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Les Nouveaux Gardiens
Les Nouveaux Gardiens
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Livre électronique456 pages7 heures

Les Nouveaux Gardiens

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À propos de ce livre électronique

Au cours du conseil d'administration de la prestigieuse société de smartphones Bluenak, un cadre supérieur, filmé par l'un de ses pairs, se précipite sur l'un de ses collègues et essaie de l'étrangler, comme possédé. Il faudra sept hommes pour le maîtriser avant qu'il ne décède d'une crise cardiaque.

En se rendant en Californie pour enquêter sur une compagnie de biotechnologie, Vick Lempereur ne se doute pas qu'il va devoir affronter le plus redoutable adversaire qui ait jamais croisé son chemin, ni que cette piste va finalement le mener à Bluenak. Pour survivre, une aide aussi bien physique que surnaturelle ne sera pas de trop. Celle des Nouveaux Gardiens, et de leurs compétences très spéciales.

LangueFrançais
ÉditeurAlan Spade
Date de sortie28 oct. 2019
ISBN9781393067795
Les Nouveaux Gardiens
Auteur

Alan Spade

Alan Spade worked for eight years for the press, reviewing video games. In his youth, he acquainted himself with the classic French authors, while immersing himself in the works of H. P. Lovecraft, Isaac Asimov, J. R. R. Tolkien and Stephen King. That wide range of influences is reflected in his style, simultaneously approachable, visually evocative and imaginative. Alan likes to say that "a good book is like a good old pair of shoes: you feel at ease inside, comfortable." The Breath of Aoles is his third book: previously, he wrote a fantasy novel for two years, between 2001 and 2003, but after submitting it to publishers, he decided the story wasn't good enough. He didn't try to publish it anymore. Then he wrote a Science Fiction short stories collection, and then, for six years, The Breath of Aoles.

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    Aperçu du livre

    Les Nouveaux Gardiens - Alan Spade

    1. Réception sur Broadway

    La Chevrolet Camaro faisait entendre le vrombissement de son moteur V8 en se faufilant dans la circulation de la Golden City. Un modèle aussi sportif était évidemment tout sauf adapté à la conduite dans une ville comme San Francisco, mais Ryan Cochrane avait toujours exigé d’avoir du répondant — aussi bien des jouets tel le bolide entre ses doigts que de ses subordonnés. Donnant sur Broadway, la villa d’Allen se situait dans l’un des rares coins de verdure de Russian Hill, à proximité du parc Ina Coolbrith. Les voituriers se relayaient pour prendre en charge les véhicules.

    « Faites-y attention », intima Ryan au Noir à la silhouette menue et aux traits efféminés auquel il remit la clé de contact en même temps qu’un billet de cinquante dollars. L’homme en livrée galonnée réagit en souriant, puis en inclinant la tête.

    Des projecteurs balayaient la devanture, comme si la bâtisse avait voulu clamer qu’elle était le centre de San Francisco ce soir-là. Debout en face du porche coloré, Ryan promena son regard sur la façade style victorien flanquée sur la droite de sa tour ronde, rayonnante de blancheur. Il faisait froid en ce mois de décembre, mais relativement sec. Le vent agitait par intermittence les larges feuilles de palmiers. Des conversations enjouées lui parvenaient, en provenance de couples comme lui en tenue de soirée, pénétrant d’un pas enthousiaste dans le hall d’accueil. Lui ne pouvait se défaire d’un sentiment de malaise. La semaine d’un cadre supérieur d’une entreprise de smartphones comme Bluenak, dont la capitalisation dépassait les 150 milliards de dollars, était la plupart du temps mouvementée, et celle-ci s’était avérée tout particulièrement fiévreuse — et énervante. Malgré tout, le fait qu’il ne puisse se souvenir à quel moment il avait rencontré Allen au milieu de tous ses autres rendez-vous le troublait. Les mots de son ami, pourtant, étaient restés gravés dans sa mémoire. « Je sais que tu vas avoir des ennuis très prochainement. Je donne une petite réception vendredi soir, sur Broadway. Passe me voir. » C’est seulement en recevant confirmation de l’invitation à cette soirée par email que la scène lui était revenue à l’esprit. En dépit de tous ses efforts, la chronologie exacte de cette demande d’entrevue lui échappait, et c’était bien ce qui le chiffonnait.

    Ryan fit résonner le marbre du hall de ses chaussures Valentino à plus de mille dollars. Typique du politicien qu’était Allen, de le convier à ce genre de festivités pour prendre contact. Sa position alliée à sa fortune — son père avait bâti un empire dans le pétrole — en faisaient un homme extrêmement influent. Il avait des yeux et des oreilles un peu partout, mais se savait également observé. Si Allen Fortiler, juge fédéral au Département de la Justice, avait ouvertement reçu Ryan Cochrane, responsable import-export de Bluenak, leur passé commun — leurs études à Harvard, durant lesquelles ils s’étaient rencontrés — n’auraient pas pesé lourd dans l’esprit d’un observateur. Le spectre du conflit d’intérêts aurait d’autant moins pu être ignoré que les entreprises de la Silicon Valley telles Bluenak étaient censées faire l’objet d’une étroite surveillance de la part du gouvernement. La montée en puissance des GAFA, mais aussi les dernières élections présidentielles, avaient amplement fait la preuve que les vrais enjeux de pouvoir s’étaient déplacés vers le numérique.

