Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Entre la Sierra et la Mer, l'amour dans un temps de guerre
Entre la Sierra et la Mer, l'amour dans un temps de guerre
Entre la Sierra et la Mer, l'amour dans un temps de guerre
Livre électronique466 pages6 heures

Entre la Sierra et la Mer, l'amour dans un temps de guerre

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Une histoire d’amour située dans la Guerre Civile Espagnole

En janvier 1937, Elizabeth, une jeune fille anglaise décide de rester en Espagne alors que les autres membres de sa famille rentrent en Angleterre. Seule dans la ville ravagée de Málaga, elle se lie d’amitié avec deux jeunes hommes, Juan, un Espagnol idéaliste et Alex, un Anglais pragmatique. Ensemble ils préparent leur fuite de la ville ravagée par la guerre le long de la côte vers Almería. Au beau milieu de la mort et du carnage elle tombe amoureuse de Juan, pour le perdre peu de temps après quand il est gravement blessé. Croyant qu’il est mort elle rentre en Angleterre avec Alex, avec qui elle se mariera après. Soixante-dix ans plus tard Kate, la petite-fille d’Elizabeth, hérite d’un legs à la suite du décès de son grand-père, un héritage qui ouvre une boîte de Pandore de secrets et de mensonges que ne pourra débrouiller Kate que par un retour en Espagne.

LangueFrançais
ÉditeurBadPress
Date de sortie12 juin 2021
ISBN9781071520079
Entre la Sierra et la Mer, l'amour dans un temps de guerre
Auteur

Joan Fallon

Dr. Joan Fallon, Founder and CEO of Curemark, is considered a visionary scientist who has dedicated her life’s work to championing the health and wellbeing of children worldwide. Curemark is a biopharmaceutical company focused on the development of novel therapies to treat serious diseases for which there are limited treatment options. The company’s pipeline includes a phase III clinical-stage research program for Autism, as well as programs focused on Parkinson’s Disease, schizophrenia, and addiction. Curemark will commence the filing of a Biological Drug Application for the first novel drug for Autism under the FDA Fast Track Program. Fast Track status is a designation given only to investigational new drugs that are intended to treat serious or life-threatening conditions and that have demonstrated the potential to address unmet medical needs. Joan holds over 300 patents worldwide, has written numerous scholarly articles, and lectured extensively across the globe on pediatric developmental problems. A former adjunct assistant professor at Yeshiva University in the Department of Natural Sciences and Mathematics. She holds appointments as a senior advisor to the Henry Crown Fellows at The Aspen Institute, as well as a Distinguished Fellow at the Athena Center for Leadership Studies at Barnard College. She is also a member of the Board of Trustees of Franklin & Marshall College and The Pratt Institute. She currently serves as a board member at the DREAM Charter School in Harlem, the PitCCh In Foundation started by CC and Amber Sabathia, Springboard Enterprises an internationally known venture catalyst that supports women–led growth companies and Vote Run Lead, a bipartisan not-for-profit that encourages women on both sides of the aisle to run for elected office. She served on the ADA Board of Advisors for the building of the new Yankee Stadium and has testified before Congress on the matters of business and patents and the lack of diverse patent holders. Joan is the recipient of numerous awards including being named one of the top 100 Most Intriguing Entrepreneurs of 2020 by Goldman Sachs, 2017 EY Entrepreneur of the Year NY in Healthcare and received the Creative Entrepreneurship Award from The New York Hall of Science in 2018.

Auteurs associés

Lié à Entre la Sierra et la Mer, l'amour dans un temps de guerre

Livres électroniques liés

Articles associés

Avis sur Entre la Sierra et la Mer, l'amour dans un temps de guerre

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Entre la Sierra et la Mer, l'amour dans un temps de guerre - Joan Fallon

    Avant-propos

    La guerre est toujours un évènement déroutant et aucune ne l’est plus que la Guerre Civile Espagnole. Ce court avant-propos tente de fournir au lecteur une brève description des personnages principaux dans une guerre civile qui partagea la nation en deux.

    Le 17 juillet 1936 un coup d’état a été tenté contre le gouvernement Républicain démocratiquement élu de l’Espagne ; cela conduisit à une guerre entre les Nationalistes d’une part et les Républicains d’autre part. Les Nationalistes, désignés parfois comme insurgés, rebelles ou fascistes, étaient dotés d’une armée bien organisée et extrêmement disciplinée, dont la majorité était constituée d’officiers de l’armée espagnole, de milice entraînée de Requete, de troupes africaines et de la Légion Étrangère Espagnole. Ils jouissaient également du soutien du parti Phalange, qui jouait un rôle important dans le maintien de l’ordre et l’endoctrinement. Le Gouvernement Républicain disposait des troupes, de très peu d’officiers et de beaucoup de volontaires non formés qui s’étaient alliés à la milice d’inspiration politique : anarchistes, communistes, socialistes, groupes de droits des femmes, groupes séparatistes et syndicalistes. Les Républicains, connus aussi sous le nom de Rouges, recevaient un soutien étranger venant des Brigades Internationales, du Mexique et du Mouvement Socialiste International. Ils achetaient des armes en Russie, le seul pays à les leur vendre en raison de l’accord de Non-Intervention conclu en 1936 par la France et la Grande Bretagne et signé par les pouvoirs européens. L’Allemagne et l’Italie n’ont pas respecté non plus cet accord et ont fourni aux Nationalistes des troupes, des munitions, des chars, des avions et des navires.

