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Le chant des 1001 voix
Le chant des 1001 voix
Le chant des 1001 voix
Livre électronique350 pages4 heures

Le chant des 1001 voix

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À propos de ce livre électronique

Au centre du lac noir, le temple de la Lumière pointe ses longues aiguilles vers la voûte tapissée de lucioles. La grande caverne, joyau du royaume s’éveille. À Surplomb, le long du Passéo, les ateliers d’art ouvrent leurs portes. Astoriuz est à son apogée, mais tout sommet est longé d’un précipice…
LangueFrançais
Date de sortie4 août 2021
ISBN9782312082905
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    Aperçu du livre

    Le chant des 1001 voix - Véronique Peyle

    cover.jpg

    Le chant des 1001 voix

    Véronique Peyle

    Le chant des 1001 voix

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2021

    ISBN : 978-2-312-08290-5

    Les 1001 voix nous guident

    Les 1001 voix sont le savoir

    Les 1001 voix sont la somme des connaissances

    Les 1001 voix sont notre mémoire

    Les 1001 voix nous enseignent et nous nourrissent

    Nous sommes les 1001 voix{1}

    Chapitre 1

    Du temps de l’insouciance

    – Nacarah ! Tu as encore triché ! s’exclama Turquin.

    – Je n’ai pas triché ! Jenss est-ce que j’ai triché ?

    – Je n’ai rien vu…

    – Tu es toujours de son côté ! Moira tu dis quoi ?

    Il prit son air le plus charmeur en se tournant vers elle. Moira jeta un coup d’œil à Nacarah puis à Turquin. Elle hésitait entre la fidélité envers sa meilleure amie et son attirance pour son frère malgré son mauvais caractère. Il lui lança un regard féroce pour hâter sa réponse. Déçue, Moira trancha.

    – Je n’ai rien vu, je ne vais pas accuser Nacarah pour te faire plaisir !

    – Je n’ai rien fait… c’est juste mes doigts qui sont trop longs !

    – Tu triches toujours au lézard enroulé ! Et vous deux vous êtes toujours avec elle ! hurla-t-il furieux.

    Moira mécontente bondit sur ses pieds et s’éloigna à grands pas.

    La minuscule Azrah sortit en trombe de l’atelier des maîtres-coloristes. La colère dessinait deux taches rouges sur ses hautes pommettes. Elle arrivait à peine à l’épaule des trois adolescents. Ses yeux noirs lançaient des éclairs.

    – Turquin, Nacarah ! Pourriez-vous arrêter de crier ? Tout le Passéo en profite !

    Elle s’adoucit un peu en voyant leur compagnon dissimulé derrière eux

    – Bonjour Jenss ! Je ne savais pas que tu étais là.

    Elle pouvait s’énerver sur ses enfants, mais certainement pas sur le protégé de la grande conteuse royale.

    – Turquin ! Pars avec les pigments dans l’atelier de la Rive et attends ton père.

    Il leva ses magnifiques yeux bleus vers le plafond en soupirant. Il avait hérité du regard de son père et de la lisse chevelure noire de sa mère aussi longue et strictement tressée que la sienne. Nacarah lui jeta un coup d’œil en biais. Pourquoi son frère était-il si injustement beau, quoi qu’il fasse ?

    – Quant à toi Nacarah… Gronda Azrah.

    Jenss leva la main poliment pour l’interrompre.

    – Luziah m’a demandé de lui amener Nacarah.

    Azrah s’inclina avec un peu de mauvaise grâce. Pour une raison qui lui échappait, la conteuse royale appréciait Nacarah. Que Jenss mente ou non, la punition devrait attendre.

    – Nacarah ! Peux-tu mettre un peu d’ordre dans tes cheveux et ta tenue ?

    Turquin tira sur une de ses tresses en riant.

    – Je vais t’aider !

