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L’autre continent
L’autre continent
L’autre continent
Livre électronique651 pages9 heures

L’autre continent

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À propos de ce livre électronique

De retour à elle-même, Éli, secondée de ses compagnons, a réussi à sauver la reine des griffes de Tchérok. Toutefois, ils ont dû abandonner Kéryhn, le dragon légendaire. Sans trop comprendre pourquoi, Éli t peut maintenant plus nourrir d’autres désirs que celui de partir à leur poursuite. Or, Kalessyn devine ce qui se passe chez sa maîtresse et cela l’effraie profondément.

De leur côté, les gardiens, les chasseresses et les eldéïrs sont bien déterminés à aller mettre fin aux créations des ténébryss. Réussiront-ils, cette fois, à pénétrer la forteresse qui s’enfonce dans l’autre continent? C’est ce que commence à craindre Myrkoj. Or, toujours habité de sa foi en le Créateur, il discernera rapidement dans cette situation une nouvelle voie pour son peuple.
LangueFrançais
Date de sortie3 avr. 2017
ISBN9782897677527
L’autre continent

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    Aperçu du livre

    L’autre continent - Claude Jutras

    C1.jpg1.jpg2.jpg3.jpg

    Copyright © 2017 Claude Jutras

    Copyright © 2017 Éditions AdA Inc.

    Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire.

    Éditeur  : François Doucet

    Révision linguistique  : Féminin pluriel

    Correction d’épreuves  : Nancy Coulombe, Émilie Leroux

    Conception de la couverture  : Mathieu C. Dandurand

    Photo de la couverture  : © Thinkstock

    Mise en pages  : Kina Baril-Bergeron

    ISBN papier 978-2-89767-750-3

    ISBN PDF numérique 978-2-89767-751-0

    ISBN ePub 978-2-89767-752-7

    Première impression  : 2017

    Dépôt légal  : 2017

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque Nationale du Canada

    Éditions AdA Inc.

    1385, boul. Lionel-Boulet

    Varennes (Québec) J3X 1P7, Canada

    Téléphone  : 450-929-0296

    Télécopieur  : 450-929-0220

    www.ada-inc.com

    info@ada-inc.com

    Diffusion

    Canada  : Éditions AdA Inc.

    France  : D.G. Diffusion

    Z.I. des Bogues

    31750 Escalquens — France

    Téléphone  : 05.61.00.09.99

    Suisse  : Transat — 23.42.77.40

    Belgique  : D.G. Diffusion — 05.61.00.09.99

    Imprimé au Canada

    Participation de la SODEC.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.

    Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.

    Index des personnages

    Éli alias Éléonore Deschênes, Louiss, Balka, Éthanie et Éloi Margolez

    Roland Deschênes (père)

    Moïra Zéleste (mère)

    Kyll (frère aîné)

    Hugh (second frère)

    Ramaël (frère cadet)

    Rebelles  :

    Eldérick Desmonts (chef)

    Éric Desmonts (fils d’Eldérick)

    Malek (fils adoptif d’Eldérick)

    Zyruas Valleberg (chef)

    Karok Dergainte (chef)

    Dowan (tribu de Nejmahw, fils de Ménaï et de Feilaw)

    Kaito (Arkéïrite)

    Myral Desmonts (frère cadet d’Eldérick)

    Émilia Desmonts (femme de Myral)

    Suzie Desmonts (fille d’Émilia et de Myral)

    Rescapés des hommes de l’autre continent  :

    Miallina (femme qui a perdu ses pieds)

    Méarth et ses sœurs Josy et Aniès

    Phinéa (amie de Méarth)

    Marléni

    Famille royale de Dulcie  :

    Kordéron Dechâtelois (roi de Dulcie)

    Laurent Dechâtelois (prince aîné de Dulcie)

    Julior Dechâtelois (prince cadet de Dulcie)

    Martéal LeBorgne (roi de Dulcie 1000 ans avant)

    Nobles de Dulcie  :

    Edward Delongpré (membre du conseil royal)

    Mylène Delongpré (fille aînée d’Edward)

    Anna Delongpré (fille cadette d’Edward)

    Dame Katherine (matrone du carrosse)

    Krilin Lelkar (premier conseiller royal)

    Soldats dulciens  :

    Franx Remph (capitaine allié du prince Laurent)

    Dorian Mussely (sergent allié du prince Laurent)

    Galator Lamorie (lieutenant)

    Desso (soldat et espion du prince Laurent)

    Garem (soldat et espion du prince Laurent)

    Larss Geoffroi (général)

    Orel Magrow (général)

    Johan Montbleau (sergent)

    Général Dubourvois (fidèle de Krilin)

    Freinn Dolenga (sergent qui arrête Arkiel)

    Kurt (soldat qui arrête Arkiel)

    Matthéo Debelle (sergent)

    Citadelle des magiciens  :

    Arkiel Lilmïar (archimage)

    Eldébäne Moralta (apprenti magicien)

    Méléar (membre du conseil des magiciens)

    Zélorie (membre du conseil des magiciens)

    Fesba (membre du conseil des magiciens)

    Îléa (membre du conseil des magiciens)

    Beldarïane (professeur d’art pictural)

    Myatso (Arkéïrite membre du conseil des magiciens)

    Bûcherons  :

    Keldîm (chef du groupe)

    Zélir

    Koll

    Lalko

    Romaré

    Barog (chef du camp)

    Tabem  :

    Wiltor (chef de la guilde)

    Livianne (tenancière de bordel)

    Lilas (prostituée amie d’Éli)

    Tinné (ami d’Éli)

    Novalté Brawm (ami d’Arkiel, ancien pirate)

    Xéloi (membre de la guilde des voleurs)

    Armahl (membre de la guilde des voleurs)

    Ralph (voleur)

    Diétro Miard (capitaine)

    Nestor Degrisbois (sergent)

    Amaldo Pergi (lieutenant)

    Famille royale d’Ébrême  :

    Ferral Ergot (roi d’Ébrême)

    Ludovick Ergot (fils unique de Ferral)

    Sarahlyne (reine d’Ébrême)

    Afgarh Ergot (arrière-grand-père de Ferral)

    Nobles d’Ébrême  :

    Rémy Vallière

    Noëlle Vallière (femme de Rémy et ancienne chasseresse, Noéka)

    Alphéus (historien et ami d’Éli)

    Zalielle (sorcière des peuples du désert au service de la reine Sarahlyne)

    Duc Vélozza

    Soldats ébrêmiens  :

    Grégor Manni (général)

    Silmon Beauvais (général)

    Torik Lijey (capitaine)

    Vélone Monsorat (soldat et compagnon d’Yrgh)

    Parlial Davernay (capitaine)

    Fraydère (capitaine de la garde de la reine)

    Morlitar  :

    Olfgar (marchand et ancien marin)

    Peuples du désert  :

    Wahjal-Bner (roi du désert de l’Est)

    Rajnaw (troisième fils de Wahjal-Bner et cousin de Dowan)

