Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Duologie Cataracta
Duologie Cataracta
Duologie Cataracta
Livre électronique648 pages7 heures

Duologie Cataracta

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Coffret 2 livres - Cataracta
___

Tome 1 - Cataracta

Rose Marchand, une simple couturière de Paris, est enlevée en pleine nuit. Elle traverse les mondes et se retrouve à Cataracta, une contrée inconnue entourée de cascades infinies. Bien vite, la jeune fille réalise que l’immense magie de cette terre sévit sous le joug d’un roi sans pitié, Malcolm Coeur-de-Flamme. Cet homme règne d’une main de fer sur son royaume, et sa cruauté envers les créatures magiques est légendaire. N’appartenant pas à ce pays étrange, Rose ne se soucie d’abord pas de leurs problèmes. Tout ce qu’elle souhaite, c’est de retourner à Paris pour retrouver sa soeur, la petite Adélie, qui compte sur elle depuis l’abandon de leurs parents. Se servant de sa ruse et de son courage, la jeune fille traversera la série d’embûches qui s’érigera entre elle et sa maison. Tout se compliquera lorsqu’elle constatera que le sort de ce monde et de ses habitants est étroitement lié au sien.
___

Tome 2 - Les cheveux de saphir

Zophia vit à Cataracta depuis toujours. Cette sirène ailée n’a jamais mis le pied hors du Cataractorium, une caravane errant de village en village pour donner en spectacle les créatures magiques qui y sont enfermées. Lorsque Zophia quittera enfin sa cage, elle découvrira un royaume qui a beaucoup changé depuis le couronnement de la reine Rose, 30 ans auparavant. Accompagnée d’un soldat se présentant sous le surnom d’Ace, Zophia voyagera à travers ce monde où les légendes s’avèrent souvent réalités.
LangueFrançais
Date de sortie17 avr. 2020
ISBN9782898086618
Duologie Cataracta
Auteur

Megane Chauret

Megane Chauret est une écrivaine qui souhaite partager sa créativité et sa façon de voir le monde par l’entremise de ses histoires. Elle a beaucoup voyagé à travers l’Europe et a toujours porté un intérêt particulier aux légendes des vieux pays, source inépuisable d’inspiration. Étudiante au collège Saint-Joseph de Hull, cette jeune auteure travaille sur son premier roman depuis ses quatorze ans. Elle souhaite terminer ses études et poursuivre une carrière dans le domaine des arts et de l’écriture.

En savoir plus sur Megane Chauret

Auteurs associés

Lié à Duologie Cataracta

Titres dans cette série (2)

Voir plus

Livres électroniques liés

Fantasy pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Duologie Cataracta

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Duologie Cataracta - Megane Chauret

    Copyright © 2018 Megane Chauret

    Copyright © 2018 Éditions AdA Inc.

    Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire.

    Éditeur : François Doucet

    Révision éditoriale : L.P. Sicard

    Révision linguistique : Féminin pluriel

    Correction d’épreuves : Émilie Leroux, Nancy Coulombe

    Conception de la couverture : Mathieu C. Dandurand

    Photo de la couverture : © Getty images

    Mise en pages : Sébastien Michaud

    ISBN papier 978-2-89786-610-5

    ISBN PDF numérique 978-2-89786-611-2

    ISBN ePub 978-2-89786-612-9

    Première impression : 2018

    Dépôt légal : 2018

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives nationales du Canada

    Éditions AdA Inc.

    1385, boul. Lionel-Boulet

    Varennes (Québec) J3X 1P7, Canada

    Téléphone : 450 929-0296

    Télécopieur : 450 929-0220

    www.ada-inc.com

    info@ada-inc.com

    Diffusion

    Imprimé au Canada

    Participation de la SODEC.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.

    Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Chauret, Megane, 2002-, auteur

    Cataracta / Megane Chauret.

    Public cible : Pour enfants de 8 à 12 ans.

    ISBN 978-2-89786-610-5

    I. Titre.

    Chapitre 1

    La petite couturière

    — Réveille-toi, petite sotte !

    La jeune Rose Marchand se leva en sursaut. Sa patronne, madame Porcia, se tenait à quelques centimètres de son visage et la fixait de ses petits yeux noirs et cruels.

    — Bien dormi ? grogna-t-elle.

    Rose frotta ses yeux. Elle avait travaillé toute la nuit pour terminer la robe qu’on lui avait commandée, mais la fatigue s’était emparée d’elle au petit matin.

    — Je suis désolée, madame Porcia, s’excusa-t-elle platement.

    C’était plutôt la patronne qui aurait dû s’excuser, puisque c’était bien sa faute si la jeune fille était constamment épuisée ; elle lui donnait tout le travail à faire dans le salon de couture sans jamais lever le petit doigt pour l’aider.

    — Que je ne te retrouve plus à roupiller au boulot, ordonna la dame grassouillette, cela pourrait donner une mauvaise image de ma boutique. Est-ce que tu veux ruiner ma réputation ?

    — Non !

    L’éclat d’audace dans ses yeux d’émeraude prouvait pourtant qu’elle pensait tout le contraire. En croisant ce regard provocateur, madame Porcia devint rouge de fureur.

    — Tu ferais mieux de contrôler cette insolence, siffla-t-elle d’un ton menaçant. Tu as peut-être du talent, mais, en un claquement de doigts, je peux trouver une autre petite orpheline pour te remplacer.

    Réalisant qu’elle était allée trop loin, Rose se renfrogna et se força à baisser la tête en signe de soumission.

    — Cela ne se reproduira plus, lança-t-elle sèchement.

    Madame Porcia, satisfaite, partit en faisant claquer ses talons sur le plancher. Lorsqu’elle fut hors de vue, Rose attrapa une aiguille à coudre pour se remettre au boulot. Elle avait espoir de rattraper le temps perdu. Ses doigts fins et habiles volèrent sur la soie en faisant des coutures droites et solides. La jeune fille travailla avec acharnement et perdit la notion du temps. Peu avant midi, la femme qui avait commandé cette robe entra dans la boutique. Rose soupira de soulagement. Elle venait à peine de terminer la dernière couture. Madame Porcia fut alertée de la présence de la cliente par la clochette de la porte. Elle s’empressa de l’accueillir en plaquant un grand sourire sur son visage trop maquillé.

