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Les infinis
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Les infinis
Livre électronique394 pages5 heures

Les infinis

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À propos de ce livre électronique

Kai a toujours cru que le seul danger pour la ville venait de l’intérieur. Désormais, avec une force rebelle qui menace le fragile gouvernement, les murs se sont plus que jamais transformés en prison.La situation s’aggrave tandis qu’Avan explore sa nouvelle identité comme Infni, et que Kai doit lutter pour lui rappeler ce que c’est que d’être humain. Elle craint aussi que son frère, Reev, ne collabore avec les rebelles. Les deux êtres qui lui sont les plus chers sont dans les camps opposés d’une guerre en train de se couver, et Kai fera tout ce qui est nécessaire pour ramener la paix. Mais elle a perdu son pouvoir de manipulation des fils du temps, et elle apprend qu’une guerre civile peut n’être que le début de quelque chose de bien pire qui fera s’effondrer non seulement les murs de Ninurta, mais aussi la ville tout entière.Dans cette suite passionnante de Aux portes de la pierre et du temps, Kai doit décider quelle part de son humanité elle est prête à perdre pour protéger la seule famille qu’elle ait connue.
LangueFrançais
Date de sortie25 janv. 2016
ISBN9782897529444
Les infinis
Auteur

Lori M. Lee

Lori M. Lee was born in the mountains of Laos. Her family relocated to a refugee camp in Thailand for a few years and then moved permanently to the United States when she was three. She has a borderline-obsessive fascination with unicorns, is fond of talking in Caps Lock, and loves to write about magic, manipulation, and family. She currently lives in Wisconsin with her husband, kids, and a friendly pit bull. She is the author of Gates of Thread and Stone. Visit her at www.lorimlee.com.

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    Aperçu du livre

    Les infinis - Lori M. Lee

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    Copyright © 2015 Lori M. Lee

    Titre original anglais : The Infinite

    Copyright © 2015 Éditions AdA Inc. pour la traduction française

    Cette publication est publiée en accord avec Skyscape, New York, NY

    Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire.

    Éditeur : François Doucet

    Traduction : Renée Thivierge

    Révision linguistique : Féminin pluriel

    Correction d’épreuves : Nancy Coulombe, Katherine Lacombe

    Montage de la couverture : Matthieu Fortin

    Illustration de la couverture : © 2015 Tony Sahara

    Carte : © 2015 Megan McNinch

    Mise en pages : Sébastien Michaud

    ISBN papier 978-2-89752-942-0

    ISBN PDF numérique 978-2-89752-943-7

    ISBN ePub 978-2-89752-944-4

    Première impression : 2015

    Dépôt légal : 2015

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque Nationale du Canada

    Éditions AdA Inc.

    1385, boul. Lionel-Boulet

    Varennes, Québec, Canada, J3X 1P7

    Téléphone : 450-929-0296

    Télécopieur : 450-929-0220

    www.ada-inc.com

    info@ada-inc.com

    Diffusion

    Canada : Éditions AdA Inc.

    France : D.G. Diffusion

    Z.I. des Bogues

    31750 Escalquens — France

    Téléphone : 05.61.00.09.99

    Suisse : Transat — 23.42.77.40

    Belgique : D.G. Diffusion — 05.61.00.09.99

    Imprimé au Canada

    Participation de la SODEC.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.

    Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Lee, Lori M.

    [Infinite. Français]

    Les Infinis

    (Série Aux portes de la pierre et du temps ; 2)

    Traduction de : The Infinite.

    Pour les jeunes de 13 ans et plus.

    ISBN 978-2-89752-942-0

    I. Thivierge, Renée, 1942- . II. Titre. III. Titre : Infinite. Français.

    PZ23.L437In 2015 j813’.6 C2015-941826-7

    Conversion au format ePub par:

    Lab Urbain

    www.laburbain.com

    À Cha.

