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Cataracta, tome 3 - Le coeur de rubis
Cataracta, tome 3 - Le coeur de rubis
Cataracta, tome 3 - Le coeur de rubis
Livre électronique425 pages5 heures

Cataracta, tome 3 - Le coeur de rubis

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À propos de ce livre électronique

Rubis est née avec une mystérieuse condition de coeur qui met sa vie en danger à chaque émotion forte. Petite-fille de la reine Rose, elle a toujours été protégée par sa famille et sort peu souvent du palais. Seulement, voilà que durant l’énorme tempête qui précède tous ses anniversaires, la princesse doit traverser chacun des territoires pour rassembler les parties de la légendaire couronne des étoiles. Rubis a l’espoir impossible que les pouvoirs de ce trésor ancien règleront tous les conflits de son royaume. En poursuivant le jeune magicien qui a volé la première pierre de la couronne, la princesse se fera de nombreux ennemis. Seuls d’étranges animaux dorés viendront à son aide. Grâce à eux, Rubis apprendra que la magie de Cataracta est plus incroyable encore que dans les histoires de sa mère et de sa grand-mère.
LangueFrançais
Date de sortie11 oct. 2021
ISBN9782897657406
Cataracta, tome 3 - Le coeur de rubis
Auteur

Megane Chauret

Megane Chauret est une écrivaine qui souhaite partager sa créativité et sa façon de voir le monde par l’entremise de ses histoires. Elle a beaucoup voyagé à travers l’Europe et a toujours porté un intérêt particulier aux légendes des vieux pays, source inépuisable d’inspiration. Étudiante au collège Saint-Joseph de Hull, cette jeune auteure travaille sur son premier roman depuis ses quatorze ans. Elle souhaite terminer ses études et poursuivre une carrière dans le domaine des arts et de l’écriture.

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    Aperçu du livre

    Cataracta, tome 3 - Le coeur de rubis - Megane Chauret

    Chapitre 1

    Cachette

    — Prêt, pas prêt, j’y vais !

    La jeune princesse ouvrit ses yeux bleu et vert. Maintenant qu’elle avait compté jusqu’à dix, le jeu pouvait commencer. La petite Rubis sortit du placard où elle s’était recluse et fit un tour de la bibliothèque. Son frère n’était caché ni derrière les rangées de livres ni sous les fauteuils de lecture. Où se trouvait-il, alors ? Après avoir vérifié dans toutes les allées, la fillette perdit son sourire et jeta un coup d’œil incertain dans le couloir. Personne ne lui avait dit que la partie de cachette se déroulerait dans tout le palais…

    — Quelqu’un a vu Idocrase ? demanda la princesse aux domestiques qui passèrent devant elle.

    Tous secouèrent la tête. L’enfant se résolut à continuer sa recherche hors de la bibliothèque. Elle regarda des deux côtés et repéra un visage familier qui dépassait du bout du couloir.

    — Je t’ai vu ! s’exclama-t-elle.

    Son frère fila dans un passage à gauche.

    — Tricheur ! l’accusa la princesse en se mettant à sa poursuite.

    Leur jeu de cache-cache se transforma en une chasse sans merci. Après avoir couru quelques secondes, le prince eut recours à son plus grand avantage pour se distancer de sa sœur : ses ailes. Des plumes se déployèrent dans le dos d’Idocrase et le firent planer au-dessus d’escaliers menant au sous-sol. Même s’il était simple pour la princesse sans ailes de descendre à pied, elle ne voulait pas suivre son frère vers l’étage interdit. Rubis céda au moment où elle entendit des rires mesquins tout en bas.

    — Tu ne m’échapperas pas ! s’écria-t-elle en s’élançant dans les escaliers.

    Arrivée en bas, la fillette fut désorientée. Jamais n’avait-elle eu la permission de jouer ici. Une odeur désagréable d’humidité émanait des pierres, et il y avait peu de lumière. La princesse jeta un coup d’œil dans la première pièce de l’allée. Ses yeux s’agrandirent lorsqu’elle discerna des épées accrochées aux murs.

    — Idocrase ? demanda la fillette, apeurée.

    Aucune réponse. Rubis rassembla son courage et entra dans la salle obscure, voulant gagner ce jeu le plus vite possible. Une forme dans un coin attira son attention. L’éclat qui en provenait rappela à la fillette les plumes or de son frère.

