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Les marais
Les marais
Les marais
Livre électronique578 pages8 heures

Les marais

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À propos de ce livre électronique

Après un millénaire, la légendaire pierre de la guerre est réapparue dans Melbïane. La chasseresse Éli a comme mission de la ramener aux Eldéïrs, ses maîtres. Pourchassée par un ennemi dont elle ignore l’étendue des pouvoirs, Éli accepte de rencontrer, Arkiel, l’archimage de la citadelle des magiciens, également à sa poursuite. Arkiel connaît l’identité du poursuivant d’Éli, un ténébryss, qui a déjà tenté de conquérir Melbïane. Il espère découvrir ses plans en rattrapant la jeune femme avant lui. Mais il ignore que le ténébryss a déjà soufflé un vent destructeur sur Melbïane. Des monstres sortent soudainement des marais et attaquent sauvagement les villes et les voyageurs. Afin de protéger son peuple, Ferral, le roi d’Ébrême ne voit d’autre solution que de partir en guerre contre les marais. Persuadée que ses frères et soeurs des marais ne sont pour rien dans ces attaques, Éli doit absolument l’empêcher. Mais réussira-t-elle, seule, à arrêter toute une armée alors que le ténébryss redouble d’effort pour lui reprendre la pierre?
LangueFrançais
Date de sortie27 sept. 2013
ISBN9782896836482
Les marais

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    Aperçu du livre

    Les marais - Claude Jutras

    C1.jpg169305.jpg

    Copyright © 2012 Claude Jutras

    Copyright © 2012 Éditions AdA Inc.

    Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire.

    Éditeur : François Doucet

    Révision linguistique : Féminin pluriel

    Correction d’épreuves : Éliane Boucher, Suzanne Turcotte

    Conception de la couverture : Paulo Salgueiro

    Photo de la couverture : © Thinkstock

    Mise en pages : Sébastien Michaud

    ISBN papier 978-2-89667-687-3

    ISBN PDF numérique 978-2-89683-647-5

    ISBN ePub 978-2-89683-648-2

    Première impression : 2012

    Dépôt légal : 2012

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque Nationale du Canada

    Éditions AdA Inc.

    1385, boul. Lionel-Boulet

    Varennes, Québec, Canada, J3X 1P7

    Téléphone : 450-929-0296

    Télécopieur : 450-929-0220

    www.ada-inc.com

    info@ada-inc.com

    Diffusion

    Canada : Éditions AdA Inc.

    France : D.G. Diffusion

    Z.I. des Bogues

    31750 Escalquens — France

    Téléphone : 05.61.00.09.99

    Suisse : Transat — 23.42.77.40

    Belgique : D.G. Diffusion — 05.61.00.09.99

    Imprimé au Canada

    43599.png

    Participation de la SODEC.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.

    Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Jutras, Claude, 1979-

    La vengeance des ténébryss

    Sommaire: t. 1. La descendante -- t. 2. Les marais.

    Pour les jeunes de 12 ans et plus.

    ISBN 978-2-89667-686-6 (v. 1)

    ISBN 978-2-89667-687-3 (v. 2)

    I. Titre. II. Titre: La descendante. III. Titre: Les marais.

    PS8619.U883V46 2012 jC843’.6 C2012-941373-9

    PS9619.U883V46 2012

    Conversion au format ePub par:

    Lab Urbain

    www.laburbain.com

    Index des personnages

    Éli alias Éléonore Deschênes, Louiss, Balka et Éthanie

    Roland Deschênes (père)

    Moïra Zéleste (mère)

    Kyll (frère aîné)

    Hugh (second frère)

    Ramaël (frère cadet)

    Kyrsha (ancêtre, 1000 ans avant)

    Rebelles :

    Eldérick Desmonts (chef)

    Éric Desmonts (fils d’Eldérick)

    Malek (fils adoptif d’Eldérick)

    Zyruas Valleburg (chef)

    Karok Dergainte (chef)

    Dowan (tribu de Nejmahw, fils de Ménaï et Feilaw)

    Kaito (Arkéïrite)

    Myral Desmonts (frère cadet d’Eldérick)

    Émilia Desmonts (femme de Myral)

    Suzie Desmonts (fille d’Émilia et de Myral)

    Famille royale de Dulcie :

    Kordéron Dechâtelois (roi de Dulcie)

    Laurent Dechâtelois (prince aîné de Dulcie)

    Julior Dechâtelois (prince cadet de Dulcie)

    Martéal Le Borgne (roi de Dulcie, 1000 ans avant)

    Nobles de Dulcie :

    Edward Delongpré (membre du conseil royal)

    Mylène Delongpré (fille aînée d’Edward)

    Anna Delongpré (fille cadette d’Edward)

    Dame Katherine (matrone)

    Krilin Lelkar (premier conseiller royal)

    Soldats dulciens :

    Franx Remph (capitaine)

    Galator Lamorie (lieutenant)

    Famille royale d’Ébrême :

    Ferral Hergot (roi d’Ébrême)

    Ludovick Hergot (fils unique de Ferral)

    Nobles d’Ébrême :

    Rémy Vallière

    Noëlle Vallière (femme de Rémy et ancienne chasseresse, Noéka)

    Alphéus (historien et ami d’Éli)

    Soldats ébrêmiens :

    Grégor Manni (général)

    Silmon Beauvais (général)

    Torik Lijey (capitaine)

    Vélone (soldat)

    Peuple du désert :

    Wahjal-Bner (roi du désert de l’est)

    Rajnaw (troisième fils de Wahjal-Bner et cousin de Dowan)

    Morlitar :

    Olfgar (marchand et ancien marin)

    Gardiens :

    Arthax (rawgh guide)

    Ulga (ogresse guide)

    Guilf (ogre guide)

    Krog (rawgh, ami d’Éli)

    Xélia (rawgh et sœur de Krog)

    Chasseresses :

    Gyselle, dite Gyséka (mère)

    Anaïs, dite Anaïka (mère et sœur de Gyséka)

    Julianne, dite Julianika (mère cadette)

    Rîamenne, dite Rîamka (maîtresse d’armes)

    Krylène, dite Krylènka (maîtresse de la guerre)

    Fely-Joang, dite Félika (maîtresse de combat)

    Xéfirya, dite Xéfirka (maîtresse de sorcellerie)

    Tilka

    Malika

    Adéleylka

    Eldéïrs :

