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Les LES ENFANTS DE LA COLLINE
Les LES ENFANTS DE LA COLLINE
Les LES ENFANTS DE LA COLLINE
Livre électronique332 pages4 heures

Les LES ENFANTS DE LA COLLINE

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À propos de ce livre électronique

Montréal, 1835
À dix-sept ans, Joana Desrosiers s’éprend du jardinier de son père, un Irlandais sans le sou, qu’elle épouse en secret. Reniée par sa famille fortunée et par la bonne société, elle se résigne à quitter la métropole. Avec son mari, Alex Farrell, elle s’installe à la campagne, sur une ferme délabrée. Hors du cocon de soie dans lequel elle a grandi, la jeune femme se sent vite démunie. Pas un seul instant, cependant, elle n’éprouve de regrets. Au coeur du décor enchanteur où il a élu domicile, le couple trime dur en vue de se bâtir un avenir confortable, demeurant soudé malgré l’adversité. Tandis que les saisons défilent, Joana met au monde quatre adorables enfants. Mais voilà qu’un grave accident et une longue maladie affectent cruellement le bonheur du clan. Éliane, Danny, Patricia et Florence n’auront alors d’autre choix que de monter à bord du chariot qui les conduira à l’orphelinat, où ils seront bientôt contraints d’emprunter des chemins distincts. Heureusement, l’aînée gardera toujours en tête cette promesse faite à sa mère : si jamais les enfants de la colline étaient dispersés, elle ferait tout en son pouvoir pour les retrouver…
LangueFrançais
Date de sortie24 avr. 2024
ISBN9782898043536
Les LES ENFANTS DE LA COLLINE

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    Aperçu du livre

    Les LES ENFANTS DE LA COLLINE - Jacynthe-Mona Fournier

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales

    du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre : Les enfants de la colline / Jacynthe-Mona Fournier

    Nom : Fournier, Jacynthe-Mona, 1951- , auteure

    Identifiants : Canadiana 20230083935 | ISBN 9782898043536

    Classification : LCC PS8611.O8733 E54 2024 | CDD C843/.6–dc23

    © 2024 Les éditions JCL

    Illustration de la couverture : Jocelyne Bouchard

    Les éditions JCL bénéficient du soutien financier de la SODEC

    et du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec.

    Édition 

    LES ÉDITIONS JCL

    editionsjcl.com

    Distribution au Canada et aux États-Unis

    MESSAGERIES ADP

    messageries-adp.com

    Distribution en France et autres pays européens 

    DNM

    librairieduquebec.fr

    Distribution en Suisse 

    SERVIDIS

    servidis.ch

    Imprimé au Canada

    Dépôt légal : 2024

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives Canada

    Bibliothèque nationale de France

    De la même auteure

    aux Éditions JCL

    Si un jour tu reviens, 2023

    Au fil de l’espoir, 2023

    Des horizons infinis, 2022

    Ces gens du fleuve, 2022

    Les préludes du bonheur, 2021

    À l’aube des grands jours, 2020

    À ma famille et à mes amis

    À mon amour, Serge

    JOANA ET ALEX

    1

    Montréal, 1835

    Debout devant la lourde porte de bois sombre du bureau de son père, la jeune fille avala péniblement sa salive, tentant de faire glisser la boule d’angoisse qui lui serrait la gorge. Prenant une profonde inspiration qu’elle retint, elle frappa doucement.

    — Entre, ordonna-t-il d’un ton sec où pointait la colère. Tu es en retard, comme d’habitude. Je t’avais pourtant avertie que je voulais te voir dans ce bureau à deux heures précises.

    Elle l’entendit en poussant la porte et pénétra dans le bureau. Son père se tenait debout devant la fenêtre, les mains croisées derrière le dos. Pour la première fois, elle remarqua à quel point il n’était pas très grand, lui qui semblait toujours la dominer lorsqu’il s’adressait à elle.

    — Je t’attendais, Joana Desrosiers, commença-t-il d’une voix sévère en se retournant vers elle. Ou plutôt devrais-je dire « Joana Farrell » puisque tu as épousé cet homme et que tu portes son nom maintenant.

    Il s’approcha de sa fille, qui eut un mouvement de recul devant le visage rougi par la colère qu’il affichait.

