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L'ombre des dieux déchus: Les Plaies du Ciel, #2
L'ombre des dieux déchus: Les Plaies du Ciel, #2
L'ombre des dieux déchus: Les Plaies du Ciel, #2
Livre électronique597 pages8 heures

L'ombre des dieux déchus: Les Plaies du Ciel, #2

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À propos de ce livre électronique

Si la mort elle-même ne peut arrêter un dieu, qui le pourra ?

Aric a trouvé un nouveau foyer et une nouvelle famille dans le désert mais, une fois encore, l’Empereur dresse son horrible tête. Cette fois, ses Paladins n’ont pas seulement pour mission de capturer la Guilde, mais Aric lui-même. Pendant ce temps, au nord, tandis que Cassia fuit les chiens de l’Empire lancés à ses trousses, Fadan recherche l’appui d’une Rébellion fragmentée par les dissensions politiques et les conflits d’intérêt.

Toutefois, ce n’est pas seulement la guerre des hommes qui menace le monde de l’Arkhémie. Éliran, qui a été mandatée pour assassiner la Chef Archon Astoreth, découvre que le Cercle est en possession d’un ancien artéfact créé par les dieux eux-mêmes.

Le vent de la guerre se lève et, dans le chaos qui s’annonce, les projets sinistres du Cercle ne peuvent que fleurir. Pourra-t-on le stopper ? Ou est-il déjà trop tard ?

LangueFrançais
Date de sortie19 juin 2020
ISBN9781071552964
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    Aperçu du livre

    L'ombre des dieux déchus - V.R. Cardoso

    L'ombre des dieux déchus

    V.R. Cardoso

    ––––––––

    Traduit par Isabelle de ROSE 

    L'ombre des dieux déchus

    Écrit Par V.R. Cardoso

    Copyright © 2020 V.R. Cardoso

    Tous droits réservés

    Distribué par Babelcube, Inc.

    www.babelcube.com

    Traduit par Isabelle de ROSE

    Babelcube Books et Babelcube sont des marques déposées de Babelcube Inc.

    V.R. Cardoso

    L’ombre des Dieux déchus

    Copyright © 2020 by V.R. Cardoso

    Tous droits réservés. La reproduction, l’enregistrement ou la transmission de tout ou partie de cet ouvrage sur quelque support ou par quelque moyen – électronique, mécanique, par photocopie, enregistrement, scannage ou autre méthode - ne saurait être permis sans l’autorisation écrite de l’auteur. La reproduction de cet ouvrage, sa publication sur un site Internet ou sa diffusion par tout autre moyen sans autorisation est réputée illégale.

    First edition

    À ma filleule, Carlota, qui a exactement un mois de plus que ce livre.

    Puisse ta vie être remplie de magie, ma toute petite.

    Contents

    Remerciements

    Carte de l’Arkhémie

    Prologue – La noirceur de l’aube

    1. Les demi-Princes

    2. L’antichambre de la Rébellion

    3. Souvenirs brisés

    4. Ce qui suinte des fissures

    5. L’exil

    6. Le Prince des cavernes

    7. Le calice du Passage

    8. Les guerres que nous ne livrons pas

    9. La traque

    10. Les combats que l’on ne peut pas remporter

    11. Le vieil ami

    12. Les victoires éphémères

    13. Le casse

    14. L’Empire ébranlé

    15. L’île fantôme

    16. Le feu sacré

    17. Le Passage

    18. Premier sang

    19. L’ordre de Kallax

    20. Les alliés que nous haïssons

    21. Les survivants

    22. Brouillard de guerre

    23. Défiance

    24. Les cages que nous appelons « Chez nous »

    25. Mille morts

    26. Les ennemis qui ont notre confiance

    Epilogue – Dans l’œil de la tempête

    Remerciements

    Jack Llartin - Editeur

    Cate Courtright – Editeur

    Yin Yumming – Illustration de couverture

    Tad Davis – Illustration des cartes

    Danielle Fine – Conception graphique

    Carte de l’Arkhémie

    Prologue – La noirceur de l’aube

    Les premières neiges avaient commencé à tomber le jour où ils avaient traversé l’affluent nord du fleuve Saffya. À présent, elles menaçaient de les ensevelir.

    Le froid transperçait les gants et les bottes de Cassia, ses mains et ses pieds n’étaient plus que des membres engourdis. Le vent lui entaillait le visage avec la force de milliers de dagues. Derrière elle, la colonne de Légionnaires s’étendait bien trop loin pour qu’elle puisse en distinguer la fin au-delà des courbes de la route sinueuse. Une centaine d’hommes et de femmes couverts d’acier de la tête aux pieds avançait péniblement dans la neige sans même frissonner. Ils parvenaient à suivre l’allure de son cheval, malgré les paquetages aussi lourds qu’une armoire qu’ils portaient sur leurs dos, ce qui était plus qu’incroyable vu la tempête de neige qui sévissait autour d’eux.

    - Capitaine ? appela Cassia.

    Le vent lui renvoyait ses mots et l’obligea à élever la voix.

    - Capitaine !

    Darian, qui chevauchait un peu plus loin devant elle, se retourna.

    - Dans combien de temps quitterons-nous enfin ces satanées montagnes ? demanda Cassia.

    - Bientôt, répondit Darian sans trop de précisions.

    C’est lui qui avait eu l’idée d’emprunter cet itinéraire ; un long détour à travers les montagnes du nord hostiles dans l’espoir d’échapper aux tentatives de l’Empereur de les retrouver.

    - Parce que vous croyez qu’il sait où nous sommes, dit Vénia.

    Elle chevauchait à côté de Cassia, la capuche de son manteau gris fermée sur ses cheveux blonds.

    - Ce n’est peut-être pas l’itinéraire le plus confortable, mais c’est le plus sûr, Darian rassura-t-il Cassia, préférant ignorer la moquerie de Vénia.

    - Ce n’est pas de mon confort dont je m’inquiète, répondit Cassia. Vos soldats ne pourront pas progresser bien longtemps avec de la neige jusqu’aux genoux. Nous, au moins, nous avons des chevaux.