    Thellïanessor (chef)

    Dovilfay

    Romézyra

    Citadelle des magiciens :

    Arkiel Lilmïar (archimage)

    Eldébäne Moralta (apprenti magicien)

    Méléar (membre du conseil des magiciens)

    Zélorie (membre du conseil des magiciens)

    Fesba (membre du conseil des magiciens)

    Îléa (membre du conseil des magiciens)

    Beldariane (professeure d’art pictural)

    Bûcherons :

    Keldîm (chef du groupe)

    Zélir

    Koll

    Lalko

    Romaré

    Tabem :

    Wiltor (chef de la guilde)

    Livianne (tenancière de bordel)

    Lilas (prostituée, amie d’Éli)

    Tinné (ami d’Éli)

    Novalté Brawm (ami d’Arkiel, ancien pirate)

    Myrkoj (ténébryss)

    Ghor (chef des mercenaires)

    Ergatséï (reine du désert, 1000 ans avant)

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    Chapitre 1

    La poursuite continue

    L e soleil apparut entre les épais nuages gris, réchauffant légèrement les guerriers trempés.

    — Si cela pouvait durer, marmonna Éric.

    Malek l’appuya, mais il en doutait quelque peu. Ce ne devait être qu’une accalmie. Il pleuvait dru depuis le matin et, d’après le ciel, cela n’était pas près de s’arrêter. Arkiel avait fait relever la toile de la calèche et Malek les regarda d’un air envieux.

    Sa cape l’avait protégé au début, mais l’eau l’avait traversée depuis un bon moment déjà. Elle lui coulait le long du corps, s’infiltrant dans chacun des interstices de son armure. La pluie n’était certes pas très froide, mais le vent, prenant de la force dans les plaines qu’il fouettait, la rendait glacée. Le sud d’Ébrême n’était que terres plates s’étendant à perte de vue, sillonnés de quelques collines rocheuses que la route contournait en interminables courbes.

    Il y avait trois jours qu’ils avaient quitté Tabem, à la suite des hommes du lieutenant Galator Lamorie. Arkiel avait préféré attendre une trentaine de minutes avant de prendre la route. Non par crainte d’éveiller leurs soupçons, mais pour éviter que les soldats viennent le saluer et lui proposer de l’accompagner. La guerrière aurait pu croire à une ruse et se serait à nouveau volatilisée. Ils les avaient donc suivis de loin.

    C’était aisé, puisqu’on pouvait voir à plusieurs kilomètres à la ronde. La pluie rendait la tâche plus ardue, mais Dowan, grâce à sa vue perçante, pouvait leur confirmer que la troupe était toujours devant eux, sur la même route.

    Tout le long de la première journée, Éric n’avait cessé de lui dire tout ce qu’il aurait dû faire lorsqu’ils avaient trouvé la guerrière à l’Auberge de la flamme bleue, au lieu de parler. Il n’aurait eu qu’à se saisir d’elle et la traîner jusqu’à eux. Au pire, il n’avait qu’à l’assommer. Malek l’avait laissé parler. C’était vrai : il aurait pu l’emmener de force. Or, il avait préféré s’abstenir. La contraindre lui aurait donné raison de penser que récupérer la pierre était tout ce qui les intéressait. De plus, c’eût été détruire toute possibilité d’entente ultérieure et ils n’auraient pas pu obtenir d’elle la moindre information sur sa provenance. Quoi qu’Éric pût dire, il avait imaginé la meilleure solution et avait bon espoir que la guerrière tiendrait parole.

    Malek regarda une carriole plus légère les dépasser. Le cocher et le passager leur lancèrent un regard curieux et impressionné, mais ne ralentirent pas. Avec cette pluie, tous les voyageurs étaient pressés de se mettre à l’abri, d’autant que la lumière du jour déclinait lentement. Arkiel leur avait indiqué qu’ils croiseraient un village dans quelques heures et qu’ils pourraient y passer la nuit au sec. Ils ne craignaient pas que les soldats dulciens s’y arrêtent également, puisqu’ils évitaient les villages, probablement pour ne pas attirer l’attention sur leur présence en Ébrême.

    Une bourrasque de pluie vint s’engouffrer sous sa cape. Il grogna et se tourna de nouveau vers leur calèche avec envie en se demandant ce qui se passait à l’intérieur. La dernière fois qu’il avait pu écouter ce qui s’y disait, il avait entendu Mylène et Lilas argumenter furieusement. Les deux jeunes femmes n’avaient pas du tout la même éducation. L’une suivait les règles de morale depuis son enfance, tandis que l’autre n’en avait jamais eu.

    Lilas, qui était aussi bavarde qu’Eldébäne, s’était rapidement mise à conter des histoires à faire rougir un homme. Tous les hommes riaient, mais Mylène s’indignait davantage à chaque histoire. Elle qui s’était montrée réservée depuis leur départ de la citadelle avait fini par se mettre en colère contre sa voisine de banc. La noble avait tenté de lui faire la morale, mais Lilas avait répliqué par des propos si vulgaires qu’une dispute avait aussitôt éclaté. Les guerriers avaient alors ironisé sur le sort de Kaito et d’Eldébäne, contraints d’endurer les deux voix suraiguës, mais, à cet instant, il aurait volontiers échangé sa place contre la leur.

    Il reporta son attention sur ses compagnons qui serraient leur cape sur eux et Malek fit de même, baissant la tête pour affronter la pluie qui avait recommencé de plus belle.

    — Arkiel ne pourrait pas chasser tous ces stupides nuages ? demanda Éric en lançant un regard vers son compagnon.

    — Pourquoi ? Il est au sec, lui, répondit Malek.

    — Je suis certain que si tu vas lui demander, il finira par accepter.

    — Tu sais bien que c’est mauvais pour la nature de jouer avec les éléments sans raison. Cela pourrait provoquer une tempête encore pire dans les jours à venir.

    — Ouais ! Ben la seule chose que je sais, là, c’est que je suis gelé et que c’est une méchante bonne raison.

    — Tu parles d’une grosse lavette. Que je te voie encore me traiter de lâche à cause de cette guerrière !