    La police était constituée de la Guardia de Asalto, membres fidèles au gouvernement, et de la Guardia Civil, dont la plupart ont fait défection et passèrent dans le camp des Nationalistes.

    Les Nationalistes levaient principalement leurs partisans parmi la couche sociale conservatrice, la droite, et parmi les plus riches ; cela comprenait l’Église Catholique, les propriétaires terriens, les monarchistes, les fascistes ainsi que les centristes. Ils prétendaient se battre pour la réintégration des valeurs traditionnelles et contre une menace communiste. Les Républicains étaient levés parmi la classe ouvrière, les gens éduqués de la classe moyenne et l’intelligentsia ; leurs partisans allaient des centristes réclamant la démocratie aux anarchistes et communistes qui réclamaient la révolution.

    PREMIÈRE PARTIE

    ESPAGNE

    JANVIER 1937

    CHAPITRE PREMIER

    Le vent soufflait de la mer, une brise légère qui emportait dans ses bras, en passant à sa droite au-dessus des pentes de montagnes, l’odeur de romarin et de thym. Elle respirait profondément, appréciant l’immobilité du matin ; l’air était propre et frais après quatre jours de pluie continue, avec juste une touche de douceur en lui. Elle se sentait bizarrement détachée ; il y avait une qualité onirique à propos de tout. Amarrés juste au large, elle pouvait voir deux grands navires, immobiles, sombres silhouettes contre la Méditerranée scintillante ; elle pouvait, par cette distance, distinguer de petits détails ; pourtant, elle était sûre qu’ils étaient des croisières. Elle n’ignorait pas qu’elle devrait craindre cette scène, mais de là elles lui rappelèrent des bateaux jouets que faisait noyer son frère cadet, Peter, dans sa baignoire pendant la nuit. C’était comme cela qu’elle connaissait qu’elles étaient des croisières ; il l’avait bien éduquée sous la forme d’entonnoirs et de tourelles et même des pavillons de complaisance. Elle ne pouvait distinguer les couleurs du pavillon ; ceux-ci restèrent des silhouettes noires anonymes mais elle savait déjà leur nationalité. Conception en avait déjà parlé le soir d’avant. L’une s’appelait ‘El Baleares’ ; elle venait juste de joindre la marine espagnole et l’autre, légèrement plus ancien, était ‘El Almirante Cervera’. Elles étaient venues pour les protéger contre la Terreur Rouge, dit Conception. Les navires se trouvaient là depuis deux jours maintenant, attendant, semblait-il, quelqu’un pour leur donner l’ordre. Elle n’avait toujours pas d’appréhension ; le ciel était trop bleu et le soleil trop brillant pour avoir peur. Un mouvement la fit se retourner ; le chien avait surpris une perdrix et l’oiseau effrayé battait désespérément des ailes pour se sauver, à peine quittant le sol dans sa hâte. Comme celle-ci volait bas et rapide à travers la brousse, elle s’aperçut des rayures rougeâtres sur son flanc. Sa peur était contagieuse et pendant qu’elle volait, d’autres oiseaux effrayés s’envolèrent en l’air, pas sûrs de la nature exacte du danger et pourtant en fuite dans la panique.

    Elle appela le chien à ses côtés et continua de poursuivre le chemin. Arrivée au coin, elle aperçut la vaste étendue de Guadalhorce Valley étalée devant ses pieds, un édredon de patchwork fait de champs verts et de bosquets orangés, avec sa rivière large serpentant entre de hautes bandes de cannes à sucre. Au-delà, elle pouvait voir l’aérodrome militaire, muni de petits avions et au-delà encore la ville même de Málaga. Une brume bleu-gris se formait au-dessus de la ville, flottant doucement vers les montagnes, de délicates traînées de fumée qui s’enroulaient vers le haut, puis se brisaient en allant chacune son chemin, se faisant plus légères et plus aérées jusqu’à ce qu’elles se fondent progressivement dans l’air des montagnes. Ses yeux se tournèrent comme d’habitude vers la cathédrale, avec sa tour inachevée, une victime des fonds envoyés pour aider une cause longtemps oubliée, alors qu’elle était cachée aujourd’hui des regards, dans un nuage dense et noir de fumée. Un feu faisait des ravages dans les rues ; elle savait autant du bavardage des serviteurs. On trouverait de la chaleur et de la fumée et des fracas de bois qui tombaient ; des gens courraient, essayant d’éviter les flammes ; l’air se rempliraient d’odeur de la peinture cloquée et du bois brûlé. Elle essaya de l’imaginer mais le soleil rayonnait si brillamment et le chant des alouettes la distrayait. Elle resta encore un temps plus long regardant la destruction en bas, ne l’assimilant vraiment pas encore. Alors un son la réveilla de sa rêverie ; le navire le plus proche venait d’ouvrir le feu sur la ville. Elle remarqua en même temps que les canons du navire se retiraient pour vibrer de nouveau, envoyant un bref éclair de feu et une volute fine de fumée, avec un craquement de bruit pareil aux lointains feux d’artifice qui explosaient. Elle vit l’obus débarquer près des bassins, sa position localisée par une explosion de terre et de débris. Elle regardait, hypnotisée, pendant qu’étaient tirés obus après obus sur un même endroit et la terre continuait de pousser et de tourner, changeant sa forme devant ses yeux. À la fin, comme si réveillée d’un sort, elle retourna et appelant son chien descendit le chemin vers le village. Elle se sentit soudain très vulnérable et eut hâte de retrouver la sécurité de sa maison.