    — Comment oses-tu déshonorer ta famille de cette façon et épouser un Irlandais sans le sou qui, de plus, n’est qu’un jardinier ?

    Il appuya ses paroles en frappant du plat de la main la surface de son bureau, ce qui fit sursauter la jeune fille.

    — Père, essayez de comprendre. Alex et moi, nous nous aimons et…

    Il s’empressa de lui couper la parole :

    — Qu’est-ce que tu connais à l’amour ? Hein ? Rien ! Tu n’as que dix-sept ans. Tu vas voir, tu vas vite déchanter. Si tu avais accepté d’épouser Colin Murray, comme il se devait, ta mère et moi, nous ne serions pas la risée de la ville de Montréal. Mais comme tu as encore une fois décidé de n’en faire qu’à ta tête, je ne veux plus te voir dans cette maison et je ne veux plus jamais entendre parler de toi. Tu m’as compris ?

    La jeune fille baissa la tête, croyant à peine ce qu’elle venait d’entendre, mais elle la releva aussitôt, défiant du regard l’homme qui se dressait devant elle.

    — Oui, père, répondit-elle d’une voix tremblante. Je vous ai bien compris et, pour une fois, je vais vous obéir, vous n’entendrez plus jamais parler de moi. Le temps de préparer mes bagages et je quitte votre maison.

    — Oh non, ça ne se passera pas comme ça. Tu n’emporteras rien venant d’ici. Tout ce qui se trouve dans ta chambre m’appartient puisque c’est moi qui l’ai payé. Tu vas partir avec les vêtements que tu as sur le dos. Tu as un mari, eh bien, qu’il te fasse vivre. Maintenant, hors de ma vue, petite ingrate. Tu n’es plus ma fille.

    Sans hésiter un instant, Joana se retourna et sortit rapidement du bureau sans même refermer la porte derrière elle. Dans le grand escalier, elle aperçut sa mère qui s’essuyait les yeux avec son mouchoir. Cette dernière n’avait pas levé le petit doigt pour plaider sa cause. Joana ne s’attarda pas, elle dévala les marches, sortit de la maison en coup de vent pour se retrouver sur le trottoir quelques instants plus tard. Heureusement, elle avait de l’argent dans son réticule et elle héla un fiacre pour se rendre quelques rues plus loin chez sa marraine, la sœur de son père.

    Une fois sur place, elle descendit de la voiture, ouvrit la porte en pleurant et se précipita dans les bras de Marie-Thérèse Desrosiers, qui semblait attendre son arrivée.

    — Allons, ma petite fille, ne crois-tu pas qu’il est un peu trop tard pour pleurer ? J’imagine que mon frère a piqué une sainte colère en apprenant la nouvelle.

    Entre deux sanglots, Joana répondit :

    — C’est peu dire. Il m’a jetée dehors et il m’a reniée.

    — Je n’en attendais pas moins de lui. Son orgueil est encore plus blessé que son cœur de père, bien que je doute qu’il en possède un. Allez, sèche tes larmes. Ton mari sera de retour dans quelque temps, ce qui nous permettra d’envisager une solution quant à votre avenir.

    Ils en avaient discuté tous les trois, et le jeune homme avait décidé qu’il devait quitter la ville avec Joana, mais pour aller où ?

    Alex Farrell avait aperçu une annonce dans le journal et était parti de Montréal quelques jours plus tard, après la courte cérémonie de mariage qui avait eu lieu dans la petite chapelle d’un couvent. On offrait à vendre des terres et des fermes situées plus au sud, à l’ouest et au Bas-Canada, ainsi qu’au Manitoba, encore appelé « Terre de Rupert », et même aux États-Unis.

    Alex avait économisé presque tout l’argent qu’il avait gagné jusque-là en travaillant chez les Desrosiers. Depuis son arrivée au Canada, il rêvait de posséder une terre où il pourrait devenir son propre maître, et il ferait tout en son pouvoir pour que ce rêve se réalise un jour. En calculant que deux autres années d’économie lui permettraient d’atteindre son but, il n’avait nullement escompté qu’il tomberait follement amoureux de la fille de son employeur.