    Éric se mit à marmonner en se dissimulant le plus possible sous sa cape. Malgré sa réponse, Malek aurait bien aimé aussi demander au vieux magicien de faire cesser la pluie. Il se demanda comment s’en sortait la guerrière avec sa perruque rousse. Un sourire s’immisça sur ses lèvres au souvenir de sa fine silhouette et il glissa la main dans son sac pour caresser une tresse noire. Elle provenait des cheveux que la guerrière s’était coupés dans la grotte de l’ours afin de prendre l’aspect d’un soldat. Il y avait déjà tant de jours de cela. Il regarda le chemin qui se perdait derrière le voile d’eau et son sourire s’accentua. Peu importait cette averse, il était vraiment heureux de s’être lancé dans cette aventure et il lui pressait qu’elle vienne les rencontrer.

    Chapitre 2

    Encore des mensonges

    L es gouttes tombaient sur la toile en une mélodie mélancolique. Le vent avait baissé et les parois de la tente ne se gonflaient que légèrement. Malgré l’accumulation de fatigue, Éli, étendue sur le dos, gardait les yeux grands ouverts. Sa perruque lui démangeait la nuque. Pourtant, elle ne voulait pas l’enlever, au cas où un soldat entrerait à l’improviste. Les hommes étaient couchés dans leurs tentes disposées autour de la sienne et elle entendait le ronflement de quelques-uns.

    Kalessyn restait le plus près possible et Éli sentait sa présence devant les pans de l’entrée. Aucun soldat n’avait pu l’en éloigner. Éli elle-même n’était pas parvenue à le convaincre. Kalessyn refusait de la laisser seule au milieu des quinze hommes. Le lieutenant Lamorie avait fini par en rire en permettant finalement à l’énorme destrier de demeurer là.

    Depuis qu’il l’avait sortie de l’auberge, Éli ne voyait plus les soldats dulciens de la même façon. Ils étaient réellement déchirés entre leur serment d’allégeance au roi et le peuple. Les soldats n’osaient se révolter, craignant que le roi ne s’attaque à leur famille s’ils désertaient. De plus, ils ne croyaient pas pouvoir subvenir autrement à leurs besoins. Ils agissaient comme des imbéciles pour expliquer le fait qu’ils se faisaient souvent battre ou ridiculiser par les rebelles.

    Éli s’apercevait, en les voyant agir de si près, qu’elle s’était grandement trompée sur leur compte. Chaque soir, ils consa­craient deux heures à leur entraînement et la guerrière devait admettre qu’ils s’avéraient des escrimeurs émérites. Ils détestaient tout simplement se servir de leur arme contre les villageois.

    En outre, ses impressions concernant le roi avaient été confirmées par Galator. Le monarque n’avait rien d’un tyran, il était juste égocentrique et ne s’intéressait nullement à ses sujets. Le véritable responsable de l’appauvrissement des gens était le premier conseiller, Krilin Lelkar, dont elle avait entendu parler. C’était pourquoi les soldats le détestaient tant. Le fils aîné de Kordéron serait, selon eux, un bien meilleur roi.

    Éli n’en doutait pas. Certes, elle n’avait pas discuté long­temps avec le prince Laurent, mais malgré leurs propos quelque peu houleux, il lui avait semblé humble et aimable. Éli sourit au souvenir du jeune homme aux riches habits usés et aux cheveux bruns à peine peignés. Elle s’était rarement sentie plus mal à l’aise. Aller dire au prince héritier que son royaume était attardé ! Éli se mit la main sur la bouche pour ne pas éclater de rire en imaginant la mine qu’elle avait dû faire lorsqu’elle avait compris qui il était. Ils s’étaient bien moqués d’elle, lui et ses soldats, qui se tenaient non loin. C’était une rencontre qu’elle n’oublierait certainement pas de sitôt.

    Un ronflement plus sonore interrompit ses pensées, la ramenant au moment présent. Derrière le ronflement, elle percevait le léger cliquetis de l’armure de celui qui montait la garde. Il marchait autour du campement pour rester alerte jusqu’au moment où il irait réveiller sa relève. Galator, homme discipliné, exigeait tout autant de ses hommes.

    Même s’il était parti de Tabem le matin du lendemain, comme il le lui avait dit, l’histoire du visiteur qui l’avait accusée du vol de la pierre trottait toujours dans la tête du lieutenant Lamorie. Pour expliquer la puanteur de sa chambre, laissée par les cadavres des deux créatures des marais, Éli avait dit que l’odeur s’était introduite par la fenêtre à la faveur d’un coup de vent. Elle avait fermé les rideaux serrés, mais des relents subsistaient. Galator avait tenté de cacher son malaise en feignant de croire que cela venait probablement de la ville. Toutefois, Éli avait compris qu’il avait déjà senti cette odeur récemment et elle avait alors eu la certitude que c’était bien l’une des créatures qui était venue l’informer de son identité. Voyant que cela n’avait pas fonctionné, elles avaient alors tenté de l’enlever.

    Ces créatures n’étaient pas intelligentes et leur plan était souvent discutable. Éli pouvait donc conclure que leur maître n’était pas avec elles en ville. Cette idée l’avait beaucoup soulagée. Mais comment avaient-elles pu la trouver ? La réponse était simple ; les guerriers ou peut-être l’archimage avaient dû être suivis. Éli espérait qu’il n’y en avait pas une troisième et que le sorcier ne serait pas avisé de son passage dans la ville ni de l’aide des soldats.

    La guerrière, tout de même sur ses gardes, observait les environs toute la journée. Le convoi croisait souvent des voyageurs, mais si les créatures des marais étaient facilement détectables, elle ignorait à quoi pourrait ressembler le sorcier. S’il était réellement de la même race que les eldéïrs, ses pouvoirs lui permettaient facilement de prendre momentanément une autre apparence.

    La race de son poursuivant était d’ailleurs une information qu’elle comptait obtenir de l’archimage. Qu’allait-elle lui dire en échange ? Éli avait imaginé plusieurs hypothèses qui dépendraient de l’impression qu’il lui laisserait.

    Elle avait cherché leur groupe en vain. À cet instant, ils devaient les suivre de loin pour ne pas se faire remarquer.

    Éli bâilla et se tourna sur le côté. Enfin, le sommeil commençait à la gagner. Pour la énième fois, elle chassa ses préoccupations afin de parvenir à s’endormir. Une bourrasque plus forte vint gonfler la toile de la tente, mais la jeune femme ne l’entendit pas, car elle avait déjà glissé dans un sommeil léger.