    Nacarah se débattit et se rua sur lui. Bien que plus jeune, elle faisait pratiquement la même taille que son frère, mais leurs physiques étaient totalement différents. Elle avait hérité des yeux noirs de sa mère et des cheveux roux frisés de son père. Elle était trop mince et trop grande. Tous les vêtements semblaient glisser sur elle, les pantalons s’arrêtaient à mi-mollet et les manches juste avant le coude. Avec ses mouvements maladroits d’adolescente ayant grandi trop vite, elle faisait le désespoir de sa mère si délicate et raffinée.

    – Turquin ! La Rive !

    Turquin s’inclina devant sa mère. Il prit le panier d’un geste vif et s’éloigna sans un mot.

    – Nacarah ! Ta tenue !

    Nacarah tira sur sa tunique et attacha ses tresses en un semblant de catogan.

    – Que la journée vous soit fructueuse, maîtresse-coloriste. Dit Jenss en s’inclinant.

    Il prit le bras de Nacarah tandis qu’Azrah les regardait s’éloigner.

    – Que se passe-t-il ma douce ? interrogea Tzor, son mari, en lui passant un bras autour des épaules.

    – Encore une dispute entre Turquin et Nacarah.

    – Turquin part en stage et il est nerveux.

    – Il est si doué et si beau qu’il va conquérir toutes les cavernes.

    Tzor grimaça à cette déclaration d’amour maternel.

    – Il a mauvais caractère et il est jaloux du lien entre Jenss et Nacarah.

    – Cette relation m’inquiète.

    – Nous avons encore un peu de temps avant de nous inquiéter de ce qui se passe en eux. Pour le moment, ils en sont encore à jouer au lézard enroulé. J’y vais.

    – J’ai besoin de cobalt. Demande à Turquin de le préparer.

    – Je sais ma douce. Son cobalt est plus lumineux que le mien. Tzor se pencha vers sa minuscule femme pour l’embrasser délicatement sur les lèvres.

    Jenss et Nacarah s’arrêtèrent un peu plus loin devant une des grandes baies vitrées. Surplomb de la grande caverne se terminait là, avec l’avenue du Passéo, ses grandes vitres et ses ateliers d’art. À leurs pieds s’étendait la Rive, avec les entrepôts, le port, puis le lac noir avec le Temple de la lumière en son centre et la voûte brillante au-dessus d’eux.

    – On ne voit pas la Pointe à cette heure-ci.

    – Regarde, ils ont commencé à monter les stands pour la foire.

    – Turquin part juste après…

    – Nous devons tous aller en stage un jour ou l’autre.

    – Avec qui allons-nous jouer au lézard enroulé ?

    – Tu as encore triché !

    – Je ne triche pas. C’est juste que mes doigts sont trop longs !

    – Nacarah !

    Jenss déplia sa main et l’appliqua contre la sienne. Nacarah sentit la chaleur de sa paume jusque dans son ventre.

    – Mes doigts sont plus longs Nacarah. Murmura-t-il.

    Quelque chose de trouble passait dans ses yeux vairons. Il retira sa main.

    – Je ne sais pas comment Moira réussit à vous supporter tous les deux.

    – Et toi ?

    – Moi ? Je ne suis pas toujours là et je suis persuadé que vous êtes pires quand je suis absent.

    Nacarah devint écarlate. Jenss éclata de rire.

    – Allons voir Luziah.

    Ils franchirent les quelques pas les séparant du logement de la conteuse. Jenss claqua dans les mains pour annoncer son arrivée. Ils se déchaussèrent et mirent des chaussons d’intérieur. Contrairement aux autres ateliers, le sol était couvert de tapis colorés et de coussins. Le calme régnait. Comme toujours, Nacarah se sentit intimidée, elle joignit les mains et salua. Luziah leva ses immenses yeux verts et fixa les arrivants comme si elle souhaitait déchiffrer leurs pensées. Du coin de l’œil, Nacarah vit Jenss remuer les doigts. Elle sembla pensive puis hocha la tête.

    – Bien ! Nacarah, installe-toi à l’écritoire et copie le texte qui s’y trouve, que je puisse voir si tu progresses. Jenss, tu pars demain. Va préparer tes affaires.