    Chapitre 1

    Je vivais dans la maison de l’homme que j’avais tué. Je n’y avais pas pensé jusqu’à deux mois après sa mort, lorsque les cauchemars avaient commencé. Peut-être parce que le palais avait été une distraction opulente et spacieuse, avec ses grandes salles blanches et ses bannières écarlates qui constituaient une façade convaincante. Peut-être parce que Kahl Ninu n’avait jamais été un homme.

    Ou peut-être parce qu’une partie de moi, une partie que je ne voulais pas reconnaître, était tout aussi froide que les Infinis eux-mêmes.

    Cette idée m’inquiétait parfois, mais les cauchemars l’avaient rapidement chassée. D’ailleurs, si c’était vrai, il m’aurait été moins douloureux de voir Avan chaque jour.

    Mais la souffrance ne m’empêchait pas de rester.

    — Où vas-tu aujourd’hui ?

    Le miroir sur le mur me montrait mon frère, Reev, debout derrière moi, les bras croisés alors qu’il essayait sans y réussir de ne pas me faire les gros yeux. Pour n’importe qui d’autre, son attitude en aurait imposé, mais je me contentai de sourire. Nous n’étions plus dans le Labyrinthe, et je m’amusais de le voir lutter continuellement pour accepter le fait que je n’avais plus besoin de ses restrictions.

    Au lieu de répondre, je ramassai le peigne sur ma coiffeuse. Je passai les fines dents métalliques dans mes cheveux, prenant mon temps pour démêler les nœuds dans les longues mèches noires. Le peigne était un cadeau d’Avan. Il brillait d’un bleu éclatant et son épine recourbée s’adaptait parfaitement au creux de ma paume. Lorsque je m’en servais, je pensais toujours au peu d’importance que l’ancien Avan aurait accordé à un joli peigne.

    Tout était si faux. Au cours des derniers mois, je m’étais habituée à vivre dans le palais, mais ce confort me rendait mal à l’aise.

    La chambre qu’on m’avait donnée — je commençais à penser que c’était maintenant ma chambre — était près de deux fois plus vaste que le conteneur que j’avais partagé avec Reev dans le Labyrinthe, sans même compter la salle de bain attenante. Des tapisseries colorées et tissées serré étaient accrochées aux murs de pierre blanche. Un feu crépitait dans le foyer, alimenté par un domestique qui ne venait que lorsque j’étais absente, parce que je refusais de me faire servir par les serviteurs du palais. D’épais tapis réchauffaient le sol. Un lit immense reposait impérieusement sur une plateforme dans un coin de la chambre. Des colonnes de bois renforçaient le lit à chaque coin, qui était recouvert d’un baldaquin d’où pendaient des rideaux blancs vaporeux et des rideaux rouges plus lourds.

    Pendant la première semaine, j’avais dormi dans le fauteuil, car la taille du lit me semblait excessive. Mais la douleur qui s’était formée dans mon dos m’avait obligée à changer d’endroit.

    Ce séjour était censé être temporaire, mais notre logement dans le Labyrinthe avait été pris par de nouveaux locataires. De toute manière, un retour au Labyrinthe n’aurait pas été mon premier choix, et le District Nord ravivait trop de souvenirs.

    Je me demandais si Reev ressentait la même chose ou si c’était pire pour lui de se retrouver à la Cour blanche, puisqu’il avait été sentinelle.

    — Kai, dit Reev avec impatience.

    Je déposai le peigne et me retournai sur le tabouret pour lui faire face.

    — Je n’ai pas encore décidé.

    Il décroisa les bras et fit rouler ses épaules. Elles semblaient tendues sous sa tunique noire.

    — S’est-il… souvenu de quelque chose ?

    Je commençais à être moins amusée de voir Reev faire du surplace. Je me levai, puis m’éloignai en me penchant pour prendre la robe déposée sur le dos du fauteuil. Ma main s’immobilisa sur le tissu vert foncé.

    — Non, dis-je.

    Comme le silence s’installait entre nous, mon regard parcourut le tissu damassé argenté qui recouvrait le fauteuil. Je soulevai la robe et repliai l’étoffe sur mon bras. Je me retournai pour le regarder.