    Les murs de pierres se rapprochaient lentement dans le fond bleu du ciel. Dans les champs qui les entouraient, les gens travaillaient aux semences. Ils saluaient les soldats au passage en souriant, tandis que les enfants se regroupaient pour les regarder passer avec admiration. Éli répondait aux salutations avec joie.

    L’ambiance avait nettement changé depuis qu’ils avaient passé la frontière pour entrer en Ébrême. Sans vraiment se l’avouer, Éli se sentait chez elle dans ce royaume. Elle se tourna vers Galator qui la regardait, un large sourire aux lèvres.

    — Nous sommes presque arrivés, demoiselle. Vous pourrez enfin retourner auprès de ceux qui vous sont chers.

    Éli lui adressa un sourire réellement reconnaissant, car les propriétaires de ces terres lui étaient effectivement très chers. Pourtant, elle n’avait aucun lien de parenté avec eux.

    Durant les quatre jours et demi qu’avait duré le trajet, elle avait eu le temps de faire connaissance avec l’homme et quelques-uns de ses soldats. Elle avait feint la gêne et la réserve, les laissant parler, afin de ne pas devoir leur mentir davantage. Ils étaient si prévenants avec elle et Galator était vraiment un homme bon. Éli espérait qu’il n’apprenne jamais qu’elle s’était jouée de lui.

    Pendant la journée, elle s’était permis d’aventurer son esprit sur la route qui s’étendait derrière eux. Elle voulait s’assurer que l’archimage ne la suivrait pas chez ses amis. Si l’ennemi était sur les talons du vieil homme et de ses compagnons, elle aurait mis en danger la famille qu’elle allait rejoindre.

    Après une dizaine de minutes de recherche, elle avait localisé les chevaux qui conduisaient la calèche. Par les yeux de l’un d’eux, elle avait vu les guerriers et deux magiciens : le jeune homme de l’auberge et l’archimage. L’image du vieil homme avait aussitôt ravivé de lointains souvenirs.

    À l’époque où elle habitait encore chez le comte, il était venu la rencontrer à l’université. Lorsqu’elle avait compris que cette visite était motivée par son don, elle avait eu peur et avait feint la stupidité. À ce souvenir, elle revit le visage d’Alphéus, son vieil ami et confident. C’était lui qui, le premier, avait décelé l’étrange capacité de la petite Éléonore et en avait avisé l’archimage. Éli ne lui en avait jamais voulu, sachant qu’Alphéus ne voulait que son bien. Toutefois, la jeune fille en avait décidé autrement. L’archimage était donc parti et elle ne l’avait plus revu.

    Alphéus, quant à lui, était l’un des seuls personnages de son passé avec lequel elle conservait un lien, mais c’était une démarche à sens unique, car Éli allait régulièrement observer le vieil homme à son insu. L’historien était un trop bon ami du comte pour qu’elle puisse agir différemment. Il serait aussitôt allé l’avertir.

    Dès qu’elle avait pu remettre les pieds dans les royaumes, Éli était venue s’enquérir de sa santé. L’homme était la seule personne, après son frère Hugh, à s’être préoccupée d’elle et à l’avoir aimée pour ce qu’elle était. Il y avait plusieurs mois qu’elle n’était pas allée voir comment il allait. Peut-être s’arrêterait-elle en retournant aux marais.

    Revenue au présent, Éli avait détourné son attention de l’archimage sans regarder les autres occupants, pour se concentrer sur les chevaux qui tiraient la calèche. Pour freiner leur avancée, elle les avait fait caracoler jusqu’à briser leur harnachement. Cela avait contraint les voyageurs à faire halte dans un village, le temps qu’elle les sème.

    Elle atteignit, avec les soldats, un groupe de maisonnettes. À leur passage, les habitants délaissèrent leur tâche et les suivirent des yeux. Le lieutenant Lamorie vit deux jeunes hommes courir jusqu’à une maison plus en retrait, à peine plus grande que les autres.

    Éthanie leur avait indiqué que de sa famille, sa tante et son oncle étaient ceux qui habitaient le plus près de la Dulcie. Même si Galator lui avait expliqué être en bons termes avec les soldats ébrêmiens surveillant la frontière, elle ne voulait pas les obliger à trop s’éloigner et leur attirer ainsi des ennuis. Le couple était le duc et la duchesse Vallière, mais depuis plu­sieurs années, ils avaient abandonné leur titre qu’ils jugeaient vain. Cette précision avait surpris le lieutenant et ses soldats, mais il était vrai que les gens d’Ébrême n’avaient pas la même conception de la noblesse que les Dulciens. Un seigneur était seulement le régisseur d’un lot de terre et n’était en rien supérieur à ceux qui y travaillaient physiquement. Proba­blement que l’humble demeure qu’ils apercevaient, non loin du village, leur appartenait.

    En effet, Éthanie pressa sa monture vers la bâtisse. Galator la regarda en souriant, imaginant toute la joie que devait ressentir la jeune femme en revenant chez elle après une si longue absence.

    Une dame d’une quarantaine d’années sortit de la maison en s’essuyant les mains. À son côté, l’un des jeunes hommes qui avaient couru à leur arrivée les montrait du doigt. Le lieutenant Lamorie entendit ses hommes hoqueter de surprise. La femme mesurait presque deux mètres de haut. Elle portait une simple robe d’un brun pâle qui recouvrait une chemise crème. Ses longs cheveux châtains étaient noués en toque sur sa tête. Il remarqua une longue cicatrice sur sa joue gauche et sous son oreille droite.

    La femme déposa son chiffon sur une clôture en bois qui formait le corral d’un troupeau de chèvres et les examina sans faire un pas pour les rejoindre. Sur sa main gauche, la peau était toute boursouflée, comme si elle avait été brûlée.

    Galator fut saisi par l’apparence de la dame. Elle ne semblait pas avoir eu la vie facile. Un homme légèrement plus petit, mais du même âge vint la rejoindre, arrivant de l’arrière de la demeure avec l’autre jeune homme. Il ne portait qu’une salopette et était coiffé d’un chapeau de paille. Il devait travailler dans les champs avec ceux qu’ils avaient aperçus à leur approche.

    L’homme qui semblait être le maître des lieux arrêta près de sa femme et les regarda s’avancer, d’un air peu avenant. Le lieutenant Lamorie se tourna vers Éthanie, mais les yeux sérieux de l’homme ne l’ébranlaient nullement. Elle pressa encore son cheval, suivie des soldats. Lorsqu’elle fut plus près, Galator vit l’expression de la femme s’adoucir et un sourire apparaître sur ses lèvres. La jeune femme sauta à bas de sa monture et se précipita dans les bras de la grande dame qui l’accueillit en riant. Elles échangèrent quelques paroles, mais comme Galator était trop loin pour comprendre, il s’approcha davantage.

