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Rivière Éternité
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Livre électronique168 pages2 heures

Rivière Éternité

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À propos de ce livre électronique

Rivière Éternité : tel est le nom que des explorateurs français regroupés autour de Robert Cavelier de La Salle avaient donné à un petit cours d’eau situé près de la colonie du fort Saint-Louis (baie de Matagorda, Texas) au bord de laquelle cet établissement français se situait. Mais La Salle, chef autoritaire et peu compétent dans l’art de commander les hommes, fut assassiné par certains de ceux-ci, non loin des rives de la rivière, révoltés par la dureté et l’égoïsme qu’il faisait peser sur ses subordonnés. Cet événement tragique constitua le point de départ d’une dérive de grande envergure, tant sur le plan moral que géographique, marquée par des tensions entre les gens restés fidèles aux lieutenants de La Salle d’une part, les assassins et leurs complices d’autre part. Des règlements de compte se produiront par la suite, des désertions aussi. Mais peu après le crime, une collaboration forcée a rapproché un certain temps les meurtriers et les fidèles du défunt chef, dans un but immédiat de survie élémentaire, en une sorte de solidarité aussi précaire que haineuse…
LangueFrançais
Date de sortie18 oct. 2022
ISBN9782897756901
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    Aperçu du livre

    Rivière Éternité - Jean-François Delisle

    RIVIÈRE ÉTERNITÉ

    Jean-François Delisle

    Conception de la page couverture : © Les Éditions de l’Apothéose

    Image originale de la couverture : Shutterstock 2933621

    Sauf à des fins de citation, toute reproduction, par quelque procédé que ce soit, est interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur ou de l’éditeur.

    Distributeur : Distribulivre  

    www.distribulivre.com  

    Tél. : 1-450-887-2182

    Télécopieur : 1-450-915-2224

    © Les Éditions de l’Apothéose

    Lanoraie (Québec)  J0K 1E0

    Canada

    apotheose@bell.net

    www.leseditionsdelapotheose.com

    Dépôt légal — Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2022

    Dépôt légal — Bibliothèque et Archives Canada, 2022

    ISBN EPUB : 978-2-89775-690-1

    Imprimé au Canada

    RIVIÈRE ÉTERNITÉ

    CHAPITRE 1

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    CAMP DE LA RIVIÈRE-AUX-CANOTS

    18 MARS 1687

    Les hommes assemblés devant Robert Cavelier de La Salle, sous le soleil brûlant de la prairie, écoutaient les instructions qu’il lançait au vent du haut d’une petite butte herbeuse. La brise agitait leurs cheveux qui encadraient des figures burinées. Deux Indiens de la nation des Cenis, qui servaient de guides à l’expédition, tenaient d’une main ferme leurs grands arcs et les empennages colorés des flèches qui remplissaient leurs carquois en dépassaient le rebord.

    Ils appartenaient à une nation alliée des Français depuis que ceux-ci, sous le commandement suprême de La Salle, avaient établi une colonie deux ans et demi auparavant au bord d’une rivière aux eaux salées dont l’embouchure donnait sur le golfe du Mexique, « les grandes eaux » comme les Cenis l’appelaient. Il symbolisait pour eux l’infini, plus même que la prairie dont ils étaient coutumiers. Français et Cenis commerçaient, mais les nouveaux venus s’étaient bien gardés de leur vendre des armes à feu. Les Cenis tenaient trop de toute manière à leur équipement traditionnel pour s’équiper de ces armes lentes à recharger. Par contre, ils appréciaient les outils en métal qu’ils échangeaient avec les Français, en particulier couteaux et hachettes.

    Le père Anastase Douay, un récollet, le meilleur ami de Robert Cavelier, leur jeta un coup d’œil à la dérobée. Il s’était toujours intéressé aux autres peuples, il possédait un esprit aventureux et aimait le dépaysement. Il les observa un instant avec sympathie. Ils représentaient pour lui une certaine image de l’honnêteté, de la simplicité, même s’il connaissait leur « sens des affaires ». Les Cenis étaient grands, costauds, ils avaient la peau cuivrée ; des peintures corporelles à signification religieuse ornaient leurs visages et leurs torses : des courbes, des carrés et des lignes. Ils portaient des pagnes en peau de cerf avec une ceinture en cuir de bison. Un poignard et une hachette s’y trouvaient glissés.

    Douay aurait bien voulu les convertir, mais il maîtrisait encore mal leur langue et il sentait que les Indiens auraient mal accueilli toute tentative de prosélytisme de sa part. Il se contentait le plus souvent, quand certains venaient au fort Saint-Louis, de leur glisser quelques mots au sujet de Jésus et de Dieu le père. Mais leurs réticences ne le choquaient pas. Il se demandait s’ils ne pratiquaient pas davantage sans le savoir une meilleure conduite chrétienne que ses propres compatriotes… bien qu’ils pussent se montrer agressifs et susceptibles aussi.

