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Dia Linn - VI - Le Livre de Maav (Go maidin)
Dia Linn - VI - Le Livre de Maav (Go maidin)
Dia Linn - VI - Le Livre de Maav (Go maidin)
Livre électronique394 pages5 heures

Dia Linn - VI - Le Livre de Maav (Go maidin)

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À propos de ce livre électronique

Trente années ont passé depuis la mort du sulfureux Ryann O’Callaghan. Les États-Unis vivent une embellie économique sans précédent et oublient les horreurs de la dernière Guerre mondiale en découvrant la société de consommation et les gadgets domestiques ; les femmes raccourcissent leurs jupes et osent – parfois – fumer en public...
Nous sommes en 1950. L’arrière-petite-fille d’Aïdan quitte son Australie natale pour chercher fortune en Amérique.
Voici le livre de Maav, qui, comme son ancêtre Eileen, découvrira dans le poker un moyen étonnant de reconquérir enfin la fortune des O’Callaghan.
Mais mettra-t-elle pour autant un terme à la díoltas, la vengeance qui anime le clan familial envers les O’Brien et les descendants de Liam ? Rien n’est moins sûr...
Du bush australien au clinquant factice de Las Vegas, en passant par la Louisiane et le Sud profond où s’embourbent les rêves de fortune, des années 50 à l’assassinat de Kennedy, des premières luttes pour les droits civiques à l’engouement pour le nucléaire et la terreur du communisme... Maav va croiser d’étranges et dangereux personnages.
Elle tombera amoureuse, elle sera manipulée, utilisée comme un pion sur un grand échiquier ; mais ses ennemis oublieront peut-être que la jolie blonde a de la ressource.
Après tout, le sang des O’Callaghan coule dans ses veines...

LangueFrançais
Date de sortie11 déc. 2015
ISBN9782370113801
Dia Linn - VI - Le Livre de Maav (Go maidin)
Auteur

Marie-Pierre Bardou

Née en Afrique équatoriale dans une famille d’oiseaux migrateurs, Marie-Pierre Bardou a gardé de ses voyages précoces le goût des départs, même en imagination. Elle teste un peu tous les genres – poésie, nouvelle… - mais c’est avec le roman qu’elle peut, réellement, se laisser « embarquer ». Grande admiratrice du génie fiévreux d’un Dostoïevski ou de l’implacable plume d’un Ross Mc Donald ou d’un Liam O’ Flaherty, elle adore les romans historiques et les thrillers. C’est le plus souvent dans les drames familiaux qu’elle puise sa propre inspiration. Elle a une prédilection pour les grasses matinées et les séries TV, et de temps en temps se laisse séduire par quelques chutes libres – mais toujours avec un parachute. Sinon, son bureau ou son canapé seront les endroits où vous la trouverez la plupart du temps. L’avantage étant qu’ils sont dans la même pièce, pour une très agréable économie de mouvement.

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    Aperçu du livre

    Dia Linn - VI - Le Livre de Maav (Go maidin) - Marie-Pierre Bardou

    cover.jpg

    DIA LINN

    6 : LE LIVRE DE MAAV

    Go maidin

    Marie-Pierre BARDOU

    Published by Éditions Hélène Jacob at Smashwords

    Copyright 2015 Éditions Hélène Jacob

    Smashwords Edition, License Notes

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    © Éditions Hélène Jacob, 2015. Collection Littérature. Tous droits réservés.

    ISBN : 978-2-37011-380-1

    Résumé des tomes précédents

    Tome I : Irlande, 1848. La Grande Famine pousse Eileen et Wyatt O’Callaghan à fuir leur pays. Ils laissent derrière eux leur frère aîné Aïdan, exilé en Australie pour s’être révolté contre les Anglais, et Liam O’Brien, leur frère de lait, qui a rejoint le parti révolutionnaire. Eileen est enceinte de Liam et elle a hérité des dons occultes des femmes de sa famille.

    Tome II : Louisiane, 1848-1859. Désirée de Rocheclaire adopte les jumeaux d’Eileen, Neal et Neve, qui seront les héritiers de cette puissante famille créole. Eileen retrouve Liam, parti en quête des Irlandais exilés pour créer la fraternité feniane. Lors d’une partie de poker, Eileen gagne une mine d’or : Liam la tue pour la lui voler.