    Le jour où il l’avait aperçue la première fois au bras d’un élégant jeune homme dans les jardins de la propriété, il avait eu la certitude qu’il n’aimerait jamais personne autant qu’elle. Vêtue d’une jolie robe de soie verte qui accentuait sa taille fine et coiffée d’un chapeau assorti recouvrant ses boucles auburn, la jeune fille avait capturé son regard. Lorsqu’elle s’était approchée de lui, ses yeux couleur d’océan s’étaient posés sur lui et il avait pu lire dans la profondeur de son regard que leurs âmes venaient de se rencontrer. Elle s’était soudainement arrêtée de marcher et, de ses lèvres entrouvertes, avait inspiré brusquement malgré elle.

    — Qu’y a-t-il, vous sentez-vous bien ? avait demandé son compagnon.

    Elle avait posé une main sur sa poitrine comme pour tenter de calmer son cœur qui tambourinait.

    — Oui, je vais bien. C’est juste que… je viens de me souvenir que ma marraine, tante Marie-Thérèse, m’a demandé quelque chose que j’ai bien peur d’avoir oublié.

    — Dans ce cas, rentrons tout de suite.

    Avec regret, elle avait détaché son regard du jeune homme qui s’occupait de tailler les massifs de fleurs de sa mère. Il avait des cheveux noirs ondulés et des yeux verts, était grand, possédait une large carrure et, ce qui ne gâchait rien au portrait, était très bel homme. Joana ne se rappelait pas l’avoir aperçu auparavant. Peut-être travaillait-il aux écuries ou à l’un des trois hôtels qui appartenaient à son père, ou encore dans l’une des fermes situées à quelques milles d’ici.

    Dans les jours qui avaient suivi, elle avait cherché plusieurs occasions de le revoir, mais il semblait l’éviter et trouvait toujours le moyen de s’éloigner d’elle lorsqu’il l’apercevait. Il tenait à cet emploi, et l’attention que lui porterait la fille de la maison pourrait lui compliquer la vie. Pourtant, il mourait d’envie de la voir de plus près, d’entendre sa voix, de respirer le parfum léger qu’elle dégageait. Joana, devant satisfaire sa curiosité, avait demandé à sa mère d’un ton léger :

    — Mère, avez-vous engagé un nouveau jardinier ? J’ai cru apercevoir un jeune homme qui taillait vos arbustes il y a quelques jours.

    — Depuis quand t’intéresses-tu aux employés ? s’était interposé Frédérik Desrosiers en se tournant vers sa fille. Est-ce que cet Irlandais t’aurait manqué de respect ?

    — Mais non, père, j’étais tout simplement curieuse, car il me semble que les arbustes de maman n’ont pas eu cette belle allure depuis longtemps.

    — Alex Farrell travaille pour moi depuis cinq ans. Il était employé à la ferme, et ta mère avait besoin d’un nouveau jardinier parce que ses rosiers dépérissaient depuis le décès de Calvin, qui s’est toujours très bien occupé du jardin.

    Heureuse d’en apprendre un peu plus sur l’homme qui occupait ses pensées, Joana s’était dit qu’elle profiterait de l’absence de ses parents pour tenter de faire la connaissance de l’Irlandais. Alex, se répétait-elle de plus en plus souvent dans sa tête.

    Pendant quelques jours, elle l’avait discrètement épié de la fenêtre de sa chambre. Lorsqu’il se sentait observé, il regardait autour de lui et levait parfois les yeux vers les fenêtres du second étage de la grande maison, mais Joana reculait alors à l’abri des rideaux pour qu’il ne l’aperçoive pas, gênée de son audace. Une journée où elle se savait enfin seule, elle sortit se promener dans le jardin, mine de rien. Alex n’avait guère été surpris de la voir s’avancer vers lui. Cette fois, il n’avait pas cherché à l’éviter. Il s’était plutôt empressé de couper un bouton de rose pour le lui tendre. En acceptant la fleur, Joana avait plongé ses yeux dans ceux du jardinier, et leur destin était déjà scellé. Malgré les émotions qui l’envahissaient, elle avait murmuré en levant les yeux vers le jeune homme :

    — Merci, ce bouton de rose produira une fleur magnifique.

    — Elle ne sera jamais aussi belle que vous, mademoiselle.

    — Je vous en prie, appelez-moi Joana.

    — Et pour vous, je suis Alex.

    — Maintenant, Alex, j’aimerais bien faire le tour de ce jardin en votre compagnie.