    - Ce sont vos soldats, votre majesté, répondit Darian. Et, sauf votre respect, ils avaient leurs propres chevaux.

    - Ooh, quelqu’un prend la mouche, se moqua Vénia.

    Ces deux-là étaient partis du mauvais pied dès leur première rencontre, juste à la sortie d’Augusta et, pendant tout leur périple, ils n’avaient cessé de se lancer des piques et de se quereller, à longueur de journée. Lorsque l’argent leur avait fait défaut, l’Impératrice avait décidé de vendre les chevaux des soldats pour que tout le monde puisse manger, décision à laquelle Darian s’était vivement opposé.

    - Ne te mêle pas de ça, dit Cassia à son espionne, après quoi elle reporta son attention sur Darian. Il fallait le faire. Je maintiens mon choix.

    - Mes excuses, votre majesté, dit Darian. Je n’ai pas à remettre vos décisions en cause.

    - Ne vous en faites pas, lui dit Cassia. J’apprécie votre franchise.

    Darian hocha la tête et le silence s’installa une nouvelle fois entre eux. Ils poursuivirent leur marche lente, la neige craquait sous les sabots de leurs chevaux. Alors qu’ils prenaient le virage juste devant eux, tous les trois stoppèrent leurs montures en même temps.

    - Ça alors, le diable nous emporte, moi et mon manteau le plus chaud, lança Vénia, incrédule.

    - Puisse la Déesse vous entendre, rétorqua Darian.

    Cassia était bouche bée.

    Devant eux s’étendait une vaste clairière au milieu de laquelle se dressait une bâtisse en pierre à trois étages. Toutes les fenêtres avaient été soigneusement fermées pour se protéger de la tempête, mais une engageante fumée noire s’élevait d’une large cheminée, sur le toit couvert de neige. Au-dessus de la porte d’entrée était accrochée une plaque en bois en forme de tasse. Malgré le gel et la neige qui la recouvraient en partie, on pouvait lire : La chope siffleuse.

    - Qui peut bien avoir l’idée d’ouvrir une auberge au beau milieu de ces montagnes phermiennes perdue ?

    Vénia ne posait la question à personne en particulier.

    - Elle me semble assez grande pour nous accueillir tous, observa Darian en mettant pied à terre.

    - Où croyez-vous aller comme ça ? demanda l’Impératrice.

    Darian s’arrêta.

    - Majesté, vous l’avez dit vous-même, il fait trop froid. Les troupes n’ont pas dormi sous un toit depuis des semaines.

    - Certes, mais je ne vous permettrai pas d’ennuyer un pauvre aubergiste.

    Cassia examina l’auberge quelques instants, soupira, et mit, elle aussi, pied à terre, en atterrissant gracieusement sur la route recouverte de neige.

    - Je vais négocier quelque chose.

    L’Impératrice tendit à Darian les rênes de son cheval, dont le capitaine se saisit en hochant la tête.

    - Je suppose que madame aura besoin de sa servante, dit Vénia, en descendant elle aussi de son cheval.

    Elle confia également ses rênes à Darian.

    Mais plutôt que de les prendre, le capitaine jeta un œil par-dessus son épaule.

    - Sergent ?

    La femme qui menait la colonne de Légionnaires se précipita vers Darian et prit les rênes des mains de Vénia. L’espionne, avec un large sourire, adressa un clin d’œil au sergent et tourna les talons.

    La porte en bois de l’auberge s’ouvrit après plusieurs coups, ses gonds gémissant. De l’autre côté, un petit homme d’une cinquantaine d’années affublé d’une vieille veste en laine usée leur jeta un regard suspicieux.

    - Qu’est-ce que vous voulez ? demanda l’homme, son nez crochu pointé vers les deux femmes.

    Cassia et Vénia échangèrent un regard.

    - Il gèle dehors, dit Cassia. N’invitez-vous pas vos futurs hôtes à entrer ?

    L’homme détaillait les forces militaires plutôt conséquences alignées derrière Cassia, le visage grave.

    - Quoi ? demanda brutalement l’homme. Oh, très bien. Entrez, entrez.

    Il s’écarta et ouvrit un peu plus la porte.

    Cassia entra et examina l’intérieur. L’endroit était vaste et occupait la quasi-totalité du rez-de-chaussée. Un feu se consumait dans l’immense cheminée installée tout au fond, emplissant l’air du doux parfum de pin brûlé. Aidé de quelques lampes à huile, le foyer éclairait la pièce d’une lumière orange tamisée. Un long comptoir séparait ce qui, à l’évidence, était l’auberge de l’arrière-salle. On ne voyait que deux grandes tables, qui n’occupaient pas plus du tiers de la taverne, laissant l’espace restant désespérément vide.

    - Vous voulez des chambres ? demanda l’aubergiste avec un accent du nord à couper au couteau.

    Née à Fausta, Cassia était du nord, elle aussi, mais les habitants des Montagnes phermiennes donnaient souvent l’impression de parler leur propre langage.

    - Oui, répondit Cassia. Et manger, et un peu de vin aussi.

    - Pour vous deux seulement ?

    - Vous aurez certainement remarqué mon escorte, là, dehors. Elle a besoin d’un gîte également.

    - Ferme cette porte, vieil imbécile, hurla une voix stridente qui provenait de l’arrière-salle.

    Sous un tablier crasseux, une femme apparut derrière le comptoir et avança vers eux en boîtant.

    - Tu laisses entrer le froid.

    L’homme s’exécuta en râlant, et les deux aubergistes se retrouvèrent bientôt côte à côte. Tous les deux étaient étonnamment similaires. Le même nez crochu, les mêmes joues roses, les mêmes cheveux gris ébouriffés.

    - Vous voulez des chambres ? demanda la femme.

    - Ils ont déjà dit que oui, lui répondit l’homme, exaspéré.

    - Et les soldats, dehors ?

    L’homme leva les yeux au ciel.

    - Sainte mère...