    Tome III : Louisiane, Colorado, 1859-1861. Wyatt retrouve Liam pour venger sa sœur. Mais c’est Aïdan, revenu de son exil, qui commet l’irréparable : il tue la petite Aisling, la fille de Liam. Wyatt s’enfonce dans le Nord sauvage, à la recherche de ses enfants qu’il a confiés à des amis, laissant derrière lui son livre et son testament. À charge pour les descendants des O’Callaghan de veiller à ce que Liam n’ait pas de descendance et ne puisse jamais récupérer la mine de Dearfield.

    Tome IV : États-Unis, Irlande, Australie, 1861-1877. Pendant la guerre de Sécession, Neal meurt au combat avec Aïdan à Gettysburg. Neve épouse James Lyons après la guerre et Wyatt disparaît dans les montagnes du Montana, après avoir sauvé son fils Aindreas à la bataille de Little Big Horn. Liam, interné après le meurtre de sa fille, récupère la mine de Dearfield et enlève Ryann, le fils unique de Neve et de James.

    Tome V : Chicago, Irlande, Louisiane, 1920-1921. Élevé comme un orphelin par Liam, ignorant tout de son passé, Ryann est devenu un chef de gang, un tueur. Il croise la route de son cousin Teagan, ancien membre de l’I.R.A. qui fuit l’Irlande et la guerre civile. Ils retrouvent tous deux leurs racines lorsque Quinn, le fils de Philip et de Keelin, les ramène en Louisiane. Neve a juste le temps de revoir son fils avant de mourir. La vérité éclate sur le rôle de Liam : Ryann revient à Chicago pour se venger, mais il est terrassé par une crise cardiaque et Liam meurt sous la lame d’un assassin inconnu. Des deux fils de Liam, l’aîné, Eranann, disparaît ; et Sloan, le cadet, sauve son héritage grâce à ses relations avec la mafia. Il quitte Chicago, fuyant la justice et la vengeance des O’Callaghan.

    Préface

    « How many roads must a man walk down

    Before you call him a man ?

    Yes, 'n' how many seas must a white dove sail

    Before she sleeps in the sand ?

    Yes, 'n' how many times must the cannon balls fly

    Before they're forever banned ?

    The answer, my friend, is blowin' in the wind,

    The answer is blowin' in the wind.

    Combien de routes un homme doit-il parcourir

    Avant que vous ne l’appeliez un homme ?

    Oui, et combien de mers la colombe doit-elle traverser

    Avant de s’endormir sur le sable ?

    Oui, et combien de fois doivent tonner les canons

    Avant d’être interdits pour toujours ?

    La réponse, mon ami, est soufflée dans le vent,

    La réponse est soufflée dans le vent.

    How many years can a mountain exist

    Before it's washed to the sea ?

    Yes, 'n' how many years can some people exist

    Before they're allowed to be free ?

    Yes, 'n' how many times can a man turn his head,

    Pretending he just doesn't see ?

    The answer, my friend, is blowin' in the wind,

    The answer is blowin' in the wind.

    Combien d’années une montagne peut-elle exister

    Avant d’être engloutie par la mer ?

    Oui, et combien d’années doivent exister certains peuples

    Avant qu’il leur soit permis d’être libres ?

    Oui, et combien de fois un homme peut-il tourner la tête

    En prétendant qu’il ne voit rien ?

    La réponse, mon ami, est soufflée dans le vent,

    La réponse est soufflée dans le vent.

    How many times must a man look up

    Before he can see the sky ?

    Yes, 'n' how many ears must one man have

    Before he can hear people cry ?

    Yes, 'n' how many deaths will it take till he knows

    That too many people have died ?

    The answer, my friend, is blowin' in the wind,

    The answer is blowin' in the wind.

    Combien de fois un homme doit-il regarder en l’air

    Avant de voir le ciel ?

    Oui, et combien d’oreilles doit avoir un seul homme

    Avant de pouvoir entendre pleurer les gens ?

    Oui, et combien faut-il de morts pour qu’il comprenne

    Que beaucoup trop de gens sont morts ?

    La réponse, mon ami, est soufflée dans le vent,

    La réponse est soufflée dans le vent. »I

    Personnages

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    Prologue

    Cyan entra dans la pièce et resta sur le seuil, attendant que ses yeux s’accommodent à l’obscurité. Elle distinguait la couchette au fond de la chambre, et la forme immobile qui y reposait sous la légère couverture. Elle hésita. Puis se décida à franchir le seuil.

