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L'Épopée Samdaï: Tome 1 : La quête de l’Oracle
L'Épopée Samdaï: Tome 1 : La quête de l’Oracle
L'Épopée Samdaï: Tome 1 : La quête de l’Oracle
Livre électronique302 pages4 heures

L'Épopée Samdaï: Tome 1 : La quête de l’Oracle

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À propos de ce livre électronique

Au Village Samdaï, l’agitation règne. Séléna, simple fille de ferme, affronte les épreuves qui la conduiront peut-être à réaliser son rêve de devenir guerrière. Dans la forêt d’Orwénia, le jeune Hani tarde à trouver son totem, un symbole unique, le seul pouvant lui éviter le bannissement. Accablés par le poids de leurs traditions respectives, ils partent à la rencontre des peuples humains et magiques de Cançar, en quête d’un Oracle supposé leur révéler leurs destins. Ils ne savent pas encore que le continent est menacé par une guerre : au-delà de la Mer des Transhumances, l’Empire Constantin attend son heure. Sur une île lointaine d’un autre temps, un vieux sage aux yeux gris pailletés d’or nous raconte cette histoire. Au cœur de celle-ci, l’ancienne légende des dieux du Ciel et de la Terre, Sahem et Daïa, laisse peser sur le monde un bien sombre héritage…
LangueFrançais
Date de sortie29 juin 2017
ISBN9782312052953
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    Aperçu du livre

    L'Épopée Samdaï - Julianne Rhüne

    cover.jpg

    L’Épopée Samdaï

    Julianne Rhüne

    L’Épopée Samdaï

    Tome 1 : La quête de l’Oracle

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2017

    ISBN : 978-2-312-05295-3

    Prologue

    « Dans le chaos ancien, sur l’argile lointaine

    Peuplée de créatures aveuglées par la haine,

    Sahem et Daïa, dieux du Ciel et de la Terre,

    Offrirent un fils afin d’achever la Guerre.

    Lumière délivrant un monde à l’agonie,

    Brisant l’Obscur Seigneur, l’Élu perdit la vie.

    Son odieux sacrifice arma peine et colère

    Dans les cœurs déchirés des dieux qui se vengèrent.

    D’un seul souffle, Daïa s’embrasa sans vergogne,

    De ses larmes, Sahem submergea les rivages.

    Quand le néant dépouillé combla leur besogne

    Les dieux épuisés, dans le sommeil prirent ancrage.

    Les sourds millénaires s’enfuirent en silence

    Attendant les murmures d’un monde apaisé.

    Sous la cendre couvaient de vives confidences.

    Ainsi l’Homme put-il renaitre et dominer.

    De l’Élu, dernier gage, une tombe demeure.

    Tout autour vit un village de guerriers fiers.

    Cette histoire gravée, ils en ont fait la leur.

    Braves et secrets, on raconte qu’ils parlent aux pierres.

    Ainsi naquirent les Samdaïs. »

    À son pupitre de bois tout craquelé par le temps, le vieil ermite ferma son lourd grimoire dans un épais nuage de poussière. Les yeux clos, il inspira profondément, lentement, comme si les mots de la légende avaient mordu son esprit, tels des souvenirs glacés.

    – Il y a bien longtemps… soupira-t-il nostalgique. J’attends depuis si longtemps. Toute ma vie sur cette île n’aura été qu’attente.

    Mais dans son regard gris pailleté d’or, il y avait quelque chose qui ne tenait pas de la nostalgie. Il y avait aussi de la peur, celle de voir l’éternelle malédiction recommencer. Il sentait cependant au plus profond de lui, qu’un espoir était né bien au-delà des mers, et qu’il allait bientôt se mettre en quête. Il l’attendait. C’était pour le rencontrer et lui transmettre cette histoire depuis longtemps oubliée qu’il s’était caché sur cette île. Car certaines histoires sont trop dangereuses pour demeurer dans les bibliothèques à la portée de tous. Ces histoires méritent d’être préservées, pour n’être murmurées qu’aux personnes capables d’en faire quelque chose de bon.

    Plongé dans ses pensées, le vieillard ne remarqua pas l’arrivée soudaine d’une forme sombre dans sa caverne. Celle-ci se dandinait silencieusement à la lumière des torches accrochées aux parois, puis s’ébroua.

    – Dana, ma fille ! s’exclama le vieil homme en sursautant. Tu es rentrée ! La chasse a-t-elle été bonne ?