    - Je me demandais si mes Légionnaires ne pouvaient pas se rassembler ici, suggéra Cassia. Il semble qu’il y ait assez de place et, ainsi, vous pourriez me consentir un rabais. Généralement, ils campent dehors, mais dans ces circonstances, avec ce blizzard, ça ne me semble pas judicieux. Je suis certaine que vous comprenez.

    La femme sembla soupeser la proposition, tandis que l’homme continuait à marmonner dans sa barbe.

    - Très bien, dit-elle après quelques secondes. Un écu d’argent par tête et je vous offre votre chambre.

    Cassia sourit.

    - Un écu d’argent pour ma chambre et une pièce de cuivre pour chacun de mes soldats, répondit-elle.

    La femme fronça les sourcils et, après un silence interminable, hocha la tête en renâclant.

    - Je vais vous conduire à votre chambre.

    Elle se tourna vers son mari.

    - Occupe-toi des chevaux et fais entrer les soldats.

    Avec le même grognement que celui par lequel sa femme avait répondu à Cassia, l’homme fit demi-tour et sortit.

    - Suivez-moi, dit la femme en se dirigeant vers l’escalier, face à la cheminée. Comment avez-vous dit que vous vous appeliez ?

    - Je... je n’ai rien dit, répondit Cassia en regardant Vénia.

    - Vous savez, intervint Vénia, ce n’est pas vraiment comme ça qu’on...

    - Oh, ne faites pas attention à mes manières, l’interrompit la femme. Nous sommes de simples gens des montagnes, on n’a pas l’habitude de vos drôles de simagrées. Par ici.

    Arrivées sur le palier du premier étage, la femme leur montra le chemin dans le couloir.

    - Ne vous en faites pas, lui dit Cassia. Je suis Dame Lyssandra Vrendrast, mais je ne suis dame de rien à proprement parler. Nous sommes ce qu’on appelle la « noblesse sans terres ».

    - Sans terres ?

    Sous le choc, la femme s’arrêta net.

    - Et tous ces soldats, alors ?

    Vénia s’éclaircit la voix et dévisagea l’aubergiste.

    - Peut-être pourriez-vous surveiller votre langage quand vous vous adressez à notre Dame ?

    - Ça va, Vénia, dit Cassia. Cette brave femme est seulement curieuse.

    Elle se tourna vers l’aubergiste.

    - Je suis la Vice-reine du Corps Consulaire. Nous partons en mission diplomatique à Imuria.

    - Ah, répondit la femme en se remettant à marcher ou, plutôt, à boîter. Alors, vous avez bien fait d’amener des soldats. On dit qu’il y a beaucoup de problèmes derrière la frontière. Depuis qu’ils ont élu ce nouveau Chef Suprême ou Haute Majesté ou je ne sais comment ces sauvages appellent leurs chefs. Voilà, vous y êtes.

    Elles s’étaient arrêtées devant l’une des dizaines de portes en enfilade, face à un mur où toutes les fenêtres avaient les volets fermés. Une seule lampe éclairait le couloir, sa flamme vacillante faisait danser leurs ombres. La vieille femme fouilla dans les poches de la robe dissimulée sous son affreux tablier et on entendit le tintement d’un trousseau de clés. Elle en essaya une. Ce n’était pas la bonne, elle en essaya donc une autre.

    - Cette auberge me semble bien calme, observa Vénia, en examinant la longueur du couloir. Il n’y a pas d’autres clients ?

    Sans se détourner de sa quête de la bonne clé, la femme lui répondit.

    - Il n’y a que les deux messieurs au deuxième. C’est toujours très calme à cette période de l’année. Dès que la neige se met à tomber, les voyageurs se font rares.

    La serrure céda enfin, et la porte s’ouvrit en grinçant.

    - Allez-y.

    Elle les invita à entrer.

    - Je vais vous apporter de l’eau, comme ça vous pourrez vous faire un brin de toilette. Il y a de la tourte à l’agneau froide, mais mon ragoût de mouton sera prêt d’ici deux heures. Le meilleur de tout l’est du Pic Noir, vous pouvez me croire.

    - C’est appétissant, répondit Cassia en souriant.

    La vieille femme remit à Cassia et Vénia leur clé avant de redescendre par l’escalier, les laissant seules dans leur chambre. Elle était petite, dans tous les sens du terme, mais elle ne manquait pas de cachet. Le cadre du lit double était délicatement sculpté de fleurs et de feuilles. D’épaisses couvertures en laine colorées recouvraient la plupart des murs de pierre, et une peau d’ours brun couvrait l’espace entre le lit et la petite cheminée.

    - Je suis étonnée qu’elle ait accepté votre offre, dit Vénia en refermant la porte derrière elle. Elle ne va pas y gagner grand-chose.

    - Tu plaisantes ? demanda Cassia. À cette distance de toute civilisation ? Je lui ai probablement offert plus d’argent qu’elle n’en a vu en un an.

    - Et qu’est-ce que c’est que cette ‘Dame Vrendrast’ ?

    Cassia haussa les épaules.

    - Ne m’as-tu pas appris à utiliser ce que je sais quand il s’agit d’inventer une histoire ?

    Vénia secoua la tête et s’accroupit près du foyer et se mit à empiler des brindilles et du bois.

    - Vous êtes si sentimentale..., murmura-t-elle. Donnez-moi cette pierre à briquet.

    Cassia s’exécuta.

    - Ça justifie l’escorte !

    - Vous auriez pu lui servir n’importe quel nom, elle vous aurait crue.

    Vénia frotta la pierre à briquet, faisant jaillir des étincelles.

    - Pourquoi avoir choisi le nom de votre mère ?

    Les brindilles commencèrent à prendre et elle souffla dessus jusqu’à ce qu’une flamme apparaisse.

    - Oh, et j’oubliais les fonctions de votre grand-mère aussi. Je ne suis pas certaine que l’on puisse appeler ça de la fiction.

    - En tous cas, ça a marché, dit Cassia.

    Le feu allumé, Vénia se releva.

    - Eh bien, au moins vous n’avez pas dit que vous étiez Duchesse.