    Gowlian (roi du désert du centre et oncle de Dowan)

    Fael-Ahj (reine du désert du centre)

    Maïjner (roi du désert de l’Ouest)

    Zymar  :

    Kowrtiag (chef des chefs)

    Zasstieg (chef de clan et rival de Kowrtiag)

    Jawviskor (homme de Julianika)

    Nirianka (fille de Julianika et de Jawviskor)

    Ornélia (ancienne chasseresse retraitée en Zymar)

    Gardiens  :

    Arthax (rawgh guide)

    Ulga (ogresse guide)

    Guilf (ogre guide)

    Krog (rawgh, ami d’Éli)

    Xélia (rawgh et sœur de Krog)

    Yrgh (compagnon de Vélone)

    Territoires  :

    Dreykar (capitaine)

    Chasseresses  :

    Gyselle, dite Gyséka (mère)

    Anaïs, dite Anaïka (mère et sœur de Gyséka)

    Julianne, dite Julianika (mère cadette)

    Rîamenne, dite Rîamka (maîtresse d’armes)

    Krylène, dite Krylènka (maîtresse de la guerre)

    Fely-Joang, dite Félika (maîtresse de combat)

    Xéfirya, dite Xéfirka (maîtresse de sorcellerie)

    Tilka (Tilk pour les bûcherons)

    Malika (mi-humaine, mi-rawgh)

    Adéleylka (sorcière)

    Eldéïrs  :

    Thellïanessor (chef)

    Dovilfay

    Romézyra

    Murièno

    Ténébryss  :

    Myrkoj

    Diarmarielle

    Pirates  :

    Tchérok (capitaine des pirates de l’Ouest)

    Ester (ancienne chasseresse et compagne de Tchérok)

    Rosvalk (second de Tchérok parti vers le sud)

    Davïanne (membre de l’équipage de Tchérok)

    Stavros (capitaine d’un vaisseau de pirates de l’Est)

    Les hommes de l’autre continent  :

    Séjase

    Saya

    Autres personnages

    Vassia (espionne des îles)

    Ghor (chef des mercenaires mort dans le tome 1)

    Ergatséï (reine du désert 1000 ans avant)

    Kyrsha (fondatrice des kryalls et des chasseresses, ancêtre d’Éli)

    Mark Walker (lieutenant de l’Ancien Monde qui a libéré les rawghs)

    PROLOGUE

    Éli s’i mmobilisa devant la porte de la cabine du cuisinier, près de laquelle étaient appuyés Vélone et Matthéo. Les traits tirés des deux soldats laissaient deviner qu’ils avaient peu ou mal dormi. Certes, ils ne pouvaient pas partager le même calme confiant que les chasseresses et les rawghs éprouvaient pour l’équipage de pirates qui peuplait le navire auquel ils s’étaient joints le soir d’avant.

    Lilas et Eldébäne, qui la suivaient avec des bols conte-nant du pain sec, du fromage et une mangue, le leur en tendirent un chacun. Les deux hommes acceptèrent avec reconnaissance, puis Vélone ouvrit la porte en disant :

    — Elle t’attendait.

    Les bras également chargés de nourriture, Éli hocha la tête en entrant dans la cabine. La nuit d’avant, le cuisinier, qui occupait aussi les fonctions d’herboriste et de médecin, avait eu l’amabilité de laisser ses quartiers à la famille royale. Un sabord éclairait faiblement la pièce meublée d’une table, d’une chaise, d’un coffre et d’un lit. Une forme semblait encore y dormir, qu’Éli devina aisément être Zalielle. La sorcière du désert avait créé un fort vent afin d’augmenter la vitesse du trois-mâts qui devait en temps normal continuellement s’adapter aux courants changeants de la baie des Grottes. Elle était sans aucun doute épuisée. La tempéra-ture avait considérablement monté et tous les manteaux et bottes avaient été remisés dans la cale.

    Ne pouvant être rangés sur des étagères, plusieurs livres sur la médecine, la flore et la cuisine s’entassaient dans deux armoires vitrées. Les planches déjà recouvertes d’un épais tapis de fourrure, Kyll, Ramaël et Ludovick n’avaient eu qu’à y installer leur couverture pour dormir dans un confort qu’ils n’avaient pas connu depuis des jours, malgré ­l’étroitesse de la cabine. Les deux frères d’Éli y étaient d’ailleurs toujours assoupis, leur profonde respiration se mêlant aux craquements de la coque. Ils avaient sûrement partagé le tour de garde avec Vélone et Matthéo.

    Éli les enjamba et marcha vers la table où était assise Sarahlyne, son fils appuyé au mur à ses côtés. Un sourire étira ses lèvres en apercevant la carte de la baie des Grottes qu’ils observaient. Comme dans ses souvenirs, la grande femme à la chevelure de feu n’était pas du genre à facilement se laisser abattre et ne perdait surtout pas son temps avant de se relever. Pourtant, Éli se doutait fort bien que son séjour en compagnie de Tchérok n’avait pas été de tout repos.

    Les ténébryss avaient tenté d’éliminer la reine et alors que les soldats de sa garde personnelle se battaient contre eux, Tchérok était arrivé et avait tué tous les belligérants à l’exception de la femme. Il avait ensuite traîné celle-ci dans la montagne dans l’espoir d’aller s’emparer d’un navire dans la baie des Grottes de la mer Mille-Îles. D’une manière inconnue, le pirate avait réussi à devenir le maître d’un dragon. Or, la bête était si âgée qu’elle n’arrivait même plus à voler. Éli avait laissé Séjase sur le navire que Tchérok avait volé avec leur aide afin que le porteur puisse lui soutirer davantage d’informations sur l’origine de ce dragon.

    L’inquiétude la traversa à la pensée de Séjase, l’homme de l’autre continent qui lui avait permis de retrouver la mémoire. Elle avait du même coup découvert qu’une âme habitait son corps et qu’elle provenait d’un humain retenu prisonnier dans la forteresse des ténébryss ; Draëgher. Ils se révélaient donc être des porteurs d’âme et la chasseresse comptait bien aller détruire ces installations. Afin de pouvoir voyager en compagnie de Séjase, Éli était entrée dans l’esprit de ses sœurs, Malika et Adéleylka, et avait fermé l’ouverture qui les liait au monde des morts. La jeune femme avait fait de même avec la mère Julianika en apprenant que la guerrière désirait rester en Zymar, auprès de son homme et de ses enfants.

    Derrière Éli, Eldébäne et Lilas déposèrent des bols près des dormeurs, mais alors que le magicien sortait pour rejoindre leurs compagnons, son amie alla s’asseoir au pied du lit. L’air maussade, elle riva son regard sur le peu de ciel gris que laissait paraître le sabord.