    Son épaule était appuyée contre le cadre de porte, et il me contemplait en penchant la tête. Je n’avais aucune idée de ce qu’il pensait.

    — Crois-tu qu’il va finir par se souvenir ? demanda Reev.

    Mes doigts serrèrent la robe.

    — Je ne sais pas. Mais je ne peux pas abandonner.

    Les lèvres de Reev se contractèrent en une ligne en signe de mécontentement. On aurait dit qu’il voulait discuter, mais sa bouche demeurait fermée. Un muscle fléchit dans sa mâchoire.

    Pourquoi se tracassait-il à propos de mes allées et venues, alors qu’il dédaignait de me parler des choses vraiment importantes ? Pourquoi insistait-il pour être aussi prudent avec moi ? Un inconfort s’était installé entre nous depuis ce jour dans la tour de Kalla quand j’avais tué Ninu et rompu sa domination sur Reev et les autres sentinelles. Malgré mes efforts, je ne savais comment rétablir notre relation.

    Reev m’avait permis de lui poser des questions sur la façon dont il m’avait trouvée sur la berge des années auparavant. Mais il refusait toujours de me parler de son passé, de la période avant que mon père, Chronos, le libère pour la première fois. Non pas qu’il fut obligé de me confier ces choses. Je comprenais son désir de ne pas revenir là-dessus. Mais il semblait se sentir encore coupable d’avoir gardé ses secrets et de ce qui était arrivé à Avan.

    La distance croissante entre nous n’était pas seulement l’œuvre de Reev. Je lui avais dit que je ne le blâmais pas pour ce qu’il avait fait, mais je n’avais pas été tout à fait honnête, et je sentais qu’il le savait. Je me sentais irritée par ce ressentiment, comme si j’étais incapable de déloger un caillou de ma chaussure.

    C’était stupide de ma part. Reev avait été aussi impuissant qu’Avan contre le pouvoir de Ninu, mais mes émotions avaient peu à voir avec la logique et la vérité.

    Je soulevai la robe.

    — Je devrais me changer.

    Reev hocha la tête.

    — Sois prudente à l’extérieur, dit-il avant de se retourner. Il y a eu des problèmes avec des sentinelles.

    Je n’avais pas entendu parler de problèmes, mais ça ne signifiait pas grand-chose, étant donné que personne ne me parlait de quoi que ce soit. Même si j’avais tué Ninu, je n’étais apparemment pas suffisamment importante pour qu’on me tienne informée.

    Par ailleurs, il aurait été malvenu de me fâcher alors que tout ce que je voulais, c’était qu’on me laisse tranquille.

    Une fois la porte refermée derrière Reev, j’attrapai l’ourlet de ma tunique et la passai par-dessus ma tête. J’enfilai d’abord un maillot ample de couleur crème. La robe verte avait été confectionnée à partir d’un brocart raide avec des motifs tourbillonnants cousus à la main avec un fil d’or pâle. J’enfonçai les bras dans les manches et resserrai le laçage sur le devant. Il aurait été probablement plus facile d’avoir de l’aide pour m’habiller, mais l’idée d’avoir besoin d’être aidée pour enfiler mes vêtements me semblait ridicule.

    Une fois que je fus bien sanglée dans la robe, je constatai que le tissu s’adaptait parfaitement à mon buste et à ma taille, puis s’évasait à mes hanches. La jupe avant tombait en plis élégants à mi-cuisse, mais l’arrière se ramassait en une demi-jupe à crinoline qui frôlait mes mollets. Le tout était accompagné d’un pantalon ajusté qui m’allait comme une seconde peau. L’intendant du palais, maître Hathney, avait passé une commande à l’un des couturiers les plus admirés de la Cour blanche pour me confectionner quelques robes.