    — Ma chère, vous tombez à point ! Je viens tout juste de terminer votre robe, minauda-t-elle en faisant un signe de bras vers son employée épuisée par l’effort.

    Rose serra les lèvres d’agacement. En secouant la tête, elle plia la robe et la déposa dans un paquet. Pour conclure, elle l’enroula d’un ruban rose.

    — Voilà, lâcha-t-elle en tendant le paquet à la cliente.

    — Quel joli ruban !

    Sa patronne pouvait peut-être prendre tout le mérite sur ses créations, mais la jeune fille y laissait toujours ce petit ruban rose, comme sa signature discrète. Après avoir payé, la cliente quitta le magasin avec sa nouvelle robe en mains. À la seconde où la porte se referma, madame Porcia laissa tomber son faux sourire. Elle fouilla dans la bourse d’or qu’elle venait d’empocher. Une minuscule pièce en ressortit et fut jetée aux pieds de la jeune fille. En quatrième vitesse, Rose ramassa la monnaie pour la ranger précieusement dans son tablier.

    — Au travail maintenant ! tempêta madame Porcia en frappant ses deux mains ensemble. Tes prochaines commandes sont trois robes en taffetas avec des perles sur le corsage et de la dentelle sur toutes les bordures !

    Rose se releva en traînant des pieds pour aller chercher le matériel nécessaire dans l’arrière-boutique. Après avoir cherché partout, elle constata qu’il ne restait pas assez de dentelle.

    — Eh bien, lâcha madame Porcia en soupirant exagérément. Si tu veux avoir terminé cette commande avant demain, tu devras en acheter immédiatement à la mercerie…

    La jeune fille attrapa un panier et se précipita hors de la boutique. Aussitôt qu’elle mit les pieds dehors, elle sentit un poids se libérer de ses épaules. Elle ferma les yeux et prit une grande inspiration d’air frais, essayant d’oublier l’odeur de renfermé du petit magasin. Lorsqu’elle rouvrit les paupières, Rose vit qu’aujourd’hui Paris était bien éveillé. Avant de s’engouffrer en plein cœur de l’agitation de la rue, elle laissa passer une diligence tirée par quatre beaux étalons noirs. Lorsque le passage fut dégagé, elle entama le chemin qu’elle avait parcouru une centaine de fois. De nature curieuse, la jeune fille observa les gens qui défilaient à ses côtés. Confortablement assis sur un banc, des hommes d’affaires lisaient leur journal. Ils soulevaient leur haut-de-forme respectueusement au passage des dames chiquement vêtues qui se dandinaient sous leurs ombrelles coquettes. Rose reconnut quelques-unes des robes que portaient ces femmes. Ces dernières n’avaient aucune idée que c’était elle, cette petite ouvrière insignifiante, qui les avait cousues de ses propres mains. Ces grandes dames se plaisaient à vanter le talent de la merveilleuse Porcia. La jeune fille baissa la tête en entendant des bribes de leurs conversations. Dans ce monde où les riches et les menteurs régnaient, Rose se sentait impuissante. Elle fut sortie de ses sombres pensées en arrivant devant la boutique du mercier. Au son de la clochette, la jeune fille passa la porte et découvrit une pièce croulant sous les rouleaux d’étoffes colorées. C’était ici qu’on fournissait les tissus à la majorité des salons de couture de la ville. Caché derrière un comptoir au fond se trouvait le propriétaire des lieux.

    — Bonjour, monsieur Collin ! lança Rose joyeusement.

    — Ma belle Rose ! s’exclama-t-il en lui rendant son sourire. De quoi la sorcière a-t-elle besoin cette fois-ci ?

    — De dentelle, encore… soupira la jeune fille avant de retrouver son enthousiasme. Est-ce que Bastian est ici ?

    — Oui, mon neveu est chez madame Bouchet, répondit-il en lui faisant un clin d’œil complice. Va le voir, je m’occupe de la dentelle.

    — Merci, vous êtes un ange, chantonna-t-elle avant de ressortir par la porte d’entrée.

    Rose vérifia rapidement son apparence dans la réflexion de la fenêtre. Elle pinça ses joues pour leur donner un peu de couleur, replaça ses cheveux bruns sous son bonnet et lissa sa robe d’ouvrière. Lorsqu’elle fut satisfaite de l’image que la vitre lui renvoyait, la jeune fille gambada vers la petite maison de la voisine.

    — Salut, Bastian ! lança Rose en le repérant près d’un plan de lys blancs.

    — Rosy ! s’exclama-t-il avec son fort accent anglais.

    Elle sentit ses joues rougir devant ce surnom mignon. Bastian pouvait être défini par un seul mot : parfait. Ses cheveux étaient de la couleur du blé et ses yeux de celle de l’océan. Le jeune homme était originaire de Londres, d’où il tenait son accent marqué, mais avait emménagé à Paris pour vivre avec son oncle quelques années plus tôt. Rose avait un faible pour Bastian depuis qu’elle l’avait rencontré. D’ailleurs, c’était le cas pour toutes les autres demoiselles qui avaient croisé son chemin. Chaque fois que Rose le voyait, son cœur se mettait à battre plus rapidement. Maintenant, il arrachait des touffes de mauvaises herbes du jardin de la voisine.

    — Que fais-tu ? demanda la jeune fille.

    — Madame Bouchet est trop vieille pour s’occuper de ses plantes, donc je suis venu l’aider, répondit-il en haussant les épaules.

    Bastian était si généreux — cerise sur le gâteau !

    — Savais-tu qu’elle chérit ses lys, car son défunt mari avait l’habitude de lui en offrir un chaque jour en revenant du travail ? demanda Rose avec malice. C’était très romantique…

    Le jeune homme cueillit une fleur. Elle sentit son cœur palpiter d’espoir qu’il la lui donne en cadeau. Il n’en fit rien.