    — Je t’ai trouvé ! s’écria-t-elle en tentant de l’attraper.

    La princesse se jeta sur lui avec force. Elle comprit qu’elle n’avait pas trouvé son frère lorsqu’elle rencontra plutôt une surface dure et froide. Des morceaux s’en décrochèrent et le tout s’effondra sur elle. Rubis poussa un cri et plaça ses bras devant son visage pour se protéger. Son pouls se mit à battre plus rapidement à chaque pièce qui heurta le sol. Rubis se retrouva en boule sur le plancher, figée de peur. Sa poitrine devint si serrée qu’elle eut de la difficulté à respirer. Son cœur menaçait d’exploser.

    — On l’a trouvée dans l’armurerie en état de panique…, expliqua une voix douce, mais ferme à la fois. Nous croyons qu’elle a été effrayée par une armure qu’elle a fait tomber par accident.

    — Je l’avais pourtant avertie de ne pas descendre toute seule, souffla la reine. Le sous-sol n’est pas un terrain de jeu ! Et si elle s’était aventurée aux cachots, ensuite ? Elle a été chanceuse de ne s’en sortir qu’avec des égratignures…

    — Saphire, tu savais aussi bien que moi que des incidents de la sorte auraient lieu tôt ou tard.

    — Oui, mais je ne pensais pas que ces problèmes s’amorceraient aussi tôt, se désola la souveraine. Elle n’a que cinq ans !

    La reine s’approcha de sa fille endormie pour caresser ses cheveux.

    — Maman ? demanda l’enfant, qui se réveilla grâce à ce toucher maternel.

    — Oui, mon trésor, je suis là.

    Rubis vit qu’elle était dans son lit, au pied duquel la reine s’était assise. Un rayon de soleil illuminait les belles écailles d’or et le tendre visage de sa mère.

    — Tu es en sécurité, la rassura-t-elle.

    Un doux parfum de magie enveloppait la pièce. La jeune princesse en repéra l’origine : sa tante Nabella, la sorcière du château. Elle les observait un peu en retrait.

    — Où sont Idocrase et papa ? demanda l’enfant.

    — Ils attendent à l’extérieur, admit la reine. Tu dois te reposer, tu as vécu assez d’émotions fortes pour aujourd’hui.

    — J’ai mal, gémit l’enfant en posant la main sur sa poitrine.

    — Je sais, mon joyau, mais le mal partira bientôt. On t’a donné un remède.

    Saphire cacha ses larmes et serra sa fille avec toute la délicatesse du monde.

    — Regarde, ta tantine t’a apporté une surprise, indiqua la souveraine en se relevant pour laisser place à sa fidèle amie.

    Nabella s’approcha du lit, un coffret rond en main. Ses tresses noires chatouillèrent le nez de Rubis alors qu’elle se penchait au-dessus d’elle.

    — Pour toi, petite princesse.

    L’enfant sortit son bras de sous les draps et accepta son présent, une minuscule boîte sertie de pierres multicolores.

    — Merci, murmura-t-elle. C’est joli.

    — Et magique, ajouta sa tante sur le ton de la confidence. Regarde à l’intérieur.

    Rubis souleva le couvercle et découvrit que dans la boîte se trouvaient cinq petits bourgeons verts, chacun placé dans son propre compartiment.

    — Ils feront disparaître la douleur, expliqua la sorcière.

    L’enfant fronça les sourcils.

    — Est-ce que je vais avoir mal souvent ?

    — Seulement si tu as trop peur, indiqua sa mère en retenant une nouvelle vague de larmes. À partir de maintenant, tu dois faire attention à ne pas te trouver dans des situations alarmantes.

    — Je ne comprends pas, pleura Rubis. Maman, qu’est-ce que j’ai fait ?

    — Rien du tout, ma précieuse. Ton cœur est seulement délicat.

    — Est-ce que j’ai déréglé mon cœur parce que je suis allée en bas ? Je ne faisais que suivre Idocrase, nous jouions à la cachette…

    — Je vais gronder ton frère plus tard, mais non, ton mal n’est pas apparu parce que tu es descendue au sous-sol. Tu es née ainsi.

    Saphire échangea un regard attristé avec Nabella. Sentant le désespoir chez son amie, la sorcière s’approcha de la princesse pour tenter de la rassurer à son tour. Elle referma la main de l’enfant autour de son cadeau.