    La conteuse reprit sa lecture. Nacarah commença à déchiffrer et s’efforça de reproduire ce qu’elle voyait. Mais les signes étaient totalement différents de l’écriture ordinaire. Même si elle reconnaissait certaines clés des idéogrammes de l’écriture dense des conteuses, la majorité lui était inconnue. Elle essaya de se souvenir au mieux des règles dans l’ordre des traits.

    – Toujours débuter par le trait horizontal et fermer en dernier… Murmura-t-elle en s’appliquant.

    – Sauf pour les points et les accents qui se placent…

    – Soit à gauche en haut ou en bas ou à droite, mais seulement en haut pour les accents et en bas pour les points.

    – Et la forme ?

    – S’inscrit toujours dans un carré…

    Luziah prit sa tablette et inspecta son travail. Nacarah l’observa. Elle était vêtue d’une longue tunique noire plissée et brodée de couleurs vives sur la poitrine. Ses longs cheveux clairs rassemblés en chignon étaient maintenus par deux longues épingles noires, une placée à l’horizontale et l’autre en biais. De petits pendentifs ornaient leurs extrémités. Une tenue bien élégante pour quelqu’un qui ne sortait pratiquement pas de son logement. Nacarah se demanda si des barges étaient venues depuis la Pointe amenant des visiteurs. Elle n’avait pas fait attention. Mais si Jenss devait partir, c’est qu’ils avaient eu un message.

    – Je vois ton esprit qui travaille en permanence. Ne cherche pas à savoir trop de choses Nacarah. Tu es trop jeune et trop innocente.

    Elle reprit sa lecture.

    – Tu as bien travaillé. Rentre chez toi maintenant.

    Nacarah jeta un coup d’œil vers le fond de la pièce, espérant apercevoir Jenss avant son départ. Luziah la poussa fermement dehors. Elle sortit sur le Passéo et se rendit compte que le temps avait filé sans qu’elle s’en rende compte. Il serait bientôt l’heure du dîner des jeunes. Elle passa sa soirée à se demander où allait Jenss.

    Nacarah jeta un coup d’œil au miroir. Sa tunique de fête fendue sur les côtés lui arrivait en dessous des genoux et son pantalon était lui aussi à la bonne longueur, bien rentré dans ses bottines en cuir de champignon, assorties à la ceinture, et ornées par la mère de Moira. Elle avait obtenu le droit d’avoir un plastron plissé et brodé comme celui de la conteuse royale. Mais, ses vêtements étaient blancs, seule couleur possible pour une jeune fille avait déclaré sa mère. Elle attacha ses cheveux tressés en catogan en maugréant.

    – Pourquoi les enfants sont-ils obligés de porter les cheveux longs ?

    – Pour pouvoir les rattraper par leurs tresses ?

    Turquin tira sur ses nattes et instinctivement elle recula. Il s’invita devant la glace et détailla sa tenue avec un demi-sourire de contentement. Grâce à ses mélanges de pigments et ses relations chez les tisserands, il avait obtenu une tunique bronze particulièrement seyante. Il rectifia son col. Il se redressa. La largeur de ses épaules devenait impressionnante. Ses yeux bleus turquin brillaient sous ses sourcils noirs parfaitement ordonnés.

    – Turquin, tu te brosses les sourcils ?

    Il passa un doigt délicat sur le droit tandis qu’il soulevait le gauche d’un air interrogateur en la détaillant de pied en cap.

    – Ma pauvre sœur, la seule chose que tu as en commun avec moi, c’est la taille… Et pour une fille, ce n’est pas une qualité, je peux te l’assurer. Mais comme je t’aime quand même, je veillerai sur toi… Uniquement si tu arrêtes de tricher au lézard enroulé !

    – Je n’ai pas triché !

    Turquin éclata de rire et la saisit dans ses bras pour la faire virevolter. Nacarah pouffa, se laissant prendre à son charme.

    – Allons à la fête. Je pars demain !