    — Crois-tu que Charlotte l’aimerait ?

    Il parlait de la fille du boulanger, reconnue pour être celle qui séduisait le plus dans le coin.

    — Oui, répondit Rose, mal à l’aise. J’imagine que toutes les filles de Paris aimeraient que tu leur donnes un présent…

    Le jeune homme rit et rangea le lys dans un mouchoir.

    — Je le lui offrirai cet après-midi, lança-t-il en souriant de ses dents impeccablement blanches. Et merci, tes conseils sont toujours utiles.

    — Ça me fait plaisir, lâcha-t-elle, toute chamboulée.

    Bastian ne voyait pas du tout que Rose avait le béguin pour lui, et jamais il ne la verrait comme plus qu’une amie. Cette révélation frappa la jeune fille de plein fouet. Pour lui cacher son désarroi, elle salua le garçon en quatrième vitesse et retourna chez son oncle. En poussant la porte de la mercerie, ses épaules étaient affaissées et son regard était honteux. Monsieur Collin fut surpris de la voir entrer dans sa boutique dans cet état.

    — Qu’est-ce qui ne va pas, ma chère ? demanda-t-il d’un ton inquiet.

    — C’est Bastian, murmura-t-elle.

    — Ah, je vois, souffla le mercier en s’adoucissant. Des problèmes de cœur…

    — En effet, mon cœur a été stupide de croire qu’il pourrait être aimé en retour, cracha-t-elle.

    Monsieur Collin sembla insulté qu’elle dise une chose pareille.

    — Ton cœur en or est ta plus grande qualité, Rose. Ne le sous-estime pas.

    — Dans ce monde injuste, un bon cœur n’est pas une qualité, mais une faiblesse.

    La jeune fille fourra la dentelle dans son panier et sortit du magasin après avoir salué monsieur Collin sèchement. Elle savait qu’il était injuste de déferler sa colère sur lui, mais elle ne prit pas la peine de s’excuser. D’un pas rapide, elle passa par le même chemin que plus tôt, cette fois-ci en sens inverse. Une fine pluie ne tarda pas à tomber comme un voile sur Paris. Le bonnet de Rose devint inconfortablement humide sur sa tête. Lorsque, quelques longues minutes plus tard, la jeune fille franchit la porte du magasin de couture, elle dut endurer les sermons de sa patronne qui rechignait, car elle n’avait pas pu garder sa précieuse dentelle au sec.

    — Quelle étourderie ! crachait-elle. Je vais te mettre à la porte si tu continues à agir avec une telle maladresse !

    Lorsque madame Porcia eut finalement terminé de s’égosiller, Rose entama les robes commandées avec monotonie. La jeune fille travailla jusqu’à tard le soir. Elle était morte de fatigue, affamée, mais heureuse que la journée soit enfin terminée, car le moment qu’elle préférait allait enfin arriver…

    Chapitre 2

    Le cercle de danse

    Rose marchait rapidement dans la rue déserte. La lumière chancelante du lampadaire créait des ombres inquiétantes qui la faisaient sursauter à l’occasion. Le silence glacial de la nuit n’était brisé que par le bruit de ses bottines frappant le pavé. La jeune fille semblait inquiète et regardait par-dessus son épaule régulièrement pour vérifier que personne ne la suivait. Elle s’arrêta devant une boutique où l’inscription «  fermé  » était accrochée. Rose fouilla dans sa poche et en sortit une aiguille à coudre. Utilisant une technique qu’elle avait développée au fil des années, elle l’inséra dans la serrure et déverrouilla la lourde porte. Silencieuse comme une ombre, elle entra. Quelques minutes plus tard, la jeune fille en ressortit avec un objet caché dans son tablier. Elle prit soin de refermer la porte avant de reprendre son chemin dans la noirceur de la nuit. Elle ne s’arrêta pas avant d’atteindre une maisonnette coincée entre les autres bâtiments et dont l’allure était quelque peu délabrée, avec ses fenêtres brisées et les herbes folles qui envahissaient son jardin. La jeune fille entra par la porte de derrière, comme à son habitude. Elle passa sur le bout des pieds devant la nourrice, madame Martin, endormie sur son fauteuil à bascule. Les larges cernes sous ses yeux trahissaient son épuisement. Rose monta à l’étage en prenant soin à ne pas faire grincer les marches, et entra dans la chambre des enfants. Elle se faufila entre les quelques jouets usés et s’arrêta devant un des lits pour regarder une fillette dormir. La petite, qui n’avait pas plus de quatre ans, suçait son pouce et semblait se trouver dans un rêve merveilleux. Ses cheveux blonds boudinés étaient étalés autour de son visage aux joues bien rouges. Adélie fut réveillée par un doigt posé sur ses lèvres, ordre silencieux de ne pas faire de bruit. Ses grands yeux verts rencontrèrent leurs jumeaux, et elle se calma. L’aînée prit sa cadette dans ses bras et l’emmena vers la fenêtre. Dehors, le ciel étoilé brillait de mille feux et la lune argentée éclairait Paris d’une lueur magique. Rose monta sur le toit en pente, tenant encore fermement sa sœur dans ses bras. Elles s’assirent sur la bordure, jambes pendant dans le vide, et purent enfin parler sans réveiller les enfants dormant dans la chambre.

    — Rose ! s’exclama Adélie. Tu es revenue !

    La jeune fille ne pouvait pas visiter sa frangine le jour, car madame Porcia la harcelait jusqu’à tard le soir. Mais à cette heure, sa patronne s’était finalement endormie et ronflait comme un cochon.

    — Tu m’as manquée, souffla Rose en baisant tendrement le front de sa sœur.

    Elle se souvint d’un élément important.

    — Je t’ai apporté un cadeau ! chantonna-t-elle en sortant ce qu’elle cachait dans son tablier.

    — Un livre de contes ! couina Adélie.

    — Veux-tu que je t’en fasse la lecture ?

    — Oui, s’il te plaît !