    — Tout ira bien si tu gardes ta boîte magique près de toi, d’accord ?

    La fillette hocha la tête, même si elle était terrifiée.

    — Dès que tu sens naître la douleur dans ta poitrine, tu dois avaler un de ces bourgeons sans le mâcher, reprit l’enchanteresse.

    Voyant combien sa mère et sa tante étaient inquiètes à son sujet, Rubis sentait déjà son cœur battre la chamade.

    — Je sais que tu as peur, souffla la reine, mais tu dois rester courageuse. Si personne n’est avec toi la prochaine fois que tu commences une crise comme celle d’aujourd’hui, je veux que tu restes forte et que tu prennes un bourgeon toute seule.

    La princesse essuya ses larmes et hocha la tête. À compter de ce jour, sa plus grande peur devint la peur elle-même.

    Chapitre 2

    Le couronnement

    — Par le pouvoir qui m’est conféré par le peuple, je te couronne, Rubis, princesse de Cataracta !

    La reine Saphire posa une couronne sur la tête de sa fille alors que les applaudissements fusaient en bas du balcon. Rubis se releva et salua le public. Tant de regards étaient fixés sur elle… Sentant son pouls s’accélérer, la princesse glissa sa main dans la poche cachée de sa robe. Ses doigts attrapèrent son inséparable boîte magique et son ongle s’inséra dans la fente du couvercle pour l’ouvrir. La jeune fille saisit un bourgeon et réfléchit à une manière de l’avaler sans être remarquée. Feignant lancer un baiser à la foule, elle fit glisser le médicament magique dans sa bouche en toute discrétion. Les gens étaient charmés, leurs cris d’acclamation pleuvaient sur Rubis.

    — Tu as très bien réagi aujourd’hui, ma précieuse.

    Le mari de la reine regardait sa fille avec fierté. La princesse savait que son père la félicitait surtout de ne pas avoir perdu le contrôle. Ni lui ni personne d’autre n’avait remarqué qu’elle avait eu recours à un bourgeon de guérison.

    — Je suis content que tout se soit bien passé, reprit Elzéchiace. Je craignais que tu ne sois pas prête à endurer la pression. Si j’avais pu décider, j’aurais attendu quelques années de plus avant ton couronnement…

    — Ce n’est qu’une tradition, au fond, lâcha la jeune fille en haussant les épaules.

    Sa grand-mère avait été nommée reine à quinze ans, et sa mère était devenue princesse au même âge. La coutume avait été poursuivie par le frère aîné de Rubis, lorsqu’il avait été désigné héritier. Que la jeune fille reçoive une couronne à l’approche de son quinzième anniversaire n’était justifié que par une tradition.

    — Je ne serai jamais reine, et être la princesse officielle ne me donnera pas plus de responsabilités, fit-elle remarquer.

    — En fait…, débuta son père en passant sa main dans ses cheveux d’un blond presque blanc.

    En attente d’explications, la jeune fille fronça les sourcils. Lorsqu’elle avait accepté que cette cérémonie publique soit donnée en son honneur, ses parents lui avaient assuré que rien ne changerait entre les murs du château.

    — Ta mère et moi voulons que tu t’occupes des prochaines audiences avec le peuple, admit son père.

    — N’est-ce pas l’une des tâches d’Idocrase ?

    — Oui, mais à la veille de la saison des tempêtes, ton frère est plus occupé que d’habitude, et il a besoin d’alléger sa charge de travail.

    Elzéchiace ne reçut aucune réponse.

    — Si tu ne veux pas le faire, ce n’est pas grave…, commença-t-il.

    — Non, ce n’est pas un problème, lâcha Rubis pour ne pas le décevoir. Je vous aiderai du mieux que je le peux.

    — Merci, ma précieuse.

    Il plongea son regard, empli de joie, dans celui de son enfant. À gauche, leur œil bleu miroita dans celui de l’autre. À droite, le vert émeraude de la princesse s’opposait au brun de son père. Rubis gardait une trace de la magie de sa mère, mais la dissemblance entre ses deux iris provenait de son père. « L’héritage bleu de ta grand-mère paternelle Corinne, et l’héritage vert de ton arrière-grand-père maternel Jéronimo », comme le lui rappelaient souvent ses parents. Son héritage était plutôt compliqué. Des sirènes, des humains et des myliphes formaient l’ascendance de cette princesse, qui ne pouvait se ranger dans aucune de ces lignées.