    C’était sa dragonne domestique qui venait de pénétrer dans la pièce. Une petite femelle de la race des canis-dracos, des dragons pas plus gros que des loups, quoique légèrement plus dodus, et dont la petite taille avait forgé un fort tempérament.

    – Ah non, elle n’a pas été bonne du tout ! grommela-t-elle tout en continuant d’ébrouer la fourrure crème qui recouvrait son dos rond. Le gibier se fait rare. Les dragons ont encore mis le feu à l’archipel. Comme si cela allait arranger les choses !

    – Que veux-tu ? Tous les dragons n’ont pas le bon sens de ton espèce.

    – Et vous trouvez que ça lui a servi à mon espèce, le « bon sens » ?! Bon sang, il ne reste plus que moi !

    Le sage avait en effet recueilli la dragonne encore toute jeune, après que sa mère eut été tuée par un spécimen bien plus massif et agressif, aux écailles acides et aux griffes empoisonnées. Le genre de dragon que l’on n’imagine que dans ses pires cauchemars… Il avait alors baptisé le bébé orphelin « Dana » et l’avait élevé du mieux qu’il avait pu, mais malgré plus de cent années d’éducation, Dana n’avait jamais perdu ses instincts sauvages.

    – Allons, allons, je vais nous réchauffer, déclara-t-il paisiblement en boitant vers son fauteuil d’ébène tout près de l’âtre. Il claqua des doigts et aussitôt un feu s’alluma. Viens t’asseoir à mes côtés et apporte-moi mon grimoire je te prie. À défaut de remplir nos estomacs, nous pouvons au moins remplir nos esprits…

    La dragonne prit le livre dans sa gueule et le lui déposa sur les genoux. S’il y avait bien une chose qui l’avait toujours apaisée, c’était le journal de son maître. Il regorgeait de toutes sortes d’aventures merveilleuses qui lui permettaient de s’évader un peu de cette île solitaire. Elle ne s’en lassait jamais.

    – Aujourd’hui je veux te conter une histoire que tu n’as encore jamais entendue. Et je ne te la lirai qu’une seule fois alors écoute bien. C’est la dernière de toutes…

    – Maître ?! interrompit Dana inquiète.

    – Et oui, tous les livres ont une fin tu sais. Il fallait bien un jour en arriver au dernier chapitre.

    – Mais… ne m’avez-vous pas dit que ce journal relatait votre vie ? Pas un jour ne s’est passé sans que je vous voie griffonner sur ses pages. Il y aura toujours une histoire, n’est-ce pas ?

    Aussitôt elle se tût. Avec une profonde angoisse, elle dévisagea son maître. Enveloppé dans sa robe immaculée qui contrastait sur le bois sombre de son fauteuil, il la scruta à son tour d’un regard tendre. Elle prit subitement conscience qu’il n’était qu’un homme et que contrairement aux dragons, les hommes ne traversaient pas les millénaires. Quel âge pouvait-il bien avoir ? Ils n’en avaient jamais parlé. Elle lui avait toujours connu cette apparence : un homme creusé de rides riantes, à la barbe et aux cheveux aussi blancs que sa tunique. Mais ce soir-là, sous les saccades tamisées du feu, elle perçut une grande fatigue dans ses yeux gris, comme si l’étrange poussière d’or qui les parsemait habituellement s’éteignait peu à peu. Quelque chose avait changé. Elle songea alors avec effroi que cette soirée était peut-être l’une de leurs dernières.

    – Rassure-toi, lui dit-il comme s’il avait deviné ses craintes, je ne vais pas m’en aller tout de suite. En tous les cas, je ne te laisserai pas seule. Cela, je t’en fais la promesse… Et maintenant écoute. Je vais te raconter cet épisode de l’Histoire, l’histoire des hommes, bien avant qu’ils ne découvrent l’existence des dragons. Il a été écrit par un autre vieillard comme moi qui l’a intitulé : « L’Épopée Samdaï. »

    Il se tût un instant, l’air songeur, comme s’il tentait de rassembler les souvenirs d’un autre âge. Par où débuter une histoire ? Scrutant le palimpseste de sa mémoire, il se demandait si les épopées entamaient toutes leur récit par des faits audacieux. Il se dit que derrière les actes héroïques, il y avait des héros et que derrière ces héros, il y avait d’abord des hommes. Ces hommes et ces femmes avaient un jour été des enfants, et c’était peut-être là, après tout, que démarrait vraiment leur histoire. Même chez les Samdaïs.