    À son réveil, Éli avait trouvé son père, Malek, Dowan, le prince Rajnaw, Galator et Kaito assis dans la salle à manger avec une partie de l’équipage à discuter de leurs aventures. Si l’apparition de la grande chasseresse n’avait provoqué que des salutations de la part des pirates, l’arrivée de Lilas, et sa chemise qu’elle avait largement délacée sous la chaleur de la cale, avait fait tomber un lourd silence sur les hommes. Loin d’être intimidée par les regards fortement intéressés par sa silhouette, la jeune femme s’était dirigée vers eux dans l’intention de se joindre au groupe. Or, comme Éli avait promis à Stavros que les femmes ne perturberaient pas son équipage, elle avait saisi son amie pour la traîner plus loin, où elle devinait, par les bruits, se situer la cuisine. Elle l’aiderait à préparer un déjeuner pour la reine et leurs compagnons. Elles y avaient trouvé Eldébäne en grande ­discussion avec le cuisinier à propos de l’eau.

    Apparemment, le pirate possédait quelques pouvoirs et les utilisait pour distiller l’eau ainsi que la geler afin de conserver les aliments périssables. L’homme avait expliqué qu’après son apprentissage à la citadelle des magiciens, il avait travaillé pour le régent de Morlitar. Lors d’un voyage vers le royaume du désert de l’Est, son navire avait été abordé par des pirates. Pour ses pouvoirs, il avait été épargné et vendu sur une des îles de la baie des Grottes. Après plusieurs équipages, il avait atterri sur le navire de Stavros et avait décidé d’y rester. Le capitaine était un homme d’honneur et il se plaisait avec son équipage. Le cuisinier était ­heureux et même fier de laisser ses pauvres quartiers à la reine, tout comme il était heureux d’avoir de l’aide dans sa corvée. Lilas n’avait pas eu le temps de s’opposer que l’homme leur avait attribué plusieurs tâches.

    Toujours dans la cale, tout aussi épuisée que Zalielle, Mylène dormait dans les bras d’Éric, qui, même s’il était éveillé depuis un moment, n’avait osé bouger et la réveiller. Quant aux rawghs et aux chasseresses, ils étaient sur le pont avec Kalessyn et le capitaine Stavros.

    Roland arriva près d’elle, un grand pichet d’eau dans les mains. Ils échangèrent un large sourire. En fait, Éli ne se souvenait pas d’avoir vu son père aussi rayonnant de sa vie. Pour la première fois depuis plus d’une dizaine d’années, ses quatre enfants et lui étaient réunis. Hugh ne s’était pas encore montré depuis son réveil, mais la jeune femme se doutait qu’il ne tarderait pas et elle avait bien hâte. Leurs retrouvailles de la veille lui semblaient si irréelles.

    — Vous êtes si beaux, tous les deux, émit Sarahlyne, la voix chargée d’émotions.

    Roland déposa le pichet sur le coin de la table et serra d’un bras sa fille contre lui, tandis que la reine se levait pour venir à leur rencontre. Elle posa ses mains sur les épaules de la chasseresse, les yeux brillants d’émoi.

    — Quelle femme exceptionnelle tu es devenue !

    Devant les larmes qui s’accumulèrent sous ses paupières, Éli devina qu’elle songeait à sa mère, qu’elle avait bien connue.

    — Comme elle doit être fière de toi d’où elle est ! Tout comme ton père.

    Sarahlyne porta son regard sur Roland, dont le sourire s’étiola à peine à la pensée de sa femme. Incapable de se retenir davantage, la reine éclata en sanglots et l’homme la prit dans ses bras. Ludovick vint près d’Éli, l’expression allant de l’empathie à la colère.

    — Si je pouvais mettre la main sur ce monstre… gronda-t-il.

    — Nous le ferons, ne t’inquiète pas, répondit la chasseresse. A-t-elle dormi un peu ?

    — Oui, Kalessyn y a veillé. Il est sorti sur le pont avec Xélia, j’imagine que tu le sais.

    Éli hocha la tête, le regard toujours rivé sur son père, qui caressait les cheveux roux de Sarahlyne en lui murmurant des paroles réconfortantes.

    — Stavros est-il venu vous voir ?

    — Non, tu es la première.

    — Lui as-tu parlé de la situation ?

    — Pas encore, nous venons à peine de nous lever.

    Avec un nouveau hochement de tête, la jeune femme posa une main sur l’épaule de la reine, qui sécha vivement ses larmes.

    — Oui, oui, je sais. Tu n’es certainement pas venue ici pour me voir me noyer dans mes pleurs. Merci, Roland, dit-elle en serrant ses mains entre les siennes.

    Ludovick lui désigna la chaise, où elle retourna s’asseoir, tandis qu’Éli s’appuyait sur le coin de la table.

    — Je voulais vous faire un résumé des derniers événements, expliqua la chasseresse, afin que vous soyez au fait d’où nous en sommes.

    — J’en serais très heureuse.

    Roland s’appuya au mur, les yeux se promenant de ses deux fils endormis à sa fille. Tandis que la reine entamait son déjeuner, la jeune femme se lança dans la narration du vol de la pierre de la guerre, de son enlèvement par les rebelles et de sa fuite vers les marais. Elle parla du départ de l’archimage Arkiel après le retour du ténébryss. Éli lui expliqua du même coup la provenance de certains des hommes qui les accompagnaient. Elle conta sa rencontre avec le roi Ferral afin de l’empêcher de s’attaquer aux marais, puis la réunion des deux peuples. Ce fut ensuite le récit de leur retour en Dulcie pour convaincre le prince Laurent de retirer ses soldats des marais, l’arrestation de l’archimage, sa rencontre avec le prince et le roi, et son enlèvement par le ténébryss et Tchérok.

    À la mention de ce dernier, un tremblement secoua Sarahlyne, vite réconfortée par son fils, qui caressa ses épaules. Éli remercia silencieusement le dragon d’avoir protégé la reine des sévices que lui aurait sans aucun doute fait subir le capitaine des pirates de l’Ouest.

    La chasseresse poursuivit en narrant ce qu’elle savait de la bataille qui avait ravagé la citadelle ; que les ténébryss l’avaient utilisée et que Thellïanessor s’était sacrifié pour la secourir. Éli termina en expliquant comment elle avait pu retrouver la mémoire, tandis que Ferral conduisait son armée vers Zymar afin d’empêcher le conflit d’éclater.

    Sarahlyne soupira en passant une main sur son visage.

    — Comment ai-je pu être aussi idiote ? lâcha-t-elle.

    — Vous avez fait ce que vous croyiez juste, rétorqua Éli. Ces fugitives qui prétendaient venir de Zymar sont réellement des victimes, mais de peuples bien au-delà des limites de Melbïane. Le ténébryss avait tout prévu. Il connaissait apparemment bien votre aversion pour vos voisins de l’est, tout comme votre tempérament impétueux. Il a tout fait pour provoquer le combat.

    — Fraydère et ses hommes sont morts par ma faute.

    Éli baissa les yeux, ne pouvant nier que l’obstination de la reine avait mené ses gardes à leur perte.

