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Erreur de parcours: Un mystère en Limousin
Erreur de parcours: Un mystère en Limousin
Erreur de parcours: Un mystère en Limousin
Livre électronique224 pages3 heures

Erreur de parcours: Un mystère en Limousin

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À propos de ce livre électronique

Une brillante rédactrice en chef se fait séquestrer.

Brillante rédactrice en chef d’un hebdomadaire parisien, Stéphanie Fouland est au bout du rouleau. Elle accepte l’invitation de ses amis d’aller passer quelques jours dans un village de la campagne creusoise. Sur le trajet, un orage éclate et, malgré les indications, Stéphanie s’égare sur une petite route de campagne et se retrouve bloquée par un tronc d’arbre que la foudre a fait chuter. Un homme, Philippe Gibaud, la trouve et lui propose de l’héberger. Mais de sauveur, l’homme se transforme en tortionnaire et l’invitation en séquestration. Une simple erreur de parcours et le destin de la jeune femme est bouleversé. Que va-t-il lui advenir alors que police et amis la cherchent en vain depuis des jours ? Suspense et atmosphère pesante sont au coeur de ce polar en pays creusois.

Suspense et atmosphère pesante sont au coeur de ce polar en pays creusois !

EXTRAIT

– Il est probable qu’ils vous rechercheront un jour, mais plus tard, bien plus tard ! Vous êtes majeure, vous avez le droit d’aller où bon vous semble, sans en faire part à qui que ce soit, à vos amis comme à votre propre famille. Si la police devait s’occuper de toutes les femmes qui quittent leur mari pour vivre une passion avec leur amant, il faudrait rapidement doubler ou tripler les effectifs ! Vous auriez une dizaine d’années, alors là oui, l’armée et tous les habitants des environs passeraient la région au peigne fin ! Mais, sans vouloir vous offenser, vous avez un tout petit peu plus de dix ans !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean Vareillaud est né le 8 mars 1941 à Guéret en Creuse. Il a fait ses études primaires à Saint-Maurice la Souterraine, puis secondaires à l’Ecole Nationale Professionnelle de Limoges (ENP). Dessinateur publicitaire au retour d’Algérie pendant 13 ans, puis artisan graphiste jusqu’en mars 2001, il consacre sa retraite au jardinage, à la marche et à l’écriture. Marié depuis 1963, il est père d’un fils lui-même marié et père de deux charmantes jeunes filles vivant et travaillant en Bretagne. Depuis deux ans, il fréquente régulièrement les bibliothèques municipales de la Haute-Vienne et de la Creuse en y organisant des rencontres avec les lecteurs et des séances de dédicaces.
LangueFrançais
Date de sortie22 juin 2018
ISBN9791035301781
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    Aperçu du livre

    Erreur de parcours - Jean Vareillaud

    1

    Jusqu’à Limoges, la grosse Mercedes avala allègrement les kilomètres tout en respectant les limitations de vitesse imposées. Stéphanie n’était pas spécialement pressée d’arriver à destination, elle se rendait dans ce bled complètement perdu uniquement pour faire plaisir à ses amis Gérard et Émeline Vergnaud. Ils n’arrêtaient pas depuis plusieurs semaines de lui conseiller un peu de repos et l’avaient finalement convaincue de les rejoindre pour quelques jours dans cette vieille maison qu’ils possédaient dans les fins fonds de la Creuse. L’air pur et le calme devraient lui faire le plus grand bien. C’est du moins l’argument qui avait emporté la décision.