    – Tout commence au village de ce peuple aujourd’hui disparu, reprit-il. On en a fait une légende, mais je peux t’assurer que les Samdaïs ont bien existé. Oh, ils n’étaient pas les seuls en jeu. Bien d’autres peuples se sont joints à leur cause, notamment un garçon de la forêt et un chasseur du Nord qui connurent un destin hors du commun… Cependant, je crois que l’on peut dire aujourd’hui qu’en ce temps-là, les Samdaïs étaient partout. Le monde entier les connaissait. Certains les espéraient, d’autres les redoutaient, pour moi, ils furent des amis extraordinaires. L’une d’entre eux en particulier, que je n’oublierai jamais…

    Chapitre 1 : Une fille Samdaï

    Lorsque le coq chanta ce matin-là, la petite ferme du canton de Dun demeura silencieuse. Ni les chambres, ni la cuisine ne s’animèrent. La maison était entièrement vide, ce qui ne manqua pas de perturber les souris, qui comme à leur habitude, étaient venues réclamer leur pitance auprès de Séléna. La jeune femme s’était levée plus tôt que d’ordinaire pour aller admirer le lever du soleil, depuis la solide branche de son chêne favori dans la prairie. C’était son anniversaire. Elle célébrait ses vingt ans et n’en avait pas dormi de la nuit. Mais ce n’était pas tant l’occasion de se réjouir qui avait troublé son sommeil, c’était plutôt la crainte de la réaction de son père. Talone adorait sa fille, et depuis la mort de sa mère quinze ans plus tôt, il l’avait élevée avec beaucoup de soin et d’attention. Cependant, il avait toujours envisagé pour elle une existence dont elle ne voulait pas, et cette vie-là, était supposée commencer le jour de ses vingt ans…

    Pour une fille samdaï, il n’y avait que deux voies honorables : devenir guerrière ou épouse. Séléna se trouvait dans la seconde position alors qu’elle aurait bien aimé se tenir dans la première. Pour devenir guerriers, les enfants samdaïs étaient recrutés très jeunes. À l’âge de sept ans, ils devaient relever une première série de tests destinés à éprouver leur courage et leur sagesse. C’était à l’issue de ce concours, appelé Sélections Septuales, qu’ils étaient envoyés au Temple pour y recevoir leur enseignement de guerrier durant treize années. Si Séléna avait largement prouvé ses aptitudes intellectuelles, elle avait en revanche échoué à la terrible Nuit des Pierres. On évaluait le courage des candidats en leur faisant passer une nuit aux fins fonds de la forêt de Farère. C’était la forêt qui séparait le Village Samdaï de la mer à l’est. Paisible la journée, la forêt de Farère s’animait dangereusement la nuit. Les prédateurs sortaient chasser, les esprits s’éveillaient, et tout humain égaré à une heure trop tardive ne s’y trouvait guère en sécurité. L’objectif de la Nuit des Pierres était de conduire les enfants le plus loin possible du village et de les laisser retrouver leur chemin, seuls, dans le noir absolu. En réalité, ils étaient étroitement surveillés (les Samdaïs n’étaient pas si cruels) mais cela les enfants l’ignoraient. Se croyant livrés à eux-mêmes, nourris des légendes de Farère, ils devenaient alors les proies de leurs propres peurs et le noir faisait courir leur féroce imagination plus vite que leurs jambes. Pour le Conseil Samdaï, c’était le meilleur moyen de révéler le courage du futur guerrier. Ceux qui au petit matin parvenaient à rejoindre la Khora, la fontaine centrale du village, étaient admis au Temple. Quant aux autres, ceux qui s’étaient égarés dans la terreur, ceux-là étaient renvoyés à la vie civile. Séléna se trouvait hélas parmi eux.

    Ce jour-là devint le plus terrible de ses souvenirs d’enfance. Non seulement elle avait perdu la seule opportunité de réaliser son rêve, mais elle avait aussi déshonoré sa famille. Car Séléna n’était pas n’importe qui. Elle était la fille d’Armina, guerrière légendaire dont les actes de bravoures étaient cités en exemple. Ce fut à partir de ce jour que Talone s’évertua à faire de sa fille une jeune femme douce et obéissante, qualités indispensables pour trouver un bon mari.