    À l’approche de la banlieue du village elle ralentit son pas à une marche. Son cœur battait encore très furieusement et elle pouvait sentir la sueur s’écouler sur ses joues. Elle glissa la tête autour du cou de Willow et se força de marcher plus doucement le long des rues étroites. Il n’y avait personne là ; le square principal, où se réunissaient souvent les personnes âgées pour s’asseoir et bavarder, était vide et les portes de boulangerie et de boucherie étaient étroitement fermées. Un jeune garçon conduisant un âne par un licol de corde passa devant elle sans dire mot ; il s’arrêta quand il parvint à l’auge de pierre, attendit pendant que l’animal buvait, ensuite il reprit son chemin à l’extérieur du village et vers le haut de la colline. Elle pouvait entendre les sabots de l’âne résonnant sur le pavé, des bruits aigus et durs retentissant à travers les rues silencieuses. Passant devant le bistrot Paco, elle en vit les clients installés en silence derrière des fils oscillants de grains en couleur suspendus à la porte pour éloigner les moustiques. Elle sentit le besoin de parler à quelqu’un, n’importe qui, pour demander s’ils avaient vu des navires de guerre dans le port, et vérifier que ce qu’elle venait de voir s’était vraiment passé et ne venait pas de sa pure invention. Elle continua plutôt sa marche, prenant le chemin pavé descendant la colline et sortant du village vers sa maison.

    Elle habitait dans un cortijo bâti en pierre et plein de coins et de recoins, avec des murs épluchés blanchis à la chaux ; ses parents l’avaient loué d’un propriétaire local, Don Franscisco. C’était une maison construite pour résister aux ravages du temps et de l’intempérie ; on aurait dit qu’elle avait été taillée sur le côté abrité de la montagne, utilisant la paroi de pur granit comme un mur de défense. Les murs épais et solides de la maison, donnant sur le sud et protégés de l’aquilon et du mistral par la montagne elle-même, constituaient un patio interne dans son sein, où sa mère, toujours une jardinière romantique, avait planté des vases de bougainvillée, d’hibiscus, de jasmin et d’odorante dama de la noche. Leurs tiges s’appuyaient contre les murs, se frayant leur chemin le long des surfaces de pierre, se traînant toujours vers le haut sur tout ce qu’ils pouvaient trouver, tendant vers le soleil, l’étalage panaché de brillantes couleurs : rouges profonds, violets, étamines à bouts écarlates et pétales dorées. Il y a longtemps quelqu’un avait planté un citronnier près du puits et avait construit quelques enclos délabrés pour y abriter des bétails ; plus récemment sa mère avait créé un petit potager, où des vignes en torsade de tomates vertes enroulaient leur piste le long des cannes à sucre coupées et des romarins, des thyms et des persils plantés dans des vases en terre cuite à côté de la porte de la cuisine. Les fenêtres de la maison étaient étroites et souillées, protégées par de lourds volets verts et des rejas de fer fleuri, et le seul moyen pour y entrer depuis le monde extérieur était de traverser une solide porte en bois, cloutée de clous ferrés.

    Aujourd’hui quelqu’un avait laissé ouverte la porte d’entrée et alors qu’elle se frayait un chemin, elle sentit sous sa propre main le bois, chaud et solide, usé doucement par une myriade de mains. Elle ferma la porte fermement derrière elle, faisant tourner la lourde clé de fer dans la serrure et fit tomber la barre de bois en place. Une fois installée dans ce vestibule silencieux, appuyée contre le chambranle, et, attendant que son cœur arrête de battre si vite, elle pouvait sentir s’infiltrer en elle la pérennité de cette maison, l’apaisant par la connaissance qu’elle était restée là depuis tant d’années et y restera encore pour des années à venir. Finalement elle se sentit assez en paix pour assimiler les abords familiers : dalles de pierre inégales couvrant le plancher, chandelier bigarré suspendu au-dessus de sa tête, le bleu et le vert des verres marocains scintillant dans la faible lumière de soleil qui avait réussi à s’infiltrer par les fenêtres aux volets fermés, tapis de lirette fabriqué, un hiver, de vieilles étoffes par sa mère. À un si beau matin ensoleillé, soudain il semblait un peu dramatique de verrouiller la porte.

    ‘C’est toi, Elizabeth ?’

    Une voix d’homme traversa cette tranquillité ; il avait l’air inquiet.

    ‘Oui papa. C’est moi.’

    Elle quitta son lieu de repos et alla vers la voix. Elle savait qu’à cette heure son père se trouverait dans son bureau.

    ‘Dieu merci. Nous allions nous inquiéter pour toi. Où es-tu allée ? Il est presque onze heures.’