    Rose ouvrit le livre et le feuilleta rapidement.

    — Hansel et Gretel ? proposa-t-elle.

    Adélie hocha la tête. Alors que sa grande sœur entamait la lecture du conte, elle resta pendue à ses lèvres. Rose essaya de changer de voix en jouant le rôle des différents personnages, ce qui fit bien rire sa petite sœur. Celle-ci garda les yeux grands ouverts jusqu’à ce qu’elle ait terminé de lui lire la dernière page.

    — La fin, souffla Rose en refermant le livre doucement.

    Contrairement à la plupart des enfants, Adélie ne s’endormait jamais au milieu d’une histoire, car elle ne voulait pas manquer sa partie préférée, la fin heureuse.

    — Crois-tu que maman et papa vont nous retrouver comme avec Hansel et Gretel ? demanda la petite fille avec espoir.

    Leurs parents les avaient abandonnées à l’orphelinat de madame Martin alors que la plus jeune n’était qu’un bébé. Elles y étaient restées jusqu’au moment où Rose eut atteint ses 14 ans. À cet âge, elle était devenue trop vieille pour rester chez la nourrice et avait automatiquement hérité de la responsabilité de sa sœur Adélie. Pour s’en sortir, elle n’avait pas eu le choix de trouver un travail chez madame Porcia. La jeune fille et sa sœur vivotaient de son salaire depuis maintenant une année entière. Leurs parents allaient-ils revenir ? Non, Rose ne le croyait pas du tout.

    — Bien sûr, mentit-elle d’un ton qu’elle espérait convaincant.

    La jeune fille ne voulait pas blesser sa sœur en lui avouant la dure vérité. Elle la ramena à l’intérieur pour la déposer doucement dans son lit. Soudainement, les yeux d’Adélie brillèrent alors qu’elle se remémorait la surprise qu’elle lui avait préparée. Excitée comme une puce, elle fouilla sous son oreiller pour en ressortir un mince ruban rose qu’elle tendit fièrement à sa sœur. Le bracelet rassemblait des petits boutons à coudre de diverses tailles et couleurs. Rose se souvenait de lui avoir donné ces boutons subtilisés au salon de couture, un à un, après de longues journées de travail. Elle savait aussi que sa petite sœur les amassait et en faisait une collection gardée précieusement dans un coffret caché sous son lit. Le ruban qu’elle venait de donner à Rose retenait les plus belles pièces de son trésor.

    — Merci beaucoup, murmura la jeune fille, émue.

    Elle attacha le bijou improvisé autour de son poignet. Aucun bracelet d’or ou de pierres précieuses ne pouvait rivaliser avec la beauté de ce présent.

    — Et j’ai choisi le ruban de ta couleur préférée, fit remarquer Adélie fièrement.

    — Rose ! gloussa la grande sœur.

    De la même couleur que ceux qu’elle attachait autour des emballages de ses créations. Sa signature. Rose se désola à penser que le seul cadeau qu’elle pouvait offrir à sa sœur en retour était un livre volé de la librairie. Elle prit Adélie dans ses bras et la serra avec vigueur.

    — Un jour, commença-t-elle en la regardant dans les yeux, je nous trouverai une belle maison où tu auras tous les jouets dont tu rêves et une grande cour où tu pourras jouer.

    — Tant que tu restes avec moi, souffla la petite en la serrant plus fort.

    Dans son regard suppliant, Rose vit que sa sœur avait compris. Peut-être était-elle encore trop jeune pour l’accepter, mais elle savait que leurs parents n’allaient jamais revenir, et que sa grande sœur était tout ce qui lui restait comme famille. Rose soupira, puis laissa une larme, une seule, couler.

    — Je dois partir maintenant, dit-elle en se dégageant délicatement de sa sœur. Je reviendrai te voir demain soir.

    Adélie lui donna une dernière étreinte et Rose sortit en lui faisant un dernier sourire. Cette dernière redescendit les marches et repassa devant madame Martin, toujours endormie.

    « Pauvre femme, elle se tue à la tâche de s’occuper de tous ces orphelins… »

    La jeune fille fouilla dans son tablier et sortit la seule pièce qu’elle avait gagnée aujourd’hui. Sans hésiter, elle la glissa dans la main entrouverte de la nourrice endormie puis sortit par la porte de derrière. De nouveau, Rose se retrouva dans la ruelle glaciale, entreprenant le chemin vers le salon de couture avec monotonie. Après quelques minutes de marche, elle s’arrêta brusquement. Un bruit lointain parvenait à ses oreilles et captait son attention.

    « Aussi beau que la mélodie d’une harpe et aussi doux que la voix d’un ange », pensa la jeune fille hypnotisée.

    Ne pouvant refouler sa curiosité, elle suivit la musique, qui devint de plus en plus forte alors qu’elle approchait de sa source. À chacun de ses pas, Rose sentait son cœur battre de plus en plus fort. Sa curiosité se décupla lorsqu’elle atteignit un parc de châtaigniers dont les branchages étaient transpercés de drôles de lumières. Mais lorsque la jeune fille découvrit la provenance de la musique, elle n’en crut simplement pas ses yeux : autour d’une fontaine, des femmes habillées de soies vives dansaient en cercle. Les mouvements fluides et élégants qu’elles effectuaient étaient différents de tous ceux que Rose connaissaient. D’autres personnes, que la jeune fille ne pouvait apercevoir clairement, avaient aussi été attirées par la voix des danseuses. Une d’entre elles descendit du rebord de la fontaine et lança joyeusement :

    — Messieurs, venez nous rejoindre dans nos festivités !

    Les gens approchèrent. Rose découvrit, à la lumière de la lune, qu’ils étaient tous de jeunes garçons en tenues de nuit. Un d’entre eux posa le pied sur le rebord de la fontaine, l’air hypnotisé. Au même moment, l’eau se mit à briller de mille feux.

    — Qu’est-ce que… ?