    Il l’entraîna à grands pas vers les portes de la Rive. Moira dû trottiner pour les rejoindre. Ils firent une courte pause sur le seuil pour s’habituer à la vive lumière de l’extérieur. Puis Turquin s’avança.

    Aussitôt, des jeunes arrivèrent d’un peu partout pour se joindre à leur groupe. Turquin attirait les autres. Il était beau, charmeur, doué pour les arts comme ses parents. Tous s’entendaient à lui prédire un avenir prometteur sur la Rive. Seuls ses proches avaient conscience de ses côtés autoritaires et manipulateurs. Nacarah savait depuis longtemps que ceux qui l’approchaient cherchaient le plus souvent à connaître son frère. Même Moira était amoureuse de lui. Nacarah jeta un coup d’œil à son amie en admiration devant son « prince ». Jenss lui manquait. Il était le seul à ne pas se laisser séduire. Mais, Jenss n’était jamais présent lors des rassemblements. Une fille se glissa au milieu du groupe et s’empara du bras de Turquin. Celui-ci la regarda quelques instants avant de lui sourire. Aléane était jolie et élégante, certes, mais Nacarah soupçonnait son frère de l’apprécier davantage en tant que fille du bourgmestre.

    – Viens Moira, je voudrais voir les perles.

    Moira anéantie par l’arrivée d’Aléane se laissa entraîner. Elles gagnèrent le port où la grande barge du temple venait juste de s’amarrer.

    – Moira, Nacarah, venez nous aider !

    Une longue table était installée sous un treillage. Un groupe décorait le lieu. Après le banquet de midi, les anciens monteraient à bord pour rejoindre le conseil des 1001 voix. Une nouvelle vie commencerait pour eux, loin des cavernes intérieures, au cœur du temple de la Lumière. Nacarah se chargea de la guirlande la plus haute, tandis que Moira mettait le couvert. Lorsque tout fut terminé, ils s’arrêtèrent pour contempler leur œuvre.

    – Aujourd’hui, il n’y a personne de Surplomb ?

    – Non, ils viennent tous des cavernes inférieures. Tu ne les as pas vus se promener le nez en l’air en clignant des yeux ?

    Tous les nouveaux venus faisaient ça en arrivant sur la Rive la première fois. On avait beau leur dire de faire attention à leurs yeux, ils ne pouvaient s’empêcher de fixer la voûte et les millions de lucioles qui s’y trouvaient.

    Elles rirent ensemble. Nacarah se sentit soulagée par le changement d’humeur de Moira. Elle aimait beaucoup son amie, mais Turquin n’était pas pour elle. Il était trop ambitieux pour se satisfaire de sa gentillesse et de sa joliesse. Elles déambulèrent dans la foire. Elles saluèrent sa mère occupée à choisir des cuirs de champignon pour son atelier, son bébé endormi dans son écharpe. Ses parents à elle inspectaient des lots de pigments avec une moue boudeuse. Le négociant habitué à leurs tactiques de marchandage souriait à demi, persuadé que l’affaire était faite.

    – Oh ! Le devin Zhong est là ! Viens !

    – Moira c’est ridicule…

    À cet instant, le père de Moira sortit du stand avec une jeune femme. Celle-ci rougit en les voyant et se dirigea rapidement vers deux petites qui jouaient sur le sol avec des cailloux.

    – Tinah, Norah ! Vous allez vous salir !

    Moira blêmit tandis que son père, un peu agité fouillait dans ses poches.

    – Je vous offre une divination, les filles, profitez de la bonne aventure !

    Il glissa des pièces au devin, puis s’éloigna avec la femme et les petites. Nacarah prit son amie par le bras. Le minuscule stand était fermé par de lourds rideaux. Seule une petite lanterne l’éclairait. Un lourd parfum alourdissait l’atmosphère. Un homme très grand vêtu de noir se tenait dans le cercle de lumière, le visage étrangement éclairé du dessous.

    – Laquelle de vous deux veut commencer ?

    Voyant leur timidité maître Zhong prit leurs mains.