    — Je suis si heureuse de te revoir, dit la grande dame en serrant Éthanie contre elle.

    Le lieutenant Lamorie descendit de selle et s’approcha lentement. Il regarda le mari, mais celui-ci ne semblait pas trop comprendre ce qui se passait.

    — Je croyais que tu étais morte, continua la grande dame, tandis que des larmes coulaient sur ses joues.

    Elle l’éloigna d’elle, en lui serrant toujours les épaules. Le seigneur Vallière la regarda plus attentivement et ses yeux s’agrandirent alors qu’il la reconnaissait. Il la serra lui aussi dans ses bras, mais avec moins d’émoi que sa femme. Lorsqu’il la lâcha, Éthanie s’éloigna d’eux, les joues baignées de larmes, et alla prendre Galator par le bras pour le présenter.

    — C’est grâce au lieutenant Lamorie que j’ai pu revenir. Lieutenant, je vous présente ma tante Noëlle et mon oncle Rémy.

    Le soldat leva une main, gêné par le regard empli de reconnaissance que la tante de la jeune femme posait sur lui.

    — Je n’ai fait que mon devoir, bredouilla-t-il.

    Le seigneur lui serra la main tandis que la femme pressait Éthanie contre elle comme si elle avait peur qu’elle ne soit qu’un mirage.

    — Que pouvons-nous faire pour vous remercier, lieutenant ? demanda la dame Vallière.

    Avant qu’il n’ait eu le temps de répondre, elle continua :

    — Peut-être aimeriez-vous vous reposer ? Nous avons amplement de nourriture pour vous et vos hommes.

    — Il est vrai que vous semblez fatigués, ajouta le seigneur Vallière.

    Galator secoua la tête.

    — Je vous remercie beaucoup, mais nous ne pouvons malheureusement pas. Nous nous sommes déjà trop éloignés de notre circonscription. La joie que je vois sur le visage de votre nièce me réchauffe le cœur, assez pour chasser la fatigue.

    Il vit Éthanie baisser les yeux et supposa que ce qu’il venait de dire l’avait gênée.

    — En êtes-vous certain, lieutenant ? insista le seigneur Vallière.

    — Parfaitement.

    D’un bond, il se remit en selle.

    — Mais je vous remercie pour votre hospitalité.

    — Et moi, je vous remercie de m’avoir conduite jusqu’ici, lui dit Éthanie. Je vous en serai éternellement reconnaissante.

    — Cela m’a fait plaisir, demoiselle.

    Il tourna bride et se dirigea vers ses hommes.

    — Si vous repassez par ici, lieutenant, venez faire un tour. Vous serez toujours le bienvenu chez nous, lui lança la dame.

    Les soldats leur firent signe et partirent au galop. Éli garda la main en l’air un moment et se retourna d’un air innocent. Bras croisés, ses supposés tante et oncle la considéraient d’un air soudain sérieux. L’homme lui indiqua la porte du doigt et dit :

    — Je crois que tu nous dois de bonnes explications, la jeune.

    Éli entra dans la maison, toujours avec le même petit air innocent. Le couple la suivit et l’homme claqua la porte derrière lui.

    — Toi et tes anciennes consœurs ! grommela-t-il entre ses dents. Tu finiras par nous attirer de gros ennuis.

    Le feu crépitait dans la cheminée, faisant danser les ombres sur les murs. Des étincelles sautaient devant l’âtre alors que le maître des lieux promenait violemment le tisonnier dans les braises.

    — Arrête, Rémy, ou tu vas finir par mettre le feu au plancher, lui dit sa femme avec un sourire amusé aux lèvres.

    — Elle m’énerve, répliqua-t-il en montrant du doigt la jeune femme aux cheveux noirs. Je n’ai jamais vu personne se mettre autant de gens aux trousses en aussi peu de temps.

    Éli venait de terminer le récit des événements qui l’avaient menée jusqu’à eux, y compris le vol de la pierre. Noëlle et Rémy étaient déjà informés du désir des chasse-resses de récupérer l’objet pour les eldéïrs, car les guerrières s’étaient arrêtées chez eux en retournant vers les marais. Elles avaient informé Noëlle qu’Éli ne s’était pas rendue au point de rencontre et qu’elle ne devrait pas s’étonner de la voir apparaître dans les jours à venir.

    Rémy secoua la tête de découragement.

    — Quand j’y pense, elle m’a fait mentir à ces soldats assez gentils pour la conduire ici. Tu devrais avoir honte de jouer ainsi avec les gens. Surtout ceux qui sont bons.

    — Tu crois que si j’avais eu le choix, je n’aurais pas fait autrement ? se défendit Éli.

    — On a toujours le choix, jeune fille, déclara-t-il. C’est à se demander s’il y a une cervelle dans cette petite caboche-là ou si Dieu l’a oubliée quelque part.

    Éli lui fit une grimace et s’exclama :

    — Et dire, Noëlle, que tu as laissé les chasseresses pour ce gaillard grincheux !

    La grande dame se tourna en souriant vers son mari qui s’évertuait à tourner et à retourner les bûches dans le foyer. Il n’y avait rien à répondre à la remarque d’Éli. Elle avait fait son choix et en était heureuse. Rémy allait lâcher une injure en réplique au qualificatif « grincheux », mais un garçon arriva en courant et lui sauta au cou. Une petite fille apparut à sa suite, mais trébucha et tomba à plat ventre avant de les avoir rejoints. Les yeux de l’enfant s’emplirent de larmes. Son père sourit et alla la prendre dans ses bras.

    — Veux-tu t’occuper d’eux ? lui demanda Noëlle. Je vais aller préparer les assiettes.

    Il hocha la tête et attrapa son garçon de son bras libre pour les lever tous les deux dans les airs. Éli accompagna son amie dans la cuisine. Elle pourrait enfin lui parler sans que Rémy se mêle de leur conversation. Noëlle rit doucement et demanda :

    — Alors, comment as-tu trouvé ma prestation ?

    Elle se composa la même expression de joie émue que précédemment et Éli éclata de rire.

    — J’avoue que c’était drôlement bien. J’y ai presque cru moi-même.