    Elle se rendait parfaitement compte qu’elle était pratiquement au bout du rouleau ! Son travail de rédactrice en chef à l’hebdomadaire La Vie des femmes était de plus en plus lourd à assumer au fur et à mesure que les tirages prenaient de l’importance. Pour la patronne, Élisabeth Magiron, il fallait profiter au maximum des bonnes ventes pour encore améliorer le contenu de ce nouveau concept féminin et encore et toujours augmenter les tirages. Apparemment, pour cette femme, seul l’appât du gain avait motivé son investissement. Mais, si en effet elle avait eu l’excellente idée de créer ce tout nouveau journal, elle avait par ailleurs négligé d’étoffer son personnel. Stéphanie Fouland avait été débauchée de son précédent poste dans un hebdomadaire concurrent à coups de belles paroles et également grâce à une augmentation plus que substantielle de son salaire. Promesse lui avait même été faite qu’un jour elle pourrait devenir actionnaire si elle le désirait. Mais la nouvelle patronne avait limité les embauches au strict nécessaire ! Seulement cinq journalistes confirmées pour remplir chaque quinzaine les soixante-douze pages, c’était très peu ! Le reste du personnel était constitué exclusivement de contrats à durée déterminée jamais renouvelés et de quelques pigistes occasionnels ! Stéphanie se trouvait donc pratiquement seule pour assurer le contenu du journal, le choix des photos et des articles, la mise en pages et les couvertures. Par bonheur, après avoir fait du chantage, elle avait fini par obtenir récemment de sa patronne qu’elle emploie un dénommé Jacques, très doué en informatique et en création, ce qui lui avait tout de même enlevé un peu de travail.

    Elle supervisait absolument tout, du plus petit article à la mise en pages, publicité comprise, en passant par les enquêtes très sérieuses qui avaient fait la réputation du journal. Mme Magiron se réservait pour elle les ventes de ces grands placards publicitaires qui à eux seuls payaient la fabrication de l’hebdomadaire. Comme il était imprimé en Italie, pour des raisons de prix de revient, Stéphanie surveillait également la réception et contrôlait les bons à tirer. Ses journées de travail débutaient tous les matins vers sept heures pour ne s’achever que peu avant vingt heures ! Et elle ne se contentait pas de faire des heures de présence ! Elle courait d’un bureau à un autre, donnait un ordre par-ci, un conseil par-là, le téléphone portable constamment fixé à son oreille gauche ! Bien que d’une santé sans faille jusqu’à présent, elle devenait de plus en plus irascible, ne supportait plus la moindre erreur ou maladresse et le contenu du journal commençait à s’en ressentir, de même que les réactions de ses collègues ! En dehors de son travail, elle ne sortait plus, ne fréquentait plus personne et ne rentrait dans son appartement que pour dormir ! Son amie de toujours, Émeline, avait tout de même réussi à l’inviter à dîner un dimanche soir et avait été très impressionnée par l’état de nervosité de sa camarade. À force de persuasion, elle l’avait finalement convaincue de prendre quelques jours de congé qu’elle était en droit d’exiger, n’en ayant pas pris depuis deux ans. Que diable, sa vie et celle du journal n’allaient pas s’arrêter parce qu’elle irait se reposer quelques jours dans leur maison de campagne creusoise ! Justement, en ce début du mois de juillet, ils allaient y aller passer un bon mois, elle et son époux, et ils lui firent promettre de les rejoindre la semaine suivante.

    Convaincre Mme Magiron n’avait pas été chose facile, mais effectivement elle avait légalement droit à ces congés, sans compter les heures de récupération, les fameuses RTT ! Si elle avait fait correctement les comptes, ce n’est pas huit jours qu’elle aurait pu s’octroyer, mais au moins trois ou quatre mois ! Cette seule évocation avait eu raison des réticences de la patronne qui allait être obligée de prendre les rênes du journal pendant l’absence de sa rédactrice.

    Avec un plan détaillé, Stéphanie était donc partie le samedi suivant pour la « Villa Bonheur », le nom que ses propriétaires avaient inscrit sur la façade de leur maison de campagne avec du fer forgé. À Limoges, elle prit la direction de Bourganeuf en passant par Saint-Léonard et ce fut la dernière partie facile de son voyage. Il était près de dix-huit heures quand elle traversa Bourganeuf sous une chaleur étouffante. De gros nuages noirs orangés montaient à l’horizon, présage d’un bel orage ! « Tu fais une dizaine de kilomètres en direction de Royères-de-Vassivière, lui avait dit Émeline, puis tu prends une petite route sur ta droite. Pour la reconnaître, c’est facile, juste à l’embranchement tu verras un énorme tas de bois que les bûcherons turcs mettent toujours là avant qu’il ne soit emmené par des camions. »

    En roulant doucement pour ne pas dépasser cet indice par inadvertance, elle trouva la route à droite. Il lui fallait ensuite poursuivre jusqu’au lieu-dit « La Vallade », faire encore trois kilomètres, puis prendre la route sur sa gauche, et là elle apercevrait facilement leur maison puisque c’était la seule à des kilomètres à la ronde !