    Ses doigts effleurèrent le bouton de contrôle juste à côté de la porte et le monde extérieur pénétra progressivement dans la pièce. Le bruit, d’abord : le vent qui glissait dans les branches des platanes et tenait sa note mélancolique ; un chien qui aboyait dans la rue, en contrebas ; le sifflement aigu, à peine perceptible, d’une navette glissant sur ses coussins d’air en filant à travers la ville déposer ses passagers à leur travail. La lumière, ensuite : lentement, les grandes fenêtres s’éclaircissaient, laissant filtrer les rayons pâles teintés d’orage et des pluies à venir. Peu à peu, la chambre révélait ses maigres secrets, son décor austère et minimaliste. La couchette encastrée dans le mur, déployée pour l’occasion juste au-dessus du plancher en béton – les pigments d’un vert pâle du béton de terre, qui captaient la lumière et conservaient une température constante. Les murs végétalisés, accueillant le lierre et les plantes vertes qui régénéraient l’atmosphère. Pas de meubles, ni tapis, ni tableaux. Presque une chambre d’hôtel – un hôtel haut de gamme et totalement impersonnel.

    Cyan avait bien tenté, à plusieurs reprises, de pousser son frère à apporter quelques touches individuelles à cette chambre qui était la sienne lorsqu’il logeait chez sa sœur, mais il ne semblait pas y attacher d’importance. Sans doute ne se sentait-il pas chez lui, ici.

    Où se sentait-il chez lui ? Pas au Centre ; il n’avait pas davantage personnalisé les appartements qui lui y étaient attribués. À Dublin, peut-être, dans la vieille maison familiale qu’ils avaient quittée une semaine plus tôt, en secret, après la crise de Connor.

    Cyan s’avança dans la chambre maintenant baignée de lumière grise. Ses pieds nus glissaient sur le sol tiède, le béton doux comme un tapis de laine. Elle s’approcha de la forme allongée, toujours immobile, qui lui tournait le dos et elle s’assit doucement tout au bord du lit, près de la tête brune de son frère. Enfoui sous les draps, Connor semblait ne pas vouloir émerger de son sommeil. Quelques mèches sombres s’échappaient de la mince couverture, elle les caressa en murmurant :

    — Connor…

    Pour seule réponse, son jumeau rabattit la couverture sur sa tête.

    — Connor, réveille-toi ! Tu dors depuis trois jours, il faut que tu te lèves.

    Il se tourna vers elle d’un coup de reins, rejetant brutalement les draps.

    — Pourquoi ? Ça ne me vaut rien, d’être réveillé.

    Les yeux verts de Connor, si semblables aux siens – à part les deux pupilles, oblongues comme celles d’un chat – étaient grands ouverts et fixés sur elle. Cyan y chercha en vain une lueur d’intérêt, de désir. Le désir de n’importe quoi : manger, se quereller, sortir, se bourrer la gueule, peu importait ! Mais il n’y avait que de la lassitude.

    Elle soupira.

    — Écoute, tu ne peux pas rester comme ça. Le Fiagaí va te retrouver, les Brehons ne vont pas apprécier qu’on ait quitté Dublin sans leur accord.

    — Et alors ? Ils me ramèneront au Centre, c’est tout. Et je m’échapperai à nouveau.

    — Mais que cherches-tu ? Qui cherches-tu ?

    Il haussa les épaules sous la couverture et lui tourna à nouveau le dos.

    — Je te l’ai dit. Je cherche Diarmaid.

    — Tu ne sais même pas qui c’est ! Tu ne sais pas où il est, qui il est, et tu sais encore moins pourquoi tu le cherches !

    — Je le saurai quand je le retrouverai.

    Cyan hésita. Sur une impulsion, elle avait pris la décision d’emmener son frère loin de Dublin, du Centre, de ce mystérieux Diarmaid dont il lui rebattait les oreilles. Connor venait de vivre une terrible épreuve. De plus, la crise de son frère, lorsqu’ils avaient joué au poker dans leur vieille maison familiale, avait été encore pire que la précédente.