    À gauche de La Salle, en bas de la butte, se tenait son second, Henri Joutel, le lieutenant attitré qui commandait la colonne sous l’autorité sans réplique de l’explorateur. Un homme assez petit, aux cheveux châtains qui lui battaient la figure à cause du vent. Le soleil avait bruni sa figure, ce qui contrastait avec la chevelure châtain lui couronnant la tête. Des rides crevassaient son front et ses joues. 

    Une des rares bonnes choses de l’expédition – Douay le constatait et s’en réjouissait –, résidait dans l’amitié qui le liait à Joutel et La Salle, malgré et peut-être même à cause des différences de leurs tempéraments qui les séparaient, mettant en relief et consolidant ce qui les rapprochait.

    Le physique de Cavelier ne correspondait pas au tempérament fougueux, fonceur et autoritaire qu’il affichait : il n’était guère plus grand que Joutel, avait une figure plutôt ronde, une moustache peu entretenue et un début de calvitie. Il portait une rapière, suspendue à sa large ceinture de cuir. 

    Ses subordonnés eux… ceux qu’il avait conscrits pour l’accompagner, ne payaient guère de mine. Leur allure pitoyable n’échappait pas à Douay : maigres, affamés, sales, les vêtements élimés, leur découragement croissant se constatait au premier coup d’œil. Mais La Salle ne semblait nullement s’en soucier. Ses rêves de découverte occupaient tout entier son esprit. Il concevait les hommes de la colonne comme de simples instruments pour l’aider à les réaliser.

    — Il n’est pas normal que Duhaut, Liotot, Hiems Tessier et les autres envoyés hier à la rivière Éternité ne soient pas encore revenus, clamait-il. L’endroit n’est qu’à deux heures de marche. Nous avons un besoin urgent des provisions enterrées là-bas l’automne dernier dans la cache que j’y ai aménagée : du bœuf sauvage boucané et des grains de blé d’Inde. Aussi, je requiers quelques hommes pour aller voir ce qui arrive. 

    Il pointa un doigt impérieux vers trois d’entre eux.

    — Crevel, Meunier et de Marle, vous partez tout de suite pour la rivière Éternité. 

    Ayant transmis ses instructions, La Salle descendit de la butte et rejoignit Douay. Les trois hommes désignés se préparèrent à exécuter les ordres du « pacha » comme on le surnommait dans son dos. 

    Douay éprouva un certain malaise à discuter avec le commandant en chef. Il n’osait pas lui faire de remarque qu’il pourrait considérer comme désobligeante (ce n’était pas le moment), mais il retirait du cours des événements l’impression qu’on se dirigeait vers un désastre. L’expédition avait mal commencé : ses membres avaient quitté le fort Saint-Louis le 12 janvier pour retrouver enfin le Mississippi (un objectif qu’ils n’avaient pu atteindre depuis la fondation de l’établissement en septembre 1684) et le remonter jusqu’à Saint-Louis-des-Illinois afin d’en ramener des secours pour la colonie louisianaise, menacée dans sa survie même. Tous étaient conscients qu’il s’agissait là de l’expédition de la dernière chance.

    Joutel vint se placer à côté du prêtre et de l’explorateur. Les trois se consultèrent sur les occupations de la journée. La Salle ordonna à Crevel de Moranget, qui était son neveu, de revenir si possible le soir même. On était alors sur l’heure du midi.

    — Vous avez le temps de faire l’aller-retour, messieurs, assura-t-il. 

    S’adressant ensuite à Meunier et de Marle, il ajouta :

    — Vous obéirez en tout à monsieur de Moranget. Les autres aussi feront pareil, quand vous les rencontrerez. Je veux que vous soyez de retour au plus tard demain en matinée. J’ai envoyé Nica avec Duhaut et Liotot. Comme vous le savez, c’est un excellent chasseur. Il a peut-être abattu des bœufs sauvages, ce qui augmenterait nos provisions. Duhaut et les siens attendent peut-être des renforts pour ramener ici les vivres entreposés à l’automne 1686 et les quartiers de viande des bœufs tués par Nica, sait-on jamais ?

    — Je le souhaite, commandant, fit de Moranget. À bientôt.

    — Bonne chance.

    Les trois hommes s’inclinèrent avec tout le respect dû au chef suprême puis ils s’éloignèrent dans la prairie avec deux chevaux étiques. De Marle et Meunier les tenaient par la bride alors que Moranget marchait d’un pas assuré devant eux. On les perdit bientôt de vue. 

    Douay cachait mal son pessimisme. Depuis le départ du fort Saint-Louis situé sur les bords d’une rivière à peu de distance du golfe du Mexique, avec dix-sept hommes (en comptant les deux Cenis), tout était allé de travers. On avait progressé lentement, à travers prairies et forêts, souvent sous des pluies diluviennes d’une fréquence inhabituelle en cette saison. Ils avaient croisé des villages cenis de loin en loin et, de ce fait, amélioré leur ravitaillement, mais l’épuisement gagnait tout le monde, minant le moral des hommes. La progression était d’autant plus pénible qu’hommes et chevaux étaient surchargés des bagages personnels de La Salle et de ses proches, comme son frère l’abbé Jean Cavelier, un sulpicien, et Crevel de Moranget, bagages qui s’ajoutaient aux provisions et aux marchandises de traite, ce qui aiguisait le mécontentement des hommes. Mais pas question pour les frères La Salle de se débarrasser de leurs effets personnels, lesquels faisaient partie de leur identité de chefs de l’expédition, même s’ils ne servaient à rien dans cette brousse. Ils ne percevaient même pas la colère rentrée des simples membres de la colonne.