    — Vous avez effectivement des torts dans cette situation, mais toute cette pagaille demeure les faits du ténébryss. Et il ne faut surtout pas que ces torts vous empêchent à l’avenir d’agir pour le bien des autres. Ce que vous devez en tirer est que vous ne devez pas laisser vos préjugés obscurcir votre jugement. D’ailleurs, il fait nul doute que vous devrez émettre des excuses à Kowrtiag lorsque nous vous débarquerons sur le continent.

    Sarahlyne darda un regard médusé sur elle pour finalement acquiescer.

    — Je suppose, marmonna-t-elle d’un air profondément abattu.

    — Bon sang ! Mais quelles faces d’enterrement vous avez tous ! s’exclama un homme en entrant. Il était temps que j’arrive.

    Hugh marcha vers eux, suivi d’un jeune rawgh qui vint aussitôt se coller à Éli. Son pelage noir humide lui laissa deviner le temps qu’il faisait dehors. Le pirate portait la même chemise que la nuit précédente, trempée et aux pans à demi insérés dans un court pantalon de toile de coton gris. Malgré la pluie, ses pieds étaient si crasseux qu’il semblait à première vue porter des souliers. Sa barbe coupée au couteau mangeait le bas de son visage alors que le haut était strié de mèches blondes humides. Éli reconnaissait bien là son frère, qui n’était pas dans un état si éloigné de celui qu’il affichait lorsqu’il revenait de ses excursions avec ses copains. Pourtant, cela n’empêchait pas les femmes de la seigneurie de se pâmer dès qu’il leur dédiait son sourire charmeur.

    Il se dirigea vers la reine et les grognements laissèrent deviner qu’il n’avait pas pris le même soin qu’Éli pour éviter de marcher sur ses deux frères étendus au sol. Sans démontrer plus de tact, il fit une brusque accolade à sa sœur, qui dut se retenir à la table. Égal à ses vieilles habitudes, il mit un genou au sol devant Sarahlyne et se saisit de ses mains pour les embrasser galamment. Éli se revit soudain des années en arrière, lors des réceptions données par le couple royal, où le garçon se jetait continuellement aux pieds de la reine afin de lui faire le baisemain, jusqu’à ce que le roi le menace d’aller lui faire visiter les geôles. À l’air désapprobateur de son père et aux joues rouges de Sarahlyne, elle devina ne pas être la seule à revivre ces moments. Certes, ils ignoraient tous deux qu’elle était celle qui le mettait au défi de le faire si souvent.

    — Majesté, que de joie de vous revoir ! Les années passent et votre beauté semble augmenter avec elles. Au point que votre radieuse présence illumine totalement ce sombre repaire de bandits.

    Éli entendit Ramaël ricaner sous sa couverture. Ses yeux enjôleurs toujours rivés dans ceux de la reine, Hugh lui embrassa de nouveau les mains jusqu’à ce que le toussotement de son père le ramène à l’ordre. Comme il attendait manifestement cette réaction paternelle pour cesser son manège, le pirate se redressa, un large sourire satisfait aux lèvres. Après quelques balbutiements, Sarahlyne réussit à répondre :

    — Merci, Hugh. Je vois que tu n’as pas tant changé non plus. Je suis réellement très heureuse de te savoir avec nous sur ce navire.

    L’homme posa une main sur son cœur d’un air théâtral.

    — Je suis votre humble serviteur qui est prêt à tout pour faire renaître votre sourire.

    — Tu devrais plutôt t’éloigner d’elle avant que ta puanteur lui fasse tourner de l’œil, pirate, marmonna Kyll en s’asseyant.

    Un des coins du sourire d’Hugh s’étira.

    — Tu sauras que mon odeur musquée n’a jamais repoussé aucune femme devant laquelle je me suis agenouillé, petit soldat. Mais tu étais sans nul doute beaucoup trop occupé de ton côté à lécher les bottes du roi et de ses officiers.

    Kyll voulut se lever, mais ni lui ni son père n’eurent le temps de répliquer qu’Éli envoyait son poing dans l’estomac de Hugh. Elle se précipita aussitôt ensuite sur Kyll à demi debout, qu’elle renvoya violemment au sol.

    — Pas de ça maintenant que nous sommes tous réunis ! ordonna-t-elle sèchement. Toi ! lança-t-elle à l’adresse du pirate qui se tenait le ventre des deux mains. Tu viens avec moi. Je dois aller voir Stavros. Majesté, profitez de ce moment en mer pour vous reposer. Je reviendrai vous informer des événements.

    Aussi estomaquée que Hugh par le ton impératif de sa sœur, Sarahlyne hocha la tête.

    — Ludovick, je préférerais que tu restes avec elle, ajouta Éli.

    — Oui, bien sûr.

    — Lilas…

    La jeune femme porta son regard maussade sur elle et marmonna :

    — Je sais, je reste ici.

    — Papa, Ramaël, Kyll, il serait aussi préférable que vous ménagiez vos déplacements.

    — Pour l’instant, nous resterons tous dans l’entourage de la reine, répondit Roland.

    — Bien, je reviens vous voir plus tard.

    Sans se lâcher le ventre, Hugh la suivit vers la porte en lui lançant un regard faussement peiné.

    — Tu m’as fait mal, bébé. Et c’est lui qui a commencé, je te signale.

    Éli le poussa vers l’extérieur, prit la patte de Kalessyn et ils disparurent en fermant la porte derrière eux.

    — Ouf, soupira la reine. Que de souvenirs ils font resurgir, ceux-là ! Si je me fie aux bals qu’ils ont si souvent ruinés, ce ne sera pas un voyage de tout repos.

    — Pour ça non, renchérit Roland, s’attirant les rires de Ramaël et de Ludovick.

    • • •

    — Vous êtes vraiment bornés, tous les deux ! grommela Éli en montant les marches menant sur la dunette où se trouvait la barre.

    — Comment ? Mais c’est lui qui m’attaque ! Tu l’as entendu, non ?

    La jeune femme se tourna brusquement vers Hugh, le forçant à interrompre sa montée.

    — Et j’imagine que tu ne venais pas tout juste de lui marcher dessus !

    — Bah, juste un peu sur une main.

    — De toute façon, il aurait été difficile de ne rien répliquer après ton manège avec la reine. Tu l’as fait exprès !

    Un large sourire sournois étira les lèvres de son frère. Plus haute d’une marche, Éli se pencha vers lui tout en appuyant un doigt sur son torse.

    — Je te préviens, Hugh Deschênes, j’étais déjà une détestable petite sœur qui finissait toujours par avoir ce qu’elle désirait et je ne me suis pas améliorée avec les années. Alors, vous avez intérêt à ne pas gâcher les retrouvailles de père, tous les deux, car je vais vous le faire amèrement regretter.

    Sans lui laisser le temps de répondre, elle reprit son ascension et marcha d’un pas sec vers Stavros, près de qui se tenait Eldébäne.

    — Bonjour, démone.

    — Bonjour, capitaine.