    Chaque fois qu’ils jouaient ensemble, cela finissait en drame. Tenir des cartes en main semblait ôter à Connor tout le contrôle qu’il avait sur ses capacités si spéciales : ses visions l’envahissaient littéralement, il était d’un seul coup happé par des flashes d’une incroyable puissance, des images si réelles pour lui qu’il en hurlait de peur – des images de batailles, de cadavres empilés dans la boue et portant les uniformes des armées ennemies durant la guerre de Sécession, des types masqués de cagoules blanches qui lynchaient des Noirs et les pendaient aux branches des arbres, des hommes en costume des années 1920 torturant des inconnus… une vieille plantation du sud des États-Unis, les plaines de l’Ouest américain, des steamboats antiques crachant leurs fumées noires sur le Mississippi… Connor ployait sous la force de ces visions, de ces personnages inconnus qui envahissaient son cerveau avec leur violence, leur haine, leurs désirs sombres et âpres.

    Cette fois-ci, son frère en était sorti presque en état catatonique. Et puis, il y avait eu Aura… Cyan avait alors pris la décision de l’emmener loin de ceux qui voulaient le contrôler, exploiter ses dons. Loin de celui qu’il cherchait, aussi.

    Mais elle comprenait que c’était peut-être une erreur, finalement. Connor avait besoin d’aide. L’éloigner de sa proie ne calmerait pas ses visions, bien au contraire. Et elle était la seule à pouvoir le faire, la seule à pouvoir lui apporter un soutien totalement désintéressé.

    — Je vais t’aider, Connor. Je vais t’aider à trouver Diarmaid.

    Connor se tourna à nouveau vers elle, se redressant sur sa couchette. Le torse creux, les épaules maigres de son frère lui firent prendre conscience de la fragilité – physique, mentale – de son étrange et précieux jumeau, de son double douloureux. Elle se pencha et le prit dans ses bras, le serrant contre elle de toutes ses forces, fermant les yeux sous la puissance de la tendresse qu’elle ressentait pour lui.

    — C’est vrai ? chuchota-t-il dans ses cheveux.

    — Oui. On va retourner à Dublin. Il est temps d’ouvrir les Livres.

    EXILS : 1948-1950

    Chapitre 1

    Las Vegas, 22 novembre 1963

    Elle se sentait partir. La sensation familière au creux de son ventre, comme un trou noir, un vortex dans ses tripes. L’impression étrange de se dédoubler, de ne plus vraiment être là, le vertige. Une autre voix se faisait entendre dans sa tête, d’autres mains tenaient ses cartes et faisaient les choix, les annonces. C’était elle, mais ce n’était pas vraiment elle.

    Maav se laissa partir.

    Elle ne résista pas. Sous ses yeux, les deux cartes qu’elle possédait prirent un sens différent. Le « colt »{1} posé face contre la table n’avait plus d’importance et elle déclara d’un ton clair et fort :

    — Je relance de mille.

    Et elle poussa, au centre de la table, les jetons verts.

    En face d’elle, Dillon eut un sursaut à peine perceptible. Il n’existait plus pour elle. Le grand type aux cheveux noirs et aux yeux sombres, mince et élégant dans son costume strict, chercha du regard celui de son adversaire et ce qu’il y lut le fit frissonner. Les pupilles de Maav mangeaient presque l’iris turquoise de ses yeux, ces yeux sublimes qui avaient dévoré le cœur et l’âme de Devin. Elle semblait en transe.

    Du pouce, il jeta un œil à ses propres cartes, perplexe. Quelque chose lui échappait. Il avait dans les mains un beau brelan de valets. Bien entendu, il pouvait être battu, mais il ne voyait pas trop comment. Les cartes qui étaient tombées ne paraissaient pas avantager la jeune femme…

    Et le tableau affichait : 8 de cœur, 3 de pique, dame de cœur.

    Ils s’affrontaient depuis presque trente-deux heures. Des cent joueurs en lice, il ne restait plus qu’eux deux.

    Maav avait joué comme d’habitude, avec cette agressivité froide et soudaine qui déstabilisait tant ses adversaires. Pas lui : Dillon l’avait vue faire assez souvent pour s’être préparé à son style. C’était une sacrée joueuse, mais elle n’était pas invincible. Il avait une chance : il était bon, lui aussi.

    Mais il n’aimait pas le regard qu’elle avait, depuis quelques minutes. Un regard de zombie.

    Autour d’eux, chacun épiait sa réaction. De l’étage du dessous, on percevait quelques échos de l’orchestre en sourdine, un jazz déstructuré et faussement léger qui accompagnait les conversations feutrées, les rires, les discussions des couples et des groupes d’amis ou de partenaires professionnels qui étaient en train de dîner.