    Durant les semaines qui précédaient les grands orages, la jeune fille avait l’habitude de se terrer à la bibliothèque pour fuir toute l’agitation des préparatifs. Elle préférait se réfugier dans les histoires du passé plutôt que de s’inquiéter des temps noirs qui se pointaient à l’horizon. Cette fois-ci, la princesse ne pouvait se cacher de ses responsabilités, et le nouveau poids de la couronne sur sa tête le lui rappelait en permanence. Rubis poussa la porte de la salle des audiences et constata qu’elle était seule. Jamais n’avait-elle participé à un évènement public sans être accompagnée d’un parent ou d’un conseiller.

    « J’en suis tout à fait capable », se répéta-t-elle.

    La plus jeune enfant royale s’assit sur le fauteuil au centre de la pièce. Sur un bureau, du papier, une plume et un encrier étaient à sa disposition. Sentant déjà son cœur se serrer de nervosité, Rubis avala un bourgeon de guérison. La douce chaleur du médicament se répandit dans sa poitrine et la calma. Confiante, la princesse indiqua aux gardes d’ouvrir la porte du public. Le premier villageois qui entra fronça le nez, déçu de n’être accueilli que par la jeune fille.

    — Je croyais que l’héritier me recevrait…

    — Je remplace mon frère aujourd’hui, expliqua Rubis avec timidité.

    Qu’avait-elle espéré ? Qu’on ait envie de se confier à une fillette inexpérimentée ? Poli, l’homme fit la révérence et s’excusa.

    — Pardonnez-moi. Je demande l’aide de la famille royale, indiqua-t-il sans lâcher des yeux la couronne sur la tête de la princesse. Ma femme, mes enfants et moi avons besoin d’une place aux abris temporaires qui seront établis ici lors de la saison des tempêtes. Le toit de notre maison ne tiendra pas le coup, cette année.

    La jeune fille tenta de répondre à la manière de ses parents dans ce genre de situation :

    — Nous serions ravis de vous accueillir derrière nos remparts, vous et votre famille. Je peux vous inscrire sur la liste à l’instant.

    Rubis demanda le nom du villageois pour le noter sur une feuille de papier.

    — Merci, Votre Altesse, dit l’homme en s’inclinant.

    La princesse se réjouit de la facilité de sa première rencontre officielle seule à seul avec un habitant.

    — Faites entrer le prochain, indiqua-t-elle aux gardes.

    Durant l’heure suivante, Rubis vit une dizaine de villageois qui lui firent part de leurs soucis. Chaque personne qui se présenta cette journée-là avait besoin d’être hébergée au palais lors des orages, et leurs noms remplirent la feuille de la princesse.

    — Ai-je déjà terminé ? souffla-t-elle lorsque les portes se refermèrent.

    — Plus personne n’attend dehors, lui confirma un garde.

    Rubis avait traité tous les cas d’une journée entière en une heure à peine. Même pour ses parents, qui avaient des années d’expérience, ce bilan aurait été rapide. Pourtant, la princesse n’avait eu qu’à remplir une liste… Avait-elle omis une étape importante ? La jeune fille chassa les doutes de son esprit.

    — Si les audiences sont terminées, puis-je partir ?

    — Quand vous voulez, lâcha un garde en fronçant les sourcils.

    Il était évident que la tête couronnée devait donner ses propres ordres. Cette attente était inhabituelle pour la princesse, qui évitait les gardes et les domestiques pour ne pas déranger leur travail. Embarrassée, la jeune fille se leva et partit en gardant les yeux au sol. Ses pieds la guidèrent automatiquement à la bibliothèque. En entrant dans la vaste salle d’étude où elle se savait seule, Rubis soupira, se laissa tomber sur un fauteuil de lecture et replia ses jambes sur sa poitrine. Son menton se posa sur le doux tissu de la robe qui recouvrait ses genoux. Enfin à son aise, elle ferma ses yeux bleu et vert.

    — Rubis ! grogna la voix d’une personne qui fit irruption dans la pièce.

    La princesse se leva en sursaut pour découvrir que son frère était entré. Les ailes d’Idocrase étaient grandes ouvertes derrière lui, témoignant de toute sa fureur. De sa vue embrouillée par la peur, Rubis discerna le prince lui tendre une feuille de papier.

    — Est-ce toi qui as écrit cette liste ? s’enquit-il.

