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La Ferme des Combes: Un roman de terroir bouleversant
La Ferme des Combes: Un roman de terroir bouleversant
La Ferme des Combes: Un roman de terroir bouleversant
Livre électronique292 pages4 heures

La Ferme des Combes: Un roman de terroir bouleversant

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À propos de ce livre électronique

La nature détient parfois le secret des grandes vérités...

À sept ans, Jacques quitte la région parisienne et l’institution religieuse où est décédée sa maman. Il est placé comme commis, à la ferme des Combes, dans une campagne reculée où les dernières meutes de loups vivent encore à l’état sauvage. Il devient un enfant égaré dans la vie des autres. Il garde le troupeau de moutons de Marcel et de Geneviève Dufour qui se sont enfermés dans un silence douloureux et pesant depuis qu’un bonheur familial s’est enfui un soir d’orage. Face à ce garçon attachant, d’un caractère doux et généreux, qui tend toujours la main aux autres, mais que la vie s’ingénie à meurtrir, ils déverseront tout l’amour et la tendresse qui sommeillent en eux. Ce nouveau foyer sera-t-il suffisant pour permettre à Jacques de se reconstruire ?
Le chemin sera semé d’embûches. Il demeure aux yeux du plus grand nombre un drôle qui n’a rien à lui, pas plus de biens que de passé, un champi qui n’a rien fait, mais que personne n’aime. Mais heureusement il y a Marie, avec ses beaux yeux noisette, et Fernand, le forgeron respecté de tous, qui prendra Jacques sous son aile.

Une belle histoire haletante et poignante, peuplée de personnages attachants et hauts en couleurs. Un roman à ne pas manquer !

EXTRAIT

Paris 1904
La rue grouillait de grandes personnes et Jacques rasait les murs. Il avançait tête baissée pour éviter les regards de reproche que sa tenue pouvait susciter chez les autres. Avec ses petites mains, il tentait de coller sur lui les lambeaux de sa chemise. Il entendait déjà sa mère, Mauricette, se mettre en colère :
— Décidément, tu as le diable dans la peau ; tu crois que j’ai que ça à faire, raccommoder tes habits ?
Jacques savait déjà qu’il se défendrait, expliquerait qu’il n’y était pour rien, mais en voyant les cernes marquer le joli visage de sa maman il promettrait une nouvelle fois de ne pas recommencer.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Jean-Paul Romain-Ringuier nous donne ici une belle histoire haletante et poignante, peuplée de personnages attachants, fort bien typés, au coeur d'une nature paisible et profonde qui détient parfois le secret des grandes vérités. - albona, Babelio

Petite histoire simple et sympa qui se déroule au début des années 1900. Sans prétention et sans surprise mais très agréable à lire, un petit retour dans le passé agréable. -     
whynotgrove, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

S’inspirant de son étonnant parcours de vie, Jean-Paul Romain-Ringuier signe de savoureux romans de terroir qui ne laissent jamais le dernier mot au malheur mais toujours à la vie. Ses histoires sont peuplées de personnages souvent désespérants mais toujours attachants, dont les épopées individuelles se croisent dans la grande écume des petites ambitions. La Ferme des Combes a reçu le prix Panazô 2012.
LangueFrançais
ÉditeurLucien Souny
Date de sortie1 déc. 2016
ISBN9782848865898
La Ferme des Combes: Un roman de terroir bouleversant

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    La Ferme des Combes - Jean-Paul Romain-Ringuier

    I

    Paris 1904

    La rue grouillait de grandes personnes et Jacques rasait les murs. Il avançait tête baissée pour éviter les regards de reproche que sa tenue pouvait susciter chez les autres. Avec ses petites mains, il tentait de coller sur lui les lambeaux de sa chemise. Il entendait déjà sa mère, Mauricette, se mettre en colère :

    — Décidément, tu as le diable dans la peau ; tu crois que j’ai que ça à faire, raccommoder tes habits ?