    Peu de gens étaient admis à assister à la partie qui se déroulait maintenant, tout en haut de l’immense et luxueux bâtiment, l’empire de Dillon O’Brien. Le Starship rivalisait de faste et de magnificence avec le Flamingo quelques mètres plus loin, en haut du Strip. La grande salle du dernier étage était moquettée de bleu roi et ses murs, tendus de velours crème. Des néons focalisaient leur lumière blanche et agressive en direction de l’unique table de jeu au centre de la pièce, sur une estrade, concentrant l’attention des spectateurs vers les deux ultimes adversaires en lice.

    Comme un combat de boxe dont les jouteurs étaient assis, presque immobiles, seuls les mains et les yeux s’animant dans ce décor figé.

    Au coin de la salle, le bar laqué de noir : le barman y servait les cocktails et les whiskies aux rares élus qui avaient le droit d’assister à la dernière manche.

    Près du bar, son verre encore plein posé devant lui sur la surface luisante du comptoir, un homme ne quittait pas les deux adversaires du regard. Ses doigts étaient presque blancs aux jointures, repliés sur le verre glacé avec tellement de force qu’il se rendit soudain compte qu’il allait le briser. Il se força à desserrer sa prise, à se détendre.

    À quelques pas de lui, dans la lumière crue des néons, la table de poker juchée sur son estrade. Le croupier, Thomas Tunner – « TT », comme on le surnommait – était aussi concentré que les deux joueurs qui se faisaient face. Immense, les épaules larges, les muscles durs et tendus faisant presque craquer le tissu luxueux de sa veste d’uniforme, il écrasait de sa masse son patron – qui n’était pourtant pas malingre – et plus encore son adversaire. Les cheveux blonds de Maav avaient des reflets d’argent sous les lumières blanches, sa peau pâle semblait encore plus pâle, l’arc sombre des sourcils et les longs cils noirs tranchant sur ce visage de poupée en mettant davantage l’accent sur les yeux – comme s’ils en avaient besoin, on ne voyait presque qu’eux. Mince et frêle, la jeune femme semblait tellement fragile face à la silhouette massive du croupier, presque évanescente.

    Une illusion.

    Il savait que Maav n’avait rien d’évanescent, rien de fragile. Il guettait, dans les yeux vides de la jeune joueuse, les signes qu’il attendait ; enfin, il commençait à se détendre, à respirer plus librement. Ça y était. Elle prenait la main.

    L’homme focalisa son attention sur Dillon. Le patron réfléchissait, le visage imperturbable, observant le tableau en pesant soigneusement toutes les options. Il y avait de grandes chances pour que Maav bluffe. Mais il ne pouvait pas en être sûr. La jeune femme était un caméléon, elle changeait sans cesse de style de jeu : tantôt « serrée », tantôt « agressive », on ne pouvait jamais se fier à ses relances ou à ses reculs. L’homme au bar ne quittait pas le patron des yeux ; il pouvait presque l’entendre penser.

    Salopard. Cette espèce de petite raclure allait prendre la leçon de sa vie, ce soir. L’observateur sentit ses mains se crisper à nouveau sur son verre en se concentrant sur les lèvres fermes, pleines de morgue et d’autorité, ces lèvres de jouisseur et de dominant qui ne supportait pas qu’on se mette sur son chemin. Il avait hâte de le voir se décomposer, hâte de voir sa réaction – allait-il perdre son contrôle ? Devenir violent ? Attaquer Maav, peut-être ?

    Dillon O’Brien était le boss, ici. Il pouvait bien faire ce qu’il voulait, personne n’aurait même songé à l’en empêcher – même tuer. Peut-être Maav n’allait-elle pas survivre à sa victoire. Quelle importance ?

    Elle était le pion qu’il avait placé sur l’échiquier, à l’endroit exact où il voulait qu’elle soit. Il se foutait un peu de savoir ce que deviendrait ce pion, une fois qu’il aurait joué son rôle. Il fallait qu’elle gagne, d’abord. Il le fallait absolument.

    — Monsieur…

    Il sursauta : le barman, un Noir mince et élégant dans son uniforme blanc, avait le regard vissé sur sa main. Il baissa les yeux et constata que le verre, sous la pression de ses doigts, s’était brisé. Le whisky dégoulinait sur son poignet, sur le comptoir ; et il ressentit enfin la brûlure de l’alcool contre sa peau blessée.