    – Formons le cercle. Fermez les yeux et laissez les images venir à vous.

    Nacarah ferma les yeux. Ses mains chauffèrent, ses bras s’alourdirent. Il lui semblait que son cœur battait plus fort et comme à l’unisson de celui des deux autres. Elle se sentit propulsée dans un lieu sombre. Elle appelait vainement Jenss. Il était en danger. Puis, elle était sur un bateau avec lui et un autre homme. Ils s’enlaçaient tendrement. Un lézard rouge lui sautait dessus. Moira hurla.

    – Non, ce n’est pas possible, ce n’est pas possible.

    Elle tomba à genoux en pleurant secoué par les sanglots.

    Maître Zhong la releva et leur prit de nouveau les mains.

    – Vous avez vu des épreuves. Mais moi je vois un chemin lumineux qui s’ouvrira pour vous. Vous perdrez beaucoup, mais vous trouverez davantage. Soyez en paix, mes enfants, regardez l’avenir avec amour et confiance. Voilà des talismans de protection qui vous porteront chance.

    Maître Zhong posa deux minuscules pierres plates dans la main de Nacarah, puis il souleva le rideau du stand. La lumière de la Rive les éblouit à la sortie.

    Elles restèrent immobiles quelques instants.

    – Allons chercher des perles ! Dit Moira en s’essuyant les yeux.

    – Des perles ? Oui des perles… C’est une très bonne idée.

    – Nous devrions faire un collier avec un talisman pour le départ de Turquin.

    Nacarah fixa Moira. Elle hésitait à l’interroger. Elle frissonna en repensant au lieu sombre. Il était préférable de laisser l’expérience « maître Zhong » derrière elles.

    Elle contempla les deux minuscules breloques au creux de sa paume.

    – Utilisons ceux-là !

    Elles virent un couple avec des fillettes s’éloigner. Que faisait encore le père de Moira avec cette femme ? Beaucoup de rumeurs courraient sur son compte. Elles n’étaient pas très flatteuses. Vivre sur le Passéo était une chance. Mais la vie avec des artistes, Nacarah en savait quelque chose, n’était pas toujours facile. Ils ne vivaient que pour leur art. Leurs proches pouvaient se sentir délaisser et chercher de l’affection ailleurs.

    Elles trouvèrent des perles et mangèrent des friandises, mais leur humeur s’était assombrie et elles rentrèrent de bonne heure et en profitèrent pour réaliser le collier dans l’atelier désert.

    Ils accompagnèrent Turquin jusqu’aux portes de départ pour les cavernes intérieures. Le groupe de stagiaires était déjà arrivé pour l’échange. Azrah et Tzor firent leurs adieux à leur fils. Nacarah s’approcha.

    – Baisse-toi. Nous t’avons fait un collier avec Moira hier soir. Elle a choisi les perles.

    Turquin se pencha vers son oreille.

    – Décourage Moira, je ne suis pas intéressé. Refile-lui Jenss, si tu n’en veux pas ! Mais, à mon avis, c’est une amitié que tu ferais mieux de cultiver. Et si tu réussis à te remplumer un peu tu pourrais même lui plaire, qui sait ?

    Turquin éclata de rire, avant de lui faire une grosse bise claquante sur la joue. Elle avait envie de le gifler ou d’éclater de rire. Ce n’était pas très net dans sa tête. Elle l’adorait et le détestait en même temps. Elle le serra dans ses bras.

    – Abruti !

    – Échalas !

    Elle rejoignit ses parents en souriant, un peu gênée par la remarque sur son physique et sa relation avec Jenss. Une jeune fille brune et fine attendait avec eux. Elles se saluèrent en joignant les mains devant leur poitrine comme le voulait la coutume.

    – Je suis Muniah de la caverne de la rivière rouge.

    – Je suis Nacarah de Surplomb.

    Elle semblait frêle et douce. Elle allait vivre avec eux le temps de l’échange. Elle étudierait avec ses parents et passerait son temps de loisir avec Nacarah.