    Jacques savait déjà qu’il se défendrait, expliquerait qu’il n’y était pour rien, mais en voyant les cernes marquer le joli visage de sa maman il promettrait une nouvelle fois de ne pas recommencer. Pourtant, jamais il ne cherchait querelle à qui que ce soit, bien au contraire, mais, sans bien comprendre pourquoi, il était devenu le souffre-douleur d’une partie de la classe. Ce n’était pas faute de se tenir à l’écart ou de ne pas répondre aux railleries de ses petits coreligionnaires. Tout se déroulait toujours de la même façon : à la récréation du soir, les gosses énervés l’entouraient, le bousculaient, le rejetaient de l’un à l’autre. Heureusement, la plupart du temps, le gros Roland, qui jouait dans un autre coin, intervenait pour empêcher que ça dégénère. Non qu’il fût vraiment son copain, mais il était presque voisin avec Jacques et vivait lui-même dans des conditions difficiles. Son père faisait les marchés et au moins une fois par semaine Roland manquait l’école pour donner un coup de main à son paternel. Evidemment, c’était toujours ce jour-là que la bousculade dégénérait. Jacques avait beau se défendre, ses frusques déjà élimées et maintes fois ravaudées ne résistaient pas longtemps à la hargne de ceux qui s’acharnaient sur sa pauvre veste et sur sa chemise. Et, dès que le ventre et les côtes de Jacques apparaissaient sous les morceaux d’étoffe, les rires éclataient et la bousculade reprenait de plus belle. C’était seulement alors que le maître apparaissait. On aurait dit qu’il faisait exprès d’attendre qu’il soit à moitié dépenaillé ! Il est vrai que cet homme au visage sec comme un coup de fouet ne lui avait jamais manifesté une amitié démesurée.

    En effet, dès son premier jour de classe, Jacques, que l’instituteur n’appelait jamais par son prénom mais qu’il avait baptisé le « surnombre », s’était retrouvé au fond de la classe. Son décor ? Une chaise d’enfant et un pupitre bancal, l’ensemble disposé contre une porte toujours fermée sur laquelle était accrochée, suprême parure, une grande carte de France. C’était de ce coin oublié que le gosse écoutait, quand l’envie le prenait, les explications du maître. A l’occasion, les Gaulois aux moustaches d’acier et au regard en bataille répétaient l’alphabet tandis que les Huns additionnaient les chiffres, comme des saligauds. C’était tout bonnement idiot. Il ne comprenait pas l’intérêt d’apprendre tout ça, pas plus que l’état d’esprit de ceux qui levaient la main pour obtenir des bons points. Lui, il avait la paix : personne ne l’interrogeait ou même ne s’inquiétait de sa présence. Heureusement, de temps à autre, l’enseignant racontait une histoire qui accompagnerait Jacques dans la soirée et la nuit suivante. Elle lui ferait un peu oublier le monde dans lequel il vivait. Il voguerait dans un pays de ciel bleu où les gens souriaient, parlaient d’amitié, bien loin de la grisaille qui l’entourait.

    — Peut pas faire attention !

    — Pardon, monsieur.

    Depuis qu’il balbutiait, Jacques savait que la politesse était la seule richesse qu’il possédait. La seule manière d’échapper ou d’atténuer la colère des autres. Instinctivement, il s’était écarté de l’homme en bleu de travail, qui s’éloignait déjà. Il regarda autour de lui pour éviter de déclencher la foudre d’un autre adulte, mais la rue aux murs lépreux était maintenant presque déserte. Il remarqua l’échoppe du sabotier, où se reflétait matin et soir la lumière d’une chandelle, et se rappela que l’impasse dans laquelle il vivait prenait naissance cinquante mètres plus loin. Deux alignements de bâtiments qui s’épaulaient sur trois ou quatre niveaux et se faisaient face de telle manière que seul le soleil de juillet et d’août, qui grimpait haut dans le ciel, y réussissait de timides incursions.