    Le temps devenait de plus en plus sombre, et bien qu’on soit au début de juillet et à moins de dix-neuf heures, il faisait pratiquement nuit ! De sourds grondements lui parvenaient malgré l’isolation de la voiture. Elle avait toujours eu très peur des orages, depuis sa plus tendre enfance, depuis que la foudre était tombée sur leur maison familiale en créant passablement de dégâts. Sa mère non plus n’avait jamais pu se défaire de cette trouille monumentale qui s’emparait d’elle chaque fois que le tonnerre commençait à gronder.

    Depuis un bon moment, elle avait pris cette petite route et elle n’arrivait toujours pas en vue du hameau de « La Vallade » ! Sa peur, due jusque-là uniquement à l’orage, se transforma en un début de panique quand elle imagina s’être trompée au précédent croisement ! Pourtant elle avait parfaitement remarqué l’énorme tas de bois récemment entassé là ! Mais il y en avait peut-être également au carrefour suivant ? Elle avançait doucement sur ce qui était maintenant plus un chemin forestier qu’une route départementale ou même communale. Elle fut dans l’obligation d’allumer ses phares tant la lumière du jour avait fait place à une obscurité qui l’obsédait. Les grands arbres de part et d’autre de la minuscule route se rejoignaient, en formant un tunnel qui accentuait encore l’impression de nuit précoce. Le vent s’était aussi levé et les branches basses venaient fouetter les vitres de la Mercedes. Les mains glacées fixées sur le volant, les yeux hagards, Stéphanie laissait avancer la voiture dans ce paysage de cauchemar qui semblait ne jamais vouloir se terminer. Pour tenter de chasser sa peur, elle alluma la radio du bord, mais bien vite les parasites causés par l’orage de plus en plus proche l’obligèrent à l’éteindre. Une chaleur étouffante régnait à l’intérieur de son véhicule et des gouttes de sueur perlaient sur son visage. Elle mit la climatisation en route, mais elle la ferma presque aussitôt, prise de tremblements dus au froid ou plus probablement à la peur qui s’immisçait au plus profond de ses entrailles. Devait-elle s’arrêter et attendre la fin de cet orage dantesque, ou continuer au risque de prendre quelques branches sur le capot de sa voiture ? Aucun endroit sans arbre n’apparaissait aussi loin que portaient ses phares ! Elle savait qu’il ne faut jamais rester sous un arbre quand le tonnerre gronde, même dans une voiture isolée du sol par ses pneus ! Elle continua encore quelques mètres, toujours sans apercevoir le lieu-dit de « La Vallade », et elle comprit enfin qu’elle s’était trompée d’itinéraire ! Des tas de bois, il devait y en avoir un peu partout au milieu de cette forêt. Pourquoi avait-elle accepté l’invitation de ses amis, pourquoi se retrouvait-elle seule au monde, perdue dans ce paysage totalement inconnu, au milieu d’un ouragan qui amplifiait sans cesse ?

    Elle s’arrêta finalement et laissa ses phares allumés et le moteur en marche. Des feuilles arrachées aux arbres tordus par le vent se collaient sur ses vitres dégoulinantes de la pluie qui s’était mise à tomber en abondance. Ce qui lui parut une énorme branche s’abattit juste devant le capot dans un bruit étourdissant. Le cri qu’elle poussa aurait pu être entendu à des centaines de mètres s’il n’avait été couvert par le tonnerre. Un éclair plus fort que les autres transperça la nuit en même temps que le tonnerre explosait ! La foudre venait de tomber à quelque distance de sa voiture et elle la vit parfaitement, du moins le temps que ses yeux purent rester ouverts et supporter cet éclat formidable. Elle se roula en boule sur son siège et se mit à pleurer, comme lorsqu’elle était enfant, sauf qu’à cette époque, c’est dans les jupes de sa mère qu’elle pleurait.