    Malgré tout le poids de son ami, Ryan n’aurait peut-être pas donné suite à l’invitation, si la veille, Cheryl Clark ne l’avait averti d’un air pincé qu’une réunion extraordinaire du conseil d’administration aurait lieu dès le lundi. Le ton employé, et pire encore, l’absence d’explication de la part de la Directrice des Ressources Humaines avaient fait retentir un signal d’alarme dans son esprit. Lequel signal n’avait fait que s’amplifier au fil des réponses des autres membres du conseil — ses éminents collègues avaient joué la surprise, ou prétendu ne pas en savoir plus que lui. Les bruits de pas que Ryan avait cru percevoir dans la soirée du lundi, dans un moment où il pensait les bureaux de Bluenak déserts, ne cessaient depuis de le tarauder.

    Il avait merdé. Il avait salement merdé ce soir-là, et on allait lui présenter l’addition. Peut-être même plus tôt que dans la journée du lundi. Peut-être même dans les heures qui suivraient. Allen avait beau être un ami, tout cela sentait mauvais.

    Ryan plissa les paupières et serra les lèvres, comme lorsqu’il s’apprêtait à jouer un coup particulièrement délicat au billard — expression fugitive, qu’il remplaça sans tarder par un air badin de circonstance. Il y avait un bureau en bois laqué à la réception, devant lequel les invités présentaient leur smartphone. Ryan sortit le sien, et ouvrit l’email où figurait le flashcode. Tout sourire, l’un des employés aux cheveux grisonnants lui désigna le scanner. L’opération effectuée, l’homme jeta un coup d’œil à son terminal avant de lui prendre son manteau qu’il alla ranger dans le vestiaire. Ryan s’avançait déjà vers le couloir où scintillaient les lumières des chandeliers, quand une armoire à glace se présenta devant lui. L’individu devait le guetter depuis un moment.

    « Veuillez patienter, je vous prie », fit le gorille en sortant son smartphone. Il se tourna de côté, et Ryan, qui avait l’ouïe fine, perçut une sonnerie malgré le bruit ambiant. Bientôt, le gaillard aux épaules de quaterback murmura : « Il est arrivé... D’accord ». Puis, pivotant vers lui : « Veuillez me suivre, Monsieur. Monsieur Fortiler vous attend. »

    Ryan haussa les sourcils. Allen étant la plupart du temps fourré à Washington, ils ne s’étaient rencontrés que deux fois depuis leurs études. Cependant, jamais à l’occasion de leurs brèves entrevues, son ami ne l’avait fait passer avant tous ses autres rendez-vous. Or, si Bluenak avait pris de l’importance avec la montée de son cours à Wall Street, Ryan n’en était que le directeur import-export et non le PDG. Il y avait là quelque chose d’inhabituel, et seule la formation en communication non verbale qu’il avait suivie trois semaines plus tôt empêcha sa main d’aller rajuster son nœud de cravate. Le vigile lui fit emprunter un escalier en marbre dont le centre était couvert d’une épaisse moquette grenat. A en juger par les murs en courbe, l’escalier devait se trouver dans la large tour du bâtiment. Ryan eut confirmation de son hypothèse lorsque le costaud aux cheveux coupés à ras sur sa nuque adipeuse l’introduisit dans une salle de forme ovale, dont la fenêtre surplombait la rue devant l’entrée principale. Le vigile avait sans doute reçu des instructions, car il se retira aussitôt, laissant Ryan seul dans la semi-pénombre de la pièce éclairée par une unique lampe. Le bureau style secrétaire en acajou sur lequel celle-ci était perchée présentait des dorures plutôt clinquantes. La lampe elle-même s’avérait d’un goût douteux, avec son chérubin potelé sonnant d’une trompette le long de la tige. Le sol était recouvert de moquette, avec des motifs peu visibles.

    Ryan ressentit une crispation dans l’estomac, ce qui n’était jamais bon signe chez lui. Si son ami se trouvait derrière la porte latérale sur la droite du bureau, comme il le soupçonnait, pourquoi ne venait-il pas l’accueillir ? Il se préparait à l’appeler, lorsqu’un courant d’air glacial traversa les lieux, le faisant frissonner tout en accentuant le durcissement de son estomac. Les jambes soudainement cotonneuses, Ryan cligna des paupières, cherchant à comprendre ce qui lui avait échappé pendant ces quelques fractions de seconde.

    L’homme qui s’était matérialisé avait le visage plus empâté que le sien, s’avérait plus râblé également, là où le responsable import-export avait la silhouette fine. Sa tendance à l’embonpoint était déjà assez marquée, mais ses traits, yeux larges et fossettes profondes derrière son sourire, étaient ceux d’un trentenaire dans tout l’éclat de sa réussite. Ses cheveux bouclés, blancs en dépit de sa jeunesse, lui conféraient un certain charme auprès de la gent féminine, de même que son apparente bonhomie et sa joie de vivre. C’était bien l’homme qu’il connaissait, c’est pourquoi quand Allen tendit sa main dans sa direction, Ryan s’empressa de la saisir — ou chercha à la saisir.