    Toutefois Séléna n’avait pas un caractère docile. Lui refuser l’accès officiel au Temple n’allait certainement pas la faire renoncer à son rêve si facilement. Si elle ne pouvait y être formée le jour, alors elle s’y rendrait la nuit. Et c’est ce qu’elle fit durant toute son adolescence. Le Temple était situé sur la colline nord qui dominait le village. Il était rigoureusement interdit à tout civil et, bien sûr, il était fidèlement gardé. Cependant, la petite taille et la discrétion de Séléna lui permirent de s’y faufiler en passant inaperçue. Ce fut ainsi que toute la réserve de son enfance chétive devint un atout. Explorant tous les recoins du Temple au rythme des rondes des sentinelles, elle repéra rapidement les salles qui lui seraient utiles : la bibliothèque, indispensable source de connaissances en matière de Stratégie et d’Histoire, la salle d’entrainement où étaient rangés les manuels de combat, et le laboratoire de magie qui contenait livres, accessoires et potions de toutes sortes. Elle les visitait toutes chaque nuit puis quittait le Temple, juste avant la relève des gardes au moment où la lune atteignait son zénith. À l’abri des regards, elle partait alors s’exercer dans la forêt de Farère dont elle n’avait désormais plus peur. Bien au contraire, la forêt était peu à peu devenue pour elle une précieuse alliée : le terrain d’entrainement idéal pour s’endurcir. Elle y mettait en pratique tout ce qu’elle venait de lire, comme les sortilèges de magie ou les figures dessinées dans les manuels de combat. Pour les joutes à l’épée, elle avait d’abord utilisé des bâtons qu’elle agitait dans tous les sens, fendant l’air et cognant les troncs sans relâche, jusqu’à ce qu’elle découvre à l’âge de quinze ans, l’épée de sa mère, cachée dans un coffre de la chambre de son père. Sa garde était marquée du Sceau Sacré Samdaï : un cercle entourant le Dragon du Ciel, Sahem, et l’Hermine de la Terre, Daïa, eux-mêmes enveloppés de rayons. Il s’agissait de la récompense ultime décernée aux guerriers, le plus grand honneur que l’on puisse faire à un Samdaï… Et puis, peu avant l’aube, elle regagnait toujours la ferme à la hâte, juste avant que son père ne s’éveille.

    Ce petit manège dura ainsi toute son adolescence sans le moindre incident. La seule chose que remarqua Talone fut la fatigue de sa fille qui s’assoupissait souvent entre deux corvées. La croyant insomniaque en raison de la mort de sa mère, il ne s’en montrait que plus réconfortant et faisait toujours preuve d’une grande patience. Au fil des ans cependant, voyant sa fille grandir en beauté et en grâce, il se fit de plus en plus pressant quant à son avenir conjugal. Aussi se montrait-il particulièrement exigeant lorsqu’elle se trouvait en société. La bonne réputation de sa fille était peu à peu devenue sa préoccupation principale, ce qui engendra plus d’un conflit familial. Par exemple, Séléna avait toujours adoré monter à cheval comme un homme, une jambe de chaque côté, parcourant au grand galop la route qui reliait sa ferme au village. Ce n’était bien sûr pas une attitude convenable pour une jeune fille. Il décida donc de la lui interdire. Il n’était désormais plus question pour elle que de monter en amazone, et au trot tout au plus. Une autre dispute éclata après la Fête des Origines, durant laquelle tout le village avait l’habitude de se réunir sur la place centrale pour commémorer le sacrifice du premier Samdaï, enterré ici-même sous la fontaine de la Khora. On y mangeait, buvait et dansait jusqu’au petit matin et les conversations allaient bon train autour des buffets. Une année, Séléna eut le malheur d’exprimer tout haut ses opinions quant aux lois dictées par le Conseil, celles du Code Sacré. Elle s’en prit notamment à la différence de considération faite entre les guerriers et les civils, les uns ayant accès à toute la connaissance samdaï rassemblée dans le Temple, les autres devant se satisfaire des contes et des manuels scolaires de la bibliothèque publique. Les uns pouvant parcourir le monde en quête d’aventures, les autres n’ayant pas le droit de quitter les Terres Samdaï. Pire encore à ses yeux, les guerrières avaient le choix de se marier ou non, tandis que les civiles restées célibataires trop longtemps subissaient inévitablement le mépris de toute la communauté. S’exaspérant de ce décalage de privilèges, elle s’attira la désapprobation de son auditoire. Pour tous les autres, il semblait que les guerriers méritaient largement quelques faveurs en compensation de leurs sacrifices. Chaque famille du village avait en effet déjà perdu l’un des siens au cours d’une mission et Séléna était bien placée pour le savoir. En parlant de la sorte, elle déshonorait sa mère encore une fois. L’honneur et les traditions n’étaient pas des choses sur lesquelles on transigeait chez les Samdaïs. Aussi dut-elle entendre ce soir-là, le sermon scandalisé d’un père en colère.