    Il habitait là avec sa mère depuis deux ans. Ils avaient quitté une rue terne et poussiéreuse pour gagner cette impasse blafarde. Pour arriver chez lui, il fallait passer sous une porte cochère et gagner une maison bâtie au fond d’une courette. Les murs, percés de petites fenêtres, étaient couverts de poussière. Les résidus de l’usine d’à côté dont la cheminée crachait nuit et jour un nuage blanchâtre. C’était là que sa mère s’échinait douze heures chaque jour. Il ne savait pas très bien ce qu’elle faisait, mais, quand elle rentrait, elle toussait encore plus que le matin et son visage s’était encore creusé. Chaque soir, elle ramenait un bout de pain, des pommes ou d’autres menus achats qui leur tenaient lieu de repas du soir. Parfois, madame Cloadec, la voisine du premier, une brave Bretonne exilée loin de ses terres, leur montait une soupe chaude où nageaient des légumes. A cette occasion, elle s’entretenait un moment avec Mauricette, lui apportait un peu de réconfort, la rassurait. Elle avait l’art et la manière d’expliquer qu’après les épreuves le ciel se montrait toujours plus clément.

    — Vous savez, Mauricette, ici-bas tout le monde porte sa croix. Simplement, elle ne pèse pas le même poids pour tous. Tenez, moi, par exemple…

    Elle trouvait toujours un exemple, façon de malheur tombé sur elle, qu’elle avait retourné en sa faveur à force de patience. Ça sentait le réchauffé, mais en l’écoutant Mauricette retrouvait une sorte d’entrain et c’était bien le principal. Parfois, elle les quittait en proposant de garder Jacques le jeudi suivant où il n’y avait pas classe. C’était vraiment une brave femme.

    — Tu vas voir si je te rattrape… maudit voleur !

    Surpris, Jacques qui montait l’escalier, en se tenant à la rambarde en fer, eut juste le temps de s’écarter pour laisser passer le chat qui filait, ventre à terre, sans demander son reste. Au-dessus de lui, au troisième, la porte venait de claquer. La mère Pallembert était rentrée. Costaude comme un homme, la matrone se baladait souvent un mégot aux lèvres, et gare à ceux qui la dérangeaient : elle avait la main leste ! Son visage gras était marqué du sceau de la vulgarité. A cette heure, Jacques savait que la Pallembert guettait derrière la porte l’arrivée d’un de ses « visiteurs », ainsi que les appelait madame Cloadec avec un geste de dédain. Pour éviter de se faire remarquer, Jacques ouvrit sans bruit la porte du deuxième où il habitait avec sa mère.

    Le logement se composait en tout et pour tout d’une grande pièce, où s’alignaient dans un ordre aléatoire un poêle en fonte, une chaise, un buffet, une autre chaise, la table où ils mangeaient et, en retrait de l’unique fenêtre, le lit où il dormait avec sa mère. L’ensemble était sombre avec un plancher maculé de gras qui donnait la réplique à un plafond couleur suie. Seuls les murs, autrefois recouverts d’une couche de peinture verte, apportaient une note de gaieté à l’ensemble.

    Jacques venait de se changer lorsque la porte d’entrée s’ouvrit. Sa mère entra, les yeux mouillés, plus triste encore que d’habitude. En découvrant sa présence, elle tenta un sourire, pour donner le change, mais elle ne put retenir plus longtemps les lourds sanglots accumulés. Elle prit Jacques dans ses bras et le serra très fort contre elle tandis qu’elle bredouillait :

    — Mon pauvre petit, qu’est-ce qu’on va devenir ? Me voilà encore sans travail !

    Elle n’en dit pas plus, secouée par une de ces quintes de toux qui ne la quittaient plus guère. Jacques essaya de la consoler, embrassant les joues mouillées, mais la tristesse qui soulevait la carcasse desséchée semblait sans fin. Heureusement, madame Cloadec eut la bonne idée de venir frapper à la porte ce soir-là. Elle apportait un gros récipient de soupe odorante.