    Son père était assis à son bureau, des papiers et livres éparpillés devant lui. Willow couchait déjà à ses pieds. Elle avait tendu ses longs bras et s’adossait à son fauteuil la regardant.

    ‘Oui, je suppose que je suis partie pour assez longtemps, mais il était un matin si beau qu’on est allé jusqu’à La Puerta del Diablo puis on est rentré en passant par le village.’

    Elle se baissa pour embrasser les joues de son père. Les lignes sur son visage tranquille avaient l’air burinées plus profondément aujourd’hui et une grimace transformait ses touffus sourcils gris en une ligne droite, lui donnant une mine inquiète quoiqu’un peu comique.

    ‘J’aimerais mieux que tu restes un peu plus proche de chez nous à ce moment, chérie. Il y a pas mal de troubles dans le village. Les gens ont peur. Je ne veux pas que tu t’engages dans quoi que ce soit’ dit-il, tenant sa main.

    Elle s’éloigna de lui.

    ‘Rien ne nous arrivera ; ils savent que nous sommes Anglais. Nous sommes en tout cas leurs amis.’

    ‘Je sais que c’est comme ça qu’il paraît, mais les gens seraient imprévisibles, surtout quand ils sont effrayés. On ne sait jamais qui ils blâmeront.’

    ‘Bien, je ne m’étonne pas qu’ils soient effrayés. Je pouvais voir le feu à Málaga du haut de la montagne ; il y a quelques jours qu’ils font ravages. Et ces navires de guerre au large, ils se sont mis à ouvrir le feu sur le port. Vous ne les avez pas entendus ?’

    ‘Oui, j’ai peur qu’il semble s’aggraver. Je ne pense pas qu’il serait une bonne idée de nous engager dans tout cela, tu sais. Timothy a appelé ce matin ; à son avis nous devrons quitter ici.’

    Il regarda sa fille pour évaluer sa réaction.

    ‘Quitter ? Ça, c’est un peu exagéré, n’est-ce pas ?’

    Elizabeth tenta de paraître tranquille, cependant son cœur se mit à battre plus vite en entendant cette nouvelle. Elle se dirigea vers les fenêtres et s’assit sur le canapé, en ramassant un de ses coussins et inconsciemment serra celui-ci contre sa poitrine. Lorsqu’elle aperçut que son père la regarde, elle le posa ; l’un et l’autre n’ignoraient pas que cette habitude d’enfance signalait quelque inquiétude plus profonde.

    ‘Bien, il dit que le message officiel du Consul Britannique est que tous les expatriés civils devront quitter quand ils le peuvent. Il y a un contre-torpilleur britannique, dans quelques jours à venir, avançant depuis Gib pour nous évacuer.’

    Elizabeth ne répondit pas ; une douzaine d’émotions différentes luttaient en elle. Elle était obligée d’avouer qu’elle avait peur, et pourtant elle était enthousiaste aussi ; quelque chose de très important était sur le point d’arriver et elle voulait en être témoin. Elle se releva.

    ‘Je voudrais aller me faire un brin de toilette. Où est maman ?’

    Son père était retourné à ses livres ; il leva les yeux distraitement.

    ‘Je crois que ta mère est dans la cuisine, essayant de calmer Conception. Celle-ci se trouve dans un tel état que je ne crois pas qu’on puisse avoir de déjeuner aujourd’hui,’ dit-il, l’ombre d’une grimace passa sur son visage de nouveau.

    Elle décida d’aller dans sa propre chambre avant de chercher sa mère. Elle toucha avec affection les cheveux de son père en passant devant son fauteuil, et reçut un grognement étouffé comme reconnaissance. Willow s’allongea paresseusement puis se leva pour la suivre.

    Sa chambre, comme toutes les chambres dans la maison, avait vue sur la cour. Près du potager, juste au-dessous d’elle, là où sa mère et Pepe, à chaque printemps, plantaient une gamme de légumes et d’herbes, elle pouvait également faire un tour de toits en terre cuite et jusqu’au affleurement dépouillé des montagnes au-delà. Il n’y poussait presque rien si ce n’est quelques buissons couverts de broussailles de Lavande Espagnole et de rares roses de rocher ; des fois elle entendrait les clochettes des chèvres et chercherait à temps à voir de maigres créatures qui fouillaient des pousses mais, la plupart du temps, la montagne était dépouillée. Sa chambre n’était pas très spacieuse ; il y avait un lit simple, une garde-robe étroite construite dans le mur d’en face et une coiffeuse avec un miroir là-dessus. Dans son enfance son père avait arrangé quelques étagères rudimentaires à l’un des murs d’extrémité et elle y mettait ses livres et quelques restes de cette enfance-là : une poupée de prédilection, à présent plutôt usée et enfoncée, un coucou que lui avait envoyé sa grand-mère de Suisse, un bonhomme de neige enfermé dans un globe de verre devenant une scène de neige une fois remué, et une boîte à musique en bois où elle gardait ses quelques bijoux. Il ne se trouvait rien sur la coiffeuse sauf son appareil photo, un bloc-notes doublé et des crayons ; elle l’avait vidée de toutes les frivolités de petite fille qui l’avait encombrée encore quand elle était revenue d’Angleterre cette fois. Sa valise se trouvait sous son lit.