    - Pour le coup, dit Cassia en levant l’index, ç’aurait été une invention. Tarsus m’a contrainte à céder le Duché à Fadan quand il a eu treize ans.

    Elle se dirigea vers la seule fenêtre de la chambre, un rectangle minuscule. Elle ouvrit le volet de bois et regarda dehors.

    - Il voulait s’assurer qu’Aric n’hériterait jamais d’aucun titre.

    Vénia regarda Cassia, songeuse.

    - Euh... J’avoue que je n’avais jamais vu les choses sous cet angle.

    Cassia se retourna.

    - Quel angle ?

    - Aric... Il aurait pu devenir Duc.

    Vénia s’interrompit.

    - Enfin, si les choses avaient été autrement.

    - Si... Tu vas me rendre chèvre avec tes « si ».

    - Ne me dites pas que vous n’y pensez pas.

    Cassia se retourna vers la fenêtre.

    - Parfois, je ne peux pas m’en empêcher. Ça surgit dans ma tête... sans prévenir. Quelquefois, c’est comme un joli rêve. Aric, devenu un homme, dans le bureau de mon père. Ce qui est étrange car la dernière fois qu’Aric y a mis les pieds, ce n’était encore qu’un petit garçon. Je me le représente toujours de la même façon. Il porte l’un des costumes de Doric. Sur le mur, face à son bureau, il a accroché l’étendard de son grand-père, Faric, mais sous une vitrine parce qu’il refuse que quiconque le touche. Il écrit des lettres à son frère, l’Empereur ; il évoque les problèmes du Duché avec ses vassaux. Elle resta silencieuse quelques instants. - Néanmoins, je ne suis jamais présente. Dans cette scène.

    - Oui, mais vous l’observez.

    - Certes, mais je ne suis pas vraiment là.

    Cassia secoua la tête.

    - Tout comme ces quinze dernières années. Pendant presque toute sa vie, j’étais là sans y être vraiment. En tous cas, pas comme il en avait besoin.

    Vénia ne sut quoi dire. Par chance, un coup à la porte lui évita de devoir répondre. C’était la vieille aubergiste. Elle venait leur apporter un broc d’eau, une bassine en cuivre, et une petite marmite en fer. Après les avoir informées que les Légionnaires s’étaient installés en bas, la femme prit congé et referma la porte derrière elle.

    Cassia et Vénia versèrent l’eau dans la marmite qu’elles pendirent à la crémaillère, au-dessus du feu qui avait suffisamment grossi pour redonner vie aux pieds de l’Impératrice. Elles s’installèrent près du feu, fascinées par la danse des flammes.

    - Tout sera bientôt terminé, dit Vénia après un long silence. L’Archiduchesse Margeth fait certainement partie de la Rébellion. Elle nous protègera, et Tarsus finira par perdre notre piste. Ensuite, ce ne sera plus qu’une question de temps avant que nous rejoignions Fadan et Aric. Vous verrez.

    Cassia sourit mais ne dit rien.

    - Bien !

    Vénia se leva.

    - Je vais aller jeter un œil dans les environs. Voir qui sont les hôtes du deuxième étage.

    - Pour quoi faire ? demanda Cassia, les paumes tendues vers les flammes.

    - Vous êtes la personne la plus recherchée de tout l’Empire. Je veux savoir avec qui nous partageons notre toit.

    - Ne t’ai-je jamais dit que tu pouvais être légèrement paranoïaque ? lui demanda l’Impératrice.

    - C’est exactement ce pour quoi vous ne me payez pas.

    Vénia ouvrit la porte.

    - Essayez de dormir un peu. Le blizzard ne cessera pas avant demain matin, et vous savez que Darian aime partir avant l’aube.

    Cassia hocha la tête.

    - Je te garderai de l’eau propre.

    - Merci, dit Vénia en fermant la porte derrière elle.

    Dans la marmite, l’eau se mit rapidement à bouillir, et Cassia en versa un peu dans la bassine, réservant le reste dans un coin. Sous ses vêtements, Cassia sentait la sueur et la saleté. C’était la première fois qu’elle pouvait se laver depuis des semaines. Le voyage d’Augusta vers Pharyzah n’aurait pas duré plus de six ou sept jours s’ils avaient emprunté les voies impériales, mais grâce au détour décidé par Darian, un mois s’était écoulé depuis le jour où Intila l’avait extraite de la Citadelle.

    Pour le meilleur, néanmoins. Tarsus avait dû lancer tout son Empire à la recherche de Cassia. Plus elle se tiendrait loin de la civilisation, plus elle serait en sécurité.

    Heureusement, leur périple touchait à sa fin. Pharyzah ne se trouvait plus qu’à deux jours vers le sud, trois si la neige les ralentissait trop. Là-bas, l’Archiduchesse Margeth Abyssaria leur offrirait un refuge, et elle leur dirait peut-être même où se trouvait Fadan, et Tarsus perdrait leurs traces pour de bon. Le cauchemar allait prendre fin.

    * * *

    Le claquement de la porte contre le mur réveilla Cassia. Elle s’assit d’un bond et referma les épaisses couvertures autour d’elle. Elle cligna des yeux pour mieux voir et aperçut la fine silhouette de Vénia faire irruption dans la chambre.

    - Réveillez-vous ! dit l’espionne.

    Elle se dirigea vers la cheminée, attrapa au passage une bougie sur le chandelier et l’alluma avec le peu de flammes qu’il restait encore.

    - Qu’est-ce qui se passe ? demanda Cassia, devant le visage de l’espionne éclairé par la lueur orangée de la bougie.

    Ses sourcils se froncèrent au-dessus de ses yeux bleus.

    - Je ne les trouve pas.

    - Qui ?

    - Les autres hôtes, lâcha Vénia, qui faisait les cent pas dans la chambre. J’ai fouillé jusqu’à la dernière chambre. Je suis même allée vérifier dans le grenier. Il n’y a personne d’autre que nous ici.

    - Quoi ? demanda Cassia pour laisser le temps à son esprit de sortir de sa somnolence. Pourquoi l’aubergiste aurait-elle menti ?