    — Oui, admit sa sœur après avoir expiré l’air retenu dans ses poumons. Est-ce tout ? Tu sais que tu ne dois pas m’effrayer pour un rien…

    Contrariée, elle sortit un bourgeon et l’avala pour apaiser son cœur douloureux.

    — Non, tu ne comprends pas, répliqua Idocrase en attendant impatiemment qu’elle se soigne. Tu as inscrit huit nouvelles familles aux refuges saisonniers.

    — Bien sûr, lâcha la jeune fille lorsqu’elle fut calmée par la magie. Maman m’a dit qu’elle veut partager la sécurité du château avec le plus de gens possible.

    — Nous analysons chaque cas un par un, puisque nous devons savoir si une famille a les moyens de se louer une chambre à une auberge, expliqua le prince en se retenant de ne pas crier. Nous accueillions des sujets au palais seulement s’ils n’ont pas assez d’argent pour être abrités dans un établissement résistant aux orages.

    — Mais ils ont attendu des semaines pour pouvoir nous rencontrer en personne ! s’indigna la princesse. S’ils se sentent plus en sécurité ici, pourquoi leur refuser l’entrée ?

    — Rubis, nous avons un nombre de places limité ! Nous avions déjà une liste complète des habitants que nous pourrons loger et nourrir ici. Comprends-tu que tu as promis des lits et des vivres que nous n’avons pas à toutes ces nouvelles personnes ?

    La jeune fille resta muette pendant un instant, saisissant l’ampleur de son erreur.

    — Je suis désolée, souffla-t-elle alors que des larmes apparaissaient aux coins de ses yeux. Je ne le savais pas…

    — Ton devoir était de le savoir, répliqua son frère. Rappelle ces paysans à l’instant et explique-leur ce malentendu.

    — Je ne peux pas leur dire qu’ils ne seront pas bienvenus au château après leur avoir promis le contraire ! s’horrifia Rubis, s’imaginant déjà la honte qui s’en suivrait.

    — Tu es la princesse, nom des étoiles ! grogna Idocrase. Arrête de te comporter comme une enfant !

    La jeune fille baissa la tête.

    — Règle tout ça, lui ordonna son frère en la poussant hors de la bibliothèque.

    Rubis marcha dans le couloir comme une condamnée vers sa potence. Le prince, son bourreau, la suivit de près pour s’assurer qu’elle ne tenterait pas de s’échapper. Il demanda aux gardes devant les portes de la salle des audiences de regrouper les personnes que sa sœur avait vues durant la journée. Alors que la princesse se remettait à la même place que plus tôt, son frère resta en retrait, ses bras croisés sur sa poitrine. Bientôt, la pièce fut remplie de paysans soucieux.

    — Bonjour, je… je…, bafouilla la jeune fille d’une voix presque inaudible.

    Ses joues s’empourprèrent. Elle avala la boule de nervosité dans sa gorge avant de réessayer :

    — Je vous ai convoqués parce que nous… parce que j’ai fait une erreur. J’ai surestimé les places disponibles au palais, et vous ne pourrez pas loger ici lors des tempêtes.

    Les gens se mirent aussitôt à protester.

    — Qu’allons-nous faire, maintenant ? demanda une femme. Il est beaucoup trop tard pour se réserver une place à une auberge !

    — Nous ne pouvons pas rester chez nous, se fâcha un autre villageois. Notre maison sera emportée par le vent !

    Une pluie de reproches tomba sur la princesse. Paniquée, elle s’empressa de sortir un bourgeon de son coffret. Tous les regards fixés sur elle ne virent qu’un mouchoir se porter à sa bouche, sans discerner ce qui se trouvait en dessous. Après la descente du médicament magique dans sa gorge, Rubis sentit un calme imperturbable prendre place en elle.

    — Vous serez tous installés ici, affirma-t-elle avec confiance.

    Suspicieuses, les personnes se turent et la fixèrent.

    — Excusez ma sœur, dit Idocrase en s’avançant d’un pas. Elle ne sait pas de quoi elle parle.

    — Non, le coupa-t-elle, nous avons assez d’espace pour vous loger tous dans mes appartements personnels. Je n’aurai qu’à remplacer les meubles par des lits de fortune. Vous y serez entassés, mais ceux d’entre vous qui sont vraiment dans le besoin pourront y rester avec leurs familles.