    Noëlle commença à couper les légumes pour la salade, sous le regard d’Éli assise sur le bord du comptoir.

    — Sais-tu qu’il y en a qui se font beaucoup de soucis pour toi ? lui dit la grande femme en tournant légèrement la tête vers elle.

    — Nos sœurs ? supposa Éli.

    — Oui. Surtout Tilka. Et elle n’était vraiment pas de bonne humeur. Elle n’arrêtait pas de dire que si elle avait été avec toi, tout se serait bien passé.

    Éli éclata de rire. Elle avait déjà essayé de s’imaginer la quête si Tilka l’avait accompagnée. Elles ne se seraient probablement pas rendues jusqu’en Ébrême sans tuer.

    Un tas de concombre tranché alla rejoindre la salade. Éli regarda la cuisine autour d’elles et la salle à manger. Tout était impeccable, chaque objet rangé.

    — Et toi, lui demanda la jeune guerrière en se tournant vers son amie. Est-ce que tu vas bien ? Ne t’ennuies-tu pas parfois à devoir vivre la vie d’une femme au foyer ?

    Noëlle leva la tête et observa ses deux enfants qui criaient et riaient, alors que Rémy se bataillait avec eux.

    — C’est étrange que cela te préoccupe, répondit-elle. Tu devrais être la dernière à regretter mon départ, car, autrement, tu n’aurais pas pu me remplacer.

    Éli s’offusqua, mais Noëlle ne la laissa pas se défendre.

    — Je plaisante, voyons. Mais pour répondre à ta question, avec des enfants, Éli, je peux te dire que tu n’as guère le temps de t’ennuyer.

    — Ce n’est pas ce que je voulais dire.

    — Je sais.

    Noëlle regarda par la fenêtre. Après un moment, elle avoua :

    — Il m’arrivait parfois, au début, de ressentir l’envie de m’évader. J’allais alors, à la place de Rémy, vendre nos produits dans les villes voisines. Si j’avais de la chance, il y avait des bandits sur le chemin et je pouvais me dégourdir un peu. À vrai dire, je les cherchais presque, me mêlant de ce qui ne me concernait pas. J’ai même sauvé plusieurs voyageurs.

    Son regard se reporta sur sa famille.

    — Mais j’ai commencé à avoir peur de mourir.

    Éli fronça les sourcils.

    — Pas pour moi, spécifia Noëlle, mais pour eux. Tu comprends, avant, personne n’avait besoin de moi. La mort ne m’effrayait pas, n’étant qu’une conséquence probable à toutes mes quêtes. Mais tout cela change lorsque tu sais que cette mort sera grandement néfaste pour ceux que tu aimes. Et je crois que tu es bien placée pour le savoir, n’est-ce pas, Éli ?

    La jeune femme baissa les yeux, troublée par ce que venait d’affirmer sa sœur. En effet, la mort de sa mère avait bouleversé toute sa vie. Elle était effectivement bien placée pour comprendre ce qu’elle disait. De la main, Noëlle lui releva doucement le visage pour la regarder dans les yeux.

    — J’ai fait un choix et nos deux situations sont très semblables. Avant, tout comme toi, je risquais ma vie pour les eldéïrs. Maintenant, j’ai décidé de donner ma vie pour ces deux monstres que tu vois là. Tu sais, de tout ce que j’ai accompli, donner naissance à ces deux trésors est ce qui m’a procuré la plus grande joie. Je ne regrette absolument rien.

    Éli regarda la fillette et le garçon.

    — Et qui sait, continua Noëlle, peut-être connaîtras-tu l’amour et auras-tu ce même choix à faire un jour ?

    La jeune guerrière eut un rire sarcastique.

    — Il est assez rare que j’engendre de l’amour autour de moi. Je mens toujours à tout le monde et je ne suis jamais moi-même.

    — Oh ! Toi, tu commences à être fatiguée. Il est vraiment temps que tu rentres. Quand le moral est affaibli, c’est tout le corps qui est touché. Cela peut être dangereux.

    — Je sais. C’est cette promesse, en plus, qui m’inquiète. Je n’ai pas réalisé, lorsque je l’ai faite, à quel point je me mettais dans une mauvaise position.

    Noëlle hocha la tête.

    — Tu comprends, je voulais tellement me débarrasser de lui.

    — Tu as peur que l’archimage te reconnaisse.

    — Je commence. J’ai quand même utilisé mon vrai nom dans cette affaire. Cela n’était pas grave, personne ne me connaît en Dulcie.

    — Personne, sauf lui, ajouta Noëlle.

    — Il n’a certainement pas oublié notre rencontre à l’université d’Ènlira.

    Éli soupira et sauta en bas du comptoir, alors que Noëlle prenait les assiettes pour les apporter dans la salle à manger.

    — De toute façon, même s’ils savent qui je suis, continua Éli, et deviennent dangereux, j’irai dans les marais et ils ne pourront jamais me suivre là-bas.

    Elle prit le reste des assiettes et suivit son ancienne consœur. Celle-ci se retourna et la fixa avec un sourire.

    — Ce jeune homme t’a quand même bien eue.

    — C’est vrai. Et il doit être fier de lui en ce moment. Mais il est mieux d’en profiter, car ce ne sera plus pour longtemps.

    Noëlle rit et déposa les assiettes sur la table. Les deux petits enfants arrivèrent en courant et sautèrent sur leur chaise en se bousculant. Rémy embrassa sa femme et poussa Éli du coude, en passant près d’elle, lui faisant perdre l’équilibre. Elle se rattrapa au bord de la table et le menaça avec sa fourchette. Noëlle vint rapidement s’asseoir entre les deux et ils dirent la prière.

    Chapitre 3

    La rencontre

    U n troupeau de chevaux broutait tranquillement dans la plaine. Un gros cheval gris pommelé alla les rejoindre avec empressement et se fondit dans la masse, heureux d’être avec les siens.

    Dans une forêt tout près, une jeune voyageuse balançait ses jambes dans le vide. Assise sur une branche d’arbre, elle observait l’avancée d’une calèche blanche et luxueuse. Éli avait dit au revoir à Noëlle la veille au soir. Pour calmer les craintes de Rémy, elle leur avait dit que si, au pire, on leur posait des questions à son sujet, ils n’avaient qu’à prétendre qu’eux aussi s’étaient fait berner par l’imposteur et qu’ils en avaient été extrêmement blessés.