    — Ce n’est pas grand-chose, mais je me suis dit que ça ferait du bien au petit.

    Elle n’ajouta pas que la maigreur de Mauricette l’inquiétait, mais, en découvrant le visage ravagé de sa jeune voisine, elle se douta que de nouveaux événements s’étaient produits. Bientôt, les deux femmes s’attablèrent l’une à côté de l’autre et Mauricette baissa la voix pour se raconter, tandis que la voisine lui tapotait la main affectueusement :

    — Depuis quelque temps, je n’allais plus assez vite. J’arrivais soi-disant en retard, je partais trop tôt. Presque tous les jours, j’essuyais des reproches. Bref, plus rien n’allait et le contremaître a fini par me convoquer dans son bureau…

    A cet instant, elle baissa la voix et jeta un coup d’œil de côté. Jacques fit semblant de s’intéresser à un vieux livre où manquait la moitié des pages et tendit l’oreille pour savoir ce que cachait cette nouvelle catastrophe.

    — Il m’a dit que j’étais encore belle. Que si je savais être compréhensive, la vie serait plus facile pour moi. En même temps, il s’est levé, m’a pris la main de façon insistante ; alors je me suis reculée. Je venais de comprendre ce qu’il voulait. Il fallait que je trouve un prétexte pour lui échapper sans être mise à la porte. Aussi, je lui ai dit qu’il fallait que je réfléchisse, que c’était ma période… tout ce qui me passait par la tête, pourvu que je quitte rapidement son bureau. Ce jour-là, il s’est montré conciliant et, au moment où je sortais, il m’a demandé de faire venir Micheline, ma voisine. Comme je le regardais d’un air étonné, il a éclaté de rire en me toisant :

    — Qu’est-ce que tu crois ? Elle fait moins la mijaurée que toi. Elle au moins a compris où était son intérêt !

    Jacques ne comprenait pas bien de quoi il retournait et ce que pouvait bien vouloir cet homme, mais déjà il le haïssait sans le connaître. Il écouta le reste de la conversation d’une oreille plus distraite. Il apprit ainsi que certaines collègues de sa mère « faisaient des heures supplémentaires », ce à quoi Mauricette n’avait pu se résoudre. Et puis, aujourd’hui, l’homme l’avait bloquée dans un couloir et sa mère s’était dégagée en le giflant. Voilà comment elle se retrouvait sans travail.

    Jacques, qui décidément ne comprenait rien aux histoires de grandes personnes, se dit que, si les gosses de sa classe qui le frappaient étaient virés eux aussi, il ne s’en porterait pas plus mal. Il se surprit même à imaginer la tête du maître s’il le giflait. Mais il baissa instinctivement la tête, la rentra un peu plus dans ses épaules, en envisageant la rouste qui s’ensuivrait.

    — Vous savez, ici à Paris il n’y a pas que de mauvais hommes. Je suis sûr que vous retrouverez de l’ouvrage. De toute façon, c’était un travail bien pénible et vous êtes déjà si fatiguée.

    — Peut-être, mais il nous permettait de payer le loyer et de manger, tandis que maintenant…

    — Allez, ne vous en faites pas, je suis sûre que l’on va trouver une solution. Et puis chez nous on a coutume de dire : « Après la pluie vient le beau temps ! »

    Hélas, malgré la bonne volonté de Mauricette, les solutions n’étaient pas légion et les nuages qui s’amoncelaient cachaient le beau temps espéré. En désespoir de cause, après des journées à tenter sa chance dans des commerces ou de petites fabriques, elle frappa à la porte d’un estaminet pour proposer ses services. Le tenancier allait l’éconduire lorsqu’un jeune homme, bien mis, qui finissait une part de tarte, l’arrêta de la main :

    — Laissez, Michel, vous voyez bien que cette dame à faim.