    Les femmes commencèrent à danser et à chanter de plus en plus rapidement, tournant autour du bassin à l’eau lumineuse jusqu’à s’en étourdir. La jeune fille regarda avec appréhension le garçon disparaître entre deux femmes tournoyantes. Un autre le suivit, puis un autre et encore un autre jusqu’à ce qu’il soit impossible que tous n’entrent dans la fontaine sans en sortir. Mais où tous ces enfants pouvaient-ils donc aller ?

    — Ne veux-tu pas joindre la danse ? demanda la femme qui avait parlé plus tôt, un grand sourire aux lèvres.

    Rose sentit un frisson parcourir tout son corps. Dans le parc, il ne restait qu’elle et les danseuses.

    — Que se passe-t-il ? souffla-t-elle en reculant. Qui êtes-vous ?

    En reconnaissant une voix féminine, la dame demanda, d’un ton plus dur :

    — Nous as-tu entendues chanter ?

    Ne sachant pas quoi répondre, tant la réponse était évidente, la jeune fille marcha à reculons dans l’espoir de s’échapper. Elle heurta une forme qui l’empêcha de fuir. En se retournant, Rose vit avec effroi une des femmes lui bloquant la voie par-derrière.

    — Toi, tu viens avec nous, lança-t-elle durement.

    La dame entrouvrit les lèvres et laissa échapper un doux murmure, comme une berceuse. La jeune fille sentit son corps devenir très lourd. Elle essaya de garder les paupières ouvertes, mais les sons hypnotiques prirent le dessus sur sa volonté, et elle sombra dans le monde des rêves…

    Rose se réveilla brutalement lorsqu’un jet d’eau glacée fut jeté à son visage. Elle ouvrit les yeux, paniquée, en crachant ce liquide salé qui lui brûlait la gorge, puis découvrit devant elle un personnage masculin qui lui était inconnu. Il la fixait de ses yeux violets emplis d’audace.

    — Salut, princesse, lança-t-il en lui offrant un sourire malicieux.

    — Qui es-tu ? Où sommes-nous ? demanda la jeune fille d’un trait en essayant de se lever, encore sous le choc de son réveil brutal.

    Elle ne réussit pas à bouger d’un pouce, car ses poignets étaient solidement attachés derrière un large poteau de bois.

    — Qu’est-ce que…

    Rose s’arrêta brusquement en voyant l’immense étendue d’eau derrière la rambarde de bois. Avec effroi, elle réalisa qu’elle se trouvait sur un navire au beau milieu de l’océan. Comment avait-elle pu se retrouver aussi loin de la côte alors que la veille elle était toujours au plein centre de Paris ?

    — Matelots, la gamine s’est réveillée ! s’écria le garçon qui lui avait jeté un seau d’eau au visage.

    Une masse de loups de mer malfamés s’affairèrent curieusement autour de Rose. En levant la tête, la jeune fille découvrit qu’au bout du mât auquel elle était ligotée flottait librement un drapeau noir au crâne entrecroisé de deux os.

    — Des pirates, souffla la jeune fille en blêmissant.

    Poussée par une vague de terreur pure, Rose essaya de se libérer de ses liens, ne réussissant qu’à s’écorcher les poignets avec la corde serrée.

    — Montre-nous tes beaux yeux, lui ordonna le même jeune homme en tentant de lui soulever le menton d’un doigt.

    Elle fit claquer ses dents en essayant de mordre sa main, mais il l’esquiva de justesse, à son plus grand désarroi.

    — Jolie, mais féroce ! grogna-t-il avant d’essuyer inutilement sa main sur sa chemise blanche aux amples manches.

    La jeune fille cracha à ses pieds en gardant obstinément les yeux baissés.

    — Je sais ce que vous êtes ! Des voleurs ! Des pirates !

    Le garçon ne sembla guère vexé par cette insulte. Il attrapa le tricorne planté sur sa tête, ce type de chapeau triangulaire démodé, et le balança pour faire une révérence exagérée.

    — Je suis Alekseï, second de la Méliade, se présenta-t-il. Mais tu peux m’appeler Aleks, ajouta-t-il en lui faisant un clin d’œil malicieux.

    Le pirate, plus rapide que l’éclair, attrapa la mâchoire de Rose d’une main pour la forcer à relever la tête. D’aussi près de lui, la jeune fille pouvait sentir l’odeur d’eau salée qu’il dégageait. Elle retint son souffle alors que le pirate sortait de sa poche une petite émeraude étincelante. Il la plaça près des yeux de Rose pour les comparer. Pendant d’innombrables secondes, le regard d’Aleks glissa de la pierre aux iris furieux de la jeune fille.

    — Les sirènes avaient raison, murmura-t-il en reculant après son inspection. Ses yeux sont verts comme l’émeraude, c’est bel et bien une myliphe. Je vais l’amener voir le capitaine ; il sera ravi de voir notre découverte…

    Aleks défit les liens de la jeune fille avec habileté.

    — Sois sage, ordonna-t-il.

    Le pirate essaya d’agripper son bras pour l’empêcher de fuir, mais Rose riposta en lui écrasant le pied de toutes ses forces. Aleks hurla de douleur et lâcha la jeune fille sous l’effet de la surprise. Elle profita de cet instant d’inattention pour se précipiter vers un filet tendu vers le haut du mât. Sans hésiter, elle l’agrippa et monta de plus en plus haut en sentant son cœur cogner dans sa poitrine comme un tambour. Sous l’effet de l’adrénaline, ses pieds et ses mains grimpaient à une vitesse fulgurante.

    — Parbleu ! jura Aleks furieusement en voyant que la jeune fille lui avait échappé. Redescends immédiatement !

    Rose l’ignora et continua de monter vers les nuages. Le vent fort qui tirait les voiles et lançait le navire à toute vitesse sur les vagues arracha son bonnet et l’entraîna au loin. Les mèches folles de la jeune fille se mirent à virevolter autour d’elle. Bien vite, elle atteignit la vigie, le poste où l’on pouvait observer l’horizon à des kilomètres.

    — Tu ne peux fuir nulle part, nous sommes sur un bateau ! lança le pirate moqueusement depuis le pont.

