L’homme que j’ai aimé
Laurette déposa la soupière fumante sur le dessous-de-plat, prit l’assiette de Marius, installé de l’autre côté de la table, et la remplit. Dès qu’elle l’eut placée devant lui, il y plongea sa cuillère tout en poursuivant la lecture de son magazine. Elle s’assit et entre deux cuillérées de potage, se mit à observer son époux à la dérobée. En dix ans de mariage, Marius n’avait pas vraiment changé. Le temps n’avait pas encore saupoudré de sel l’encre de ses cheveux ; à peine avait-il sillonné de rides son visage hâlé. Oui, il avait conservé intact ce charme qui l’avait conquise au premier regard. Aujourd’hui encore, à l’aube de la quarantaine, elle le trouvait toujours aussi séduisant. Surtout quand il lui adressait ce merveilleux sourire dont elle ne se lassait pas mais qui, hélas ! s’était fait de plus en plus rare, de mois en mois, d’année en année. Il semblait avoir disparu avec ses ambitions professionnelles. En effet, depuis que Marius avait obtenu un poste de directeur commercial, trois ans auparavant, et qu’il s’était vu confier des clients et des projets plus importants, ses journées tournaient désormais autour de son travail. Il n’avait plus le temps de rien, pas même de sourire ni de profiter de l’existence. Il avait revêtu un costume d’homme sérieux, obnubilé par sa carrière.
Bien sûr, Laurette l’avait félicité pour cette promotion mais dans le secret de son cœur, elle aurait préféré que rien ne change. À ses yeux, l’existence qu’ils menaient suffisait à son bonheur. Pourquoi vouloir toujours plus quand on possède déjà l’essentiel ? Apparemment, l’essentiel ne suffisait pas à Marius. Il voulait être le premier, le meilleur. Celui que ses collègues admireraient, celui que ses supérieurs encenseraient. Maintenant qu’il avait obtenu le poste qu’il convoitait, il allait leur démontrer à tous sa vraie valeur ! Même si pour y parvenir, il devait accumuler les horaires à rallonge et les nombreux déplacements à l’étranger.
– Avec le salaire que je vais toucher, tu vas pouvoir envoyer promener ton boulot de traductrice sous-payé, avait-il proclamé avec fierté. Tu pourras rester à la maison et faire ce qu’il te plaît.
– Pourquoi devrais-je quitter un travail que j’aime ? avait protesté Laurette. C’est hors de question.
Il avait haussé les épaules.
– Comme tu voudras. En tout cas, une chose est sûre, cette fois, j’aurai les moyens de t’emmener en Inde, voir le Taj Mahal ! s’était-il exclamé. Tu vas réaliser ton rêve de petite fille. Je te promets qu’on ira là-bas avant la fin de l’année.
Mais l’enthousiasme et les projets de Marius n’avaient pas suffi à calmer les craintes de Laurette. La suite des événements lui donna malheureusement raison.
Ainsi l’année s’était écoulée sans qu’il tienne sa promesse, sans même y refaire la moindre allusion.
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