    – Qui es-tu donc pour renier notre Code Sacré ?! s’était emporté Talone dès leur retour à la ferme. C’est indigne, un manque d’honneur, le rejet du fondement même de notre peuple !

    – Il n’y a rien d’honorable dans le Code Sacré ! rétorqua-t-elle. Dis-moi sincèrement ce que tu penses d’une loi qui impose aux guerriers de s’ôter la vie plutôt que de révéler les secrets du Temple.

    – Enfin, Séléna, tu sais bien que si le savoir des guerriers tombait entre de mauvaises mains, cela pourrait mettre le monde entier en danger ! Il est préférable qu’ils se donnent la mort.

    – Et s’ôter la vie en cas de défaite, juste pour ne pas rentrer dans la honte au village, tu trouves que c’est honorable ?!

    – Oui, c’est ce qu’exige notre Code !

    – Dis-moi une chose… Si maman avait échoué sans se faire tuer, tu aurais préféré qu’elle se suicide plutôt que de rentrer à la maison ?!

    Aussitôt Séléna reçut une gifle de son père et la conversation s’arrêta là. Ce fut la seule fois que Talone se montra violent avec sa fille et il le regretta pendant longtemps, mais Séléna était allée trop loin. À partir de cette nuit-là, il ne la laissa plus jamais seule en société. Il s’évertua à rebâtir sa réputation et supplia même le Conseil de la prendre en formation à l’Hôtel de ville, comme cela se faisait parfois pour les fortes têtes. Et c’est ce qui fut décidé pour elle lorsqu’elle aurait atteint sa majorité, c’est-à-dire l’âge de vingt ans. Pour le Conseil, c’était un bon moyen de dresser une jeune femme dont l’intelligence et la force de caractère pouvait tout autant servir le peuple que semer la discorde et la rébellion…

    Ainsi arriva le matin de son vingtième anniversaire. Quand elle rentra à la maison pour préparer le petit déjeuner de son père qui travaillait déjà à l’étable depuis un moment, le soleil avait tout juste franchi l’horizon. Les petites souris de la cuisine furent enfin nourries et Talone s’attabla après un baiser sur le front de sa fille, accompagné d’un « bon anniversaire » très serein. Durant le repas, il lui glissa son cadeau sur la table : deux billets de premier choix pour le Grand Saut, une seconde série d’épreuves qui sanctionnait l’enseignement reçu au Temple par la nouvelle génération d’apprentis. Un spectacle que Séléna adorait voir chaque année. Cette fois-ci l’événement aurait lieu le jour même, celui de son anniversaire, et elle allait en profiter depuis les tribunes réservées d’ordinaire aux notables. Mais ce que Talone avait oublié, c’était que les apprentis devant concourir cette année-là, étaient les mêmes que sa fille avait affrontés lors des Sélections Septuales treize ans plus tôt. Séléna, en revanche, y songeait déjà depuis longtemps : les épreuves de la journée auraient pu être les siennes. Ce jour aurait pu être celui de l’accomplissement de son rêve. Mais non, aujourd’hui elle n’en serait qu’une simple spectatrice. Du moins, c’était ce que pensait son père qui n’était pas au bout de ses surprises…

    Lorsque l’heure fut venue de partir pour la place de la Khora, elle lui proposa de le rejoindre directement dans les tribunes. Elle avait rendez-vous avec Rochane, la jeune tisserande du canton de Dun. Son amie et sa confidente de toujours. Elle le lui avait promis et, à défaut de regarder les épreuves ensemble comme elles le faisaient chaque année, elle voulait au moins faire le trajet avec elle. Elle retrouva donc Rochane sur la route qui menait au village, chargée d’un gros sac qu’elle lui tendit.

    – Qu’est-ce que c’est ? lui demanda la tisserande en saisissant le sac en toile de jute.