    Avant de l’inviter à le suivre, il avait regardé autour de lui afin de s’assurer que personne ne les observait. Ils marchèrent lentement ensemble pour faire durer ce moment, et Joana écoutait le jardinier, ravie, captivée par sa voix profonde, pen­­­dant que lui admirait cette jeune personne au regard rempli de curiosité. Il prit le temps de lui nommer chaque arbuste et chaque massif de fleurs qui ornaient le sentier du jardin.

    Ce soir-là, ni l’un ni l’autre n’avaient pu s’endormir. Chacun de leur côté, ils avaient revécu en pensée la promenade et les moments merveilleux qu’ils avaient passés ensemble.

    À partir de ce jour, ils avaient multiplié les occasions de se revoir. Joana avait découvert qu’Alex était bien éduqué pour un serviteur puisque ses parents l’avaient fait instruire à l’école du village quand il habitait en Irlande et qu’il avait poursuivi ses études par lui-même en empruntant des bouquins là où il le pouvait. Lorsqu’il lui avait avoué combien il aimait la lecture, elle lui avait promis de lui prêter quelques livres à condition qu’ils discutent ensemble de leur contenu.

    Rapidement, l’amour qui avait pris naissance entre eux était devenu si profond qu’il l’avait emporté sur leurs conditions sociales bien différentes. Alex savait que Joana était promise depuis toujours au fils d’un banquier, ami de M. Desrosiers. Il savait aussi qu’elle ne souhaitait pas ce mariage et ferait tout ce qui serait en son pouvoir pour l’éviter. Cependant, c’était son père qui décidait de tout, et elle lui devait obéissance.

    Quelque temps plus tard, lorsque les deux familles s’étaient entendues sur la date du mariage, Joana avait décidé qu’il était temps d’agir. Cette nuit-là, elle s’était échappée discrètement de la maison pour courir rejoindre Alex dans la petite pièce qu’il occupait près des écuries.

    — Alex, ouvre-moi, vite ! avait-elle lancé en tambourinant à sa porte.

    — Joana, voyons, qu’est-ce qui se passe ? avait-il réagi, sur­­­pris par la présence de la jeune fille à cette heure tardive.

    — Ce soir, les Murray sont venus souper à la maison et ils ont décidé de la date de mon mariage avec Colin. Je l’ignorais, mais les préparations sont déjà en cours pour que tout soit prêt dans six semaines.

    — Oh Seigneur ! avait-il lancé en se passant la main dans les cheveux. Joana, écoute-moi bien, présentement, tu es trop énervée pour réfléchir calmement. Nous allons prendre quelques jours pour trouver une solution. Pour l’instant, retourne vite chez toi avant que quelqu’un s’aperçoive que tu es venue ici.

    Il avait déposé un rapide baiser sur les lèvres de la jeune fille avant de refermer la porte sur elle. Il avait monté la flamme de la lampe à l’huile et sorti une petite boîte dissimulée sous son lit. Il avait compté et recompté l’argent qui s’y trouvait et qu’il épargnait depuis longtemps. En réalisant que ce n’était pas suffisant pour mettre en œuvre son projet d’avenir avec Joana, il avait secoué la tête de découragement. Tout au fond de la boîte se trouvaient quelques souvenirs de sa famille. Un collier en or orné de petites pierres, des boucles d’oreilles qui avaient appartenu à sa grand-mère et les alliances de sa mère. Peut-être obtiendrait-il un bon prix pour l’ensemble ; cependant, il conserverait le jonc et la bague de sa mère.

    Le lendemain, lorsqu’elle était parvenue à échapper à la surveillance de la maisonnée, Joana avait aussitôt rejoint le jeune homme dans la petite cabane où étaient rangés les outils de jardinage.

    — Alex, mon amour, si tu savais comme je suis inquiète ! Emmène-moi loin d’ici, je t’en prie, l’avait-elle supplié.

    — Calme-toi, ma chérie, nous ne gagnerons rien à nous énerver et à agir sans penser à nos actes. Écoute d’abord ce que j’ai à te confier. Je possède un peu d’argent, que j’ai ramassé au fil des années, et j’ai hérité du collier de ma grand-mère que je pourrais vendre. En plus de ce que je possède déjà, ce serait peut-être suffisant pour planifier quelque chose. Nous ne pouvons pas nous enfuir sans un sou en poche ; nous n’irions pas loin et les conséquences seraient terribles si on nous rattrapait. On m’accuserait sans aucun doute de t’avoir enlevée, même si tu affirmais le contraire. D’abord, Joana, je veux te demander une chose : accepterais-tu de devenir la femme d’un pauvre Irlandais ?

