sur les lieux et fouiller dans les restes de notre royaume pour trouver ce qui pour eux était la raison de la défaite des Saisons : la source de la magie de Primoria, le gouffre sur lequel nos quatre royaumes sont situés.

    — Ils veulent réellement se tuer entre eux ? demandai-je à Monsieur après que nous soyons parvenus à nous enfuir. J’en avais combattu un moi-même, mais alors que nous escaladions un mur de l’allée pour nous échapper d’eux, ma fierté déclina et se transforma en une honte confuse.

    Quelque part sous les royaumes Saisons se trouve une géante boule de magie palpitante ; et quelque part sous nos montagnes Klaryn se trouvait autrefois une entrée y conduisant. Seules les terres des quatre royaumes Saisons sont affectées par le gouffre — dans la gravité et la cohérence de leurs environnements —, mais chaque roi et reine de Primoria, Rythme et Saison, possède une portion de cette magie dans ses conduits et peut s’en servir pour aider son royaume. Les quatre royaumes Rythme nous détestent parce que cela est tout ce qu’ils sont, de la magie dans des objets tels qu’un poignard, un collier, un anneau. Ils nous détestent pour avoir laissé l’entrée du passage se perdre dans le temps, les avalanches et les souvenirs, pour avoir vécu directement au-dessus de la magie et de ne pas avoir déchiré nos royaumes pour creuser et en obtenir davantage.

    Monsieur s’arrêta et s’abaissa à mon niveau, puis il ramassa une poignée de neige fondante dans sa main depuis le côté de la route.

    — Les royaumes Rythme nous envient, dit-il à la neige fondue. Notre royaume demeure dans des conditions hivernales pendant toute l’année, dans la neige et la glace glorieuses, alors que leurs royaumes traversent annuellement les quatre saisons. Ils doivent endurer la neige fondante et la chaleur suffocante.

    Il me décocha un clin d’œil et m’adressa son plus beau ­sourire, un rare présent qui rendit ma poitrine froide de joie.

    — Nous devrions nous sentir mal pour eux.

    Je plissai le nez en regardant la boue brunâtre, mais je ne pus m’empêcher de sourire avec lui, me délectant de la camaraderie installée entre nous. À ce moment précis, je me sentis davantage comme une Hiverienne, faisant plus partie de cette croisade pour sauver notre royaume que jamais auparavant.

    — Je préférerais que ce soit toujours l’hiver, lui dis-je.

    Son sourire s’estompa.

    — Moi aussi.

    Ce fut la toute première fois où j’ai pu sentir — savoir — que Monsieur avait vu cette volonté en moi. Peu importait cependant combien de fois je pouvais lui montrer ma valeur. Je ne pouvais pas aller au-delà de ses restrictions, mais cela n’allait pas m’empêcher de déployer des efforts en ce sens. C’est ce que nous faisons tous : continuer de tenter de vivre, de survivre, de récupérer notre royaume à tout prix.

    Je retrouve mon épée d’entraînement posée sur un carré d’herbe piétinée. Mes muscles se contractant sous l’effort, je la ramasse et regarde Mather en fronçant les sourcils, lui qui regarde derrière moi loin vers les plaines. Son visage est impassible. Son expression est dissimulée derrière un voile qui fait de lui à la fois un monarque parfait et un ami exaspérant.

    — Qu’y a-t-il ?

    Je suis son regard. Quatre formes avancent vers nous d’un pas chancelant, la chaleur secouant leurs silhouettes comme si leurs corps étaient entourés de vaguelettes. Il demeure toutefois facile de les reconnaître malgré la distance, et je retiens mon souffle de soulagement.

    Un, deux, trois, quatre.

    Ils sont de retour. Ils le sont tous. Ils ont survécu.

    2

    Mather fonce aussitôt à côté de moi dans les herbes.

    — Ils sont ici !

    Au campement, la femme de Monsieur, Alysson, forme un tas avec ses jupes et s’éloigne en vitesse de la nourriture qu’elle était en train de préparer, tandis que Finn sort d’une tente en courant avec une trousse médicale.

    Je laisse tomber mon épée et me lance à la suite de Mather, me concentrant sur les formes devant nous. Est-ce que ­celle-là est celle de Monsieur ? Est-il trop penché vers l’avant sur sa selle ? A-t-il été blessé ? Bien sûr qu’il l’a été. Deux d’entre eux se sont rendus en périphérie de Abril, la capitale de Printemps, tandis que les deux autres ont infiltré un des ports de mer de Printemps, Lynia. Ces deux endroits ne sont pas très loin des frontières de Printemps, mais ils demeurent dans le domaine d’Angra, et toute mission en ces lieux se termine assurément dans une certaine effusion de sang.