    Les vêtements étaient encore une chose à laquelle je ne voulais pas m’habituer, mais maître Hathney avait été cons­terné de me voir me promener dans une vieille tunique que Reev avait cousue pour moi. Et si j’étais totalement honnête avec moi-même, j’aimais beaucoup ces robes. Avec elles, je ressentais une féminité que je n’avais jamais ressentie avant. D’ailleurs, ça ne me dérangeait pas du tout. Je ne voyais pas de mal à les apprécier.

    Je tirai sur mes bottes à hauteur de cheville et fis face au miroir. Je reconnus à peine la jeune fille qui me regardait. La robe tenait lieu de costume qui me transformait en quel­qu’un d’autre. Je plissai les yeux, essayant de trouver dessous celle que je connaissais. Mes cheveux tombaient maintenant en bas de mes omoplates et avaient besoin d’être coupés. J’étais encore trop pâle, mais mes joues affichaient une sorte de teinte chaude, et mon corps mince avait perdu son aspect sous-alimenté.

    Je lissai le devant de ma robe de mes paumes, mes doigts tendus contre mon ventre, comme si je pouvais retirer l’anxiété qui se logeait à cet endroit. Même si je rencontrais Avan presque tous les jours, mon cœur continuait à annoncer le moment en martelant ma cage thoracique. Je ne pouvais étouffer l’espoir que peut-être, aujourd’hui, il se souviendrait.

    Comme je sortais de ma chambre, je glissai mes mains dans les poches que j’avais demandé que l’on ajoute à la jupe. La robe devait avoir une certaine fonction pratique. La chambre de Reev se trouvait à quelques portes de là. Sa porte était fermée, alors je passai précipitamment au cas où il déciderait de me poser d’autres questions.

    Je passai devant une servante qui dépoussiérait une peinture. Dans le palais, il y avait beaucoup de serviteurs et très peu de vrais résidents. La plupart des ministres du Kahl habitaient dans de vastes suites à l’intérieur de la Cour blanche, probablement avec leur propre armée de serviteurs. J’avais découvert que les sentinelles logeaient dans des casernes derrière le palais. Elles disposaient de leurs propres cuisine et personnel, ainsi que d’une armurerie et d’une cour d’entraînement. Les casernes étaient construites avec la même pierre blanche que le palais et avec le même degré de détails architecturaux.

    Comme je doutais que ses efforts aient été pleinement appréciés par ses soldats dont il commandait le cerveau, je ne comprenais pas pourquoi Ninu s’était préoccupé de leur offrir des logements aussi somptueux. Peut-être voulait-il simplement que les bâtiments soient assortis.

    Le bruit de mes pas résonnait jusqu’aux hauts plafonds alors que je tournais dans un long couloir spacieux. C’était l’un de mes endroits préférés dans le palais.

    Des colonnes de pierre habilement sculptées encadraient le temple des Souvenirs. Chaque colonne représentait quelque chose de différent : des chasseurs couverts de fourrure montés sur des chevaux ; des troupeaux de cerfs angéliques, leurs cornes massives recourbées au-dessus de leur tête comme des halos ; des vergers ; des meutes de grandes bêtes hirsutes à deux queues ; même les Terres interdites avec leurs paysages clairsemés, parsemés de gargouilles.

    Et ça continuait, l’histoire était ainsi ciselée dans les fondations du palais. J’avais passé des journées entières à repérer les images délicatement sculptées, à glisser mes doigts le long des rainures. Je me demandais si c’était Ninu qui avait commandé tout cela durant son règne en tant que Kahl, ou s’il avait plutôt été inspiré à poursuivre la gravure de paysages transformés depuis longtemps et de créatures disparues avant la Renaissance.

    Au-delà du temple des Souvenirs, il y avait un escalier en colimaçon, puis une autre série de couloirs avec des murs lisses, à part une peinture ou une tapisserie occasionnelle. Je traversai la salle du trône, en direction de la grande porte qui menait à l’extérieur. La demeure du Kahl était étonnamment accessible. Sur les terrains du palais, les Gardiens étaient absents. Ils opéraient selon les règlements du ministre de la Loi dont l’autorité ne s’étendait pas à la sécurité du palais. C’était le domaine des sentinelles, et Ninu avait été seul à les superviser.