    Sa main ne rencontra que le vide.

    « Tu étais l’un des agents de Krabinay, mais tu dois maintenant devenir plus que cela. »

    Le visage d’Allen Fortiler se transforma. La noirceur de ses prunelles s’étendit à tout le contour des yeux. Les pupilles se rapprochèrent, grossirent, s’agrandirent de manière impossible, pour se fondre en une ombre qui environna Ryan. L’ombre adopta la forme d’un masque démoniaque saisi d’une hilarité perverse. Vouloir connaître la cause de cette gaieté obscène, chercher à comprendre tout simplement était déjà s’enfoncer dans les abysses de la démence. La conscience de Ryan s’amenuisa, se rencogna au tréfonds de son être. Tandis qu’il titubait, ses yeux se révulsèrent et son corps fut pris d’un spasme. Ses genoux fléchirent et il s’étala sur le ventre. De la bave se mit à couler à la commissure des lèvres. Ses traits se figèrent dans une expression de douleur, et il demeura ainsi, inerte. Lorsqu’enfin, le corps de Ryan se redressa, sa physionomie était redevenue neutre. Nulle étincelle ne brillait dans ses yeux et sa démarche était contrefaite, grotesque, comme si la chose qui l’habitait n’avait su qu’imparfaitement commander à ses membres. Dans l’escalier, il n’évita la chute qu’en se raccrochant à la rampe. Ses pas, cependant, se raffermissaient peu à peu, et quand il repassa devant les invités et employés de la réception, il ne suscita pas d’émoi particulier sinon quelques regards intrigués.

    Le sourire du voiturier se figea quand il réclama son véhicule. L’employé s’empressa d’aller le chercher, désireux de ne pas rester un instant de plus qu’il ne fallait en la compagnie d’un homme qui semblait faire baisser la température par sa seule présence. Une fois au volant de la Camaro, celui qui avait été Ryan parut redevenir plus humain. On aurait pu retrouver une partie de la personnalité du directeur import-export de Bluenak dans sa manière de conduire. L’effet ne fut cependant que transitoire. Dès qu’il eut gagné le duplex du cadre supérieur, l’homme se mit à agir de façon étrange. Toute lumière éteinte, sans un regard pour la magnifique vue sur le port de San Francisco au travers des larges baies vitrées, il ouvrit son ordinateur portable et l’alluma. La tête inclinée de côté, il patienta quelques instants, comme à l’écoute d’instructions ou d’informations spécifiques. Ses yeux, animés d’une lueur malveillante, se plissèrent. Il pianota sur le clavier, manœuvra la souris d’abord avec hésitation, puis de manière plus assurée. Si le Ryan réduit à sa plus simple expression, recroquevillé dans un recoin de sa conscience, s’était aperçu de ce que l’autre faisait, sans doute aurait-il cherché à s’y opposer de toutes ses forces. Ce Ryan, cependant, n’avait pas plus de force qu’une larve, et la seule émotion qu’il était encore capable de ressentir était la terreur.

    Les doigts s’immobilisèrent, l’ordinateur s’éteignit. Dans le luxueux appartement, rien ne bougeait à présent. Durant les deux jours et deux nuits qui suivirent, l’être qui occupait le corps de Ryan demeura dans l’obscurité. La plupart du temps figé, il alternait néanmoins les positions assises et debout dans l’unique but de garder un certain dynamisme à ce réceptacle, et d’en satisfaire les besoins élémentaires. Il ne répondit à aucun appel et ignora les suppliques de l’enveloppe charnelle, qui réclama d’abord de la nourriture, puis d’être allongé et de clore ses paupières. Tout juste s’il consentit à boire un verre d’eau à deux reprises durant ce week-end.

    Le lundi matin, les piétons de San Francisco, ainsi que les automobilistes bloqués dans le trafic, auraient pu apercevoir, s’ils y avaient prêté attention, un homme au teint cadavérique dans sa puissante Camaro. Ses yeux étaient rougis par le manque de sommeil et il portait une barbe de trois jours. L’hôtesse d’accueil du gratte-ciel de la société Bluenak, si elle ne s’était aussitôt détournée, troublée par le regard étrangement fixe, aurait pu surprendre la lueur de folie dansant au fond des prunelles. Les rares collaborateurs de Ryan qui le croisèrent ou le saluèrent furent intrigués par son absence de répondant, et certains se sentirent même gagnés par l’inquiétude devant sa carnation blafarde et sa mine décomposée. Quelque chose, cependant, une sensation indéfinissable de malaise, les empêcha de s’enquérir de son état. Eux aussi préférèrent se détourner et vaquer à leurs occupations sitôt qu’ils en eurent l’occasion.