    Elle était allongée sur le dos, regardant le plafond et serrant son oreiller dans ses bras. Tout était si familier, quoique étrange. Trois ans à l’université en Angleterre l’avaient changée ; maintenant elle voyait les choses différemment. Ses parents l’avaient toujours protégée contre le monde mais, maintenant, elle apercevait elle-même comment les choses changeaient. Il y avait beaucoup d’incertitude ; les gens redoutaient ce qui se passait en Europe. Le fascisme était en progression et chaque jour on parlait d’Hitler et des Nazis et des rumeurs épouvantables concernant ce qu’il arrivait aux Juifs. Josef Stalin régnait sur la Russie avec une main de fer et Mussolini avait déclaré un Empire Italien. Le monde semblait au bord de la folie. Mais elle ne pouvait l’ignorer ; elle savait maintenant qu’elle faisait partie d’une communauté plus large, une parmi plusieurs qui luttait contre la démence. Il y avait des choses qu’elle se devait de faire par sa vie si elle voulait se distinguer ; elle n’était pas sûre comment et où mais quelque chose en elle lui disait que cette fois c’était son tour. Après avoir fini ses études, elle avait été peu disposée à quitter ses amis et à retourner en Espagne ; seuls le Noël et l’insistance de ses parents l’avaient fait revenir, mais à présent qu’elle se trouvait là elle n’avait pas envie de quitter à nouveau si tôt.

    *

    On avait laissé la porte de la cuisine entrouverte et l’odeur de la cuisine flottait tout doucement vers elle. Sa mère était debout près de la table en train d’arranger des fleurs sauvages dans un vieux vase bleu, peint avec des tournesols jaunes. Elle avait stratégiquement placé des brins de lavandes sauvages, avec leurs verges de bleu profond et leurs tiges ligneuses, comme supports à l’éclosion plus délicate encore d’une seconde variété qui penchait précairement et qui mettait les efforts de Margaret au défi pour les organiser. Ensuite elle garnissait quelques marguerites jaunes et blanches et les introduisait adroitement dans de l’eau. À l’autre bout de la table de cuisine Conception pétrissait de la pâte pour le pain du jour, la soulevant et la faisant tomber successivement avant d’enfoncer les mains encore une fois dans cette masse molle. Ses manches étaient retroussés mettant à nu des bras forts et bruns saupoudrés de farine, et son tablier, inapproprié pour couvrir les plis volumineux de sa jupe noire, fut attaché par un nœud autour de sa taille dodue. Ses cheveux raides tirés en arrière formaient un chignon qui restait sur sa nuque ; ils brillaient par une fine couche d’huile qu’elle avait appliquée ce matin, le reflet en déguisait dans son noir les cheveux gris et qu’Elizabeth reconnaissait qu’ils allaient augmenter tous les ans. Satisfaite d’avoir suffisamment malaxé et remué la pâte, Conception la transforma adroitement en une miche de pain cylindrique, la couvrit d’une étoffe humectée et la mit à un côté. Puis elle commença à frotter la surface de la table par des mouvements larges et circulaires. La chaleur venue de la cuisinière irradiait à travers la chambre et poussait la femme de ménage à transpirer. Un moment elle fit une pause pour nettoyer avec le tablier son visage rond et large, puis reprit son travail, tout en parlant à la mère d’Elizabeth dans sa voix éraillée d’Andalousie. Les nouvelles de leur départ l’avaient troublée et tout le chagrin qu’elle sentait maintenant fut dirigé dans ces tâches routines de ménage.

    Conception avait travaillé pour la famille Marshall depuis qu’ils s’étaient déplacés en Espagne quand Elizabeth avait onze ans et avant la naissance de Peter. Elle était pour Elizabeth une partie de leur famille ; sa forme maternelle et son aimable visage lui étaient aussi familiers que ceux de sa propre mère. Les parents d’Elizabeth étaient artistes ; c’était ce que disait sa mère, et les artistes ne pouvaient pas vivre dans une Angleterre froide et humide ; ils avaient besoin de soleil pour les réchauffer et donner vie à leurs créations. Ainsi, alors qu’ils étaient dans la trentaine, ils s’étaient déplacés dans le sud d’Espagne, où Margaret pouvait faire son aquarelle plutôt ordinaire et le père d’Elisabeth pouvait partager son temps entre sa recherche sur la vie de John de Gaunt et la composition de sa poésie plutôt mélancolique. La pénible affaire de gagner sa vie fut résolue par d’occasionnels recensions littéraires qu’il rédigeait pour le journal Times et amplement complétée après quelques années par un héritage qu’il reçut à la mort de son père, un industriel accompli. On avait envoyé Elizabeth à l’école en Angleterre parce que ses parents estimaient que l’école international locale n’était convenable que pour l’éducation des enfants jusqu’à l’âge de dix ans. Elle retourna à Noël, à Pâques et pendant deux mois en été. Enfin, son éducation terminée, avec un Baccalauréat anglais dans sa poche et un diplôme de l’École des ‘Jeunes Femmes’ de Dactylographie et Sténographie, elle était libre à rester ou à quitter à sa guise. Ou bien elle s’imaginait comme cela. Maintenant ils quittaient, retournant en Angleterre, vers l’humidité et le brouillard et ils s’attendaient qu’elle les accompagne.