    Des sentinelles qui avaient choisi de rester, cette fois rémunérées pour leurs services, étaient postées à l’extérieur et aux portes. Mais l’organisation telle que l’avait conçue Ninu étant démantelée, la sécurité était un peu relâchée.

    Je dus pousser la lourde porte en bois et en métal à deux mains. La lumière filtrait à travers. Je détournai mon visage de la bouffée d’air qui pénétra à l’intérieur.

    — Tu es en retard.

    Mon estomac fit un sursaut familier. Avan se tenait sur les dalles, un sourire faisant courber ses lèvres. Ses cheveux sombres étaient tirés vers l’arrière, le perçage qui passait autrefois dans son sourcil était depuis longtemps retiré, et il portait les plus beaux atours de son nouveau rôle. Ses yeux, jadis bruns, brillaient maintenant comme le soleil derrière des nuages qui s’effilochaient. Ce n’était plus le garçon de la Ruelle. Contrairement à moi, avec ma robe, son apparence n’était pas un costume.

    Pourtant, le fait de le voir là, debout, grand, confiant et d’une beauté dévastatrice, enflammait une chaleur dans mon ventre et une douleur dans ma poitrine. Quand j’étais avec lui, la douleur et la nostalgie étaient mes constantes compagnes.

    Il tendit un bras vers moi. Je lui pris la main, mes doigts effleurant les callosités sur sa paume. Se regardait-il parfois dans le miroir — le tatouage, les cicatrices et les callosités faisant office de stèle funéraire de son passé — en se demandant : Qui es-tu ?

    — Est-ce que tu ne devrais pas avoir le don de respecter les horaires ? demanda-t-il, alors qu’il plaçait ma main dans le creux de son bras.

    Nous nous frayâmes un chemin vers les portes de fer forgé qui conduisaient dans les rues animées de la Cour blanche.

    — On pourrait le croire, n’est-ce pas ? marmonnai-je en baissant la tête pour que mes cheveux couvrent mes yeux.

    Avant tous ces événements, j’aimais étudier la façon dont les fils du temps reliaient tout. Je m’émerveillais de presser ma main contre le flux continu en regardant le monde être capturé et ralentir autour de moi. La rencontre avec les Infinis avait tout changé, et je préférerais abandonner mes pouvoirs plutôt que me joindre à eux.

    Le problème, c’est que mon souhait s’était peut-être réalisé. Je n’avais pas touché aux fils depuis la mort de Ninu. Dans les trois mois qui avaient suivi, j’avais ignoré les fibres chatoyantes et j’avais nié leur existence, jusqu’à ce qu’un jour, elles commencent à s’estomper et à disparaître.

    Je ne pouvais plus voir, encore moins manipuler les fils du temps.

    Chapitre 2

    Personne ne le savait, et pour l’instant, je voulais que ça demeure ainsi.

    Le temps dont je disposais avant que Chronos revienne et m’impose ses exigences me semblait moins inquiétant maintenant que j’avais perdu les pouvoirs que j’avais hérités de lui. J’avais essayé d’imaginer les fils dans mon esprit, tenté d’imaginer mes doigts qui s’emmêlaient dans le courant, mais ils ne m’apparaissaient pas.

    Peut-être que ça voulait dire que je n’aurais d’autre choix que de rester humaine. Tout ce que je savais, c’était que je n’avais plus l’impression de me promener avec une bombe à retardement au-dessus de ma tête. Que pouvait faire Chronos avec une héritière qui n’avait aucun pouvoir ?

    Avan caressa le dos de ma main avec son pouce en même temps que ses doigts se posaient sur mes jointures. Le contact physique, la facilité avec laquelle il en prenait l’initiative, tout cela était nouveau. Lorsqu’il était humain, même lorsque nous étions devenus plus à l’aise l’un envers l’autre, il avait toujours manifesté une pointe de retenue dans sa façon de me toucher, comme s’il n’était pas entièrement convaincu qu’il était le bienvenu. Ce nouvel Avan n’affichait pas une telle réserve.