    Les gens prirent un moment pour réfléchir et décider s’ils préféraient rayer leur nom de la liste. Cinq familles restèrent.

    — Maintenant que cette question est réglée, partez, siffla le prince.

    Il fit un signe de main aux gardes pour qu’ils escortent les gens à l’extérieur. Tous firent la révérence et laissèrent la princesse seule avec son frère.

    — Qu’est-ce qui t’a pris ? s’écria Idocrase. Et où vas-tu dormir, petite écervelée ?

    La jeune fille prit un moment pour réfléchir.

    — Je n’aurai qu’à m’installer dans la bibliothèque. J’y passe déjà mes journées entières, pourquoi pas aussi mes nuits ?

    Son frère l’examina pendant un instant.

    — Comme tu voudras, mais puisque nous serons encore plus rationnés que prévu, ta nourriture ira à ces paysans. J’espère que tu aimes le goût de tes bouquins.

    Sur cette note amère, Idocrase repartit. Avant de fermer la porte, il ajouta :

    — Ramasse tes affaires, ta chambre doit être vidée.

    Chapitre 3

    À la bibliothèque

    Rubis se plaisait à la bibliothèque. En fait, maintenant que les domestiques avaient déplacé ses meubles dans l’espace de lecture, la princesse pensait s’y installer pour de bon. Le silence était complet. Tout était si immobile qu’on pouvait voir les grains de poussière en suspension sous le rayon de soleil qui tombait de la fenêtre au plafond.

    — Enfin en paix, murmura la jeune fille.

    Depuis un moment, elle était couchée sur son lit et regardait la lumière se refléter sur les contours de sa couronne entre ses mains. Le cuivre sans valeur qui la formait avait été poli jusqu’à briller autant qu’un coucher de soleil. Comme tous les autres trésors du palais, le métal précieux d’origine de la tiare avait été vendu et remplacé par une option moins coûteuse, sous les ordres de la reine Saphire. De telles ventes royales avaient financé l’entretien de la ville. « L’argent accumulé par les Cœur-de-Flamme, même il y a des centaines d’années, revient de droit aux Saysserrins », répétait souvent la mère de Rubis. Ce dicton, la princesse ne le contredisait jamais. Elle n’avait pas à se plaindre, car le bijoutier qui avait créé sa couronne avait réussi à former de gracieuses étoiles dans le cuivre. Symboliques, les astres qui allaient sur son front devaient la guider vers le droit chemin.

    — Les étoiles ne m’ont pas aidée jusqu’à présent, soupira-t-elle en repensant à sa rencontre désastreuse avec le peuple.

    Elle déposa sa tiare sur sa table de chevet, sortit de son lit et s’installa à plat ventre sur le plancher ciré. Au centre de la pièce était peinte une carte complète de Cataracta. Rubis avait demandé qu’on ne place aucun mobilier au milieu du plancher, pour qu’elle soit en mesure d’admirer le plan détaillé de son monde. De tous les lieux sur l’île, Saysserra demeurait son préféré. À vrai dire, la princesse n’avait jamais aimé voyager, surtout pas pour assister à des réunions diplomatiques.

    — Votre Altesse ?

    La princesse sauta sur ses pieds, honteuse d’avoir été surprise étalée sur le sol.

    — La reine mère, madame Rose, vous demande à ses appartements, l’informa le valet entré en toute discrétion.

    — J’y vais à l’instant.

    Rubis quitta la bibliothèque à toute vitesse. Elle emprunta une série de couloirs pour se rendre devant une porte, de laquelle deux domestiques sortirent en portant une lourde commode.

    — Mamie Rose ? demanda la jeune fille.

    — Entre, ma chérie !

    La princesse traversa l’entrée et vit l’endroit, d’habitude si calme, maintenant grouillant de domestiques. Rose donnait des directions au centre de tout. Sa petite-fille l’enlaça, réconfortée par ce visage chaleureux.

    — Oh, cette couronne semble beaucoup trop grande pour toi ! rit la grand-mère.

    — Mamie ! fit la princesse, gênée.

    Elle céda le passage à une femme de chambre tirant une chaise vers la sortie.

    — Que se passe-t-il ici ? demanda Rubis.

    — Mais voyons, tu devrais le savoir, tu nous as inspirés !

    Des cris s’élevèrent de la pièce d’à-côté.

    — Ne touchez pas à mes bateaux !