    Et, il invita Mauricette à s’asseoir face à lui, lui fit servir une part de gâteau et un chocolat chaud. A présent, la mère de Jacques ne quittait pas le regard d’Anselme. Des yeux merveilleusement beaux éclairaient son visage orné d’une moustache finement taillée. Habituée à la laideur journalière, Mauricette ouvrait grand les yeux devant ce rayon de soleil inattendu. Au fur et à mesure que le liquide chaud descendait dans son estomac, une sensation oubliée parcourait son corps. L’impression étrange de respirer de nouveau. Elle ne se fit même pas la remarque qu’elle ne toussait pas depuis de longues minutes. Une étonnante sensation inondait son corps en même temps que la voix douce d’Anselme s’adressait à elle, lui parlait avec une douceur infinie, tellement humaine qu’elle fondait, sous le charme. Elle se sentait si bien en compagnie de cet homme qu’elle se mit à parler librement.

    Pendant près d’une heure, elle raconta ses galères tandis qu’elle mangeait une autre part de tarte apportée discrètement. Elle se dévoila comme si elle le connaissait depuis toujours. Avec lui, elle avait la sensation étrange qu’elle était entre de bonnes mains. Par moments, elle pensait aux paroles de sa voisine du dessous : « Après la pluie vient le beau temps. » Si c’était vrai, après les déluges essuyés depuis des années, l’avenir ne pouvait s’annoncer que radieux. Voilà pourquoi elle contemplait Anselme comme l’astre qui pouvait illuminer la grisaille de sa vie.

    — C’est amusant ! Vous habitez si près d’ici et je ne vous avais jamais remarquée, pourtant d’aussi jolis yeux ne peuvent s’oublier.

    — Oh ! Quand même, surtout attifée comme je suis !

    — Justement, j’ai dans l’idée qu’il ne faudrait pas grand-chose pour vous transformer.

    Anselme se lissa les moustaches et poussa un souffle de surprise, comme si une idée venait soudain de jaillir.

    — Tenez, ce soir, j’avais prévu d’aller retrouver des amis. Si vous étiez d’accord pour m’accompagner, je serais le plus heureux des hommes.

    — Mais c’est que j’ai mon petit Jacques et je ne peux le laisser seul, surtout que j’ai rien prévu pour manger.

    Anselme balaya l’argument d’un geste. Il se leva, prit la main de Mauricette, la monta vers ses lèvres et la couvrit de baisers.

    — Sauriez-vous me faire confiance ? Je veux dire entièrement confiance ?

    Une voix intérieure soufflait à Mauricette de prendre du recul, de réfléchir, mais aussitôt un timbre plus joyeux lui disait : « Profites-en, laisse-toi aller, la chance ne sourit qu’à ceux qui savent la saisir. » Elle croisa les doigts, souffla un grand coup pour calmer la nervosité qui l’étreignait et finit par accepter d’un petit signe de tête.

    — A la bonne heure !

    Anselme fit signe au patron de l’estaminet de mettre les consommations sur sa note et ouvrit la porte pour laisser passer Mauricette.

    — Nous allons chez un tailleur pour dames où j’ai mes habitudes.

    — Et mon fils ?

    — Nous irons le chercher en revenant, il n’y en aura pas pour longtemps.

    Quelques minutes plus tard, ils grimpaient un escalier qui sentait l’aisance et entraient dans un atelier où des petites mains s’appliquaient sur des franges de tissu. Une femme distinguée, entre deux âges, s’avança à leur rencontre. Après avoir salué Anselme et entendu ses suggestions, elle proposa à Mauricette de la suivre dans un grand local où des dizaines d’ensembles chatoyants pendaient sur des portants. La grande femme demanda à Mauricette de se dévêtir :

    — Anselme a parlé d’une tenue légère et d’une veste. Vous allez essayer une ou deux robes et je vais en profiter pour prendre vos mensurations.