    – C’est l’épée de ma mère et la tunique que tu m’as confectionnée pour mes seize ans.

    – Pourquoi ?

    – Parce que je ne peux plus continuer à jouer à la guerrière en cachette dans la forêt.

    – Mais que s’est-il passé ?!

    – Rien. Seulement aujourd’hui, c’est notre promotion qui passe le Grand Saut et j’estime que je mérite moi-aussi de me présenter aux épreuves !

    – Mais enfin Séléna, tu n’y penses pas ! Tu sais bien que le Conseil refusera ta candidature. Ces épreuves sont réservées aux apprentis du Temple.

    – Ne commence pas Rochane ! D’abord, tout ce que tu sais du Temple, c’est par moi que tu l’as appris.

    – Eh ! Moi aussi on m’en a refusé l’accès il y a treize ans ! Tu n’es pas la seule à avoir manqué cette occasion !

    – Mais toi tu t’en fiches. Tu as toujours souhaité reprendre les activités de ta famille et c’est ce que tu fais aujourd’hui. Et bien moi aussi, j’aimerais suivre les traces de ma mère !

    – Je comprends mais…

    – Ah ça suffit ! C’est bien toi qui m’as offert cette tunique de guerrier pour me soutenir dans mon rêve, non ?! Alors ne me trahis pas maintenant.

    – Je ne veux pas te trahir, je dis juste que tu ne seras pas autorisée…

    – Je sais comment fonctionne le Conseil. J’en fais mon affaire. J’ai simplement besoin que tu gardes ce sac pendant que je rejoins mon père dans les tribunes.

    – Ah bon ?! Tu assistes aux épreuves dans les tribunes maintenant ?!

    – Oui, c’est son cadeau pour mon anniversaire… Je ne peux pas faire autrement, je suis désolée pour cette journée que l’on devait passer ensemble. Mais par ailleurs, je me dis que cela me rapprochera de l’estrade du Conseil, ce qui est une aubaine pour ce que je compte faire…

    En bonne amie qu’elle avait toujours été, Rochane s’exécuta sans dire un mot. Contrairement à Séléna, elle avait un caractère très discipliné et savait bien qu’il ne servait à rien de discuter quand son amie avait une idée en tête.

    Lorsqu’elles arrivèrent sur la place de la Khora, le défilé avait déjà commencé. Les apprentis marchaient au pas cadencé dans la grande rue nord qui reliait en ligne droite le pied de la colline du Temple au centre du village. Ils étaient tous vêtus de la tunique rouge des guerriers, au col montant et court, sans rabat, et aux pans tombant jusqu’aux genoux. Les garçons portaient un pantalon noir étroit épousant la jambe et rentrant dans de lourdes bottes de cuir ébène. Les filles quant à elles, portaient un pantalon de soie blanche, bouffant aux mollets et resserré aux chevilles, ainsi que des ballerines de toile noire aux semelles souples mais solides. Tous avaient à la ceinture une épée et une bourse, et dans le dos, un carquois, un arc et un bouclier. Ainsi équipés, ils avaient fière allure au milieu des civils qui les acclamaient. Cependant, la liesse populaire semblait les laisser indifférents : pas un n’esquissa un sourire. Ils demeurèrent dans cet état impassible jusqu’à la Khora où ils achevèrent leur procession en s’alignant devant l’estrade du Conseil. Ils se tenaient droits et nobles, le regard figé. Aucun n’avait eu l’occasion de sortir du Temple depuis treize ans, pas même pour les fêtes traditionnelles, et l’émotion de leurs familles dispersées dans la foule était désormais palpable. Pour autant, rien de tendre n’émanait des visages des héros du jour. Cela fit frissonner Rochane, comme chaque année.

    Debout sur l’estrade, Toras, le chef du Conseil, entama son discours d’ouverture. Il présenta d’abord les compétiteurs : dix garçons robustes et six jeunes filles habiles. Chacun avait un talent personnel qui serait démontré au cours des épreuves et qui déterminerait le choix de sa Pierre Samdaï. C’était la récompense finale qui symbolisait à la fois le passage du statut d’apprenti au grade de guerrier et la vertu dominante de chacun.

    Puis il présenta les épreuves : le tir à l’arc équestre, le combat à mains nues et au shinaï, une sorte de bâton martial devant remplacer l’épée, mais aussi l’endurance, la magie, la théorie et pour finir, la Nuit des Pierres. L’examen théorique se composait lui-même

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