    Rose baissa les yeux vers Aleks, qui était maintenant réduit à une petite forme tout en bas. Elle fut automatiquement prise de vertige et ses jambes ramollirent d’un coup.

    — Je ne redescendrai pas avant que vous ne me rameniez à Paris ! s’exclama-t-elle après avoir fermé les yeux quelques instants pour arrêter son étourdissement.

    — Regarde autour de toi ; crois-tu sincèrement que nous pouvons retourner en France ? demanda Aleks, hilare, avant de se mettre à monter le filet à son tour.

    La jeune fille leva les yeux sur ce qui l’entourait et découvrit un paysage méconnaissable. La Méliade naviguait sur une mer qui semblait se terminer abruptement dans une cascade. Cette chute encerclait l’entièreté de cette étendue d’eau et épousait les contours de la vaste île qui y était posée presque en son centre. Cette terre était sillonnée d’un long fleuve serpentant jusqu’à se déverser dans la cascade de l’autre côté. La jungle dense et sauvage envahissait chaque parcelle de terre avec ses énormes arbres exotiques. C’était un autre monde coupé de tout par ces cascades infinies, et Rose ne parvenait pas à voir d’où le bateau y était entré en premier lieu. Le pirate atteignit à son tour la vigie et s’amusa de son expression éberluée.

    — Où sommes-nous ? demanda Rose d’une toute petite voix.

    — Bienvenue à Cataracta, lança Aleks théâtralement.

    Chapitre 3

    La figure de proue

    — Lâche ! Imbécile ! cria Rose à qui bon voudrait l’entendre.

    Après avoir descendu la jeune fille de la vigie, Aleks avait prétexté qu’elle devait reprendre ses esprits pour la jeter dans un cachot au fond de la cale.

    — C’est inutile, souffla une petite voix de souris dans la cellule avoisinante.

    — Désolée, mais je n’ai pas encore perdu espoir, moi ! s’exclama Rose avant de recommencer à crier des injures de plus belle.

    — Continue si ça te chante, mais le pirate qui guette l’escalier va te bâillonner et le voyage n’en sera que plus long, répondit la voix persistante.

    Rose, quelque peu ennuyée, se rapprocha pour découvrir l’identité de celui qui avait parlé. C’était un garçon n’ayant pas plus de 10 ans, aux cheveux noirs hirsutes et à l’allure frêle, accroupi au fond de sa geôle. Il était en pyjama et semblait aussi perdu qu’elle.

    — Comment t’appelles-tu ? demanda la jeune fille en s’adoucissant.

    — Amadeo Duval, répondit-il d’un ton hésitant. Et toi ?

    — Rose, dit-elle en souriant faiblement. Rose Marchand.

    À la lumière oscillante de l’unique lampe à huile, la jeune fille discerna une dizaine de garçons tous plus terrifiés les uns que les autres qui occupaient toutes les autres cellules du fond de la cale.

    — Mais que faites-vous tous ici ? demanda Rose en perdant son sourire.

    — Nous avons été enlevés, et les pirates disent qu’on sera vendus en esclaves lorsque nous atteindrons la terre.

    La jeune fille serra les poings. Jamais des parents n’accepteraient que leurs enfants soient asservis de la sorte !

    — Venez-vous aussi de Paris ? demanda Rose, intéressée, en attrapant les barreaux séparant sa cellule de celle du petit garçon.

    — Oui, répondit-il, les yeux ronds. Nous avons tous suivi un son merveilleux qui nous a entraînés dans le portail des sirènes. Un moment plus tard, nous nous sommes retrouvés dans la cale de la Méliade.

    — C’est horrible, siffla Rose. Mais… as-tu dit que ces femmes étaient des sirènes ?

    — Je dis la vérité, se défendit Amadeo. Je crois qu’elles peuvent transformer leurs queues de poisson en jambes lorsqu’elles ne sont pas dans l’eau…

    — Donc, ces légendes sont réalité dans ce monde, souffla-t-elle. Mais je dois t’avouer que je croirais n’importe quoi maintenant que j’ai aperçu Cataracta du poste d’observation…

    Rose décrivit à son nouvel ami l’île et les mers entourées d’une cascade interminable qu’elle avait aperçue du haut du mât quelques instants auparavant.

    — Je crois que Cataracta n’est reliée à aucun continent, dit-elle pensivement après avoir terminé sa description. C’est comme si nous étions entrés dans un monde tout à fait différent du nôtre, à une distance inimaginable de Paris, ou de n’importe quel autre endroit sur Terre…

    Cette déclaration fut suivie d’un silence pesant.

    — Alors, il n’y a aucune chance qu’on revoie nos familles, déclara Amadeo quelques instants plus tard, les larmes aux yeux.

    Les instincts de grande sœur de Rose la poussèrent à le réconforter :

    — Nous trouverons bien un moyen de retourner à Paris… As-tu déjà entendu l’histoire de Hansel et Gretel ?

    — Oui, bien sûr, dit le petit garçon en essuyant ses yeux d’une main tremblante.

    — Et donc, tu sais que lorsqu’ils étaient dans la pire situation, lorsque la sorcière les gardait prisonniers et voulait les manger, les enfants se sont échappés puis sont retournés à la maison ?

    — Oui, dit Amadeo en se ressaisissant. Tu as probablement raison. Si nous nous sommes retrouvés ici, il doit bien y avoir un moyen de retourner à Paris.

    Le courage du petit garçon raviva celui de Rose.

    — Je vais trouver un moyen de vous ramener tous à la maison, promit-elle solennellement.

    — Réveille-toi, petite princesse… chuchota une voix mielleuse.

    La jeune fille ouvrit ses paupières brusquement avant de tomber face à face avec le visage du pirate Aleks, accroupi de l’autre côté des barreaux de sa cellule. Ses yeux brillaient de leur éclat violacé dans le noir. Rose poussa un petit cri, surprise, avant de se relever sur ses avant-bras.

    — Ne réveille pas les autres, ordonna-t-il d’une voix calme.