    Les deux mains à la barre, l’homme considérait le large avec l’œil calculateur de celui qui analyse chaque coup de vent, leur force, leur changement de direction et le ­mouvement de la mer. Malgré les événements de la nuit précédente, il semblait d’une excellente humeur, un rictus retroussant le coin gauche de sa lèvre. Maintenant, à la clarté du jour, elle vit qu’il avait gagné quelques rides et des stries blanches parcouraient autant ses cheveux bruns que sa courte barbe. Or, son regard bleu n’en était pas moins perçant. Même chose pour son navire, L’Albatros. Elle distinguait nettement le changement de teinte des planches nouvellement changées et les multiples coutures dans les voiles. La pompe située près de l’écoutille entre le grand mât et le mât de misaine était également prête à être utilisée en tout temps, ce qui signifiait que le bâtiment avait tendance à prendre l’eau.

    Suivant son regard, le rictus de Stavros s’accentua, mais il la rassura.

    — Elle ne sert qu’en cas de grand coup de vent. Si cela se produit, vous n’aurez qu’à monter vos effets sur le faux pont.

    Éli avait remarqué le pont au plafond très bas, manifestement rajouté au navire original, qui ne permettait que d’y installer des hamacs pour dormir. La chasseresse se souvenait que le capitaine lui avait expliqué que lorsqu’il avait abordé et volé le navire, ce dernier servait de transport de marchandises. Il l’avait alors modifié afin d’y embarquer plus d’hommes et de vivres que de marchandises. L’équipage n’était donc pas seulement composé de marins, mais de trois charpentiers, d’un forgeron et son apprenti, d’un tailleur, d’un cuisinier aussi magicien, herboriste et médecin, puis, finalement, d’un astrologue doublé d’un cartographe qui avait étudié à l’université d’Ènlira. À leur première rencontre, Tilka avait noté qu’il ne manquait que les femmes avant qu’il ne transforme son navire en village flottant. Les hommes les avaient aussitôt invitées à abandonner les rangs des chasseresses afin de partir avec eux, ce qu’elles avaient certes poliment refusé. Le sourire aux lèvres à ce souvenir, Éli posa une main sur l’épaule d’Eldébäne.

    — Ne te surmène pas trop, tu as déjà beaucoup utilisé tes pouvoirs dans la cuisine.

    Les coudes appuyés à la rambarde, le magicien exposait un visage à l’expression sereine aux embruns. Rien ne laissait deviner que le puissant vent gonflant la voilure venait de lui.

    — Ne t’inquiète pas pour moi, Éli. Le capitaine et ses histoires sont d’excellente compagnie.

    Stavros sourit, dévoilant deux éclats dorés qui avaient remplacé certaines de ses dents perdues.

    — Pour ça, appuya la chasseresse, il en a vu du pays.

    Elle alla de l’autre côté du capitaine et observa les pirates de la relève de jour s’affairer dans le gréement. Toutefois, le vent stable que créait Eldébäne allégeait leurs tâches habituelles d’adapter la voilure selon les caprices de la nature. Elle aperçut Yrgh et Krog assis nonchalamment sur une vergue à discuter avec quelques membres de l’équipage. Elle s’enquit :

    — Comment tes hommes prennent-ils la situation ?

    — Bien. Même avec un certain enthousiasme. Ils veulent tous mettre la main sur le premier des pirates de l’Ouest.

    — Et la présence de la reine ?

    — Ça, ils aiment moins, par contre.

    — Le contraire m’aurait étonné.

    Comme le soir d’avant, Éli fut prise de nausées dès que l’idée d’abandonner la poursuite du dragon pour conduire la reine à Morlitar effleura ses pensées. Elle la chassa vivement avant que son déjeuner ne ressorte et se concentra afin de trouver une autre solution. Elle hésitait à faire revenir la flotte des gardiens vers eux et risquer qu’ils rencontrent Tchérok. Risque qui se révélait très grand, car il n’y avait qu’un seul passage praticable reliant la mer Mille-Îles à l’océan Est. Les sourcils froncés, la chasseresse croisa les bras.

    — Si la flotte des gardiens est partie de Koeskar directement pour Grayorg il y a un peu plus de deux journées, où sont-ils rendus, selon toi ? demanda-t-elle à Stavros. Au nombre qu’ils sont, ils ne doivent avoir qu’un très faible soutien magique.

    — Si ma mémoire est bonne, la flotte est surtout composée de navires à faible tonnage, plus axés sur la vitesse.

    Le regard du capitaine se fit distant, imaginant la mer, ses courants et la trajectoire sûrement empruntée par les gardiens.

    — Je dirais qu’ils ont atteint l’océan. Ils ont dû s’arrêter à l’île de Grayorg pour se ravitailler. Donc, tout dépendant de ce temps d’arrêt, ils sont au tiers du chemin de la pointe de Zymar.

    Après un hochement de tête, Éli marcha vers l’extrémité du gaillard arrière et s’assit dos à la rambarde. D’un de ses sacs, elle sortit un parchemin sur lequel elle coucha quelques lignes en se penchant au-dessus afin de le protéger de la fine pluie. Hugh s’accroupit face à elle.

    — Pour qui est ce message ?

    — Arthax, le guide des gardiens.

    — J’avais cru comprendre que tu ne voulais pas qu’ils reviennent prendre la reine et risquer de se faire attaquer par le bâtard de l’Ouest.

    — Oui, mais s’ils ont déjà franchi la passe, ça change la donne. Malgré cela, je dois absolument trouver le moyen d’intercepter ce pirate avant qu’il ne l’atteigne également.

    — Tu ?

    Éli leva un regard ennuyé vers lui et rectifia :

    — Nous. Kal, poursuivit-elle mentalement à l’adresse du jeune rawgh qui s’était assis près d’elle. Je vais devoir m’absenter le temps de porter ce message à Arthax

    Et je veillerai sur toi, devina le dragon.

    Merci.

    Quel message ? interrogea mentalement Malek.

    Celui que je viens d’écrire, répondit-elle alors qu’un goéland se posait sur les planches.

    Exaspéré, le jeune homme ne prit pas la peine de réitérer sa question, mais elle le sentit quitter la salle à manger afin de la rejoindre. Après l’avoir protégée dans un rouleau d’écorce qu’elle ferma hermétiquement, Éli attacha la missive à la patte de l’oiseau, lequel s’envola aussitôt dans un large battement d’ailes. Lorsque Malek arriva d’un bond de l’escalier, suivi d’Éric, Kaito, Dowan et Rajnaw, l’esprit de la ­chasseresse était déjà parti avec le goéland. Au soupir qu’il émit, seuls les ricanements de Hugh et de Stavros lui répondirent.

    Chapitre 1

    L’engin

    Bonjour, ma sœur, dit Dovilfay en voyant apparaître Romézyra sur le plateau montagneux.

    Les nuages gris formaient une voûte épaisse au-dessus de la vallée sur laquelle ils déversaient une fine pluie. Vêtus de lourds manteaux de fourrure, les eldéïrs avaient rangé tentes et accessoires et étaient prêts à se déplacer. Dès que les ténébryss et leurs monstrueuses montures avaient été repoussés du combat, ils avaient repris leur route dans la montagne, sachant que Romézyra viendrait les rejoindre.