    Ces années turbulentes de son passé, les épisodes sombres avec son père — le garçon qui s’était dissimulé derrière tant de visages que je ne savais jamais vraiment lequel était le vrai —, tout cela était mort avec lui.

    Mais des traces demeuraient. Parfois, il disait quelque chose ou il me regardait d’une certaine manière et sa bouche formait un sourire en coin, et je pouvais le voir — mon Avan —, juste sous la surface, qui s’efforçait de percer. Chaque fois, on aurait dit que l’air était arraché de mes poumons, comme si c’était moi qui me noyais.

    Mais cela ne se passait que dans mon imagination. Mon Avan n’était pas en train d’étouffer lentement derrière ces yeux lucides. Il était parti.

    Maintenant un des Infinis — ces êtres immortels qui ressemblaient beaucoup à des dieux —, il était l’incarnation physique de Conquête, choisi pour remplacer Ninu. Pour moi… j’ignorais encore ce qu’il était. Mais j’essayais de le découvrir.

    Un Gris sous forme de cheval attendait sur la route pavée devant les portes. Les nombreuses feuilles de métal qui composaient son corps brillaient même sous le voile de nuages jaunes. Il avait récemment été lavé et poli. Derrière les grilles de sa poitrine, la pierre d’énergie du Gris étincelait d’un rouge vibrant. Une épaisse couture marquait son cou à l’endroit où le métal avait été soudé. Je ne m’étais pas attendue à être aussi bouleversée quand Mason était arrivé d’Etu Gahl avec le Gris d’Avan. Ce Gris nous avait portés, Avan et moi, pendant un long trajet.

    — Tu es magnifique, dit-il avec un coup d’œil admiratif à ma robe.

    J’essayai de ne pas tirer sur le tissu malgré ma gêne.

    — Merci. C’est…, je posai le doigt sur le laçage serré à mes côtes. Différent.

    — Différent peut être une bonne chose, dit Avan.

    Je relevai la tête pour le regarder. Mon regard suivit les contours irréguliers de son tatouage qui sortait furtivement sous son haut col.

    Je savais que le tatouage se prolongeait sur son épaule et son bras sous forme d’un arbre noueux avec des racines entortillées. Sur sa poitrine, les branches se tendaient, dénudées, à part trois feuilles vert vif. Ces feuilles avaient jadis eu une signification pour lui. Se souciait-il de savoir ce que c’était ?

    Différent pouvait être une bonne chose, mais j’ignorais toujours si c’était mieux.

    — C’est Reev qui t’a mise en retard ? demanda-t-il doucement.

    — Il voulait savoir où nous allions.

    Avan me libéra pour saisir la selle du Gris et s’y hisser. Dès que je fus installée derrière lui, mes mains se posèrent contre ses hanches comme si elles ne les avaient jamais quittées. Ça me semblait déplacé de me sentir ainsi, mais j’étais incapable d’empêcher la chaleur qui envahissait mon visage et l’accélération de mon pouls. Nous avions passé des heures dans cette position, sur ce même Gris. Je connaissais chaque courbe et chaque plan du dos d’Avan.

    Agacée, je repoussai l’évocation du passé. Il était inutile d’être assise là et de ressasser des souvenirs d’événements qu’il ne pouvait se remémorer.

    — Où allons-nous ? demanda-t-il, me regardant par-dessus son épaule.

    — Je n’ai pas encore décidé, dis-je. On peut juste… se promener.

    Il retourna vers l’avant, ses doigts jouant avec les commandes sur le cou du Gris.

    — D’accord.

    J’aurais aimé poser ma joue contre son dos, mais je m’en abstins. Il nous fallait encore établir quelque chose entre nous à part le fait qu’il voulait se trouver en ma compagnie, et je n’avais pas le cœur ou la volonté de le lui refuser.