    — Que veux-tu encore ? demanda la jeune fille en chuchotant rageusement.

    — Je crois que tu as appris ta leçon, et le capitaine insiste pour que tu sois bien traitée. Après tout, tu es notre plus précieuse marchandise… Donc, lève-toi et suis-moi.

    — Je préfère rester ici, dit Rose en se frottant les yeux et en se retournant pour l’ignorer délibérément.

    — Tu es si agaçante ! siffla Aleks avant de déverrouiller la porte de la cellule et de s’approcher d’elle.

    Il lui mit la main sur la bouche avant qu’elle n’ait le temps de crier, et la lança sur son épaule en poche à patate. Le pirate monta la jeune fille sur le pont sans difficulté. Ici, on pouvait voir que la Méliade s’était considérablement rapprochée de l’île, s’enlignant vers le grand fleuve qui traversait Cataracta de part en part. Le pirate porta Rose en contournant cordages et barils jusqu’à la poupe du navire. Un escalier donnait l’accès à deux étages et, tout en haut, à une plate-forme où trônait le grand gouvernail. Sans délicatesse, Aleks déposa la jeune fille sur le pont devant la porte de la cabine du capitaine.

    — Ne dis rien d’insolent et tu vivras, lui chuchota-t-il à l’oreille.

    Il cogna doucement à la porte avant d’enlever son chapeau, révélant ses cheveux noirs qui cachaient une étrange mèche bleutée derrière son oreille droite.

    — Pourquoi autant de classe de la part d’un pirate ? demanda Rose en se relevant et en époussetant sa robe.

    — Tu verras quand tu rencontreras le capitaine Sérac, répondit-il en grimaçant.

    — Entrez, lança une voix masculine derrière la porte.

    Rose fit irruption dans la pièce, prête à dire ce qu’elle pensait haut et fort.

    — Comment osez-vous enlever des enfants de leurs lits ? s’écria-t-elle.

    — Qu’est-ce que je viens de te dire ? chuchota furieusement Aleks derrière elle.

    La jeune fille regretta tout de suite ses paroles en voyant que le capitaine n’était pas seul dans sa cabine. En fait, des femmes exotiques aux yeux immenses et aux longs cheveux de couleurs très vives étaient étalées sur des coussins partout dans la pièce. Elles avaient peut-être des jambes, mais n’étaient pas pour autant humaines. Au deuxième coup d’œil, Rose vit que sous les soies qu’elles portaient se trouvaient des écailles de poissons, du haut des cuisses à la poitrine. Ce dernier indice concrétisa l’hypothèse de la jeune fille : ces femmes étaient bel et bien les sirènes.

    — Mais qui voilà ? La petite myliphe ! lança l’une d’entre elles — une très belle femme aux cheveux d’un vif orangé de poisson tropical.

    — Elle n’est encore qu’une enfant, lança une autre avec dédain.

    Les sirènes rirent mesquinement en cœur, et Rose se renfonça la tête dans les épaules. Elles furent interrompues dans leur amusement par le capitaine assis sur le bureau central.

    — Mesdemoiselles, laissez-la tranquille, commença-t-il d’une voix agacée. Venez ici, mon enfant, que je vous regarde.

    Rose approcha timidement de l’homme assis bien droit sur sa chaise et dont les traits étaient cachés sous un large chapeau blanc paré d’une plume volumineuse. Lorsque le capitaine releva la tête, on découvrit un visage sans âge et dépourvu d’émotions, encadré de cheveux aussi blancs que la neige. Viktor Sérac regardait la jeune fille de la tête aux pieds de son regard gris et froid.

    — Ces yeux de jade ne mentent pas, commença-t-il doucement, mais cette myliphe n’est qu’une gamine…

    Les sirènes rirent aux éclats et le visage de Rose s’enflamma.

    — Mais nous pourrons la rendre présentable en un rien de temps, reprit le capitaine en hochant la tête.

    — Pourquoi ? répliqua la jeune fille en essayant de cacher son agacement. Pourquoi voudriez-vous me rendre « présentable » si vous voulez me vendre en esclave comme les jeunes garçons dans la cale ?

    — Oh, non, pas vous ! la corrigea Sérac avant de rire franchement. Les braconniers de Babocka ne veulent que des garçons, je n’ai pas l’intention de vous vendre à eux. En fait, j’ai espoir de vous marchander à un acheteur bien plus haut placé, ajouta-t-il d’un ton de confidence.

    — Pourquoi aurais-je autant de valeur aux yeux de cet acheteur ? demanda Rose sèchement. Je ne suis qu’une orpheline sans argent.

    — Personne ne vous a expliqué ? demanda le capitaine, surpris. Mes charmantes sirènes vous ont identifiée lorsque vous avez perçu leur chant. Seule une poignée de garçons étaient censés l’entendre et tomber dans mon piège, mais vous avez défié cette règle, car vous êtes très spéciale.

    — Vous n’avez pas le droit d’enlever des enfants ! s’époumona-t-elle, irritée du calme de cet homme. Ils sont innocents !

    Une fois de plus, Rose regretta ses paroles. Le regard du capitaine Sérac se durcit, et il se releva brusquement, les poings serrés.

    — Ne vous avisez surtout pas de me manquer de respect, dit-il en appuyant chacune de ses syllabes. Alekseï, veillez à ce qu’elle soit enfermée dans sa chambre et Coral, mon ange, assurez-vous qu’elle prenne un bain, qu’elle soit habillée et nourrie.

    — Je dois jouer la femme de chambre maintenant ? demanda la sirène, furieuse.

    Le capitaine lui lança un regard noir et repassa d’une main les plis de son grand manteau aux boutons d’argent.

    — Ma protection contre vos services, c’était bien notre entente ? demanda-t-il d’un ton irrité.

    Les sirènes hochèrent toutes la tête en chœur.

    — Sans mon aide, vous vous retrouveriez sans aucune défense. Donc, si vous voulez garder les choses comme elles le sont, vous feriez mieux de m’obéir à la lettre.