    Le paysage de toute la région traversée était formé de plaines aux herbes hautes, coupées de ravins et de marécages et de bois plus ou moins étendus. Les pluies avaient gonflé les rivières, ce qui avait contraint les Français à de longs et fatigants détours pour trouver des gués, ou à attendre que cessent les pluies et que le niveau des cours d’eau baisse assez pour les franchir. Douay se rendit compte à quel point les conditions concrètes d’existence façonnent le moral, la conduite et les réactions des gens, y compris les siennes.

    « Ah, je suis bien des vôtres, je suis pareil à vous », pensait-il en regardant ses compagnons d’infortune. Devant toutes ces épreuves, son état de prêtre lui semblait presque superflu. Ce n’était même pas une question d’humilité, mais la réalité la plus plate.

    — On aurait peut-être dû envoyer plus d’hommes pour les accompagner, opina l’abbé Jean.

    — Impossible, trancha Robert. Nous ne sommes plus que huit au camp et il nous faut assez d’hommes pour le défendre en cas de besoin. Il faut éviter de se disperser. Et puis, mon neveu connaît le chemin à suivre pour arriver à la rivière Éternité. Il n’a donc pas besoin des deux pisteurs cenis.

    Il se gratta le menton de l’index et, perplexe, s’interrogea à voix haute.

    — Qu’est-ce que Duhaut, Liotot et Tessier peuvent bien fabriquer là-bas ? J’espère qu’il ne leur est rien arrivé.

    — Nous aussi, se borna à répliquer Joutel.

    — Allez, messieurs, retournons auprès des nôtres.

    Les trois hommes tournèrent les talons et rejoignirent leurs subordonnés.

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    Moranget, de Marle et Meunier mirent un peu plus de deux heures à gagner l’endroit où les attendaient Antoine Tessier, Pierre Duhaut, son valet Jean L’Archevêque, Henri Liotot, Hiems, Nica et Gilles Saget, le valet de Robert Cavelier. En arrivant, en fin d’après-midi, ils les virent assis sous les branches d’un mûrier au bord de la petite rivière Éternité. De Marle s’était toujours demandé pourquoi La Salle avait baptisé d’un nom aussi pompeux ce modeste cours d’eau. Ils remarquèrent tout de suite la carcasse d’un bison, déjà dépecé à quelques mètres derrière le gros arbre. 

    Duhaut et son groupe faisaient fumer la viande de l’animal. Deux gros sacs de toile se trouvaient suspendus aux branches du mûrier. D’autres morceaux, étendus sur des sacs de toile supplémentaires, étaient destinés à la grillade pour le repas du soir. 

    Quand Duhaut et les siens aperçurent le trio, ils eurent peine à dissimuler leur contrariété, exprimant par le regard toute la déception imaginable, surtout Tessier, Hiems, Duhaut et Liotot. Mais Saget et Nica firent meilleur accueil aux nouveaux venus. Ceux-ci savaient que Nica était un ami de La Salle et qu’en tant que valet, Saget le considérait comme son supérieur légitime.

    Duhaut et Liotot jetèrent un coup d’œil venimeux à Moranget, lequel le leur rendit en une sorte de duel visuel. Il était notoire que Duhaut et Moranget se détestaient. Le trio s’immobilisa à quelques pas des sept hommes.

    — Alors messieurs, s’exclama Moranget, les poings sur les hanches, pour quel motif vous êtes-vous éternisés ici ? Qu’attendez-vous pour revenir à la rivière aux Canots ? Monsieur de La Salle attend les provisions que vous avez reçu mission d’y ramener.

    Duhaut lâcha un soupir d’impatience.

    — Elles sont avariées, expliqua-t-il. Lors de notre dernier passage, on ne les a pas enterrées assez profondément. Mais Nica a abattu un bœuf sauvage tantôt. Nous voulions d’abord nous restaurer avant de retourner à la Rivière-aux-Canots. Nous prévoyons passer la nuit ici. On retournera au camp de monsieur de La Salle demain à la première heure avec la viande que nous fumons en ce moment.

    — Vous n’y pensez pas ! s’écria Moranget. Donnez-nous immédiatement les morceaux de bœuf boucanés et suivez-nous.

    — Laissez-nous au moins le temps de boucaner le reste de la viande et d’en consommer une partie, plaida Liotot à son tour.

    Moranget soupira à son tour. 

    — J’ai reçu pour instructions de revenir aujourd’hui même

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