    Notre Gris nous transporta au-dessus des pavés. À ce moment de la matinée, la circulation était fluide, et nous nous y faufilâmes aisément. Je regardais les bâtiments qui passaient : de grandes structures de pierre et de verre rompues par de petits commerces trapus faits de briques d’un rouge joyeux et d’affiches peintes de teintes vives. Les gens étaient dehors et se promenaient sur les trottoirs dans des tuniques grises élégantes aux manches brodées ou dans des robes colorées avec des corsets cintrés, des colliers de dentelle, des décolletés asymétriques et des faux culs étonnants. C’était un spectacle différent de celui auquel j’avais été habituée dans le District Nord.

    Je n’avais pas encore beaucoup exploré les alentours, mais j’avais suivi la partie ouest du mur qui enveloppait la Cour blanche. Sous mes pieds, le sol était apparu lâche et granuleux comme du sable. J’avais même repéré des restes de poteaux et de planches de bois, preuves d’un quai enfoui depuis longtemps. Il était étrange de penser qu’à une certaine époque, les murs de la ville n’existaient pas ; à la place, la ville s’ouvrait alors sur une vaste mer parsemée de bateaux de pêche.

    Les Gardiens m’avaient trouvée plus tard et m’avaient ordonné de m’éloigner du mur. La Cour blanche n’était pas aussi vaste que le District Nord, mais il y avait encore beaucoup à découvrir, et je voulais en voir au moins une partie en compagnie de Reev.

    Même si j’avais été heureuse que nous arrivions à nous débrouiller avec ce que nous avions dans le Labyrinthe, j’étais aussi contente que Reev n’ait plus à s’inquiéter de subvenir à nos besoins. Il était maintenant libre de faire ce qu’il voulait de ses journées au lieu de travailler de longues heures au Taureau déchaîné.

    Je pris une grande respiration. Même l’air avait une meilleure odeur à la Cour blanche. Il n’y avait pas cette aigreur caractéristique qui venait de déchets jetés dans les caniveaux ou du moisi amer de la rivière.

    Mais la rivière me manquait. Pas son odeur, ni le pont branlant qui perdait quelques planches chaque année, et certainement pas les bordels comme le Taureau déchaîné, alignés derrière les quais. Ce qui me manquait, c’était les promenades que j’avais l’habitude de faire avec Reev le long de la rive, et comment il m’avait appris à sauter sur les pierres et où poser mes pieds pour qu’ils ne s’enfoncent pas dans la boue épaisse.

    Un éclaireur — un Gris élégant à une place, en forme de gros chat — accéléra en passant, son cavalier sentinelle le guidant dans la circulation. L’éclaireur tourna sur la route principale et fonça vers les portes des murs de six mètres qui séparaient la Cour blanche et le District Nord.

    — Où crois-tu qu’ils vont ? demandai-je en regardant l’éclaireur qui disparaissait de ma vue.

    Avan fit un léger mouvement de la tête.

    — Je n’ai jamais pensé à poser la question à Kalla.

    — Qu’est-ce qu’elle fait dernièrement ? demandai-je.

    Ceux qui avaient vécu dans le District Nord la connaissaient comme la Mort, puisqu’elle avait été le bourreau de Kahl Ninu. Après avoir appris l’existence des Infinis, j’avais découvert qu’elle était effectivement la Mort. C’était avec sa faux, déguisée en couteau ordinaire, que j’avais pu tuer Ninu.

    Je ne l’avais pas vu depuis des semaines. Non pas que ça me dérangeait, mais un tel silence chez les Infinis me paraissait suspect.

    — Elle est occupée à former le nouveau Kahl. Appa­remment, c’est un travail assez complexe, dit-il d’un ton ironique. Elle essaie de rallier les ministres. Ce sera plus facile de travailler avec les fonctionnaires actuels plutôt que d’avoir à en nommer de tous nouveaux. Je crois qu’ils collaborent bien.

    — Enfin ! murmurai-je, et Avan fit un bruit pour montrer qu’il était d’accord.