    Mather et moi arrivons les premiers auprès d’eux. La corpulence de Finn ne l’empêche pas de devancer Alysson, puis, en titubant, il s’arrête quelques secondes après nous, pour sortir rapidement des pansements et des crèmes de son sac.

    Dendera s’écroule de son cheval, haletant ensuite sur le sol. Elle est dans la quarantaine avancée, l’âge d’Alysson, et ses cheveux blancs hiverniens recouvrent son visage orné de petites rides autour de ses yeux et de sa bouche.

    Elle pose un bras contre sa taille et se tourne vers Greer alors qu’il descend de son cheval.

    — Sa jambe, murmure-t-elle en dirigeant Finn vers la coupure dans la cuisse de Greer.

    Greer le redirige vers Dendera.

    — Elle est dans un pire état que moi, dit-il en appuyant son front contre sa selle tout en prenant de longues inspirations égales.

    Ses cheveux courts ivoire sont collés à sa tête, mêlés de sueur et de sang. Il est assez facile d’oublier qu’il est le plus âgé du groupe la plupart du temps, puisqu’il dissimule son âge derrière sa détermination résolue de mener à bien chaque tâche et chaque mission.

    Henn glisse de son cheval à côté de Dendera, passant un de ses bras autour de ses épaules pour la maintenir bien droite. Cette manière qu’il a de la tenir contre lui me donne envie de détourner le regard, comme si j’étais témoin de quelque chose d’intime. Ça ne devrait pas être différent de la manière dont nous nous traitons tous — une armée désorganisée avec Monsieur à sa tête en tant que commandant plutôt qu’une famille. Je ne peux toutefois pas m’empêcher de me demander si Dendera et Henn ne voudraient pas former une vraie famille, si notre situation était meilleure.

    Ils saignaient tous les quatre de différentes parties de leurs corps, alors que des chandails déchirés et des bandages de fortune étaient maculés de sang séché et frais formant des taches brunes et rouges. Monsieur est le seul à descendre de cheval et à se tenir droit, imposant et inébranlable tandis qu’il nous regarde avec détachement. Tout le temps que j’ai pu passer avec Mather devrait me rendre meilleure à décoder les expressions dénuées d’émotions, mais je demeure là, mon corps coincé par l’anxiété, incapable de bouger pour aider Finn et Mather à distribuer les pansements.

    Mes yeux passent d’un cheval à l’autre, d’un sac à l’autre. Ont-ils pu récupérer la moitié du médaillon ?

    — William !

    Le cri d’Alysson la précède de quelques battements de cœur alors qu’elle se jette sur son mari sans tenir compte de ses blessures. De voir Monsieur entourer son corps de ses bras et soulever son petit corps du sol est comme de regarder un ours agripper une poupée de chiffon — la puissance et la force à côté de la fragilité et de la soumission. Ils fusionnent l’un à l’autre dans un rare moment de vulnérabilité.

    Monsieur dépose sa femme.

    — C’est à Lynia. C’est arrivé le jour où nous sommes partis.

    Finn abaisse la poignée de pansements qu’il a appuyés sur la jambe de Greer. Mather lève les yeux depuis là où il tient une petite gourde d’eau pour Dendera pendant qu’elle boit. J’aspire de pleines bouchées de l’air chaud et lourd pendant que mon esprit tourbillonne.

    Nous avons cherché le médaillon partout dans Primoria depuis qu’Hiver est tombé, mais nous pouvons compter sur nos doigts les fois où nous avons eu des indices à savoir où pouvait se trouver l’une des moitiés. Angra veille à ce que l’une des moitiés soit toujours en mouvement, la faisant passer de ville en ville à travers Printemps jusqu’à des colonies éloignées dans des secteurs non revendiqués de Primoria — les contreforts des montagnes Paisel, des ports de mer — afin qu’il soit plus difficile pour nous de retrouver les deux moitiés.

    Nous sommes maintenant près du but. Ma poitrine se gonfle de cette même excitation qui, je le sais, est ressentie par tout le monde, ou qui du moins a été ressentie par eux avant qu’ils ne se retrouvent ici, brisés et ensanglantés. Monsieur renverra quelqu’un là-bas le chercher. Les gens qui sont frais et dispos sont les meilleurs soldats, alors il ne renverra pas quiconque vient tout juste de rentrer. Ce qui signifie que…

    Je fonce vers Monsieur alors qu’il examine Mather des pieds à la tête avant de faire de même avec Finn.