    — Bonjour, ma sœur. Myrkoj est bel et bien parti avec ses bêtes ailées, toutefois, je n’ai pu voir s’il avait rejoint des navires ou son sous-marin. Par contre, je suis certaine qu’il s’est enfin retiré vers l’autre continent. J’ai vu les ogres, mais où étaient les chasseresses et les rawghs ?

    — Julianika leur a envoyé un message leur ordonnant de partir sur les navires, tandis que les ogres devaient se rendre à l’extrémité est de la route Sombre. Même si de faire face aux humains l’inquiétait, Ulga était particulièrement soulagée de ne pas avoir à remettre le pied sur un navire.

    Au mince sourire de sa sœur, Dovilfay se tut.

    — Qui vous a porté ce message ? s’enquit Romézyra.

    — Yrgh.

    — Je suppose qu’il vous a appris qu’Éli avait retrouvé la mémoire.

    La grande eldéïre n’eut pas besoin d’en dire davantage que sa sœur souriait à son tour.

    — C’est elle qui a envoyé le message, bien sûr, conclut Dovilfay.

    — Julianika s’est effectivement bien retirée auprès de ses filles et de sa famille.

    — Et comment s’est déroulée la rencontre entre les ogres et les Zymariens ?

    — Je n’y ai assisté que de loin, mais tout semblait pacifique. Ce qui est compréhensible, car ils leur ont permis de repousser l’ennemi. Les problèmes commenceront dans les jours à venir, lorsque la menace des ténébryss s’atténuera dans l’esprit des hommes.

    Dovilfay ne put qu’acquiescer, ses yeux bleu pâle scrutant l’air sombre de sa sœur. Devinant qu’un fait la troublait, l’eldéïre attendit patiemment qu’elle se dévoile. Elle reporta son regard sur l’étendue montagneuse qui entourait le vallon où ils devaient descendre. Coupé du monde par ces cimes infranchissables, ce petit paradis était resté hors de portée des habitants de Melbïane. Loin à l’est, elle voyait une haute chute d’eau provenant de lacs au sommet des montagnes, dont la base se perdait derrière l’écran de verdure. Une rivière apparaissait ensuite entre les branches et zigzaguait jusqu’à un lac donnant sur la façade au sud.

    — J’ai été très affectée par le fait de combattre les nôtres, lâcha Romézyra, la tirant de sa contemplation. Et, pendant un instant, voir tous ces humains égoïstes s’entretuer ne m’a pas déplu.

    Dovilfay se tourna pour la considérer en silence.

    — Je sais, c’est terrible, admit sa sœur. Je ne veux pas revenir en arrière, mais…

    — Tu ne peux que comprendre les actes de Myrkoj. Préférerais-tu retourner auprès des mères chasseresses ?

    — Non, pas maintenant. Pas aussi loin. Thellïanessor aurait voulu…

    — Il aurait voulu que tu suives ton cœur, Romézyra. Et ton cœur ne semble pas nourrir le désir de combattre les ténébryss.

    — Et toi ?

    L’eldéïre prit un moment avant de répondre :

    — Il a utilisé une âme pure pour détruire. Une jeune fille que nous avons vue grandir. Une jeune fille qui n’a toujours voulu que le bien de tous les êtres. Oui, cette seule raison est pour moi suffisante pour les pourchasser sur cet autre continent et détruire une bonne fois pour toutes ces abominations qu’ils ont créées.

    Romézyra baissa les yeux, honteuse.

    — Tu as raison. Je me suis égarée.

    En sentant la main de Dovilfay sur son bras, elle secoua la tête.

    — Je ne veux pas retourner au village. Vous aurez besoin de toute l’aide possible.

    — Alors, soit. Allons trouver nos petits amis.

    L’eldéïre fit signe à leurs compagnons et ils s’évanouirent du sommet glacial pour retrouver la tiédeur plus accueillante de la vallée. Après à peine deux heures de marche, ils atteignirent le village qui se situait à l’est.

    Dovilfay contempla, non sans une certaine nostalgie, les petites demeures de pierres recouvertes de mousses qui se fondaient aux larges troncs des arbres. Sous les toits de chaume, les fenêtres étaient toutes hermétiquement fermées par des volets de planches. Même si le feu au centre du village fumait toujours, les habitants n’apparaissaient nulle part.

    L’eldéïre n’approcha pas plus, conservant d’avec la première maisonnette une distance d’une centaine de mètres. Son regard survola les hautes façades grises qui protégeaient cette vallée du monde.

    Des dizaines d’années avant, lorsqu’ils s’étaient enfuis avec Thellïanessor, les ténébryss renégats avaient découvert, du ciel, ce petit havre de paix. Cet endroit aurait été la cachette idéale. Jusqu’à ce qu’ils aperçoivent un de ces minuscules villages. Il y en avait seulement quatre répartis aux quatre coins de la vallée. Dans ce microclimat tempéré, les habitants se nourrissaient essentiellement de légumes, de fruits et d’œufs. Quelques chèvres de montagne retenues dans des enclos fournissaient le lait. Dans une basse-cour, des dizaines de pintades criaillaient et picoraient le sol.

    En découvrant ce paisible habitat qui ne semblait pas avoir évolué depuis des centaines d’années, les ténébryss avaient décidé de se retirer de peur que leur présence ne perturbe le fragile équilibre créé par les habitants des lieux. Ils avaient donc chargé le chef du village de la rivière de veiller sur leur engin en attendant leur retour. Celui-ci était dissimulé dans une grotte à gauche de l’immense chute. C’était le seul qui avait survécu au combat avec les magiciens de la citadelle en Zymar, cent ans auparavant.

    Certes, depuis toutes ces années, l’homme était sans aucun doute trépassé et Dovilfay espérait que leur existence et leur retour éventuel s’étaient transmis aux chefs suivants. Derrière elle, les autres eldéïrs s’assirent sous le couvert des arbres pour grignoter à l’abri de la pluie.

    Romézyra la rejoignit et elles marchèrent ensemble vers l’humble village. Une fois au centre, elles attendirent patiemment. Des éclats de voix leur provenaient d’une maison plus large qui se trouvait au bout du court chemin et qu’elle se rappelait être le lieu de rassemblement des villageois. Des têtes apparaissaient de derrière les rideaux pour aussitôt disparaître. Finalement, la porte s’ouvrit et un homme fut littéralement poussé à l’extérieur, suivi de deux autres et d’une femme. Tous de petite taille, ils serraient entre leurs mains des fourches qu’ils n’avaient manifestement pas l’habitude de se servir comme arme.

    — Bonjour, dit doucement Dovilfay en zymarien en tendant ses deux mains, paumes vers le haut.

    La langue de ce peuple n’était pas le zymarien connu, mais une dérivation de celui-ci. Or, la première fois, ils avaient tout de même réussi à se comprendre.

    — Nous ne sommes pas ici avec de mauvaises intentions, mais pour récupérer l’engin.