    Le téléphone dans la poche de la veste de Ryan émit un jingle agréable, sans pour autant provoquer de réaction de la part du destinataire du SMS. L’homme à la démarche raide venait d’entrer dans son bureau. Il ne considéra que quelques instants les quatre écrans ultraplats et le fauteuil, confortable et ergonomique. Sa tête s’inclina de cette façon si caractéristique au nouvel occupant de ce corps. Non sans brusquerie, il fit demi-tour et ressortit. Il dépassa plusieurs bureaux avant de stopper net devant celui d’Edward Holder. Il ouvrit la porte d’un geste vif, faisant sursauter une jeune femme blonde. La mémoire de son hôte l’informa qu’il s’agissait de la secrétaire d’Edward. Le siège du vice-président senior du design industriel, l’un des principaux concurrents de Ryan dans l’entreprise, était vide.

    « On ne vous a pas prévenu ? fit la secrétaire d’une voix qui dissimulait mal son trouble. La réunion du conseil d’administration a été avancée. » Elle fronça les sourcils en observant Ryan se pencher latéralement, se demandant s’il avait des gouttes dans l’oreille. Mais celui-ci se redressa soudain et sortit sans un mot, d’une démarche mécanique.

    Il parcourut les corridors, reprit un ascenseur, puis de nouveaux couloirs. Le vigile devant la porte de la salle Eisenhower le reconnut et le laissa entrer. Elles étaient toutes là, les têtes pensantes de Bluenak.

    « Il ne manquait plus que vous », fit le dirigeant du groupe d’un ton bourru. Chad Ecker portait un costume gris de coupe italienne, avait le crâne rasé, et le profil d’un oiseau de proie. « Veuillez prendre place. »

    Il y eut des échanges de regards entendus devant la mine défaite du responsable import-export. L’intéressé ne sembla pas les remarquer, fit le tour de la vaste table ovale et s’assit à sa place, le visage fermé. Tandis que le réquisitoire commençait, il scrutait les différents intervenants.

    « Je me suis longtemps demandé, disait Steve Perkins, le vice-président de l’ingénierie hardware, pourquoi Ryan avait tenu à ce que son ordinateur soit exclusivement relié au serveur le plus puissant de Bluenak. Ce n’est que récemment, après avoir eu un entretien avec Edward, que j’ai décidé de creuser la question. Il se trouve que notre ami a installé dans son système un programme de cryptage extrêmement gourmand en ressources, doublé à un brouilleur d’adresse IP et de relocalisation aléatoire.

    – Quel est le rôle de cet appareil, exactement ? s’enquit le président de Bluenak.

    – D’échapper à toute identification et géolocalisation. Lors d’une conversation vidéo par exemple, il devient impossible, pour un service de renseignement ou un logiciel espion, de remonter à la source de l’émission du signal.

    – Dites-nous donc quelle a été la teneur de votre entretien avec Edward.

    – Il m’a fait une révélation très surprenante. Je crois qu’il vaut mieux qu’il vous l’explique lui-même. »

    Edward, qui se trouvait à trois sièges de Ryan, remua sa crinière blanche et rajusta ses larges lunettes rectangulaires, mal à l’aise devant le regard de ce dernier. Le responsable du design avait du mal à reconnaître Ryan Cochrane depuis qu’il avait pénétré dans la salle de réunion. Démarche différente, attitude qu’il ne lui connaissait pas, il ne semblait plus le même homme. « Nous savons que Bluenak a été accusée par certains journaux télévisés de favoriser la corruption en République démocratique du Calango. Afin de continuer à bénéficier des prix avantageux sur les minerais rares du Calango, et d’échapper à la pression médiatique, vous aviez donné la consigne, Monsieur le Président, de garder un profil bas et de faire le moins de vagues possible. Lundi dernier, j’ai travaillé plus tard que d’habitude sur le Bluenak XII. En passant dans le couloir, moi qui me croyais seul, j’ai eu la surprise de voir que le bureau de notre directeur import-export était encore éclairé. J’ai ouvert la porte pour le saluer, mais je me suis interrompu quand j’ai vu qu’il était en pleine conversation vidéo. Je regrette d’avoir à vous en informer, mais je l’ai entendu dire que N’Kanlo ne devait plus poser de problèmes, et que son interlocuteur devait s’en occuper. Je n’ai pas pu voir à qui il parlait, parce que l’angle de son bureau ne le permettait pas, mais il a ensuite été question d’un versement de deux millions de dollars.

    – Versement qui a bien été effectué dès le lendemain par l’une de nos sociétés offshore aux Caïmans, intervint Nick Janssen, le directeur financier.

    – J’étais tellement choqué que je suis parti sans demander mon reste, fit Edward. Je ne pouvais pas croire ce que j’avais entendu.

    – Et c’est pourquoi vous ne vous en êtes ouvert à moi, ou à Steve, qu’après l’assassinat de N’Kanlo. » Le président embrassa du regard les autres membres du conseil. « Pour ceux qui se posent la question, ajouta-t-il, N’Kanlo est le principal opposant politique de notre ami, le président Koudrisse. Ou plutôt, était. »

    Edward se préparait à acquiescer, quand le fauteuil sur lequel était assis Ryan Cochrane roula en arrière. Avant même qu’il n’ait eu le temps de rebondir sur la verrière, Ryan s’était précipité sur Edward, enserrant sa gorge des deux mains.