    La sirène dénommée Coral baissa les yeux au sol en signe de soumission et s’éclipsa par la porte, entraînant Rose avec elle. La jeune fille resta silencieuse tout en suivant la sirène qui monta les quelques marches qui menaient à la pièce au-dessus des cabines du capitaine. Cette nouvelle loge, pas plus grande qu’un placard à balais, n’était meublée que d’un petit lit surmonté d’un hublot.

    — Pourquoi acceptez-vous d’être traitée de la sorte par le capitaine Sérac ? demanda la jeune fille à Coral.

    — C’est déjà beaucoup mieux que le sort qu’on nous réserverait à Saysserra, grommela-t-elle comme seule réponse.

    La sirène lança une chemise de nuit et un bout de pain sec au visage de Rose avant de repousser hautainement ses longs cheveux orangés par-dessus son épaule.

    — Oh, et si Sa Majesté veut prendre un bain, je serais ravie de la jeter à l’eau, lâcha-t-elle en levant le nez en l’air.

    Elle prit soin de refermer à clé la lourde porte avant de partir, laissant Rose seule dans cette nouvelle cellule. La jeune fille était absolument épuisée et avait de la difficulté à mettre de l’ordre dans ses pensées. Elle alla se planter devant le petit hublot pour regarder l’eau sombre défiler dans le sillage du bateau. En admirant la lune, Rose ne put s’empêcher de penser à sa sœur qui, en ce moment même, devait attendre sa visite vainement.

    — Je suis désolée, Adélie, murmura-t-elle. Je reviendrai bientôt.

    La jeune fille frôla son poignet, là où était toujours accroché le petit ruban de boutons à coudre d’Adélie. Elle devait la rejoindre le plus rapidement possible. L’idée que sa sœur se mette à croire qu’elle l’ait abandonnée l’horrifiait. Rose se recroquevilla au fond de la pièce et se prit la tête entre les mains, empêchant ses larmes de couler. Après un instant, le son d’une flûte mystérieuse emplit l’air. Elle ne pouvait pas voir qui jouait de l’instrument par la petite fenêtre de la porte, mais la belle mélodie la calma. Après un certain temps, elle se laissa submerger par le sommeil.

    La jeune fille ouvrit les yeux doucement. Les rayons chauds du soleil caressaient son visage ; le doux roulis des vagues la berçait. Les instants de la veille lui revinrent en tête. Rose était sur la Méliade, captive des pirates. Espérant que tout ceci soit un cauchemar, elle essaya de se rendormir, mais en fut empêchée par des pleurs saccadés qui parvinrent à ses oreilles. La jeune fille sauta sur ses pieds et se précipita à la petite fenêtre de sa porte.

    — Que se passe-t-il ? demanda-t-elle en essayant d’interpeller un marin qui passa devant sa cellule.

    Il ne lui prêta pas attention et continua de faire ses tâches quotidiennes avec un air maussade. Rose endura ces sons à fendre l’âme jusqu’à ce qu’elle entende le cliquetis de la serrure. Elle ne reconnut que trop bien ces yeux violets et ce chapeau ridicule à travers la petite fenêtre.

    — Aleks, cracha-t-elle.

    — Sérac veut te voir, lança-t-il durement en ouvrant la porte.

    Étrangement, son sourire arrogant avait été remplacé par une moue crispée. En sortant de la cellule, Rose découvrit d’où provenaient les pleurs. Elle vit avec horreur une forme accrochée à la proue, qu’elle reconnut avec un pincement au cœur comme étant Coral, la sirène aux cheveux orangés. Sa longue queue de poisson pendouillait dans le vide, ses lèvres gercées laissaient s’échapper des gémissements et son visage semblait brûler au soleil. Rose ne se rendit compte qu’elle s’était arrêtée que lorsque le pirate la poussa dans le dos pour qu’elle avance. Lorsque la jeune fille entra dans la cabine de Sérac, les sirènes la regardaient avec encore plus de fureur que la veille.

    — Vous êtes un monstre ! s’exclama Rose en se retournant vers le capitaine. Coral n’a que refusé de prendre le rôle humiliant de domestique !

    — Nous devrions vraiment travailler sur votre comportement, répondit Sérac, impassible, en sirotant son thé.

    — Vous avez accroché cette sirène à votre navire comme une vulgaire figure de proue, reprit-elle durement.

    Cette fois-ci, le capitaine s’impatienta. Il frappa son poing sur la table.

    — La seule raison pour laquelle je ne vous réserve pas le même sort est que je dois vous garder au meilleur de votre forme pour vous vendre au Collectionneur !

    Ce nom fit frissonner tous les gens présents dans la salle.

    — Le Collectionneur ? répéta Aleks en s’invitant à l’intérieur. Vous n’êtes pas sérieux…

    Le second du capitaine avait apparemment écouté la conversation à leur insu.

    — Depuis quand vous donnez-vous l’autorisation de me questionner ? demanda Sérac, imperturbable.

    — Désolé, cela ne se reproduira plus, lâcha Aleks en se renfrognant, je trouvais juste que de la vendre à cet homme était un peu… extrême.

    — Il paiera une fortune pour cette petite, lança le capitaine avec des étincelles d’avarice dans les yeux. Et je veux que cette gamine lui fasse une bonne impression, donc je te charge de lui chercher une tenue appropriée dans la salle des trésors.

    — Moi, Capitaine ? demanda Aleks en rougissant. Ne serait-ce pas mieux qu’une sirène s’occupe d’elle ?

    — Je ne veux pas que ces vipères abîment la marchandise. Ouste, maintenant, lança Sérac en les chassant du revers de la main.

    À ce moment précis, on ne pouvait pas dire lequel des regards d’Aleks ou de Rose était plus furieux que l’autre…

    Chapitre 4

    L’évasion trompeuse

    L’aurore se levait petit à petit sur le fleuve où naviguait la Méliade. Les arbres tropicaux envahissaient les berges, mais aucun signe de vie humaine ne s’y était montré jusqu’à présent. Rose et Aleks se tenaient sur le pont, devant une écoutille

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1