    Les yeux fermés et la tête enfouie dans ses bras, elle revécut malgré elle cette soirée de juillet 1972. Elle avait alors huit ans et elle jouait dehors dans la rue de cette petite bourgade où était située la maison de ses parents. Il faisait chaud, exactement comme aujourd’hui, les nuages s’étaient amoncelés à l’ouest pour finir par recouvrir tout le ciel et une sorte de nuit artificielle était doucement tombée. Puis le vent s’était subitement levé et le tonnerre avait commencé à se faire entendre au loin. Ses parents l’avaient fait rentrer dans la cuisine et avaient fermé toutes les issues de la maison. Il paraît qu’il ne faut pas faire de courants d’air en cas d’orage ! Elle avait continué de jouer seule avec une poupée qu’elle adorait et qui l’accompagnait partout, même à l’école communale. Elle n’avait pas la moindre peur, elle était inconsciente du danger, comme on peut l’être à cet âge. Les grondements s’étaient amplifiés jusqu’à faire trembler les murs de la maison. On aurait dit qu’ils venaient du sol. Puis, subitement, il y eut en même temps un éclair plus rapproché que les autres et un coup de tonnerre inouï qui la fit tomber de la chaise sur laquelle elle était assise. Quand elle rouvrit les yeux, sa mère gisait sur le sol de la cuisine en prononçant des paroles incohérentes. Son père était agenouillé près d’elle et tentait de la réconforter. Une odeur de brûlé se répandit soudain dans la pièce et de la fumée apparut par l’escalier qui montait au premier étage. La foudre venait de tomber sur leur maison en y mettant le feu ! Rapidement, son père prit son épouse dans ses bras et la transporta sous la pluie dans son atelier séparé de la maison. Puis il appela les pompiers qui mirent un certain temps, tout d’abord pour arriver, et ensuite pour circonscrire cet incendie qui se révéla en fait être assez minime. Seul le grenier avait eu à souffrir ainsi qu’une infime partie de la toiture. Il faut dire aussi qu’il pleuvait si fort que les flammes étaient pratiquement éteintes au fur et à mesure qu’elles tentaient de progresser. Sa mère avait été fortement commotionnée et avait gardé pour le reste de sa vie cette peur panique qui s’emparait d’elle chaque fois que le ciel commençait à s’obscurcir. Elle refusait même de sortir quand la météo annonçait des orages pour la journée !

    Stéphanie, du haut de ses huit ans, n’avait pas tout compris, mais ce sentiment de peur s’était également incrusté en elle, même si maintenant elle parvenait généralement à le dominer. Seule, enfermée dans sa voiture, elle avait aujourd’hui huit ans et cherchait le réconfort maternel qui malheureusement ne venait pas. Elle pleurait. Elle n’avait même pas cette fameuse poupée pour lui confier sa peine !

    Dehors le vacarme ne faiblissait pas et elle releva la tête pour constater que son pare-brise était constellé de feuilles arrachées aux arbres par un vent puissant. D’un coup d’essuie-glace, elle balaya la vitre et le spectacle qui s’offrit à son regard effaré n’était pas des plus encourageants. La route avait totalement disparu sous un amas de branchages énormes et c’était un miracle si rien n’était tombé sur son véhicule.