    — Merde.

    Le barman lui tendit un mouchoir, lui jetant un regard faussement neutre. L’homme y lut, malgré tout, ce qu’il y devinait chez tous ceux qui le croisaient : du mépris. Le type mal fagoté, gris et terne, ni beau ni laid, ni riche ni pauvre, transparent… Celui qu’il voulait être. Celui qu’il voulait qu’ils voient.

    Il prit le linge et s’en enveloppa la main, le tissu blanc collant aussitôt à sa peau, absorbant le sang rouge et épais. Il laissa le barman nettoyer le comptoir et se dirigea discrètement vers la fenêtre la plus proche, se glissant sur la terrasse pour respirer un peu et se calmer. Il ne fallait pas qu’il craque, pas maintenant.

    Lui qui, jour après jour, se maîtrisait à la perfection sentait sa carcasse se fissurer.

    Un air chaud et plein de poussière l’enveloppa comme une caresse lorsqu’il s’accouda au balcon. Le vent s’était levé, un vent venu du désert tout près : sec, tiède, étouffant, chargé de sable. Les étoiles étaient invisibles, éclipsées par les néons agressifs des immenses casinos, des bars de strip-tease, des tripots. Écrasés, dans l’ombre saturée de lumières artificielles de novembre, les bouges et les taudis restaient bien cachés et, du haut de son perchoir, il ne pouvait que deviner leur présence en contrebas, à l’entrée de la ville-champignon, cette ville de mégalos surgie de nulle part.

    Partout dans le monde, dans le pays, les gens pleuraient, hébétés, sous le choc. À quelques kilomètres de là, à Dallas, un fou furieux avait tiré sur le président des États-Unis d’Amérique. Il était mort depuis à peine une dizaine d’heures et la Terre entière semblait porter le deuil. Les drapeaux étaient en berne. Les Américains étaient tous massés devant leur écran de télévision ou leur poste de radio et écoutaient, en boucle, les informations. Personne n’arrivait à y croire vraiment. Ils sortaient de chez eux, se rassemblant dans les rues avec des regards égarés qui, plus tard, s’assombriraient sous la colère et le désir de revanche.

    On venait d’assassiner John Fitzgerald Kennedy.

    Mais ici, à Las Vegas, on s’en foutait. Ici, on débarquait pour faire fortune, pour lancer les dés ; pour se frotter contre les filles aux seins nus qui se trémoussaient sur les comptoirs et se laisser éblouir par la décoration clinquante, par la musique agressive.

    L’homme se pencha sur la rambarde du balcon. Il devinait, au-delà des lumières de la ville, les lignes mouvantes et secrètes du désert, les étoiles qui, là-bas, étaient enfin visibles et pouvaient expirer. Les dunes hérissées de cactus et d’agaves, les ombres qui s’épanouissaient dans le silence mordant de la nuit.

    Il se força à respirer à fond. Sa main blessée lançait de petites salves de douleur qui le rattachaient à la réalité. Il tourna la tête vers l’intérieur de la pièce : les spectateurs, massés tout autour du podium, lui masquaient les joueurs. L’homme revint dans le salon, refermant la fenêtre derrière lui.

    Personne ne remarqua sa silhouette terne qui se faufilait discrètement jusqu’à l’estrade. Tous les regards étaient fixés sur les cheveux d’or pâle de Maav et sur le visage dur de Dillon, qui leva enfin le nez de ses cartes et tapota négligemment du doigt sur la table de jeu.

    « TT » hocha la tête : son patron signifiait par ce geste qu’il checkait – qu’il ne relançait pas, mais restait dans le coup. Pour la première fois, Dillon O’Brien semblait déstabilisé. Mais son tapis était encore bien plus épais que celui de Maav.

    Le croupier brûla une carte et frappa rituellement du poing sur la table avant de dévoiler le turn.

    Chapitre 2

    Australie, janvier 1948

    — Ce sont de beaux salauds ! Ta propre famille !

    La voix de sa mère avait perdu son ton indifférent et glacé ; elle dérapait dans les aigus et les paroles de son père furent à peine audibles lorsqu’il lui répondit en marmonnant :

    — Ils ne savaient même pas qu’on existait, Naomi.