    Mauricette, gênée de se dénuder ainsi, devant une étrangère, chercha des yeux un renfoncement, un meuble où s’abriter. Elle trouva refuge derrière le dossier d’un fauteuil. Mais la femme remplissait consciencieusement une fiche, sans plus s’occuper d’elle qu’elle ne l’aurait fait d’un objet. Puis, lorsque sa cliente fut en petite tenue, elle la fit pivoter sur elle-même, lui souleva légèrement les seins et jugea qu’elle serait mieux sans gorgerette¹. Curieusement, Mauricette ne trouva rien à redire. Elle avait l’impression d’être étrangère à tout ce qui se déroulait. Tournée vers le mur du fond, elle enfilait une robe lorsque la porte s’ouvrit discrètement pour livrer le passage à Anselme.

    — Excusez-moi, mais je pensais que l’essayage était terminé.

    Il avait dit ça d’un air embêté. Mais, au lieu de ressortir, il s’approcha de Mauricette tandis qu’il observait les formes de son corps dans les miroirs qui habillaient deux des murs de la pièce. Lorsqu’il fut près d’elle, il ne put résister à l’envie de caresser le galbe d’un sein. Mauricette se sentait prise au piège, mais un piège délicieux qui la fit frissonner. Elle était troublée de sentir la pointe de ses seins se durcir, elle savait bien que les doigts d’Anselme ne pouvaient ignorer son émoi, ce désir qui montait en elle. Elle avait honte de sa conduite, car, elle en était sûre, si Anselme l’avait déshabillée, là maintenant devant cette femme qui les observait à la dérobée, elle se serait laissé faire !

    — Attends, je vais boutonner le dos.

    Les mains masculines s’attardèrent longuement sur le cou gracile, les doigts effleurèrent les épaules, montèrent vers la nuque en une longue caresse. Cette fois encore, la jeune femme fut sur le point de succomber à cet homme. Ce fut lui qui mit fin à ce moment de tendresse exaltée en lui soufflant doucement à l’oreille :

    — Je crois que nous serons mieux tous les deux seuls.

    Mauricette, qui vivait un conte de fées, lui en fut reconnaissante. Et, lorsque quelques instants plus tard elle se retrouva dans la rue au côté de ce bel homme, le vent qui glissait sans contrainte sous sa robe ajoutait encore un peu de piment à la situation. Une manière d’attiser la délicieuse brûlure qui irritait son ventre.

    Hélas, à cet instant, une quinte de toux la secoua ; Anselme essaya de lui tapoter le dos, mais le charme était rompu.

    — Il faut que je passe chez moi prendre du sirop et puis mon petit Jacques m’attend.

    Anselme proposa de l’accompagner, mais Mauricette n’y tenait guère.

    — C’est que… mon logement n’est pas très présentable, ce soir. Demain si vous voulez… j’aurai rangé un peu !

    Ils se quittèrent au début de l’impasse, après que la jeune femme eut promis de rejoindre son bienfaiteur le soir même, vers huit heures.

    Le hasard voulut que madame Cloadec, qui se trouvait en compagnie de Jacques et d’autres enfants du quartier, aperçoive le couple qui se séparait. Elle fronça les sourcils, afin de vérifier que sa vue ne lui jouait pas un tour, puis maugréa dans ses dents :

    — Manquait plus que ça !


    1. ancêtre du soutien-gorge.

    II

    A quelque quatre cents kilomètres de là, Marcel Dufour rendait visite à son beau-frère, Fernand Daucher.

    Fernand était une des personnalités de Braignac, une grosse bourgade de huit mille habitants, située sur les contreforts sud-ouest du Massif central. Maréchal-ferrant, premier adjoint de Taillefer, le maire de la localité, c’était un homme respecté et écouté de tous. Il était bâti tout en force, un peu comme Marcel qui avait épousé sa sœur Geneviève.