    Le premier petit homme, qui devait être le chef, recula et discuta rapidement avec ses trois compagnons en leur jetant des coups d’œil. Lorsqu’il reporta son attention sur eux, il les examina plus attentivement jusqu’à hocher la tête. Il partit alors à la course vers la large bâtisse, où il disparut. Les trois autres villageois les observèrent avec soudain plus de curiosité que d’animosité, les pointes de leurs fourches pacifiquement appuyées au sol. Ils continuaient de parler à voix basse.

    Le chef ressortit, amenant cette fois dans son sillage une dizaine d’adultes pas plus grands que lui qui restèrent devant la salle de rassemblement. Les discussions allaient bon train, suivies de vigoureux hochements de tête. Derrière eux, sautant pour tenter de voir ou s’entassant dans les fenêtres, apparaissaient les enfants.

    Le chef tenait difficilement ouvert un livre large et épais où s’assemblaient inégalement des feuilles de parchemin écornées. Les trois villageois récemment promus gardes vinrent l’aider à le transporter et ils s’arrêtèrent sous l’auvent plus prononcé d’une demeure. Après les y avoir rejoints, les eldéïres se penchèrent sur l’ouvrage.

    — Vous ? demanda-t-il simplement en pointant un dessin de grandes créatures aux longs cheveux près desquelles s’alignaient les symboles que l’eldéïre se souvenait être l’écriture de ce peuple.

    — Oui, c’est nous, répondit-elle en hochant la tête afin d’être bien comprise.

    Elle désigna alors l’image de la page suivante montrant l’engin qui arrivait des montagnes et survolait leurs forêts.

    — Nous venons pour le reprendre, poursuivit-elle en se pointant du doigt pour ensuite envoyer gracieusement sa main vers le ciel.

    À l’ordre rapide du chef qu’elle ne réussit pas à comprendre, un des gardes tourna une page pour montrer une autre image de l’engin dans la montagne, devant lequel se dressait fièrement le chef de l’époque.

    — Vieux vieux père moi, déclara-t-il tout sourire. Me parler vous. Très gentils. Magiques.

    — Oui, nous sommes magiques.

    À leur venue, aucun des habitants n’était doté de pouvoirs. Cela n’avait donc pas changé avec le temps.

    — Faire pousser beaucoup arbres de fruits, poursuivit-il fébrilement en tournant maladroitement les pages du livre, qui faillit tomber au sol.

    La garde féminine le rattrapa de justesse et le chef pointa une image montrant un eldéïr, les mains tendues vers des rangées de pommiers, de poiriers, d’orangers, de pruniers… Se souvenant très clairement de ce moment, Dovilfay reconnut dans le personnage Thellïanessor, qui avait pris plaisir à faire multiplier les arbres fruitiers des villages. Elle porta doucement les doigts à l’image et la caressa en sentant les larmes s’accumuler sous ses paupières. Voyant son trouble, le chef posa sa main sur la sienne et devina avec tristesse :

    — Lui parti dans monde des rêves. Vieux vieux père moi aussi.

    Dovilfay lui sourit.

    — Oui, dans le monde des rêves. Mais nous pouvons également faire pousser les arbres, dit-elle en se tournant vers un rosier qui longeait un mur et où les roses se multiplièrent soudain.

    Un cri de joie s’éleva du groupe de villageois, provenant sûrement de la propriétaire de la demeure. Le chef referma délicatement le livre, qu’il confia à un des trois gardes qui laissa sa fourche à son compagnon afin de retourner dans la salle de rassemblement. Le petit homme prit la main de Dovilfay entre les deux siennes et regarda son autre main. Elle l’ajouta sur les autres et il dit :

    — Koej.

    Elle comprit qu’il se présentait.

    — Dovilfay.

    Il lâcha ses mains pour les tendre à nouveau à l’autre eldéïre, qui y joignit les deux siennes en souriant.

    — Romézyra.

    — Koej.

    Tout en gardant une de ses mains dans la sienne, il prit celle de Dovilfay et les tira vers la salle de rassemblement. Dans leur dialecte au débit rapide, il les présenta aux autres et expliqua sûrement qui elles étaient, car des exclamations admiratives s’élevèrent du groupe, qui regarda vers le ciel et vers la chute. Des cris enthousiastes se répandirent ensuite à l’annonce de leurs capacités à agrandir leurs plantations. Il se tourna vers eux et pointa du menton la chute.

    — Vous voir engin. Nous bien soin.

    — Je viens, dit Dovilfay en se désignant. Mais mon amie va rejoindre les nôtres et faire grandir les arbres.

    Elle agrémenta ses paroles de gestes.

    — Et autres villages ? s’enquit le chef avec une certaine hésitation, craignant peut-être de trop leur en demander. Aussi, autres villages ?

    Avec un large sourire devant leur désir de partager, Romézyra hocha la tête.

    — Oui, tous les villages.

    Enchanté, le chef lança des ordres aux villageois, qui partirent à la course. Elles en virent quelques-uns monter sur le dos d’âne à la forte carrure, alors que d’autres attendaient manifestement d’être suivis vers les champs.

    — Je m’occupe de l’engin, annonça Dovilfay. Va avec les nôtres dans les plantations. Répartis les sorciers de la vie parmi les groupes afin qu’ils puissent majoritairement s’occuper de la flore. Les autres pourront effectuer toutes les tâches d’entretien.

    Même si tous les eldéïrs pouvaient faire évoluer la flore, ces sorts étaient très épuisants. Seuls les sorciers dotés du don de la vie pouvaient la manier aisément sans se fatiguer, mais ils en avaient seulement cinq parmi eux. Ceux-ci avaient également le pouvoir de guérir les blessures et les maladies. Or, Dovilfay se souvenait qu’à leur première visite, le chef avait refusé qu’ils soignent les malades. Il leur avait expliqué que seuls les habitants du monde des rêves avaient le droit de décider de leur sort. Lorsqu’un villageois tombait malade, ils lui donnaient des soins de base afin de soulager sa souffrance, mais ne s’évertuaient pas à le sauver. Les habitants du monde des rêves l’appelaient à eux et, comme ils y avaient tous déjà de la famille ou des amis, personne ne craignait de s’y rendre. Après chaque décès, il y avait une cérémonie d’au revoir qui se terminait par une fête. Les eldéïrs avaient été charmés par cette croyance enfantine, mais si sereine. Ils avaient supposé que cette coutume d’acceptation presque joyeuse de la mort venait d’un réflexe de survie, afin d’éviter la surpopulation qui les aurait inévitablement menés à l’épuisement des ressources et l’extinction.

    — Même chose pour les autres villages ? demanda Romézyra.

    — Oui, un sorcier de la vie dans chacun d’eux. Et prends quelques minutes pour vérifier auprès de nos confrères si Myrkoj est toujours hors de portée. Si oui, contacte Xéfirka afin de l’informer sur le dénouement du combat et notre départ imminent.