    — Vous deux, partez maintenant, dit-il. Ils vont le déplacer de nouveau sous peu, puisqu’ils savent que nous nous sommes enfuis.

    Je m’arrête.

    — Ils auront besoin de tout le monde. J’irai aussi.

    Monsieur me regarde comme s’il avait oublié que j’étais aussi présente sur les lieux. Il fronce les sourcils et secoue la tête.

    — Pas maintenant. Mather, Finn, je veux que vous soyez prêts à partir dans 15 minutes. Allez.

    Finn détale donc, le gras recouvrant son corps balançant autour de lui tandis qu’il se hâte à rejoindre le campement. Il obéit sans réfléchir, comme tout le monde le fait toujours.

    Je lève les yeux vers Monsieur, la mâchoire serrée.

    — Je peux le faire. J’y vais.

    Monsieur agrippe les rênes de son cheval et se met à marcher vers le campement. Tout le monde le suit en rang — sauf Mather, qui traîne plus loin à l’arrière, nous observant, le regard calme.

    — Je n’ai pas le temps de discuter de cela, réplique Monsieur d’un ton sec. C’est trop dangereux.

    — Trop dangereux pour moi, mais pas pour notre futur roi ?

    Monsieur me regarde tandis que je marche à ses côtés.

    — As-tu pu vaincre Mather à l’entraînement ?

    Je grimace. Monsieur décode cela comme étant ma réponse.

    — C’est la raison pour laquelle cela est trop dangereux pour toi. Nous sommes trop près du but pour courir le moindre risque.

    Les herbes des prairies frottent contre mes hanches tandis que mes bottes laissent des traces dans la poussière à chacun de mes pas.

    — Vous avez tort, dis-je en grognant. Je peux aider. Je peux être…

    — Tu nous aides.

    — Oh oui, ce sac de riz que j’ai acheté en Automne le mois dernier a sauvé notre royaume.

    — Tu es à ton meilleur pour être utile où tu es, dit-il en reformulant sa phrase.

    J’agrippe son bras et je l’oblige à s’arrêter. Il se tourne vers moi, son visage couvert de traînées de poussière et de sang dans sa barbe blanche, des mèches de ses cheveux couleur ivoire ­frisottant autour de son visage. Il a l’air fatigué, hésitant entre faire un autre pas et s’écrouler.

    — Je peux en faire plus que ça, dis-je dans un souffle. Je suis prête, William.

    Je l’ai déjà appelé père à une reprise. Lorsqu’il m’a raconté ses histoires à propos de mes parents biologiques morts dans les rues de la capitale d’Hiver, Jannuari, au moment où Printemps s’en est emparé, et qu’il m’a expliqué comment il m’avait alors ramassée, bébé, pour me secourir, il m’a semblé logique, pour la fillette de huit ans que j’étais alors, que l’homme qui m’élevait se fasse appeler père. Sa peau avait à ce moment adopté une telle nuance de rouge que j’avais alors craint qu’il ne se mette à cracher du sang, puis il m’avait parlé en grognant comme il ne l’avait jamais fait, auparavant. Il n’était pas mon père et je ne devais jamais au grand jamais le nommer ainsi de nouveau. Je ne devais ainsi que l’appeler par son nom, par un titre ou par quelque chose qui démontrait du respect, mais pas père. Jamais père.

    C’est ainsi que j’ai commencé à l’appeler Monsieur.

    « Oui, Monsieur. Non, Monsieur. Vous n’êtes pas mon père et je ne serai jamais votre fille et je déteste le fait que vous soyez tout ce que j’ai, Monsieur. »

    Le voilà maintenant qui m’ignore en tirant son cheval vers l’avant. Ses décisions sont sans appel et aucune forme de discussion ne le fera changer d’idée.

    Ce n’est pas comme si cela m’avait déjà arrêtée dans mon élan.

    — Ce n’est pas suffisant ! Et bien que je ne puisse trouver à redire sur le fait que vous veillez à utiliser les méthodes les plus efficaces pour sauver notre royaume, je sais que je peux moi aussi accomplir des choses pour Hiver.

    Dendera pousse un gémissement quelques pas derrière moi, encore accrochée au cou de Henn.

    — Meira, dit-elle d’une voix fatiguée. Je t’en prie, ma ­chérie, tu devrais être reconnaissante du fait que ton aide n’est pas requise.

    Je me retourne vivement vers elle.