    Comme elle a ouvert la porte plus large, elle se rendit compte qu’il se trouvait d’autres gens à la cuisine ; un jeune homme, avec un visage plutôt sale, assis dos au mur et regardant la rentrée avec attention, et deux vieilles femmes assises sur un banc près de la cuisinière. Conception en entendant son entrée tourna son visage strié de larmes vers elle et lui donna un sourire larmoyant.

    ‘Elisabeth. Vous voilà. Nous avons tous pris le petit déjeuner mais je peux vous apporter quelque chose. Que diriez-vous du pain frais ? il y en a dans le four ; il sera prêt dans une ou deux minutes,’ dit la femme de ménage montrant le four du doigt. ‘Ou bien un morceau de empanada ? Ou peut-être un œuf ? Pepe vient juste d’apporter des œufs frais. Que préférez-vous ma chérie ?’

    ‘Rien, merci Conception. Je n’ai pas faim.’

    ‘Mais vous devrez manger quelque chose, ma beauté. Vous avez l’air maigre. Vous ne pourrez jamais trouver un mari si vous vous faites trop maigre.’

    Elizabeth sourit ; elles avaient toujours ce type de conversation. S’il était quelqu’un d’autre qui l’incitait à manger et à prendre du poids, elle se serait fâchée mais les exhortations de Conception renfermait seulement la chaleur d’un rituel familier exprimant plus leur affection mutuelle que tout résultat futur.

    ‘Je ne désire pas un mari, merci, du moins pas encore. D’ailleurs, la minceur est à la mode.’

    ‘Mais non pas ici en Espagne, ma chérie. Les hommes espagnols aiment les femmes avec quelque chose à prendre en main. Comme moi,’ dit-elle, mettant les mains à ses hanches généreuses et souriant à la préférée de la famille Marshall.

    La mère d’Elisabeth dit, ‘Conception, arrêtez de la gâter. Si elle a faim elle pourra se procurer quelque chose.’

    Sa placide nature ordinaire semblait froissée et on y voyait un soupçon d’irritation dans sa voix concernant ces frivolités. Enfin elle fut satisfaite de son arrangement de fleurs, et, avant de le mettre sur une petite table près de la porte, respira son parfum longuement et profondément. Elle resta debout le regardant avec appréciation pendant quelques secondes puis se tourna vers sa fille.

    ‘As-tu parlé à ton père ?’

    ‘Oui, à l’instant. Il a l’air un peu inquiet.’

    ‘Bien, la situation n’est pas bonne. On nous a conseillés de quitter, tu sais. Le Vice-Consul nous appellera et nous dira quand le bateau arrivera.’

    Elizabeth pouvait entendre Conception pleurer de nouveau ; c’était un son pleurnichard, entrecoupé de larges reniflements et des cris étouffés de ‘Aaaigh’. Les deux femmes âgées à la porte commencèrent à s’y rejoindre.

    ‘Allez-vous partir donc ?’ demanda-t-elle à sa mère ?

    ‘Je ne suppose pas que nous ayons d’autre choix, chérie, ne serait-ce que dans l’intérêt de Peter. Nous sommes obligés de l’emmener à la sécurité.’

    ‘Mais maman, c’est ici qui vous plaît.  Vous ne serez pas heureuse en Angleterre, vous savez. En tout cas, où irez-vous ?’

    ‘Nous y avons déjà pensé ; nous irons chez ton Oncle Brian à Dorset. Tu sais qu’il fait très joli là-bas et le climat est très doux, je crois. Nous pourrons mettre Peter à l’école préparatoire quelques mois plus tôt. Je suis sûre que nous n’aurons aucun problème là-dessus ; Brian fait partie du Conseil Administratif, tu sais. Je crois que tout ira pour le mieux.’

    Le visage de Margaret fut pâle ; elle tentait d’être positif et de rester calme dans l’intérêt de tout le monde, pourtant Elisabeth pouvait voir qu’elle commençait à sentir la pression. Elle n’était pas par nature une femme bien organisée ; elle aimerait laisser les jours la mener où ils pourraient. À présent on lui demandait de prendre des décisions très importantes à propos de l’évacuation d’elle-même et de sa famille, et ses yeux bleus affligés indiquaient clairement qu’elle ne pouvait faire cela.

    Elizabeth chuchota en anglais, ‘Qui sont ces femmes-là ?’

    Sa mère se retourna et regarda les deux femmes comme si elle venait juste de les apercevoir. Elles étaient assises côte à côte, reniflant discrètement. L’une et l’autre furent entièrement habillées en noir : de longues robes noires qui témoignaient des jours meilleurs et qui s’étaient abîmées par moult lavages pour se changer en une teinte plus apparentée au brun qu’au noir, des châles noirs couvrant leurs têtes et ombrageant leurs visages, et leurs chaussures noires à talons si usés qu’il aurait été impossible de marcher sans boitement.

    ‘Ce sont les sœurs Fernandez, du village.’

    ‘Pourquoi sont-elles ici ?’

    ‘Elles disent qu’elles se sentent plus en sécurité ici. Elles disent que les soldats n’attaqueront pas cette demeure car les Anglais y habitent,’ répondit sa mère.