    Éli s’était ensuite rendue au village le plus proche. Il n’avait pas été très difficile de retrouver la trace de ses poursuivants. Tous les villageois ne parlaient que de l’archimage et de sa venue. Elle apprit qu’ils étaient déjà partis et personne ne savait où ils allaient. Les gens n’avaient pas osé le leur demander. Ils savaient seulement que la calèche avait pris le chemin du sud-est. Et Éli avait fait de même.

    Peut-être croyaient-ils qu’elle n’avait pas tenu sa promesse et ils avaient continué leur course vers les marais. Car c’était apparemment leur destination. Après tout, c’était naturel : si des créatures des marais étaient à sa poursuite, il y avait de grandes chances qu’elle-même vienne de cet endroit.

    Il ne lui avait fallu que quelques heures avant de voir la calèche à l’horizon. Elle et Kalessyn avançaient à un train beaucoup plus rapide qu’eux. Éli les avait contournés par la plaine, puis devancés, n’osant les suivre de trop près, de peur que le vieux magicien ne la sente. Éli en savait long sur ses pouvoirs grâce à ce qu’elle en avait entendu dire, mais elle n’en connaissait pas les limites.

    Elle avait estimé, selon leur direction, qu’ils traverseraient cette forêt. Ils pourraient, par la même occasion, se ravitailler en eau. La jeune femme avait envoyé son ami se dégourdir les pattes sans cavalier. Elle l’appellerait à leur arrivée.

    Les rayons du soleil se reflétèrent soudain sur un objet dans la plaine. Éli y porta le regard. Ils progressaient rapidement. Elle commençait à se sentir nerveuse. Alphéus était le seul lien qu’elle avait conservé de son ancienne vie et elle n’avait aucune envie d’en ajouter un deuxième. D’un autre côté, elle était curieuse de savoir si le vieux magicien voulait vraiment sa sécurité ou plutôt mettre la main sur la pierre. En son for intérieur, Éli espérait que Malek avait dit vrai et que c’était pour la protéger qu’ils la poursuivaient. Elle devait reconnaître que sinon, elle serait réellement déçue. Les gens s’inquiétaient rarement pour elle, mais plutôt pour ce qu’elle pouvait transporter.

    Éli regarda l’éclat blanc avancer sur le chemin, en se demandant comment se présenter. Elle allait appeler Kalessyn lorsqu’une idée lui traversa l’esprit. Si elle voulait parler franchement avec eux, elle devait peut-être avoir un aperçu de leur groupe. Or, pour cela, qui de mieux placé qu’un passeur solitaire cherchant de la compagnie ? Peu lui importait que Malek la reconnût ou non : elle tenterait tout de même la manœuvre. Le soleil tapait violemment et ils devaient cuire sous leur armure. La fatigue ainsi provoquée affaiblirait sûrement leur vigilance. La chance était de son côté.

    La jeune femme descendit de l’arbre et se dirigea lentement vers le chemin. Ses habits étaient déjà maculés de la terre de la route. Éli n’eut donc qu’à ajouter un peu de poussière sur sa figure et dans ses cheveux. Son vieux chapeau aux larges bords jetterait son ombre sur le haut de son visage, ce qui n’aurait rien de surprenant, vu l’intensité des rayons du soleil.

    Elle sortit un petit pot de sa sacoche et l’ouvrit délicatement. Il contenait une épaisse substance rouge sombre qu’Éli prit soin de ne pas renverser sur ses vêtements. Elle y effleura à peine le bout de ses doigts et s’en répandit sur un bras en veillant à ne pas en tacher sa manche : ce liquide était indé­lébile. Elle s’en toucha ensuite le bord des lèvres, l’œil et les narines. Refermant précautionneusement le pot, elle le rangea dans sa sacoche.

    Éli aperçut une petite flaque d’eau sur le bord du chemin et y observa son reflet. Une bonne raclée ! Elle prit un air triste de résignation et se releva. La guerrière se remit en marche en traînant une jambe derrière elle, tout en se tenant les côtes. Une bien méchante raclée, même !

    Le vent qui ébouriffait les cheveux de Mylène au galop sur la jument beige dissipait temporairement la chaleur du soleil. Eldérick lui avait permis de prendre un peu d’avance, à condition qu’elle reste à proximité de Dowan. Elle s’était encore disputée avec Lilas et les deux jeunes femmes en étaient presque venues aux coups.

    Cette Lilas n’avait aucune morale ni aucun principe. De plus, elle ne croyait en rien. La seule règle qu’elle semblait suivre était de jouir le plus possible des plaisirs de la vie sans penser à rien d’autre. Et puis, elle ne se gênait pas pour dire tout haut ce qu’elle pensait du roi et des seigneurs du royaume, sans se soucier de l’origine noble de Mylène. Celle-ci recevait chacun de ses mots comme autant de piques et la jeune femme en était hautement agacée, d’autant plus que tout était vrai dans ses remarques. Elle avait donc bien peu d’arguments pour défendre les siens.

    Au moins, avec Dowan, la conversation portait sur d’autres sujets et elle ne se sentait plus attaquée. Il répondait à toutes les questions qu’elle lui posait sur ce royaume, car Ébrême n’était pas du tout comme la Dulcie. Tout était différent, à commencer par des arbres et des animaux qu’elle n’avait jamais vus. Il faut dire qu’il faisait plus chaud dans cette partie du monde.

    Et, encore plus au sud, Dowan lui avait dit qu’il y avait un immense désert et que c’était là que vivait son peuple. Les tribus se situaient près des oasis et vivaient humblement en harmonie avec les bêtes. Elles ne ressentaient pas le besoin de s’entourer du luxe qu’aiment tant les habitants des royaumes. Et à la limite de leur territoire, où la végétation reprenait ses droits, s’étendaient les marais. Les gens de son peuple ne s’en approchaient jamais et personne ne savait ce qu’il y avait au-delà. Selon certains, c’était un autre désert, mais encore plus désolé que le premier. Le sable lui-même y était introuvable : l’endroit n’était qu’une étendue de poussière sur le noir cendreux d’une terre craquelée habitée par des animaux difformes et extrêmement dangereux. Il ne s’agissait que de rumeurs, mais Dowan avait ajouté qu’en ayant vu les marais et les monstres qui y vivaient, on était prêt à tout croire.