    Lorsque Kalla avait annoncé le successeur de Kahl Ninu, les ministres s’y étaient farouchement opposés. S’appuyant sur le fait que les sentinelles s’étaient dispersées dans le sillage de la mort de Ninu, les ministres avaient insisté sur le fait qu’un Kahl qui ne pouvait même pas commander la loyauté de sa garde personnelle n’avait aucun droit de diriger quiconque. Ils ignoraient que la « loyauté » des sentinelles de Ninu était à cause de leurs colliers et que sa mort avait signifié leur liberté.

    Depuis, de nombreuses sentinelles étaient revenues de leur propre gré. Après une brève tentative d’embaucher eux-mêmes les sentinelles — une tentative que Kalla avait rapidement stoppée — les ministres semblaient avoir pris conscience que leurs moyens de subsistance, et leurs propres rangs politiques, étaient en jeu.

    Il y avait une certaine ironie de voir que, même si tout le reste avait changé, Avan était toujours ma meilleure source d’information.

    Alors qu’Avan se mettait à parler d’une forge qu’il avait croisée, mon regard revint aux portes ouvertes qui menaient au District Nord. Avan guida le Gris vers la gauche vers la Boulangerie de Penny, ma boutique préférée à la Cour blanche.

    Je lui saisis l’avant-bras.

    — Allons dans le District Nord.

    Avan hésita, son bras se tendant sous mon contact. Mais un instant plus tard, il fit tourner le Gris et nous nous engageâmes sur la route principale.

    — Je croyais que tu n’aimais pas cet endroit, dit-il.

    — Je n’ai jamais dit ça, dis-je.

    Je n’aimais pas le rappel constant de l’absence d’Avan. Chaque moment que je passais avec lui me le rappelait. Ce qui était illogique.

    Ce serait la deuxième fois que je m’aventurerais dans le District Nord depuis notre retour à Ninurta. La première fois, c’était quand j’avais découvert que les dirigeants du Labyrinthe avaient nettoyé le conteneur que j’avais partagé avec Reev et qu’ils lui avaient attribué de nouveaux locataires. Je n’avais pas encore eu le courage de rendre visite aux parents d’Avan. Lorsqu’il les avait quittés pour partir avec moi à la recherche de Reev, ils ne leur avaient pas dit au revoir. Ils ignoraient où il avait disparu, de même que pourquoi il n’était pas de retour et pourquoi il ne reviendrait peut-être jamais. Je leur devais une explication. Mais je ne me sentais pas encore capable de les affronter.

    Notre Gris à lui seul n’attirerait pas beaucoup l’attention, mais nos vêtements, oui. Maintenant, j’aurais souhaité avoir été habillée plus simplement. Les gens de la Cour blanche ne se promenaient pas dans la Ruelle, et quand ils le faisaient, c’était généralement avec curiosité et mépris. Je sentis une pointe de dégoût envers moi-même à l’idée d’être vue sous cet éclairage par les gens de la Ruelle. Peut-être devrions-nous retourner et nous changer.

    Mais Avan avait déjà ralenti notre monture alors que nous nous approchions du Gardien en service. Avan lui fit savoir dans des mots brusques et autoritaires que nous ferions une randonnée dans le District Nord. Le Gardien, le même qui me saluait à travers la porte quand je travaillais comme messagère pour le Centre de tri postal du district, hocha gentiment la tête. Il semblait un type correct, mais son empressement à plaire à Avan était en raison de la couleur et du style de sa tunique.

    La tunique était rouge foncé, et parfaitement adaptée aux larges épaules d’Avan. Elle tombait sous ses hanches et était ceinturée d’une bande de cuir tressée. Les manches et l’ourlet étaient taillés dans un motif doré distinct qui rappelait l’emblème ninurtan — l’épée et la faux, que seuls quelques-uns étaient autorisés à porter. Combiné à un pantalon noir et des bottes de cuir, l’ensemble de l’uniforme était une indication très claire qu’Avan était membre du conseil privé du Kahl.

    Le Gardien salua

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