    Le premier à réagir fut le cadre supérieur directement en face d’Edward. Il saisit son smartphone et se mit à filmer, ce que nul ne remarqua dans la confusion générale.

    Cheryl Clark, la Directrice des Ressources Humaines, était une petite femme nerveuse et sèche. Placée juste à côté d’Edward ce fut sans doute elle qui lui sauva la vie ce jour-là. Elle avait suivi des cours de self-défense, et son coup de genou dans les parties génitales de Ryan, s’il ne lui fit pas complètement lâcher prise, l’obligea à desserrer son étreinte. Peut-être honteux de voir une femme réagir avant eux, les cadres les plus proches se jetèrent à son tour sur Ryan, au milieu des cris effarés et des appels désespérés de Chad Ecker, le président, à la sécurité. Entraîné par Ryan, Edward se retrouva au sol. Une pile grotesque de cinq hommes se trouvait entassée sur Ryan sans pour autant qu’aucun ne parvienne à lui faire lâcher prise. Il fallut attendre l’intervention de deux vigiles pesant chacun plus d’un quintal pour qu’enfin les mains du forcené soient écartées. La gorge d’Edward avait pris une coloration bleutée.

    Le râle inhumain que poussa alors Ryan donna la chair de poule à tous ceux qui assistaient à la scène. L’effort gigantesque qu’il produisit rejeta deux des cadres supérieurs de côté, mais les autres, encouragés par la présence des vigiles, l’agrippaient toujours. A cet instant, la lueur habitée par la folie disparut des yeux du directeur import-export. Son expression était devenue celle d’un homme en proie à la terreur. « Ce n’était pas moi », haleta-t-il. Il hoqueta en cherchant son souffle, et parvint à libérer l’une de ses mains qu’il pressa contre son cœur. Le soupir qu’il poussa ensuite fut le dernier.

    Parmi les personnes présentes, plusieurs affirmèrent par la suite avoir vu une silhouette floue s’extraire du corps de Ryan avant de disparaître. Tout le monde s’accorda à dire qu’un courant d’air glacial avait traversé la pièce.

    2. Septième ciel

    Vick Lempereur n’avait hérité de sa mère ni son grain de peau ni sa chevelure rousse. Lui avait la chevelure châtain et le visage dépourvu de taches de rousseur. Pourquoi se trouvait-il à ses côtés en train de pique-niquer près d’un lac, il n’aurait su le dire. Elle souriait en lui ébouriffant les cheveux. Ce geste lui rappela quelque chose. Cela remontait à une période heureuse si lointaine que Vick croyait l’avoir oubliée. La joie de sa mère, le lustre de son visage rayonnant, l’éclat dans ses yeux clairs étaient insoutenables. Elle renvoya d’un geste insouciant un frisbee et éclata de rire quand celui-ci atterrit dans le lac, éclaboussant l’homme chargé de le réceptionner. Elle était jeune, vive, alerte. Son sourire éclairait le monde, son rire le faisait danser. Plus que tous les autres, Vick chérissait ces moments intimes où, le soir elle venait le border, replaçait avec tendresse une mèche de cheveux tombant sur ses yeux d’enfant, prenait un livre de contes et commençait à lui raconter une histoire de sa voix qui, souvent, montait dans les aigus.

    Le décor demeura le même — sa chambre d’enfant — mais la joie dans le cœur de Vick avait fait place à une anxiété diffuse. Eclats de voix. Ses parents se disputaient. Depuis quelque temps, son père s’était mis à rentrer tard le soir, et Vick ne comprenait pas pourquoi sa mère lui reprochait de boire. Boire, c’était naturel, non ? Et puis un soir, Vick avait entendu un bruit sourd dans la salle de bain. « Maman ? » avait-il appelé. Elle s’y trouvait, il en était sûr, mais elle n’avait pas répondu. Lorsqu’il s’était engagé dans le couloir, la silhouette paternelle s’éloignait rapidement. Il était entré dans la salle de bain et avait pris peur en voyant sa mère allongée par terre, s’efforçant de se redresser. Du sang coulant le long de la bouche. « J’ai... j’ai glissé », avait-elle expliqué d’une voix rauque qu’il n’avait pas reconnue.

    Des mois plus tard, Vick avait compris ce que ça voulait dire, « boire », dans le cas de son père. Sa démarche chaloupée, son haleine empestant la vinasse. Ses coups. Vick en avait récolté sa part, mais sa mère...

    Et à présent, elle se tenait là, devant lui, semblant l’implorer de faire quelque chose, de l’aider. Son visage, année après année, avait perdu son éclat, irrémédiablement terni. Ses bras, ses mollets, ses cuisses marbrés de taches bleues. L’étincelle d’espoir et de vie avait disparu de ses yeux, éteinte par l’oppression du quotidien. La peur était devenue le résident permanent de ce visage maternel, ces paupières trop souvent plissées, ces épaules se voûtant sous les coups. La violence terrible, implacable, imprévisible, avait fait de sa mère un être craintif. Et le sentiment de révolte, toujours plus fort, avait pris racine au creux de l’estomac de Vick.