    - Non. Elle n’a pas menti. Il y avait bien quelqu’un dans l’une des chambres du deuxième étage. J’ai trouvé des vêtements et deux sacs de voyage. Mais pas leurs propriétaires.

    Cassia réfléchit quelques instants.

    - Peut-être sont-ils simplement... sortis marcher un peu ?

    Vénia cessa de marcher et adressa à Cassia un regard interdit.

    - En plein blizzard ?

    - C’est vrai...

    L’Impératrice repoussa ses couvertures et quitta son lit.

    - Il faut prévenir Darian.

    - Pour quoi faire ?

    - Comment ça, pour quoi faire ?

    Cassia était presque arrivée à la porte.

    - Il est chargé d’assurer notre sécurité. Il doit être informé de ce genre de chose.

    - Je croyais que c’était moi qui étais chargée de notre sécurité, grommela Vénia, qui suivit néanmoins l’Impératrice.

    En bas, la troupe de Légionnaires avait pris possession de l’établissement tout en entier. Les soldats tapissaient le sol, endormis sous leurs capes bleues, leurs sacs en guise d’oreillers. Darian était installé à l’une des longues tables en bois, près de la cheminée, devant une tasse d’un contenu quelconque. Son second, une femme sergent répondant au nom de Claréana, était affalée sur la table, la tête sur ses bras, et ronflait légèrement. Darian était le seul encore éveillé, et il leva sa tasse en voyant arriver Cassia et Vénia.

    Comme on évite les flaques dans une rue boueuse, Cassia traversa la marée de Légionnaires assoupis et prit place en face de Darian, Vénia juste derrière elle.

    - Vous n’arrivez pas à dormir ? demanda le Capitaine.

    - Quelque chose cloche, répondit Cassia.

    - Je sais, dit Darian. À commencer par cette bière.

    Il porta la chope de bois à sa bouche et grimaça.

    - Non, pas ça, balourd, dit Vénia en se penchant un peu plus au-dessus de la table. D’autres hôtes étaient censés être ici, sous ce toit. C’est ce que la vieille femme avait dit.

    - Et ?

    - Et on ne les trouve nulle part ! J’ai fouillé toute l’auberge. Toutes les chambres sont vides.

    - D’accord... ça semble étrange.

    Darian haussa les épaules.

    - Mais je suis certain qu’il y a une explication. Pourquoi ne demandez-vous pas aux aubergistes ?

    - Très bien, convent Vénia. Où sont-ils ?

    Le Capitaine avala une nouvelle gorgée de bière.

    - Je ne sais pas. Quelque part à l’étage.

    - À l’étage ? demanda Vénia. Je pensais qu’ils étaient en bas.

    - Non, ils ne sont pas là, non. C’est moi qui me sers cette horrible bière depuis plus d’une heure.

    L’espionne bondit.

    - Bon sang !

    - Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Cassia, perdue.

    - J’ai fouillé jusqu’à la dernière chambre, insista Vénia. Jusqu’à... la... dernière. Il n’y a personne en haut. Personne.

    - Eh bien, ils ne sont certainement pas là..., dit Darian.

    Il se figea, réalisant ce qui arrivait.

    - La Déesse emporte mes ancêtres !

    Il attrapa le sergent qui dormait près de lui par les épaules et le secoua violemment.

    - Debout !

    La femme se redressa comme un ressort en hurlant un semblant de « OUI MONSIEUR ! ».

    - Rassemblez les troupes, lui ordonna Darian.

    - Il n’y a qu’un endroit que je n’ai pas encore vérifié, dit Vénia en tirant une dague et en se dirigeant vers le comptoir.

    Darian la suivit, son épée à la main. Voyant soudain son capitaine et l’espionne prêts à combattre, le sergent Claréana parut totalement réveillée.

    - Que se passe-t-il ?

    - J’ai dit rassemblez les troupes ! aboya Darian.

    L’Impératrice emboîta le pas à Vénia, qui lui fit signe de rester en arrière, suggestion que Cassia ignora parfaitement. Lentement, prudemment, Vénia passa de l’autre côté du comptoir puis franchit une voûte qui menait aux cuisines.

    Une grosse marmite pendait à un crochet, au-dessus d’un feu. Il en émanait une appétissante odeur d’oignon. Tasses et assiettes vides s’empilaient sur un plan de travail en bois, près d’un évier, tandis que la vaisselle propre était rangée sur des étagères qui couvraient tout un mur de la cuisine. Une seule porte desservait la pièce, et Vénia s’en approcha en redoutant que quelque chose ou quelqu’un lui saute dessus et l’attaque. Elle posa une main sur la poignée et prépara sa dague. D’un seul coup, elle ouvrit grand la porte, prête à poignarder quiconque se trouverait de l’autre côté.

    Cassia sursauta et se couvrit la bouche.

    - Oh non..., bredouilla Darian.

    Vénia se raidit mais ne dit rien.

    La porte donnait sur un garde-manger et, à l’intérieur, par terre, il y avait deux cadavres. Un homme et une femme gisaient, enchevêtrés, du sang séché maculait leurs vêtements, mais ce n’étaient certainement pas les deux prétendus aubergistes qui les avaient accueillis quelques heures auparavant. Tous les deux étaient plus âgés et avaient dépassé soixante-dix ans, leurs yeux bleu pâle regardant le plafond sans le voir, leurs bouches ouvertes dans un dernier halètement, comme surpris de ce qui leur arrivait.

    - Ça ne me dit rien qui vaille, murmura Darian.

    - Ouais, quelle merde ! lâcha Vénia.

    Elle tourna les talons et repartit vers la salle de l’auberge.

    - Que se passe-t-il ? demanda Cassia. Qu’est-ce qu’on fait ?

    Darian soupira.

    - On se prépare à une attaque.

    - Que... Quoi ? s’exclama Cassia, les yeux rivés sur le couple étendu au sol.

    Mais elle connaissait déjà la réponse.

    - C’était un guet-apens, répondit Vénia. Et nous sommes tombés droit dedans.