    ‘Mais que deviennent leurs familles ? Où sont leurs familles ?’

    Sa mère eut l’air déroutante ; elle n’avait pensé à le leur demander. Elizabeth se tourna à Conception, qui s’était arrêtée de pleurer maintenant et s’occupait déjà de couper des légumes en petits morceaux pour préparer une soupe.

    ‘Conception, qu’est-t-il arrivé aux familles de ces femmes ?’ demanda-t-elle, hochant la tête en direction de ces deux femmes, qui continuaient à chanter les lamentations funèbres, tout en se balançant en douceur et à l’unisson.

    Rosario et Mercedes viennent du village, dit-elle. Il y a longtemps que je les connais. Elles ont entendu que des soldats rebelles avaient torturé les femmes à Artipena pour leur dire où se trouvaient leurs hommes et elles sont effrayées que l’on fasse la même chose avec elles. Elles nous demandent de les protéger.’

    Les deux femmes en entendant prononcer leurs noms par Conception, levèrent la tête. Elizabeth pouvait voir qu’elles ne seraient pas aussi âgées qu’elle le pensait, et que la mauvaise nutrition et une vie de lourds travails physiques avaient laissé des traces. La plus jeunes des femmes lui sourit, un sourire sans dents lui demandant sa pitié.

    ‘Mais qu’est-il de leurs familles ? reprit-elle. Est-ce qu’elles n’ont pas de mari ou d’enfant pour s’occuper d’elles ?’

    ‘Mercedes est veuve. Elle avait deux fils mais tous deux sont partis combattre pour la République. Il n’est resté pour elle que sa sœur.’

    Elle baissa la voix et reprit :

    ‘Mercedes a dû s’occuper toujours de sa sœur ; elle est ce que vous appelleriez loca, une petite folle. Elle ne peut pas s’occuper d’elle-même et elle prononce tout le temps des bêtises. Mercedes a peur qu’elle informe les soldats à propos de ses fils et puis ils les tueront.’

    Elizabeth regarda la jeune sœur avec un peu plus d’attention ; il y avait une certaine fureur dans ses yeux et quelque chose d’étrange dans sa manière de tourner la tête d’un côté à l’autre.

    ‘Bien, Conception, leur avez-vous dit que nous allons quitter et que la maison va être fermée ?’

    ‘Oui mais elles veulent rester là pour l’instant.’

    Elizabeth se tourna à sa mère.

    ‘Bien, je crois que ça ne posera pas de problème, n’est-ce pas maman ? Elles ne font pas de mal après tout.’

    Sa mère hocha la tête ; il semblait qu’elle avait confié à Elizabeth toute décision concernant l’avenir de ses deux hôtes. Elle était en train d’ouvrir tous les placards dans la cuisine et de prendre certains articles.

    ‘Maman, qu’est-ce que vous faites ?’

    Il semblait y avoir une sorte de fureur dans les actions de sa mère ; cela l’exaspérait.

    ‘Nous allons devoir cacher tous nos objets de valeur avant de partir. On ne peut pas les emporter avec nous ; ils nous laissent seulement une valise à chacun. Nous ne devrons emporter que l’essentiel. Je l’ai déjà dit à Peter ; il est en train de faire sa valise maintenant.’

    ‘Adela ne peut-elle pas vous aider ?’

    Adela était une fille du village qui venait aider Conception à faire le linge deux fois par semaine.

    ‘Non, Adela ne viendra plus jamais. Elle va devoir s’occuper de sa mère et de ses frères et sœurs. Ils ont tous peur de quitter leur maison.’

    Elizabeth se rendit compte qu’elle n’avait pas encore vu son frère cadet depuis ce matin. Elle se demandait comment elle choisirait parmi tous ses bateaux modèles ; lesquels peuvent être emportés et lesquels abandonnés.

    ‘Alors vous avez l’intention de retourner, n’est-ce pas maman ?’

    ‘Oui, bien sûr. Cela ne durera pour longtemps ; Timothy dit que cela va revenir à la normale dans quelques mois. Après nous serons à même de revenir. Le problème est que l’on ne sait pas ce qui arrivera à la maison pendant ce temps. Les Rouges brûlent tous les grands cortijos ; toute chose appartenant à l’aristocratie est prise pour cible. Pepe nous informait ce matin qu’une propriété des Larios a été réduite en cendres la semaine d’avant ; la famille s’est échappée mais la maison a été détruite.’

    ‘Alors qu’est-ce que vous allez faire ?’

    ‘Bien,’ sa mère baissa la voix et reprit la parole avec sa fille en anglais. ‘Pepe a découvert ce passage secret conduisant depuis la cave jusqu’à la montagne. Il y a une petite chambre, quelque peu comme les trous des prêtres que tu trouves dans les maisons des Jacobins en Écosse. Elle a été construite sans doute dans le même but : pour cacher quelqu’un ou quelque chose dans les temps de trouble. Bien, on a pensé que ce sera un bon endroit pour cacher nos objets de valeur jusqu’à l’arrêt des combats, puis on peut revenir pour les réclamer.’