    Il se réveilla, la gorge nouée. Ce n’était pas un fantôme qu’il venait de rencontrer, à moins que ces derniers ne se manifestent aussi dans les cauchemars. L’idée même d’être confronté un jour à l’esprit de sa mère, qui n’aurait pas trouvé le repos en raison de sa mort violente, mettait Vick profondément mal à l’aise. « Ça fout les boules », articula-t-il d’une voix rocailleuse en s’asseyant sur son lit. Il n’y avait jamais vraiment réfléchi depuis l’époque où ce don, ou bien cette malédiction s’était imposée à lui, en Afrique — la possibilité de sentir les morts, de découvrir par leur entremise certains épisodes passés. Le danger, aussi, de se voir tout à coup investi, possédé par l’un d’eux, soumis à ses moindres caprices.

    Torse nu, Vick se rendit dans la salle de bain pour y soulager sa vessie, se laver les mains et faire ses ablutions. Il se demanda en observant les murs décrépis de son appart miteux si ce cauchemar n’était pas lié à une angoisse sous-jacente. Même si le loyer était plutôt modéré ici — Ivry-sur-Seine était loin d’être la banlieue la plus huppée de Paris, et cet appart n’était clairement pas le Ritz — son boulot de détective privé connaissait, comme la plupart des métiers en freelance, des hauts et des bas. Là, il se trouvait dans une période de creux. Il lui faudrait réactualiser ses annonces sur le net et auprès des commerçants du coin, perspective qui ne lui souriait guère à en juger par la mine maussade que lui renvoyait le miroir du lavabo. Les mains toujours mouillées, il lissa sa tignasse châtain, zébrée d’une ligne blanche. Sa mâchoire carrée révélait son caractère énergique, mais Vick savait à présent que la plus belle énergie pouvait se retrouver engloutie dans le marasme d’un quotidien trop routinier. Il évitait l’alcool, prenait soin d’entretenir son corps et se grisait même de quelques bouffées d’adrénaline en pratiquant le kickboxing, mais cela lui semblait artificiel en comparaison de certains épisodes de son passé.

    Il s’empara de la mousse à raser, s’en barbouilla le visage et se mit à jouer du rasoir avec dextérité. Les torches les plus brillantes, il le savait, étaient celles qui brûlaient le moins longtemps. Il aurait pu être l’une de ces torches si la vie ne lui avait enseigné autre chose. Cela ne signifiait pas pour autant qu’on devait se complaire dans la médiocrité.

    Après ses séances de musculation et de jogging, Vick revint dans l’appartement et alluma son ordinateur portable, direction le Grand Foutoir du Net. Un bazar fluctuant, que ses dossiers et marque-pages peinaient à organiser ou à dévoiler. Aucun boulot ne pointait le bout de son nez, et son téléphone restait désespérément muet. Sa messagerie se contentait pour sa part de renvoyer automatiquement les pourriels dans le dossier « indésirables ». Vick décida de visiter les sites d’info, comme souvent dans ses moments de flottement. Outre sa fonction utilitaire, la navigation sur Internet pouvait devenir pour lui un autre voyage, une nouvelle errance. Il se retrouva sur le site de CNN. La vidéo qui défila sous ses yeux, en haute définition, avait dû mettre le stabilisateur d’images du smartphone à la torture, tant elle était chaloupée. On y voyait un jeune cadre dynamique s’efforçant d’étrangler un autre individu en costard cravate. Il y avait une lueur de folie dans les yeux du jeune cadre, mais le reste de son visage était froid et calme. Le bonhomme agissait avec méthode, inébranlable dans sa résolution. Une expression de douleur apparut soudain sur son faciès, puis différentes personnes — des hommes — se jetèrent sur lui, et la vidéo se transforma en une mêlée confuse. Le décalage avec l’aspect solennel des lieux et des costumes était à la fois insolite et comique. Selon le présentateur, si la victime de ce coup de folie, un certain Edward Holder s’en était sortie avec une hospitalisation pour écrasement de la trachée, Ryan Cochrane, l’agresseur, avait quant à lui succombé à un arrêt cardiaque. Juste avant son pétage de câble, ce Ryan s’était vu accusé par le conseil d’administration d’avoir fait exécuter un opposant politique du président du Calango nommé...

    La sonnerie cacochyme de l’appartement retentit tout à coup. Vick se leva et alla ouvrir. Ces jolis yeux verts pétillants appartenaient à Valérie Bastel — nulle autre que l’héritière du groupe Dactel, qui avait pu prendre les rênes de l’entreprise paternelle à la faveur d’une erreur monstrueuse de son géniteur. Ses chaussures à talons à deux mille euros ne devaient pas avoir l’habitude de fouler le plancher d’un taudis comme le sien, et pourtant, la princesse entra d’un pas leste, un sourire ironique sur ses lèvres fines. Sans se formaliser du désordre ambiant, elle lui tendit son manteau long à col en fourrure synthétique, assorti de son sac à main.