    – Turquin va dans ta famille ?

    – Oui, mais il étudiera les pigments de fer avec les coloristes. Mes parents ne travaillent pas la couleur.

    La semaine suivante parut interminable. Pourtant, Muniah était une gentille compagne. Elle racontait beaucoup anecdotes sur la rivière rouge et les cavernes adjacentes. Elle était polie et agréable, mais avait envie de retrouver les siens. Surplomb et la grande caverne étaient pour elle des lieux exotiques où elle ne resterait pas et où elle n’envisageait pas de vivre. Moira et Nacarah partagèrent avec plaisir leur temps libre avec elle. L’absence de Jenss et Turquin était moins flagrante, même si elle leur pesait. Quand avaient-ils commencé à passer autant de temps ensemble ? Turquin était très populaire et avait le choix pour ses amitiés. Moira et elle étaient plus réservées et solitaires. Pourquoi restait-il avec eux ? Ce n’était pas pour Moira. Pour elle ? Il n’était pas très protecteur. Parce qu’ils étaient tous les quatre du Passéo ? Une évidence commença à se former dans son esprit : « c’est une amitié que tu ferais mieux de cultiver ». Il restait pour Jenss, le protégé de la grande conteuse royale. Et si Jenss gardait ses distances avec lui, c’était parce qu’il l’avait deviné. Avec l’envol de ses illusions, il lui sembla qu’un pan de son enfance tombait en miettes.

    Un soir, un message l’attendait dans la cachette habituelle, quelques caractères d’écriture dense « rendez-vous tous comme d’habitude ». Le lendemain midi, elle entraîna Moira vers l’appentis de la Rive attribué à la conteuse qui leur servait de lieu de rendez-vous.

    – Turquin n’est pas revenu ?

    – Les stagiaires sont en retard.

    Jenss soupira en regardant le sol, visiblement mal à l’aise.

    – Vous me faites confiance ?

    – Bien sûr !

    – Vous êtes capables de garder un secret ?

    – Tu nous prends pour qui ?

    Il les regarda attentivement, semblant hésiter. Puis il déballa un petit couteau et une fiole.

    – Je dois vous faire une entaille et verser ce produit dessus. C’est un vaccin. Vous ne devez le montrer à personne et n’en parler à personne. Est-ce que c’est d’accord ?

    – Une entaille comment ?

    Jenss montra sa cheville et une petite marque en croix.

    – Si personne ne doit le voir, il vaut mieux le faire un peu plus bas. Dit Moira en retirant sa chaussure.

    Nacarah l’imita en lorgnant le couteau.

    – Ça fait mal ?

    – Ça pique…

    – Qu’est-ce que c’est ?

    – Fais-moi confiance, ce que tu ne sais pas ne te mettra pas en danger. On dira que c’est un serment d’amitié.

    Nacarah serra les dents en présentant sa cheville au couteau.

    Chapitre 2

    3 ans plus tard

    « Je m’appelle Nacarah, je suis la fille d’Azrah et Tzor, les maîtres-coloristes. Nous habitons le Surplomb de la Grande Caverne, dans un des ateliers d’art du Passéo… »

    Nacarah tortilla une de ses courtes tresses rousses.

    Les conseils de Luziah, la conteuse royale, lui revinrent à l’esprit.

    – Tu dois t’imaginer que les gens ignorent tout, de qui tu es et de l’endroit d’où tu viens, que tu t’adresses à des étrangers. Une conteuse doit être simple et proche de ses auditeurs.