    — Ton grand-père, expliqua Rose en roulant ses yeux verts. Tu sais comment il est lorsqu’il est question de ses maquettes.

    Un domestique transporta avec précaution un bateau miniature, suivi d’un vieil homme coiffé d’un tricorne.

    — Mon amour, pourquoi doit-on déplacer mes navires ? demanda-t-il à son épouse d’un ton suppliant.

    — Nous devons laisser plus de place pour nos invités. Je t’ai dit que nous suivions l’exemple de notre petite-fille.

    — Vous cédez vous aussi vos chambres aux habitants ? souffla Rubis.

    — En tant que dirigeants, il est de notre devoir de nous sacrifier pour notre peuple, confirma sa grand-mère en hochant la tête.

    Alekseï enleva son chapeau triangulaire pour ventiler son crâne.

    — Où allez-vous rester durant la saison orageuse ? leur demanda la jeune fille sous les cris de son grand-père, qui craignait qu’on échappe une de ses créations.

    — Nous irons aux quartiers de notre vieil ami, le général Duval, répondit Rose. Il y a assez de place pour nous accueillir pendant quelques semaines.

    — Tu es très généreuse, grand-mère…

    Maintenant que sa précieuse collection de maquettes était sortie de la pièce, Alekseï remarqua enfin la présence de sa petite-fille.

    — Ah, tu es là, mon ange !

    Il serra la princesse entre ses bras, l’englobant de son parfum de sel marin.

    — Je n’arrive toujours pas à croire que ma petite Rubis est déjà couronnée !

    — Allons, papi, ce n’est qu’un titre.

    — Peut-être, mais n’as-tu pas déjà maîtrisé tes devoirs à merveille ?

    — En fait, j’ai quitté mes appartements seulement parce que j’ai mal géré l’espace destiné au peuple, admit la princesse.

    Ses grands-parents s’esclaffèrent.

    — Tu t’en es bien tirée, au moins, gloussa Rose.

    — Au moins…, acquiesça la jeune fille avec un maigre sourire.

    — Parfois, une bonne situation résulte d’une erreur, reprit sa grand-mère. Tel notre héritage myliphe ! Oh, mon père aurait pu t’expliquer mille fois mieux cette expression, tu sais, elle est attachée à notre héritage…

    Le ton de Rose s’était attristé. Jéronimo était décédé de vieillesse peu avant la naissance de la jeune fille, mais elle entendait souvent parler de lui. Un peu plus de cinquante ans auparavant, il avait été l’amant de la reine de l’époque, et leurs enfants s’étaient exilées dans l’autre monde. Lorsque Rose et sa petite sœur étaient retournées à Cataracta, l’aînée avait pris le contrôle du royaume et l’avait rendu juste à nouveau. On racontait cette histoire à Saysserra comme une légende. Pour Rubis, c’était le passé de sa famille.

    — À propos, Héléna déménagera-t-elle tout comme nous pour les jours de tempête ? demanda la princesse à sa grand-mère pour alléger la conversation.

    — Non, je crois qu’il vaut mieux ne pas trop déranger sa routine, répondit Rose.

    — Va-t-elle bien, ces temps-ci ?

    — Tu peux aller lui demander toi-même, si tu veux. Elle s’est souvenue de toi lorsque je lui ai mentionné ton couronnement, ce matin.

    La jeune fille voyait peu souvent son arrière-grand-mère. Elle se rappelait avoir vécu des scènes lorsqu’elle était enfant où la dame âgée se mettait à pleurer sans crier gare, car elle n’arrivait pas à se remémorer les noms de ses arrière-petits-enfants. Pour ne pas la troubler, on avait décidé de la tenir loin de Rubis et d’Idocrase. Les rares fois où elle voyait cette femme qu’elle connaissait à peine, la princesse se sentait mal à l’aise. Rubis accepta de la visiter malgré tout, devinant combien elle ferait plaisir à sa grand-mère. La chambre d’Héléna était tout juste de l’autre côté du corridor, et lorsque Rose cogna, sa sœur ouvrit la porte. D’une dizaine d’années la cadette de la reine retraitée, Adélie possédait toujours assez d’énergie pour prendre soin de leur mère.

    — Ma chère Rubis, félicitations pour ton couronnement ! s’exclama-t-elle.

    — Merci. Est-ce qu’Héléna est réveillée ?