    La montre de son tableau de bord indiquait dix-neuf heures trente, cela faisait donc une bonne demi-heure que les éléments étaient déchaînés et ne semblaient pas encore vouloir abandonner leur pouvoir destructeur. Pourtant, une petite lueur apparaissait dans un coin du ciel encore visible au travers des grands arbres, prémices sans doute de la fin de ce cauchemar. Effectivement les grondements diminuaient petit à petit d’intensité, même s’ils étaient toujours bien présents. D’autres qu’elle, un peu plus loin, allaient subir la même chose avec, du moins elle l’espérait, la même chance qui lui avait évité de se faire écraser dans sa voiture. Doucement, elle retrouvait ses moyens et son sang-froid, bien que tremblante encore de tout son corps. L’épreuve avait été dure, mais elle en sortait indemne, c’était le principal. La clarté tardait à revenir et elle conserva ses phares allumés. Elle n’avait pas remarqué, à cause du bruit extérieur, que le moteur de sa voiture s’était arrêté de lui-même. Son réservoir était à sec ! Depuis près d’une heure elle tournait, au ralenti certes, mais elle avait malgré tout besoin de carburant ! L’intensité des phares qui diminuait pour devenir presque nulle lui fit comprendre qu’il se passait quelque chose d’anormal et elle vit nettement sur le tableau de bord encore légèrement éclairé qu’il n’y avait plus de carburant dans son réservoir ! L’indicateur de charge de la batterie clignotait, elle ne tarderait pas à être vide également et elle allait se retrouver dans le noir ! Heureusement, la luminosité du ciel retrouvait doucement sa normalité et la puissance de la pluie diminuait rapidement. Dans son malheur, elle avait tout de même une certaine chance, si elle avait dû se retrouver dans le noir sous l’orage, elle n’y aurait pas résisté !

    La pluie ayant fini par cesser, elle s’apprêtait à sortir pour examiner sa situation, quand il lui sembla apercevoir une chose en mouvement, derrière le rideau que faisaient les branches encombrant la route devant elle. La clarté n’était pas encore suffisante pour qu’elle puisse distinguer la nature exacte de cette sorte d’ombre. Légèrement apeurée, elle décida de rester encore enfermée dans sa voiture dont elle vérifia que toutes les portières étaient bien verrouillées de l’intérieur. Quelque animal probablement, un sanglier ou un chevreuil, il ne devait pas en manquer dans une région aussi désertée par les populations.

    Bien que le vent ait complètement cessé, les branches empilées sur la route étaient remuées dans tous les sens et semblaient voler dans l’espace pour atterrir sur les bas-côtés. Et soudain, elle vit la cause de ce remue-ménage !

    2

    Philippe Gibaud habitait dans une très vieille maison perdue en pleine forêt, complètement au sud de la Creuse. Ce n’était ni un village ni même un hameau, mais une maison seule, loin de tout, loin de la civilisation. Cet homme de trente-cinq ans vivait là en compagnie de son grand-père Ernest, âgé de plus de quatre-vingt-dix ans et pratiquement impotent. De quoi vivaient-ils ? Ceux qui par mégarde les rencontraient auraient été bien incapables de le dire. Les quelques personnes du bourg le plus proche, « La Vallade », éloigné tout de même de plus de dix kilomètres à vol d’oiseau, avec lesquelles ils avaient de temps à autre des contacts, auraient pu dire qu’ils végétaient en se contentant de l’autarcie que leur procuraient leur jardin et leurs volailles. Il restait également une douzaine de moutons totalement abandonnés à eux-mêmes et qui se nourrissaient dans les parties non boisées de ce qui avait été jadis une belle propriété.

    Il fallait en effet remonter à plusieurs générations, c’est-à-dire aux parents du grand-père Ernest, pour retrouver une famille d’agriculteurs responsables qui faisaient fructifier les quelque vingt hectares de bonne terre perdus au beau milieu des bois. À son retour de la Grande Guerre, celle de quatorze, Ernest Gibaud, comme certainement beaucoup d’autres qui avaient vécu l’enfer, ne parvint pas à se réinsérer dans la société. Il passait ses journées muré dans un silence inquiétant, enfermé dans ce qui lui servait de chambre, ou bien alors en pleine nature. Il lui arrivait de ne pas rentrer chez ses parents pendant plusieurs jours. Pour tenter de le sortir de son mutisme, ils tentèrent tout ce qui leur parut possible, sans résultat ! En désespoir de cause, ils décidèrent de le marier, en espérant un choc qui lui redonnerait l’envie de vivre. À cette époque, il y avait, pas très loin de chez eux, une autre ferme en activité. Les Quichaud avaient une fille du même âge qu’Ernest, une pauvre fille, pas très intelligente et surtout pas très belle. Petite, grosse, elle avait un visage simiesque qui faisait reculer les prétendants éventuels. En plus, elle ne voyait pas très clair et portait de grosses lunettes aux verres très épais qui lui donnaient l’allure d’une martienne !

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