    Sa mère paraissait très contente de cette solution. Elizabeth pensa, non pas pour la première fois, comment sa mère ne perdait jamais le chic pour la surprendre. Elle traînerait dans la maison, ajustant un ou deux coussins, arrangeant ses fleurs ou bien maintenant des tomates, apparemment entièrement inconsciente de ce qui se passait autour d’elle, puis soudain elle surprenait tout le monde par un éclair d’intuition ou un flagrant bon sens. Quel que soit le problème survenu, il serait résolu, après quoi elle retournerait à la sérénité de ses pensées intimes.

    Elle entendit une voix d’homme demandant de l’eau et elle se retourna ; elle avait oublié l’homme assis à côté du mur. Ses habits étaient sales et déchirés et il se trouvait pieds nus ; elle se demandait s’il était un berger ou un chevrier. Quand il prit la grande tasse d’eau de Conception, elle comprit que ses mains tremblaient et il devait lever l’autre main pour la stabiliser avant de boire. Après avoir remarqué qu’elle le regardait, il posa la tasse sur le sol à son côté et se releva, et il se découvrit.

    Buenos días, señora, dit-il. Je m’appelle Alberto, je suis beau-frère de votre jardinier, Pepe.’

    Buenos días, Alberto, répondit-elle poliment. Venez-vous de loin ?’

    L’homme s’assit et regarda fixement le sol ; il trouva fort difficile de répondre à cette question.

    ‘Il vient de La Puerta de Miel,’ murmura Conception. Il a parcouru tout le chemin à travers les montagnes pour être avec sa sœur et sa famille. Il a mis trois jours pour cela. Il était obligé de marcher pendant la nuit à travers le pays, évitant les routes car il avait peur d’être arrêté par les soldats.’

    ‘Sa sœur ? Inmaculada ? La femme de Pepe ?’

    Conception hocha la tête et une larme s’écoula sur son nez aplati pour se poser sur son tablier. La femme de Pepe était morte l’été précédent, donnant naissance à leur cinquième enfant. Elle avait été une forte jeune femme, pleine de vie et d’énergie, pourtant cela n’aida à rien quand le bébé vint au monde avec les pieds d’abord et le cordon ombilical attaché fermement autour de son cou. Cette jeune femme avait plu à Elizabeth ; elle se souvenait d’elle marchant lourdement sur la colline pour arriver à la maison, apportant à Pepe son déjeuner de pain et de fromage de chèvre, avec le plus jeune des enfants, emmailloté sur son dos et trois autres traînant derrière elle. Elle se demandait qui va s’occuper des enfants maintenant. Les gens se procuraient à peine de la nourriture pour eux-mêmes ; il était dur d’imaginer de prendre quelqu’un à nourrir pour quatre mois supplémentaires.

    ‘Ne savait-il pas à propos d’Inmaculada ?’ demanda-t-elle, se sentant désolée pour ce pauvre jeune homme qui avait marché de si loin pour rien.

    ‘Non. Il n’y avait aucun moyen de les laisser savoir. Pepe avait espéré que ce vieil homme qui voyage de village en village et qui aiguise les couteaux connaîtrait les nouvelles mais les circonstances sont si incertaines maintenant.’

    Elle s’arrêta et regarda l’homme.

    ‘Je me demande s’il pouvait rester ici pour quelques jours, juste jusqu’à ce qu’il sache quoi faire ?’ demanda-t-elle.

    Elizabeth se demandait pourquoi elle lui demandait à elle et non pas à sa mère ; elle regarda sa mère mais celle-ci ne paraissait pas avoir entendu. Elle avait mis leur meilleur service de dîner sur la table de cuisine et s’occupait d’en faire le tri pour trouver quelques pièces ébréchées ou fêlées à mettre de côté.

    ‘Je suis sûre que tout va bien, Conception. Je vais vérifier avec mon père, mais je sais que ça ne le dérangera pas,’ répondit-elle.

    Elle se demandait si cet homme était un Communiste.

    Elle lui demanda, ‘Alors que se passe-t-il à Puerta de la Miel ? Est-ce que ...’

    Il la regarda avec des yeux si pleins d’horreur qu’elle ne put continuer. Finalement il parla.

    ‘Une nuit des soldats africains sont arrivés, juste avant l’aube. On était tous au lit. Ils avaient l’air des démons, sur leurs grands chevaux noirs, leurs cartouchières à la poitrine et de verts turbans sur leurs têtes. Ils descendirent la rue principale en tirant leurs fusils en l’air et, quand nous sommes sortis pour voir ce qui se passait, ils commencèrent à nous tirer dessus. Beaucoup de gens sont tombés à l’entrée de leur maison ; quelques soldats descendirent de leurs chevaux pour s’assurer qu’ils étaient tous morts. Si certains étaient seulement blessés, ils leur donnaient des coups de baïonnette ; jeunes ou âgés cela n’avait aucune importance. Mon père avait soixante-treize ans et ils le retirèrent de sa maison et le tuèrent dans la cour comme un chien. Certains d’entre nous s’échappèrent et se cachèrent dans les collines mais on pouvait entendre le cri des femmes et on était obligé de retourner pour voir ce qui se passait. Les Maures avaient quitté mais nous pouvions voir une douzaine de camions garés au centre du village ; d’autres soldats rebelles allaient de porte en porte questionnant les gens, la plupart les femmes et les enfants car, à ce moment,

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1