    — Oui, répondit sa grand-tante avec surprise. Es-tu venue pour la visiter ?

    La princesse hocha la tête.

    — Tu verras, elle s’est plutôt bien portée ces derniers temps, murmura Rose en serrant la main de sa petite-fille.

    Adélie fit entrer la princesse et sa grand-mère. La personne qu’elle venait visiter était assise sur son fauteuil roulant près d’une fenêtre donnant sur le jardin. Rubis avait déjà surpris Héléna à l’observer du même endroit lorsqu’elle jouait dehors, enfant.

    — Maman ? Regarde qui est là, dit Rose.

    La dame centenaire tourna sa tête dans leur direction. La princesse pouvait imaginer que mamie Rose ressemblerait à sa mère dans une trentaine d’années : plus ridée et avec moins de cheveux, mais gardant les traits de famille. Lorsqu’elle croisa les yeux de la vieille femme, la jeune fille n’y vit aucune étincelle de vie.

    — Bonjour, souffla Rubis.

    Héléna détourna sa tête et se remit à observer les oiseaux dans les arbres du jardin. Alors que la princesse crut qu’elle resterait muette avec elle, son arrière-grand-mère lui posa une question sans cesser de fixer la fenêtre.

    — Est-ce lui qui t’a envoyée ?

    — Qui ça ?

    — Qui d’autre que Malcolm ? grogna la vieille femme avec une rage surprenante. Il est bien celui qui t’a donné cette couronne, non ?

    La jeune fille recula d’un pas. Son aïeule avait prononcé le nom du roi terrible qui régnait autrefois sur leur royaume. Malcolm Cœur-de-Flamme, le mari décédé d’Héléna. Grand-tante Adélie se plaça à ses côtés et tenta de la calmer.

    — Non, refusa la vieillarde en repoussant sa fille adulte comme une enfant. Je veux mon Jéronimo. Où est-il ?

    Les yeux plissés de l’arrière-grand-mère cherchèrent la pièce pour son amant, avant de s’arrêter sur la princesse.

    — Voleuse ! Tu lui as volé un œil, comme Malcolm a volé son aile !

    Rubis ne savait pas si elle devait répondre. Héléna était prise dans une illusion qui datait de plus d’un demi-siècle, et il semblait qu’aucune parole ne pourrait l’en sortir.

    — Tu devrais peut-être partir, ma belle, souffla Adélie. Ma mère est fatiguée.

    Avant de traverser la porte, la princesse se retourna.

    — Cet œil vert est mon héritage, affirma-t-elle.

    Même si plusieurs heures s’étaient écoulées depuis, Rubis gardait un certain malaise de sa visite avec Héléna. Comme lorsqu’elle était une fillette dont l’arrière-grand-mère avait oublié le prénom. Dès que la princesse tentait de fermer les yeux, le souvenir de la fureur de son aïeule à son égard rejouait en boucle dans sa tête. Dès que ses paupières se rouvraient, ses yeux s’arrêtaient sur la couronne posée sur sa table de chevet. Les paroles d’Héléna résonnaient alors dans la bibliothèque vide : « Qui d’autre que Malcolm ? Il est bien celui qui t’a donné cette couronne, non ? » Cette phrase était celle qui avait le plus choqué sa descendante. On ne lui avait parlé qu’à de rares occasions de ce roi, aujourd’hui décédé depuis soixante ans. Tout ce que Rubis savait de lui était qu’il avait été détrôné par sa grand-mère, puis exécuté par le peuple. En plus d’avoir été le plus cruel dirigeant que Cataracta ait jamais connu, bien sûr. Lorsque la jeune fille s’imaginait l’allure de Cœur-de-Flamme, une vague image germait de ses souvenirs. De longs cheveux noirs, un visage dur et des yeux où brillait la folie.

    « Où l’ai-je déjà vu ? », se demanda-t-elle, les yeux fixés au plafond.

    Rubis avait sans doute observé un portrait de lui. Pourtant, elle savait que le peuple avait brûlé tous les drapeaux portant l’emblème du cheval enflammé du roi. Les peintures de Cœur-de-Flamme étaient sûrement passées au feu, à la même occasion… Plus Rubis réfléchissait, plus la mémoire lui revenait. Une singulière odeur de pierre humide était attachée à son souvenir du roi.

    « Ce que je cherche doit être dans l’un des étages souterrains », conclut-elle.

    Qu’on ait oublié

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