    * * *

    On entendit le hululement d’une chouette à l’extérieur.

    - Nous sommes encerclés, constata Claréana en jetant un œil dans l’entrebâillement des volets.

    Etonnamment, les Légionnaires réagirent au quart de tout et furent très vite prêts à se battre, notamment parce qu’ils avaient tous dormi dans leurs uniformes de combat.

    - Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Cassia.

    - On s’enfuit, répondit Vénia. Quelques Légionnaires de Darian pourraient créer une diversion pendant que nous vous emmènerions dans une autre direction.

    - Ce sont les Légionnaires de l’Impératrice, corrigea Darian. Et cette idée ne vaut rien.

    Il se tourna vers Cassia.

    - Majesté, nous devrions résister. Nous occupons une bonne position tactique. Ils sont certainement plus nombreux que nous. À l’extérieur, ils auraient sûrement l’avantage, mais pas à l’intérieur. La bâtisse est en pierre, ils ne pourront pas l’incendier pour nous déloger. Ils passeront par les portes et les fenêtres, ce qui nous permettra de les cueillir les uns après les autres.

    - Ils nous ont attirés ici pour une bonne raison, contesta Vénia. Nous sommes précisément là où ils voulaient que nous soyons. Si nous restons ici, nous sommes faits.

    Darian secoua la tête.

    - Majesté, avec votre respect, il s’agit d’une question militaire. Vous devriez vous fier à mon expérience.

    Cassia croisa les bras, hésitante, et regarda Vénia, dans l’attente d’un argument contraire. L’espionne se contenta de lui envoyer un regard qui voulait dire Ne soyez pas stupide.

    - Nous disposons des meilleurs soldats, insista Darian. Les Légionnaires constituent les troupes de combat les mieux entraînées et les mieux équipées de toute l’Arkhémie. Laissez-nous faire notre travail, votre majesté.

    Cassia regarda tout autour d’elle et examina les soldats. Tous les Légionnaires étaient sur le qui-vive, les mains posées sur leurs boucliers rectangulaires.

    - Je n’aime pas me sentir acculée, dit-elle, mais je crois que nous n’avons pas le choix. Préparez-vous à l’attaque.

    Darian opina du chef et s’éloigna en aboyant ses ordres.

    - Vous faites trop confiance à vos soldats de plomb, lui dit Vénia à voix basse.

    - C’est ton plan qui a voulu que j’utilise mes soldats de plomb, rétorqua Cassia. Et même que j’en sacrifie un certain nombre, si je t’ai bien comprise.

    Vénia garda le silence, les yeux rivés sur l’une des fenêtres.

    - J’ai un mauvais pressentiment.

    Un autre hululement résonna, plus proche cette fois.

    - Je perçois du mouvement, dit Claréana.

    Darian la rejoignit et regarda dehors.

    - Des Paladins..., cracha le Capitaine, comme si le mot avait un goût amer.

    Il se tourna vers ses soldats.

    - Serviteurs de l’Impératrice, tenez-vous prêts !

    Comme un seul homme, les Légionnaires soulevèrent leurs boucliers, les installèrent au bras gauche, puis formèrent trois lignes postées en face de chaque point d’entrée dans l’auberge. Darian et son sergent s’éloignèrent de la fenêtre et traversèrent les lignes de Légionnaires, les soldats s’écartant pour créer un passage pour revenir rapidement en position par un mouvement mille fois exécuté. Cassia avait déjà assisté à des spectacles de danse bien moins synchronisés au Théâtre de la Citadelle.

    - N’ayez aucune crainte, votre majesté, dit Darian qui s’était rapproché de Cassia et qui fixait la mentonnière de son casque. C’est ainsi que nous procèderons. Ces imbéciles, là dehors, n’imaginent pas dans quel guêpier ils se sont fourrés.

    Cassia hocha la tête, essayant de paraître plus calme qu’elle l’était en réalité. Du coin de l’œil, elle aperçut Vénia gigoter nerveusement. Elle savait que l’espionne ne croyait pas un traître mot de ce que Darian venait de dire, mais elle était satisfaite qu’elle ait gardé ses réflexions pour elle.

    Comment était-ce possible ? Comment avaient-ils pu la retrouver au beau milieu de nulle part ?

    Ton emprise n’a-t-elle aucune limite, Tarsus ? se demanda l’Impératrice.

    - Attention ! cria une voix à l’extérieur. Ecoutez, vous qui êtes dans l’auberge ! Nous savons que vous cachez l’Impératrice !

    Cassia et Vénia échangèrent un regard.

    - Je suis le Commandant Grégorian, du troisième Cadre des Paladins de Fausta, poursuivit la voix. Vous contrevenez à la loi impériale. Vous êtes encerclés et en forte infériorité numérique. Vous n’avez aucune échappatoire. Remettez-nous Cassia Elara, et votre écart vous sera pardonné. Vous quitterez la Légion avec les honneurs, et rien ne sera inscrit à votre casier judiciaire. Si vous refusez de nous livrer la fugitive, nous serons contraints de pénétrer de force dans cette bâtisse et tous ceux qui survivront à l’assaut seront pendus pour trahison. Vous avez dix secondes pour obéir.

    - Ça c’est parler comme un vrai Paladin, dit Darian dont la voix envahit toute la salle. Mais il n’y a pas de Paladins ici. Seulement des Légionnaires. Et nous ignorons ce que se rendre veut dire.

    La troupe tapa si fort du pied droit que le plancher trembla.

    - Serviteurs de l’Impératrice ! s’exclama Claréana. Formez le mur !

    Les lames d’une centaine de Légionnaires chantèrent en quittant leurs fourreaux, et autant de boucliers claquèrent en s’imbriquant les uns dans les autres.

    - Très bien, dit la voix à l’extérieur. Comme vous voudrez.

    Un silence pesant s’installa, à peine perturbé par le crépitement du feu.

    On entendit un énorme coup sur la porte d’entrée, de la poussière s’envola de ses charnières.

    - Un bélier ! s’écria Darian. Préparez-vous !