    Vick l’évalua du regard. Les cheveux auburn de la jeune femme, pour une fois détachés, retombaient sur son tailleur, et sa mini-jupe moirée mettait en valeur le galbe de ses jambes parfaitement proportionnées. Le temps pour lui d’étendre le manteau sur le haut de son canapé et de poser le sac, et Valérie s’était déjà tournée vers son ordinateur.

    « Tu regardes CNN ? s’étonna-t-elle. Et tu comprends ?

    – Bonjour, rétorqua-t-il avec agacement. Moi aussi, je suis content de te voir.

    – Bonjour bonjour, fit-elle. Je sais que tu n’as jamais été très doué pour les formules de politesse.

    – Quand même. Il en faut un minimum.

    – J’aime quand tu es bougon, fit-elle en lui plaquant un index sur les lèvres. Tu n’as pas l’air débordé de travail en ce moment ? »

    Vick se composa un visage impassible. « En dehors de mes quatre rendez-vous d’ici la fin de la journée, tu veux dire ? » Il sourit en la voyant mettre les mains sur les hanches, l’air surpris. « Qu’est-ce qui t’amène dans mon palace ? demanda-t-il.

    – Quand est-ce que tu as appris l’anglais ? »

    Valérie le connaissait. Elle n’ignorait pas que sa scolarité avait été écourtée. Qu’il était parti un beau jour, encore ado, sur des routes dont peu étaient revenus.

    « Quand on voyage, il vaut mieux savoir l’anglais, répondit-il. Surtout quand tu vas dans les cybercafés, et que tu te branches sur les infos du coin. Ou quand tu essaies de te faire comprendre parce que tu ne maîtrises pas le dialecte local. » Tandis qu’il prononçait ces paroles, des images de la Mauritanie, et de l’un des trains les plus longs du monde, repassèrent devant ses yeux. Il avait acquis certaines notions, de wolof notamment, mais l’anglais était souvent une béquille essentielle.

    « Intéressant, commenta-t-elle. Tu aurais quelque chose à boire, pour moi ? »

    Sans répondre, Vick passa dans le réduit qui faisait office de cuisine. Il ouvrit un placard, duquel il sortit un flacon de vodka, et amena deux verres.

    « Au bon temps », fit Valérie en lui adressant un large sourire.

    Ils burent, et Vick laissa le feu liquide descendre dans sa gorge, coulée de lave qui lui fit oublier pour un instant les courants d’air hivernaux de son appart mal isolé. « Qu’est-ce qui t’amène ici ? insista-t-il.

    – Plus tard », fit-elle en se rapprochant de lui. Son parfum subtil était presque aussi enivrant que la vodka, et ses yeux rivés aux siens étaient autant d’aimants au magnétisme inexorable. Elle posa son verre, puis plaça ses mains le long des hanches de Vick, l’attirant à elle.

    Il mit les siennes sur les épaules de Valérie, et la repoussa. « Tu ne peux pas faire ça, dit-il.

    – Quoi ?

    – Venir ici, et juste... t’amuser avec moi. Je ne suis pas ton sex toy ! »

    Elle retira ses mains mais se maintint à la même distance, à quelques centimètres à peine des lèvres de Vick. « Parce que ça ne t’est jamais arrivé de faire ça ? De t’amuser avec une femme de passage, que tu n’as jamais revue ?

    – Si, mais... » Il s’interrompit, cherchant un argument.

    « Mais c’est toi le mâle alpha, et tu veux maîtriser les règles du jeu ?

    – C’est un peu ça, oui, concéda-t-il. Je n’aime pas être mené par le bout du nez. » Vick savait que Valérie avait épousé sa boîte. Tant qu’elle s’y investirait autant, il ne pourrait que jouer le rôle de figurant dans la vie de la prestigieuse héritière.

    « Ou par le bout d’autre chose, fit-elle en posant carrément la main sur son entrejambe. Et pourquoi tu ne profiterais pas juste de l’instant présent ? Tu as peur que je te brise le cœur ? »

    Vick fit la grimace, sans pour autant chercher à la repousser de nouveau.

    « On est au-delà de ça, tous les deux, maintenant, non ? lui susurra-t-elle dans le creux de l’oreille. On sait à quoi s’en tenir. Et pour une fois, ça te ferait du bien de laisser tomber ton armure. De te laisser guider. Ne me dis pas que tu n’as jamais appris à saisir l’occasion, dans ta vie d’aventurier. » Tout en prononçant ces mots, sa main le massait expertement, et Vick sentait son sexe se tendre, durcir.

    Il lâcha un grognement et l’attira contre lui. Son baiser fut si vigoureux que leurs dents s’entrechoquèrent, et elle poussa un petit cri en reculant la tête. Aussitôt après, cependant, comme il esquissait un « désolé », ce fut elle qui referma ses lèvres avec les siennes. Leurs langues s’effleurèrent, puis se touchèrent avec une volupté grandissante. Les doigts agiles de Valérie remontèrent le pull de Vick, tirèrent son tee-shirt au-dessus de son pantalon. Ses doigts, alors, se glissèrent, soyeux et frais, sur son abdomen, le parcourant.