    — Ce n’est pas parce que tu préférerais rapiécer des robes que toutes les femmes devraient également vouloir faire de même.

    Elle se retrouve bouche bée, et je ferme les paupières avec force.

    — Je ne voulais pas que cela sorte comme ça, dis-je en soupirant tout en m’obligeant à la regarder.

    Elle s’appuie plus lourdement sur Henn à présent, ses yeux luisants de larmes non versées.

    — Je voulais seulement dire que tu ne devrais pas être obligée à te battre quand tu ne veux pas le faire, et que je ne devrais pas être obligée de ne pas me battre lorsque je veux le faire. Si Monsieur me laisse y aller, tu n’auras peut-être plus à partir ainsi en mission. Tout le monde serait gagnant.

    Dendera n’a pas l’air moins blessée, mais elle jette un rapide coup d’œil à Monsieur, un frisson d’espoir dissimulé derrière sa douleur. Elle avait autrefois été comme Alysson, chargée de s’occuper du campement, jusqu’au moment où Monsieur était devenu désespéré — il avait commencé à avoir besoin d’elle pour accomplir des missions au moment où il avait commencé à me laisser donner un coup de main avec la recherche de nourriture. Elle n’avait jamais argumenté avec lui, ni quand il l’obligeait à s’entraîner, ni lorsqu’il l’envoyait sur des missions comme ­celle-ci. Un simple regard dans ses yeux me permettait toutefois de voir à quel point cette vie la terrifiait et qu’elle préférerait énormément vivre dans le campement. Elle n’était pas à l’aise avec les armes, tout comme je ne le serais pas à porter une robe.

    Mather marche à grands pas vers moi dans les herbages, et je pense qu’il va peut-être tenter d’offrir quelques paroles pour dissiper la tension. Voilà cependant qu’il effectue quelques pas, puis qu’il s’effondre sur le sol, comme si ce dernier l’avait aspiré et qu’il refusait de le libérer. Je fronce les sourcils en le voyant agripper sa cheville.

    — Aïe, dit-il en hurlant de douleur.

    Monsieur se penche vers lui en vitesse, pris de panique.

    — Que s’est-il passé ?

    Mather se balance d’avant en arrière tout en grimaçant alors que tout le monde s’approche de lui.

    — Meira m’a vaincu lors de notre dernier combat. Elle ne vous l’a pas dit ? Elle m’a fait voir des étoiles. Je ne pense pas pouvoir aller à Lynia.

    Les rides qui étaient apparues sur le visage de Monsieur ­disparaissent peu à peu.

    — Ne viens-je pas de te voir courir vers nous pour nous rencontrer ?

    Mather ne perd pas une seconde, continuant de se balancer et de grimacer.

    — J’ai couru dans la douleur.

    Je retiens ma respiration jusqu’à ce que Monsieur pose les yeux sur moi et Mather me fait un clin d’œil discret à travers un gros sourire.

    — Tu l’as vaincu ? demande Monsieur, incrédule.

    Je hausse les épaules. Je suis une très vilaine menteuse, alors je n’en rajoute pas davantage.

    « Mather m’aide. »

    Mes joues s’empourprent et se réchauffent.

    Monsieur doit savoir que nous mentons, mais il ne risquera pas d’envoyer Mather s’il a réellement subi une blessure. Il lui fait réellement confiance, à lui plus qu’à n’importe qui d’autre en présence. Un moment s’écoule avant que Monsieur ne se frotte les tempes et expulse fortement de l’air de son nez.

    — Aide Mather à rejoindre le campement, puis va chercher ton chakram.

    Je retiens un gémissement de victoire, mais il se fait néanmoins entendre, un étrange son proche d’un sanglot qui demeure partiellement coincé dans ma gorge avant de s’échapper de ma bouche encore en position dubitative. Monsieur se redresse, reprend les rênes de son cheval et marche dans le campement avec une détermination renouvelée, comme s’il ne veut pas me faire face maintenant qu’il a ainsi cédé. Tout le monde marche à sa suite, me laissant aider Mather l’invalide.

    Une fois les autres trop loin pour m’entendre parler, je me laisse tomber sur le sol et je l’enlace de mes bras.

    — Tu es mon monarque préféré dans l’histoire des monarques, dis-je en bredouillant contre son épaule.

    Ses bras se referment autour de mon corps et me serrent à une reprise, produisant de nombreux frissons en moi alors que je me rends compte que… nous nous enlaçons.

    Je me relève aussitôt et je tends une main vers lui, convaincue que mon visage sera maintenant teinté de rouge pour toujours.