    Marcel Dufour, bûcheron de son vrai métier, avait acheté une petite ferme, « Les Combes », située à l’écart des voies de circulation et, depuis trois ans, il pratiquait l’élevage des moutons. Seulement, Geneviève n’arrivait plus à faire face depuis que son dernier petit commis était parti sans prévenir. C’était le quatrième de suite !

    — Pour cette année, on finira comme ça, mais une aide devient indispensable ou alors on arrêtera les brebis. Sans compter que la présence d’une autre personne à demeure ferait du bien à Geneviève. Le problème, je le reconnais, c’est que son caractère est de plus en plus aigri et les candidats ne se bousculent pas ! Je les comprends !

    Fernand baissa la tête, comme chaque fois qu’on faisait allusion à la blessure qui avait marqué sa sœur au fer rouge. Il savait bien que Geneviève ne serait plus jamais comme avant, et, il se doutait qu’avec les années son caractère empirerait. Il fallait toute la bonté de Marcel pour s’en accommoder, et encore ! Il se doutait que ses absences répétées n’étaient pas le fruit du hasard. Comme pour confirmer cette impression, Marcel reprit :

    — Tu comprends, je suis souvent dans les bois, sur des coupes, ici ou là. Alors forcément, même si je m’arrange pour rentrer le plus souvent possible, il arrive que je m’absente trois ou quatre jours de suite. J’ai besoin de ces moments de solitude, mais la ferme en souffre…

    A présent, Fernand laissait parler son beau-frère. Il devinait que, pour être venu le voir en aparté, il devait avoir quelque chose de particulier à formuler. D’ailleurs, Marcel qui ne savait pas comment effectuer sa demande tournait autour du pot et se lançait dans des explications que Fernand connaissait déjà pour les avoir entendues à de multiples reprises : pour bûcheronner, le Jantou, un feuillardier, venait souvent lui donner la main, surtout quand il s’attaquait à de grosses billes ; seulement, à la ferme, Geneviève ne voulait pas que le compagnon franchisse le seuil de la maison : « Il pue pire que le bouc ! » disait-elle. Et il fallait bien reconnaître que l’homme des bois n’était pas précisément porté sur la propreté et que l’odeur qu’il véhiculait en repoussait plus d’un. Aussi, quand il venait aux Combes, il mangeait dans la remise en compagnie de Marcel et, s’il devait passer la nuit, une botte de foin faisait l’affaire.

    — Bref, ça fait quatre jeunes bergers qui s’en vont et je me doute que le prochain ne fera pas plus l’affaire ! Et, si on veut garder un troupeau de moutons, il faut trouver une personne qui accepte de rester.

    Cette fois, Fernand comprit qu’on entrait dans le vif du sujet.

    — J’ai entendu dire que certains organismes plaçaient de pauvres enfants sans parents. Alors je me suis dit que c’était peut-être une solution. Pour le gosse, on serait un peu comme une famille de substitution, et puis qui sait ? Geneviève retrouverait peut-être un peu de sérénité !

    Ça, Fernand n’en était pas sûr du tout, mais ça valait peut-être la peine d’essayer. Seulement, ce n’était sûrement pas aussi simple que ça.

    — Pourquoi pas ? Fais ta demande, la mairie l’appuiera. Seulement, ça risque de prendre du temps et tu ne choisiras pas le gamin sur un almanach : il faudra prendre celui qui viendra !

    — Je m’en doute ! Enfin, fais pour le mieux. Tu sais, Geneviève n’est pas une mauvaise femme, le gosse serait heureux… et moi aussi.

    L’espoir qu’il perçut dans ces derniers mots finit de convaincre Fernand. Et, comme il ne voyait rien d’autre à ajouter, il décida de changer de sujet. Il aborda les thèmes de prédilection de son beau-frère, les arbres et le braconnage, tout en buvant un ou deux verres

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