    La grande eldéïre acquiesça et prit les mains que deux femmes lui tendaient avec de larges sourires admiratifs. Romézyra considéra les autres habitants qui se tenaient également la main soit par deux ou trois, même quatre parfois, afin de les suivre. Comme à sa première visite, l’eldéïre ressentit un léger malaise devant cette coutume, eux qui n’avaient pas l’habitude des contacts physiques. Or, elle se souvint qu’après plusieurs jours, elle avait fini par s’y habituer et, même, à y prendre goût. Pendant quelques mois, les eldéïrs avaient continué à se tenir par la main dès qu’ils marchaient à deux, puis leurs vieilles habitudes d’êtres distants et solitaires étaient revenues.

    La main toujours dans celle du chef, Dovilfay le suivit donc vers la chute en compagnie d’une demi-douzaine de villageois. Ils sortirent du village et longèrent un sentier grossièrement taillé, probablement dans le but de ne pas trop endommager la forêt dense, jusqu’à la façade rocheuse qui partait, à sa base, en pente douce. Ils l’escaladèrent pour s’immobiliser devant l’immense caverne dans laquelle s’étaient engouffrés les ténébryss des dizaines d’années plus tôt. Dovilfay contempla les centaines de longues cordes et racines entrelacées qui avaient été accrochées au sommet de l’arche et qui descendaient sur plus de trente mètres, protégeant totalement l’entrée autant du vent que de la pluie. À l’aide de perches, les hommes tassèrent les cordes afin de lui livrer passage et allèrent les nouer de chaque côté, laissant les rares rayons de soleil que filtrait le ciel pluvieux illuminer l’espace. Avec nostalgie, l’eldéïre retrouva l’engin au même endroit qu’ils l’avaient abandonné.

    La spacieuse cabine en fer barrée d’une large vitre brilla sous la lumière. Au-dessus de l’habitacle, le ballon ovoïdal de plus de cent mètres de long auquel elle était attachée par de larges tiges d’acier se perdait dans l’obscurité des profondeurs de la caverne. De chaque côté, accrochées à l’armature qui retenait la cabine au ballon, s’étendaient d’imposantes hélices protégées par un grillage d’acier, le tout brillant d’une propreté impeccable. L’engin était retenu au ras du sol par de solides cordes nouées aux plus gros rochers de la caverne.

    Les hommes se précipitèrent sur des échafaudages de planches solidement assemblées par des troncs et des cordes. Ceux toujours au sol orientèrent les rayons du soleil par des miroirs grossièrement taillés vers les hauteurs que leurs confrères réorientèrent à l’aide d’autres miroirs. Bientôt, la grotte entière fut illuminée, jusqu’aux tout derniers ailerons qui se trouvaient, à plus de cent mètres plus loin, à l’extrémité du ballon. La directive des ténébryss de n’allumer aucun feu dans la grotte ne s’était donc pas perdue avec le temps. Comme il était empli d’hydrogène, une seule fuite additionnée d’une flamme aurait provoqué une explosion considérable. Or, de ce qu’elle remarquait, le ballon avait conservé toute sa charge de gaz. Ce qui n’était pas surprenant, car après avoir créé l’hydrogène, les ténébryss avaient, par sorcellerie, solidifié la toile par une épaisse couche de plastique provenant des déchets de l’ancien peuple. À sa couleur bleu ciel original, les villageois avaient peint des nuages et des oiseaux, évitant soigneusement les surfaces de vitre quadrillées qui étaient protégées d’éventuelles chutes de pierres par des toiles en cuir.

    Dovilfay remarqua, à la base des échafauds, les tonneaux d’eau près desquels des brosses et des guenilles étaient suspendues à des supports de bois. Apparemment, les villageois devaient régulièrement nettoyer l’épaisse toile afin que ni la pourriture ni les insectes ne puissent s’y répandre. L’eldéïre, qui avait prévu des heures afin de réparer le ballon et d’extraire de l’eau l’hydrogène qui le ferait décoller, fut agréablement surprise. Ils pourraient donc plutôt passer ces heures à fournir aux villageois toute l’aide qu’ils demanderaient.

    Son sourire s’élargit alors que ses yeux se baissaient sur les rangées de pierres qui s’alignaient devant la cabine. Apparemment, venir admirer l’engin devait être une attraction de la vallée. Tandis qu’elle se dirigeait vers la porte latérale de la cabine, elle sentit la main du chef se retirer de la sienne. L’air sérieux et légèrement anxieux, il sembla préférer garder ses distances. Les hommes se réunirent autour de lui, observant attentivement ses gestes. Avec un sourire rassurant, Dovilfay leva à moitié le bras et fit un léger mouvement des doigts. Sans bruit, les deux portes s’écartèrent, révélant un tapis vert pâle sur lequel reposaient des rangées de banquettes recouvertes de cuir blanc usé et fendillé à plusieurs endroits. L’eldéïre y pénétra et examina la large console qui longeait le devant de la cabine, sous la vitre. Il n’y avait qu’une mince couche de poussière, qu’elle chassa d’un coup de vent. Ce dernier transporta les fines particules qu’il libéra dans la grotte dans un faible souffle qui fit tout de même reculer les petits hommes. Dovilfay posa sa main sur la console et visualisa les connexions électriques que Thellïanessor et elle avaient minutieusement étudiées une centaine d’années auparavant. Le moteur, dont l’électricité était générée par des capteurs solaires photovoltaïques installés à même la large surface du ballon, n’attendait qu’un signal pour se mettre en marche. Un fort bruit de glissement se fit entendre et l’eldéïre vit tomber l’une des toiles qui protégeaient les capteurs. Les villageois réorientèrent les miroirs et, songeuse, Dovilfay se pencha sur l’indicateur du niveau d’énergie, qu’elle actionna. Il était déjà à cinq pour cent. Elle vérifia ensuite ceux du stockage, qui auraient dû s’être vidés depuis toutes ces années, et fut surprise de les voir à cent pour cent remplis, ce qui signifiait que les villageois avaient régulièrement orienté les rayons solaires sur les capteurs. Ils auraient donc suffisamment d’énergie pour sortir l’engin de la grotte et l’exposer totalement au soleil dès que ce dernier daignerait se montrer. Quoiqu’avec les réservoirs de stockage pleins, ils pourraient partir sans attendre la réapparition de l’astre, afin que personne ne puisse apercevoir dans le ciel encombré de nuages l’aérostat quitter la montagne.

    L’eldéïre sortit et observa les villageois qui s’affairaient avec les miroirs. Malgré la faible luminosité, la quasi-totalité des capteurs était maintenant alimentée en rayons solaires. Comme, seule, elle ne pouvait démarrer l’aérostat, Dovilfay dit au chef :

    — Je vais rejoindre mes frères et sœurs. Nous reviendrons ensuite. Merci beaucoup d’avoir pris soin de l’engin.

    D’immenses sourires aux lèvres, les villageois lui envoyèrent la main avec enthousiasme, certains s’attirant les foudres de leur compagnon soudain pris à tenir seul le lourd miroir. Le chef leur distribua des ordres, puis reprit la main de l’eldéïre

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