    Encore un coup. Cette fois, des fissures apparurent sur les planches de bois de la porte.

    - Donnez-moi une épée, dit Cassia à Darian. Ou un couteau. N’importe quoi.

    Le Capitaine fut pris de court.

    - Majesté... N’en arrivons pas là.

    - Tenez.

    Vénia tendit un petit poignard à l’Impératrice puis regarda Darian.

    - Mieux vaut assurer que regretter.

    Darian hocha la tête avec hésitation.

    La porte vola en des milliers d’éclats qui se mirent à pleuvoir sur les Légionnaires, puis une marée de Paladins s’engouffra à l’intérieur de l’auberge. Les Légionnaires qui leur faisaient face répondirent par le fer, leurs épées dressées vers eux. Quatre Paladins tombèrent immédiatement. Deux fenêtres explosèrent ensuite, une de chaque côté de la porte, et d’autres Paladins les franchirent, attaquant les autres sections du mur de boucliers.

    Armés de lances courtes et de boucliers ronds, les Paladins combattaient vaillamment, chargeaient frénétiquement, en hurlant comme des forcenés. Les Légionnaires, eux, livraient bataille avec la précision d’une mécanique bien huilée, en ne produisant presque aucun bruit. Leurs longs boucliers rectangulaires leur protégeaient presque tout le corps, ne laissant que leurs têtes et leurs pieds à découvert, mais même quand une lance ennemie trouvait un espace pour frapper, elle était contrée par le Légionnaire d’à-côté ou par la densité de leurs armures. Les Paladins n’affichaient pas la même cohésion et, dans leurs rangs, le nombre de victimes augmenta rapidement.

    L’odeur métallique du sang emplissait les narines de Cassia, et elle sentit son estomac se révulser. Au moins ses troupes parvenaient-elles à demeurer quasiment indemnes. Deux soldats furent blessés, rapidement ramenés à l’arrière et remplacés par des camarades de la deuxième ligne.

    - Qu’est-ce que c’est ? demanda Vénia.

    Cassia n’avait pas la moindre idée de ce dont parlait son amie.

    - Quoi donc ?

    L’espionne se retourna et leva les yeux vers l’escalier derrière elle.

    - Là-haut !

    Cassia suivit le regard de Vénia et écarquilla les yeux, non sur ce qu’elle voyait, mais sur ce qu’elle entendait. Quelque part au-dessus de sa tête, on entendait des pas résonner.

    - Ils sont dans les étages, dit Vénia. Darian ? Darian !

    Le Capitaine s’affairait à diriger une section de la ligne de Légionnaires, mais il se retourna en entendant son prénom.

    - Hein ?

    - Ils escaladent la façade, ils pénètrent par le premier étage, lui dit Vénia.

    Il fallut quelques instants à Darian pour intégrer l’information. Il leva les yeux, comme s’il pouvait voir à travers le plafond. Soudain, un cri de guerre retentit à l’étage, suivi de dizaines de pas qui grondaient dans l’escalier.

    - Troisième brigade, avec moi ! ordonna Darian en se précipitant vers la nouvelle zone de combat.

    Son détachement combla la brèche juste à temps, bloquant le bas de l’escalier au moment où Vénia éloignait Cassia.

    L’escalier n’était assez large que pour accueillir deux hommes côte à côte, et il fut bientôt encombré de Paladins. Cette fois, néanmoins, ils avaient l’avantage. Les marches donnaient de la hauteur aux Paladins, et il ne fallut pas longtemps avant que l’une de leurs lances transpercent la spallière d’un Légionnaire. L’homme chancela et, l’espace d’un instant, Cassia crut que les Paladins allaient s’infiltrer par cette brèche. Il parvint toutefois à rester debout, résistant derrière son bouclier, jusqu’à ce que le Légionnaire derrière lui vienne le remplacer.

    Darian aida son soldat blessé à s’éloigner de la bataille et adressa à Vénia un regard noir.

    - Vite, dans la cuisine ! Nous ne pourrons plus contrôler ces escaliers bien longtemps.

    - Je croyais que c’était une bonne position tactique ? rétorqua Vénia, furieuse.

    - Faites ce que je dis ! répondit Darian sur un ton cinglant.

    - Vénia, allons-y, dit Cassia en posant la main sur son bras.

    De mauvaise grâce, l’espionne obéit, laissant les rênes du combat qui faisait rage autour de lui. Les Paladins avaient désormais la mainmise sur la taverne, et même si ses soldats résistaient à la pression grandissante, la fatigue allait bientôt se faire sentir.

    - Sergent, préparez-vous à battre en retraite, ordonna Darian. Protégez l’accès aux cuisines. L’Impératrice y sera en sécurité.

    - Oui, monsieur !

    L’ordre fut rapidement transmis à toute la ligne de Légionnaires et, comme toujours, les troupes exécutèrent la manœuvre avec une efficacité remarquable. Un pas après l’autre, ils reculèrent, réduisant leur périmètre à une partie de plus en plus petite de l’auberge sans même briser la cohésion de leur palissade de boucliers. Pendant ce temps, les Paladins intensifiaient leur attaque, tels des vagues venant vainement s’écraser sur des falaises en recul.

    Cassia contourna le comptoir et s’engouffra dans la cuisine, Vénia sur ses talons. La porte du garde-manger où les cadavres des deux vrais aubergistes gisaient toujours était restée grande ouverte, et l’Impératrice la referma pour ne pas avoir sous les yeux cette vision macabre.

    - Je vous avais bien dit qu’on aurait dû s’enfuir, siffla Vénia qui tournait comme un lion en cage. Maintenant, nous sommes complètement prises au piège. Dans une foutue cuisine !

    Cassia lui adressa un regard sérieux.

    - Je ne suis pas précisément experte en la matière, mais ce genre d’endroit ne comporte-t-il pas généralement une porte de service ?

    Vénia s’arrêta net.

    - Si...

    Cassia se retourna et jeta un œil vers la salle de l’auberge. Ses troupes formaient à présent un demi-cercle autour du comptoir. Elle vit un soldat touché au cou par le fer d’une lance. L’homme lâcha son épée et se tint la gorge avant de s’effondrer. Quelques secondes plus tard, son cadavre fut transporté à l’arrière de la formation par ses camarades.