    — Nous devrions rentrer au campement.

    Mather s’empare de ma main, mais il tire vers le bas tandis que je fais de même vers le haut, m’empêchant de partir.

    — Attends.

    Il se retourne pour fouiller dans sa poche et je m’agenouille à côté de lui, mes sourcils se fronçant quelque peu. Lorsqu’il se retourne vers moi, son visage est sérieux, et la boule de nervosité dans mon ventre prend de l’expansion. Au centre de sa main se trouve un morceau bien rond de lapis-lazuli, une des pierres les plus rares que le royaume Hiver avait l’habitude d’exploiter dans les montagnes Klaryn il y a très longtemps.

    — Je l’ai trouvé lorsque nous avons séjourné à Automne il y a quelques années, commence Mather avec de la douceur dans les yeux. Après la leçon que William nous a donnée sur l’économie d’Hiver. Nos mines dans les montagnes Klaryn, creusant pour trouver du charbon, des minéraux et des pierres.

    Il fait une pause, et je peux alors voir l’enfant qu’il était. Nous nous sommes déplacés vers Automne il y a huit ans de cela, un enfant-prince prétendant être un soldat et une orpheline qui ne voulait rien de plus que de faire mine d’être à sa place à côté de lui.

    — J’aime penser que c’était de la magie, continue-t-il, son visage arborant un air sévère. Après nos leçons à propos des Saisons reposant sur un gouffre de magie, et nos terres étant directement affectées par ce pouvoir, et Angra brisant le conduit d’Hiver et prenant notre pouvoir en un vif mouvement écrasant de son poing, j’ai voulu — j’ai eu besoin de croire que nous pouvions obtenir de la magie d’ailleurs. Notre monde peut sembler équilibré — quatre royaumes de saisons éternelles, quatre royaumes qui connaissent le cycle de toutes les saisons ; quatre royaumes avec des conduits de lignée de sang féminine, quatre de lignées de sang masculine. Il n’est toutefois pas équilibré — il penchera toujours en faveur des monarques qui possèdent de la magie par rapport aux gens qui n’en disposent pas, comme leurs citoyens et… d’autres monarques dont les conduits brisent. Et j’ai détesté être aussi…

    Sa voix s’estompe.

    — Impuissant, dit-il en conclusion.

    Mon froncement de sourcils s’accentue.

    — Tu es loin d’être impuissant, Mather.

    Son sourire revient à moitié, puis il hausse les épaules.

    — À tout le moins, ce lapis-lazuli était un lien avec Hiver. Le fait de l’avoir en ma possession m’a aidé à me sentir plus fort, j’imagine.

    Je me mords la lèvre, remarquant cette manière qu’il a eu de frôler ce que j’avais dit.

    Il prend ma main et roule la pierre dans ma paume.

    — Je veux qu’elle soit à toi.

    Mes sens sont étourdis pendant ce moment où Mather ne relâche pas ma main, ne détourne pas son regard de moi. Je vois la lumière qui vacille dans ses yeux — ceci est important pour lui. Il me transmet une partie de son enfance.

    Je rapproche le lapis-lazuli de mes yeux pour l’examiner de plus près à la lumière du coucher de soleil avancé. La pierre est remarquablement bleue, pas plus grosse qu’une pièce de monnaie, et est ornée de stries azurées plus foncées le long de sa surface.

    À l’extérieur du gouffre perdu, la magie a seulement existé dans les conduits royaux des huit royaumes de Primoria, et son usage était réservé aux chefs, libre de l’utiliser selon leurs besoins. Elle ne se trouvait pas dans ses objets d’aussi petite taille, comme cette pierre bleue, reposant si discrètement dans ma paume. Je sais cependant pourquoi Mather voulait croire que cette pierre possédait de la magie : parfois, le fait de croire en quelque chose de plus grand que nous nous aide à atteindre un état où nous pouvons nous suffire à nous-mêmes, magie ou pas.

    — Je ne t’offre pas cela en pensant que tu ne t’en tireras pas autrement, ajoute-t-il. Cela m’a seulement aidé à quelques reprises d’avoir ce morceau d’Hiver avec moi.

    Je serre la pierre alors qu’un sentiment de calme s’installe dans ma poitrine à côté du battement lent et sourd de mon cœur.

    — Merci.

    Je fais un signe de la tête en direction de sa cheville.

    — Pour tout. Tu n’avais pas à…

    Il secoue la tête.

    — Oui, il le fallait. Tu mérites de pouvoir te battre pour

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