    — D’où viennent tous ces monstres ? lui demanda Mylène en haussant la voix pour se faire entendre malgré le bruit des sabots.

    — Mon grand-père m’a raconté que depuis le début du monde, les hommes des royaumes et les créatures comme les ogres et les rawghs se combattent. Comme les hommes ont toujours été plus nombreux, ils ont fini par gagner et les créatures ont dû fuir vers le sud, où personne ne les attaquerait. Les hommes ont cessé de les poursuivre lorsqu’elles sont entrées dans le désert. Elles se sont donc toutes réfugiées dans les marais, où elles pouvaient se nourrir et se cacher facilement, car la végétation y est extraordinairement dense. Tout est énorme là-bas, les feuilles atteignent un mètre de large et les insectes ont presque la taille des oiseaux.

    Il regarda vers le sud et continua :

    — Au fil des années, les monstres ont été si nombreux à se fixer dans les marais qu’il est devenu dangereux, même pour le guerrier le plus expérimenté, d’y mettre les pieds. Maintenant, je sais que même un groupe ne s’y risquerait pas.

    Mylène suivit son regard en tentant de s’imaginer l’endroit. Elle avait déjà vu un rawgh, voilà quelques années, et il lui avait fait plus pitié qu’autre chose. Il était venu voler des poules chez l’un de leurs serviteurs. Tous les hommes s’étaient aussitôt mis à sa poursuite de peur qu’il ne s’attaque à l’un de leurs enfants. Mylène l’avait vu, mais elle ne l’avait dit à personne. Il était l’un de ceux que tout le monde appelait des monstres ou des démons, et c’était vrai qu’il était très différent des humains.

    Plus grand qu’un homme, il avait les bras et les jambes étonnamment musclés. Ses mâchoires étaient fortes et des crocs jaunes dépassaient de sa lèvre supérieure. Il était vêtu de haillons qui dissimulaient à peine son corps couvert de fourrure, et ses larges mains étaient griffues. Il avait attaché ses cheveux bruns en une queue de cheval.

    Il semblait réellement sorti d’un cauchemar. Pourtant, elle n’avait pas crié en le découvrant : elle était restée figée par son regard. Ses yeux étaient bleus, comme ceux de sa sœur. Certains disent qu’ils sont le miroir de l’âme. Eh bien ! Ce qu’elle y avait vu l’avait touchée. Il n’y avait aucune méchanceté ni malice dans ses iris bleus, mais une profonde tristesse… et de la peur. Il semblait aussi apeuré qu’elle. Ils étaient restés un instant à se regarder, car elle était incapable de bouger. Puis, il s’était levé en entendant les cris des hommes à sa recherche et lui avait adressé un sourire tout en dents pointues.

    — Si tu es celle qui s’occupe de ces bêtes, je peux te dire qu’elles t’aiment beaucoup, lui avait-il confié d’une voix profonde qui se rapprochait étonnamment de celle d’un homme.

    Puis, il avait pris son sac et avait disparu parmi les ombres de l’écurie où elle l’avait aperçu. Son père l’avait trouvée quelques minutes plus tard et elle avait eu droit à toute une réprimande pour être sortie seule. La punition aurait été plus sévère si elle lui avait révélé avoir vu la créature. La jeune femme avait rapidement chassé cette déconcertante rencontre de son esprit. À présent, le souvenir du rawgh l’amenait à se demander si cette poursuite était réellement justifiée ou si les hommes trouvaient juste plus facile de détruire ce qui était différent et qu’ils ne comprenaient pas. De plus, son père ne lui avait jamais paru plus excité que lors de la traque de cette pauvre créature.

    Elle lança un regard en coin à Dowan, tentant de deviner ce qu’il pensait de ces monstres, mais le visage impassible de l’homme du désert était difficilement déchiffrable. Elle finit par demander :

    — En avez-vous déjà vu un ?

    — Jamais de près.

    — Savez-vous s’ils parlent ?

    Dowan se tourna vers elle d’un air interrogateur. Il la fixa un moment et elle expliqua :

    — J’en ai déjà vu un dans notre écurie et il m’a parlé. Il… Enfin, il ne m’a pas semblé méchant.

    Un sourire apparut aux lèvres de l’homme du désert qui reporta son regard sur la route. Il resta silencieux, perdu dans ses pensées, pour finalement répondre :

    — Il y a des centaines d’années que mon peuple habite dans le désert et, bien que nous soyons les plus proches des marais, aucun village n’a jamais été attaqué par les rawghs ou les ogres. Leur réputation de monstres sanguinaires ne vient que de ceux qui ont tenté d’entrer dans les marais.

    — Alors, ils ne font que protéger leur territoire, supposa Mylène.

    — Peut-être bien.

    — Croyez-vous que ce sont réellement des démons ou est-ce les hommes qui en ont fait des démons ?

    Dowan poussa un profond soupir et haussa les épaules.

    — Qui sait ? J’avoue m’être souvent posé la question, mais je n’ai jamais cherché de réponse. Bien que le roi Ferral essaie constamment de pénétrer les marais pour découvrir ce qui s’y cache, nous avons toujours préféré les laisser vivre tranquille.

    Il garda le reste pour lui-même et retomba dans le silence. Mylène observa les plaines qui les entouraient, seulement interrompues par un boisé dans lequel s’engouffrait leur route.

    — S’ils ne sortent pas des marais, demanda-t-elle, pourquoi le roi Ferral va-t-il leur chercher querelle ?

    — Je crois que c’est dans sa nature. Le roi est un conquérant dans l’âme et il veut les marais. Il veut en chasser les bêtes démoniaques et rendre les lieux habitables pour son royaume.

    — Et vous le laissez traverser votre territoire ? s’étonna Mylène.

    — Il ne le fait que pour s’approcher des marais et il paie des droits de passage aux rois du désert. À l’exception de la Dulcie, Ferral respecte ses voisins et entretient de très bons liens avec eux. Puisque les marais n’appartiennent à personne, il ne voit pas de mal à tenter de se les approprier. Et de notre côté, nous ne nous en inquiétons pas, car il a peu de chance de réussir. Jusqu’à présent, il accumule les échecs, tout comme son grand-père. D’ailleurs, c’est cet aïeul qui a repoussé la frontière d’Ébrême au détriment de votre royaume.

    Mylène hocha la tête. Elle connaissait ce passage de leur histoire. Lorsque la Dulcie avait commencé à avoir

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