    — Oh, Alex ! Oui, oui c’est mon plus cher désir.

    — Je veux quand même que tu réfléchisses aux conséquen­ces qui découleront directement de cette décision.

    — C’est tout réfléchi, et ma marraine, la sœur de mon père, à qui j’ai envoyé un mot d’explication, a déjà promis de nous aider.

    — Je vais m’occuper de trouver un prêtre qui acceptera de nous marier en vitesse sans poser trop de questions. Il te faudra apporter les papiers nécessaires. J’ai déjà les miens et, demain, comme j’ai mon après-midi du mois, j’en profiterai pour tout organiser.

    — Qu’est-ce que je peux faire de mon côté ?

    — Garde tout l’argent que tu as sur toi et tout autre objet que tu juges de valeur. Ça nous sera certainement utile puisque je ne sais pas combien je tirerai de la vente des bijoux. Peut-être que ta marraine acceptera aussi de nous aider davantage quand elle saura que nous sommes mariés.

    2

    Une semaine après s’être installée chez sa marraine, Joana vit s’arrêter un chariot devant la maison. Des serviteurs en descendirent et s’empressèrent de décharger trois grands coffres qu’ils laissèrent sur le seuil de la porte avec une lettre qui lui était adressée. La jeune fille reconnut tout de suite l’écriture de sa mère.

    Malgré l’interdiction de M. Desrosiers, sa mère lui avait fait parvenir ses vêtements et ses objets personnels. La bourse bien garnie qui accompagnait la lettre arracha à Joana un cri empreint de surprise et de joie. Cependant, la jeune fille réalisa que la missive de sa mère avait été écrite à la hâte et, probablement, à l’insu de son père. Sa mère lui souhaitait bonne chance et regrettait le choix de son unique enfant. Consciente que sa fille n’aurait plus sa place dans la bonne société, qui serait scandalisée par son geste, elle n’exprima pas le désir de la revoir. Joana replia la lettre. Elle était désolée pour ses parents, et surtout navrée de les avoir déçus, mais elle ne regrettait pas sa décision.

    Pendant tout le temps où Joana attendait des nouvelles d’Alex, qui l’avait quittée à peine quelques jours après la noce, sa tante lui avait fortement conseillé d’apprendre à faire la cuisine. Mme Auger, la cuisinière de la maison, lui passa un tablier et lui enseigna les rudiments d’une science dont la jeune fille était tout à fait ignorante. Par la suite, Joana apprit à s’acquitter de la lessive et d’autres tâches ménagères. Jamais elle n’aurait pu imaginer à quel point tout ce travail était éreintant. Elle se souvenait de toute l’eau chaude que les servantes montaient à sa chambre et déversaient dans son bain, qu’elle devait maintenant remplir par elle-même. Elle devait commencer à prendre soin d’elle et de son mari sans l’aide de personne, mais elle craignait de ne pas y arriver.

    Mme Auger emmena au marché Joana, qui ne savait aucunement comment choisir les aliments ni comment évaluer leur prix. La jeune fille suivit la dame pas à pas en l’écoutant marchander et s’amusa beaucoup de ses mimiques outrées devant certains étals. Durant quelques jours, Joana profita des connaissances de cette cuisinière chevronnée.

    Elle avait tant à apprendre et si peu de temps devant elle pour tout mettre en pratique. Mais pas un seul instant elle ne ressentit de regrets. Joana réalisait que, jusqu’à ce qu’elle ren­contre Alex, elle n’avait fait qu’exister. Maintenant, c’était la vraie vie qui commençait et elle voulait en profiter pleinement. Un peu craintive, elle découvrait tant de choses nouvelles et, grâce à Alex, un autre monde, loin du cocon de soie dans lequel elle avait grandi, s’ouvrait à elle. Elle savait que ce monde serait rempli de bonheur pour eux.