    Nacarah se souvint des grandes foires qui rassemblaient une foule venue de toutes les cavernes d’Astoriuz. Les visiteurs étaient toujours éberlués par les dimensions de la Grande Caverne. À leur sortie sur la Rive, ils mettaient leur main en visière pour se protéger de la clarté. On les reconnaissait de loin, car ils levaient fréquemment la tête vers la voûte, avec un peu de crainte, avant de baisser aussitôt les yeux, éblouis par la trop vive lumière. Dès le matin, ils faisaient la queue près des portes étanches menant au Surplomb. Tous voulaient monter et se promener sur le Passéo, l’avenue la plus célèbre du royaume d’Astoriuz. Ses larges baies vitrées offraient une incroyable vue panoramique sur la Rive et le lac noir. En son centre, le Temple de la Lumière, tel un joyau, dressait ses longues aiguilles blanches. Ils restaient là, béats d’admiration, malgré leurs yeux irrités par la luminosité. Ils enregistraient le moindre détail, pour pouvoir le raconter aux veillées de leur caverne, groupés dans le cercle de lumière jaune des dernières lanternes. Ils finissaient par céder la place pour gagner la fenêtre suivante, jusqu’à l’ultime ouverture. Puis, ils effectuaient le trajet retour en admirant le travail exposé par les ateliers, la beauté des décors muraux peints sur la paroi par les meilleurs coloristes.

    Pour les rassemblements, les artistes exposaient grand nombre d’ouvrages. Les promeneurs les plus chanceux, et les plus fortunés rapporteraient chez eux une pochette ou une ceinture de fête. Ses parents veillaient toujours à avoir un assortiment de petits objets pour les Riverains et les habitants des cavernes. Certains découvraient des couleurs inconnues dans leur village éclairé au lichen. Elles nécessitaient de la lumière blanche pour être vues. Parfois, elle aidait à réaliser de petits colliers colorés. Elle avait appris l’art de confectionner les paquets et de les personnaliser. Les visiteurs étaient heureux et émus de cette attention. Ils rangeaient soigneusement leurs emplettes comme autant de précieux trésors. On sentait qu’il s’agissait d’un moment important de leur vie. C’était émouvant de partager avec eux ces petits instants de bonheur et d’y avoir participé. Alors, elle comprenait l’utilité du travail de ses parents.

    Cependant, les riches nobles de la Pointe étaient les vrais clients du Passéo. Ils venaient dans leurs barges d’apparat, propulsées par des rameurs aux livrées à leurs couleurs. Chaussés de cuir de lézard, vêtus de tissus précieux, ils écrasaient les Riverains de leur mépris et de leur arrogance. L’importance et le luxe de leurs commandes défiaient l’entendement. Ils auraient pu nourrir une petite caverne pendant un cycle avec leurs achats d’une journée. Ils étaient insupportables, difficiles à contenter et capricieux. Mais grâce à eux, les artistes vivaient confortablement dans les ateliers d’art du Passéo et les visiteurs des cavernes intérieures et inférieures pouvaient avoir de beaux souvenirs.

    Nacarah soupira. La richesse était sans doute comme le nombre de places sur le Passéo : limitée et ne pouvant pas être divisée à l’infini. Les grandes fêtes et les tournois étaient devenus rares sur la Rive avec le Fléau. Elle soupira de nouveau en se souvenant de tous les stands colorés alignés sur la place du lac. Ils présentaient les productions et les savoir-faire des cavernes inférieures et des cavernes intérieures venues commercer et troquer. On ne voyait plus beaucoup de cuir de champignon désormais… Et la mère de Moira n’était plus là pour le broder.

    Elle fixa les idéogrammes. Elle rajouta le trait de temps signifiant le passé et hésita à placer un symbole d’émotion avant de renoncer. Le Surplomb était toujours un des quartiers de la Rive du lac noir de la Grande Caverne. Les voûtes des grottes étaient toujours au-dessus de leurs têtes. Malgré le Fléau et les morts, leur monde perdurait. Elle corrigea sa phrase en effaçant le trait du passé pour la situer dans le présent. Les regrets n’aidaient personne.

    Elle se relut en tâchant d’aiguiser son esprit critique. Elle commençait à maîtriser l’écriture dense des conteuses, c’était certain. Mais son texte manquait cruellement d’intérêt. Ses tournures étaient trop basiques. Son auditoire bâillerait d’ennui en l’écoutant. Elle reprit sa craie fermement, bien décidée à ne plus se laisser

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