    - Mais s’il y en avait une, nous serions déjà dehors, ajouta Vénia.

    - Et si c’était un accès dont ni nous ni eux n’aurions connaissance ? suggéra Cassia.

    - Alors nous aurions une issue de secours.

    Cassia rouvrit la porte du garde-manger et la franchit, essayant tant bien que mal d’ignorer les cadavres. Elle regarda autour d’elle. Il n’y avait ni lampe ni torche, mais la lumière de la cuisine était suffisante pour qu’elle distingue une rangée d’étagères poussiéreuses sur lesquelles était rangé un peu de tout, des sacs de haricots aux pots de miel. Toutefois, il n’y avait pas la moindre porte en vue.

    - À vos pieds, dit Vénia.

    - Quoi ?

    - Reculez.

    Vénia écarta l’Impératrice et s’agenouilla. Elle épousseta le sol du revers de la main, faisant apparaître une ligne de démarcation sur les lattes du plancher.

    - Une trappe.

    - Vers un sous-sol ? demanda Cassia.

    - Ou un tunnel de secours. Aidez-moi.

    L’espionne se releva et attrapa les jambes de la femme morte.

    Dégoûtée, l’Impératrice lui attrapa les bras et, toutes les deux, firent basculer le cadavre sur celui du mari.

    C’était bel et bien une trappe, et Vénia saisit l’anneau de fer pour l’ouvrir.

    - Je vais jeter un œil, dit-elle. Restez là.

    - Non. Je viens avec toi.

    - Je suis espionne, pas garde du corps. Laissez-moi faire mon travail.

    Cassia brandit le poignard que Vénia lui avait confié un peu plus tôt.

    - Je peux me défendre toute seule.

    - Oh, vraiment ?

    L’espionne donna une simple tape sur le poignet de Cassia et le poignard traversa le garde-manger pour atterrir bruyamment dans la cuisine.

    - Restez. Ici.

    Vénia disparut par la trappe, laissant Cassia jurer dans sa barbe. Elle se dirigea vers le poignard et le ramassa, puis elle regarda de l’autre côté de la voûte qui menait à l’auberge, où la bataille faisait toujours rage. Malgré leurs lourdes pertes, les Paladins poursuivaient leur interminable assaut. Le fait que les Légionnaires aient commencé à céder du terrain les encourageait certainement, mais leur avancée semblait avoir cessé maintenant que les soldats s’étaient postés de l’autre côté du comptoir.

    On entendit un sifflement aigu provenir de l’extérieur et, pour la première fois depuis leur percée, les Paladins cessèrent leur assaut.

    - Halte ! ordonna un sergent Paladin. Cessez le combat !

    L’entrechoquement des lames et des boucliers se tut, et la ligne de Paladins recula lentement, prudemment.

    Que se passe-t-il ? se demanda Cassia. Est-ce terminé ?

    Son cœur s’arrêta soudain.

    Du coin de l’œil, elle vit tout. À l’entrée de l’auberge, quelqu’un jetait quelque chose ; un petit objet pas plus grand qu’un bocal.

    Un bocal enflammé.

    Le temps semblait s’être arrêté, et un cri de panique resta coincé dans sa gorge. Elle observa l’objet tourbillonner en l’air jusqu’à ce qu’il s’écrase au beau milieu de la troupe des Légionnaires. Ses Légionnaires.

    Une dizaine de soldats prit feu immédiatement, leurs cris d’horreur inondaient l’auberge. Dans la panique, les hommes en flammes couraient dans tous les sens en agitant les bras et tombaient sur leurs frères d’armes. Deux autres projectiles s’abattirent et, très vite, un tiers des troupes fut piégé dans l’incendie.

    Cassia se précipita pour porter secours à ces malheureux, mais Darian lui barra le chemin.

    - Non, votre majesté, restez à l’arrière !

    Le Capitaine repoussa l’Impératrice vers la cuisine, hurlant à ses troupes de battre en retraite. Tous ceux qui étaient en mesure de le faire suivirent leur capitaine, plus pas désespoir que par respect de l’ordre. Le sergent Claréana fut la dernière à revenir, elle essayait de maintenir un minimum d’organisation dans la retraite.

    - Bloquez l’entrée ! ordonna Darian. Vous, et vous, ôtez ces étagères ! Vous trois, prenez la table. Tout le monde s’y met !

    Sous leurs casques d’acier, les Légionnaires écarquillaient les yeux de terreur, tous transpiraient et haletaient lourdement. Quoi qu’il en soit, ils obéirent. Chaque objet de la cuisine suffisamment gros pour faire la différence était projeté vers le couloir voûté et, bientôt, une barricade se dressa entre eux et la salle de l’auberge.

    Le silence s’installa, seuls les hurlements de douleur de leurs camarades brûlés le brisaient.

    - Je... Je suis désolé, votre majesté, dit Darian, essoufflé. J’ai échoué...

    Pauvre homme. Ses hommes et lui mouraient à cause d’elle et c’était lui qui s’excusait ? Cassia posa une main sur son bras et s’apprêtait à lui dire quelque chose quand Vénia surgit du garde-manger.

    - Tout le monde se tient prêt ! Nous quittons les lieux !

    Les yeux de l’Impératrice s’illuminèrent.

    - C’est un tunnel ?

    - C’est une cave à vin, répondit Vénia. Mais le conduit de ventilation est assez large pour qu’une personne s’y faufile. Je ne pense pas qu’on nous attende de l’autre côté. S’ils savaient que cette issue existait, ils l’auraient déjà empruntée.

    Cassia soupira de soulagement.

    - Oh, la Déesse soit louée !

    - Une issue de secours ? demanda Darian.

    - Oui, lui confirma Cassia. Nous sortons d’ici, Capitaine.

    Darian hocha la tête, l’air absent, puis observa ses soldats.

    - Parfait. Sergent, prenez dix Légionnaires

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