    Vick ne perdait pas non plus son temps, il avait entrepris de déboutonner la veste de la jeune femme, avant d’enchaîner avec son chemisier. Très vite, ils se retrouvèrent tous deux entièrement nus, le cœur battant sous le plaisir partagé aussi bien qu’anticipé. Vick fit glisser un tiroir de sa table de nuit, mais Valérie, devinant son intention, l’arrêta.

    « Inutile, je prends la pilule. Et j’ai confiance. »

    Elle lui massa le sexe, l’entoura d’une lingette retirée de son sac à main, le nettoya et alla jusqu’à le prendre en bouche, agitant sa langue avec une douceur inexprimable. Alors, Vick oublia tout, et la laissa faire quand elle le repoussa dans le lit, puis se mit à le chevaucher, fière amazone s’attribuant enfin sa récompense. Toujours aussi souple, elle l’aspirait et le malaxait. Elle fit durer le plaisir au moins aussi longtemps que la dernière fois, entraînant Vick à plusieurs reprises au bord de l’extase. Elle ralentissait ses mouvements à temps, plus à l’écoute de ses sensations qu’il ne l’aurait cru tout d’abord. Vick avait l’impression d’être un instrument dont aurait joué une magicienne, mais se laissa faire, jusqu’au moment où il fut balayé par une déferlante de plaisir qui les laissa tous deux en sueur et haletants.

    « Wow ! fit Vick.

    – Sans maîtrise, la puissance n’est rien, dit-elle en s’appuyant de sa main sur son torse velu, et en lui caressant le visage de ses cheveux. C’est ma devise. » Elle lui fit un clin d’œil.

    Vick sourit devant ce rappel du slogan publicitaire.

    Elle se releva et se dirigea vers la douche exiguë, exhibant son fessier lisse et musclé. Une fois tous deux nettoyés, rhabillés et remis de leurs émotions, Valérie aborda l’objet de sa venue.

    « Tu sais que Dactel a une filiale aux Etats-Unis, spécialisée dans la production de viande ?

    – Non, j’ignorais.

    – Je te l’apprends. Il s’agit de Future Meat. L’entreprise se trouve dans la Silicon Valley. Elle produit de la viande entièrement synthétique. »

    Vick haussa les sourcils.

    « Tu sais, de la viande in vitro, à partir de cellules souches. A la pointe de la technologie. Enfin en principe, soupira-t-elle.

    – Je croyais que tu voulais passer au bio.

    – L’un n’empêche pas l’autre. Disons que c’est une manière différente d’aborder le problème. Je ne t’apprendrais rien en te disant que les Américains sont de fervents consommateurs de viande. Le souci, c’est que leur manière d’élever le bétail — la manière intensive — a tendance à concentrer le méthane.

    – Les pets des bovins, interrompit Vick. Ouais, j’en ai entendu parler. Paraît que c’est l’une des causes du réchauffement climatique.

    – Ou en tout cas, un facteur aggravant. Toujours est-il que nos cousins d’Amérique ne vont pas changer des habitudes qui remontent à plusieurs siècles du jour au lendemain. Le mieux est donc de s’adapter, en leur proposant un produit conforme à leurs habitudes gustatives, on va dire, mais limitant les rejets dans l’atmosphère.

    – Et c’est là qu’intervient Future Meat.

    – Tout juste ! Le souci est évidemment de retrouver la même texture et le goût à partir de cellules souches de muscles — je t’épargne les détails.

    – Merci.

    – Cela revient encore très cher, et il y a pas mal de tests à réussir avant de passer à la production de masse. Le problème, c’est que depuis quelque temps, les travaux se sont mis à stagner dans cette filiale. On fait du surplace, et du coup, on prend du retard sur le calendrier.

    – Tu voudrais que j’enquête là-dessus ? » Vick comprenait pourquoi Valérie se nouait les cheveux en queue de cheval d’habitude. Ainsi détachés, elle perdait le look « strict-rien-qui-dépasse » propre au PDG de l’un des plus grands groupes agroalimentaires de France, l’une des très rares femmes à la tête d’une entreprise du CAC 40. Elle devenait cette autre facette d’elle-même, une créature sexy.

    « J’ai étudié de près les explications que l’on m’a fournies, fit-elle, et j’ai trouvé des incohérences. Nous avons les meilleurs spécialistes, et pourtant nous sommes en train de nous faire dépasser par nos concurrents en Hollande. Il y a quelque chose de pas net du tout là-dessous.

    – Quelle sera ma paye ?

    – Cinq mille euros par mois tous frais payés.

    – Tu me fais une avance sur la moitié du premier mois ?

    – Pas de souci. »

    Vick eut un sourire radieux. « J’aime bien voyager. »

    Elle le dévisagea d’un air soupçonneux. « A condition

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