    * * *

    Dans les semaines qui suivirent le départ de son mari, Joana fit le tri de ses vêtements avec sa tante. La jeune fille réalisa rapidement qu’aucune des robes qu’elle possédait ne conviendrait à une vie à la ferme. C’en était terminé des bals et des réceptions ; cependant, Joana en conserva quelques-unes pour d’éventuelles occasions spéciales et pour le tissu qui pourrait être utilisé à d’autres fins. Guidée par une couturière engagée par Marie-Thérèse, elle confectionna de simples robes de coton aux couleurs sobres. Les jupons, chemises, jupes et corsages suivirent, et ceux-ci n’étaient plus ornés de dentelle fine. Elle conserva quand même la jolie lingerie que sa mère lui avait fait parvenir. Même si ses nouvelles activités l’accaparaient, elle avait beaucoup de temps pour s’ennuyer de son mari. Chaque soir, elle s’endormait épuisée, mais heureuse et, dès qu’elle posait la tête sur son oreiller, ses pensées s’envolaient vers Alex.

    Plus d’un mois après le départ de son mari, elle reçut finalement une courte lettre dans laquelle Alex annonçait son retour à une date prochaine. Ce n’est que plusieurs jours plus tard qu’elle l’aperçut descendre d’un fiacre. N’y tenant plus et oubliant les convenances, elle courut se jeter dans ses bras.

    — Joana, comme tu m’as manqué ! avoua-t-il en l’éloignant de lui pour la regarder après l’avoir serrée dans ses bras.

    — Et tu m’as manqué tout autant. Maintenant, viens vite, ma tante nous attend. J’ai hâte que tu me racontes ton voyage. As-tu trouvé ce que tu cherchais ?

    Alex fit un geste évasif de la main, mais la lueur amusée et taquine dans son regard ne put échapper à sa jeune épouse.

    — Nous en discuterons plus tard. Pour l’instant, j’ai surtout besoin d’un bain et de vêtements propres, avoua-t-il en lui baisant la main.

    Après un bon repas cuisiné en partie par elle, Joana invita sa tante et son mari à passer au salon.

    — Cesse de nous faire languir et raconte-nous ce que tu as découvert, insista Joana, qui n’en pouvait plus d’attendre.

    — Quand j’ai répondu à cette annonce dans le journal, je ne me faisais pas d’idées. Je craignais que quelqu’un d’autre m’ait déjà précédé. Le prix n’étant pas très élevé, je m’attendais au pire au sujet de cet endroit. Il faut croire à la chance parce que nous sommes maintenant propriétaires d’une petite ferme située au Bas-Canada, dans le comté de Midland. Elle se trouve à plusieurs milles de la ville de Toronto, qu’on appelait York jusqu’à l’année dernière.

    Alex marqua une pause pour observer Joana, dont les yeux étaient agrandis par la surprise et la joie, puis continua :

    — Il y a déjà une maison sur la terre, mais comme elle est à l’abandon depuis quelques années, il va nous falloir tout réparer et la remettre en état pour la rendre habitable. J’ignore combien de temps ça prendra, mais nous y arriverons. En attendant, il existe une maisonnette tout près, et c’est là que nous habiterons.

    Joana battit des mains comme l’enfant qu’elle était encore, l’enthousiasme se lisant clairement sur son visage.

    Marie-Thérèse regardait sa filleule. Comme elle est jeune ! se dit-elle. Elle croit vivre une grande aventure, mais la réalité la rattrapera avant longtemps. Heureusement qu’Alex était un homme mature sur qui Joana pourrait toujours compter. Mais la dame savait que l’apprentissage, même avec la meilleure des volontés, serait souvent pénible pour sa filleule qui avait toujours vécu entourée de confort et servie par les employés de la maison Desrosiers. Comme la jeune fille était ignorante des choses de la vie, Marie-Thérèse, avec patience et délicatesse, l’avait renseignée et lui avait expliqué certains mystères.

    Il leur fallut encore plus de deux semaines avant que ne tout soit prêt. Plusieurs fois par jour, Joana posait les mêmes questions à Alex, qui y répondait patiemment, comprenant la fébrilité qui habitait sa jeune épouse. Le besoin qu’elle avait d’être rassurée l’émouvait, et il faisait son possible pour lui expliquer que tout ne serait pas rose là où ils se rendaient. Leur vie serait différente, mais il savait qu’ils s’habitueraient à ce changement. Alex avait conscience qu’il recommençait à zéro, mais cette fois, il le faisait avec la femme qu’il aimait et il croyait

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