    Les jambes ramenées sous elle, Maav frissonnait dans sa chemise de nuit en coton. L’été était pourtant chaud et sec, mais elle avait étrangement froid. La grande maison craquait de tout son bois fatigué, malmené par des années d’intempéries, de chaleurs écrasantes et d’hivers glacés, de vents furieux et de tempêtes. Le bush australien n’était pas tendre avec les éleveurs et les agriculteurs, tous les propriétaires terriens qui occupaient les immenses stations, les domaines s’étendant sur plusieurs milliers d’hectares – pour aller chez le voisin, mieux valait prévoir plusieurs heures de route.

    — Maintenant, ils le savent, renchérissait sa mère un ton plus bas. Comment peuvent-ils refuser de nous aider ? Tu es le petit-fils d’Aïdan, tu es un O’Callaghan !

    — Tu as lu comme moi.

    Maav entendit un papier que l’on défroissait et la voix fatiguée de son père monter du salon. Ses parents discutaient de la réponse qu’ils venaient de recevoir de la part de leurs lointains cousins, les O’Callaghan d’Irlande. Padaig se mit à lire ; son timbre grave, morne, plat, résonnait sans peine jusque dans l’escalier en haut duquel sa fille s’était réfugiée.

    « Votre lettre a semé la consternation dans notre famille et nous vous demandons de ne plus nous solliciter, quelle qu’en soit la raison. Notre grand-père, Brian, s’est éteint depuis plusieurs années déjà et il ne nous avait jamais parlé de Seán, du fils illégitime de son père. Vous prétendez qu’il était au courant, nous affirmons le contraire : nous l’aurions su. Quelle preuve avez-vous que vous êtes bien ce que vous dites ? »

    — Mais enfin, il y a les lettres d’Aïdan, on peut prouver que…

    — Et alors ? Il n’a jamais reconnu Seán officiellement. Si on leur fait un procès, ça peut durer des années, sans aucune garantie de résultat. Et à des milliers de kilomètres de distance ? Non, Naomi, je ne crois pas qu’on puisse espérer quoi que ce soit d’eux.

    — Mais on peut espérer quoi, alors ? Un miracle ?

    — Je vais demander un autre rendez-vous à Fairbanks…

    La lassitude dans la voix de son père lui fit mal, et peur. Padaig semblait l’ombre de lui-même depuis plusieurs mois. Pourtant, la ferme se portait bien, elle produisait une belle laine et des chevaux de course, des récoltes de blé et d’orge.

    Du haut de ses presque 13 ans, Maav savait que son père était responsable des dettes qui, maintenant, menaçaient la survie de sa famille. C’était un mauvais gestionnaire, qui manquait terriblement de prudence. Quand Naomi parvenait à le brider, tout rentrait dans l’ordre – elle, elle était parfaitement capable de gérer les comptes –, mais Padaig échappait souvent à son contrôle et ses derniers investissements avaient été catastrophiques.

    La station faisait vivre près de trois cents hommes et femmes – ranchers, employés de maison, aux champs ou dans les corrals, pour la tonte et le dressage. Ils avaient déjà été obligés de licencier une vingtaine de personnes et n’avaient plus de quoi payer les autres. Fairbanks, le banquier, avait refusé le crédit qui leur aurait permis de se remettre à flot. Ses parents avaient donc lancé une bouteille à la mer, en envoyant un appel à l’aide à leurs lointains cousins d’Irlande. Avant de mourir lors de la bataille de Gettysburg, pendant la guerre de Sécession, Aïdan avait souvent écrit au fils qu’il avait laissé derrière lui en Australie, sous la garde des Donovan. Dans ses lettres, il lui avait parlé de son autre fils, Brian, qui vivait dans le comté du Kerry, berceau des O’Callaghan. Padaig et Naomi avaient payé un détective de leurs maigres ressources pour découvrir que Brian avait eu trois garçons : Etar, Colm et Teagan. Seul le dernier avait survécu à la guerre civile. Il s’était marié à une Américaine et avait eu trois enfants, dont deux avaient, à leur tour, fondé une famille. Tous vivaient dans le Kerry.

    — Il n’acceptera jamais ! Ouvre les yeux !

    Maav se recroquevilla encore un peu plus dans l’escalier, insensible aux arêtes des marches qui blessaient ses talons et rentraient dans la peau de ses cuisses. En cet instant, elle haïssait sa mère – cela lui arrivait souvent, surtout ces derniers mois. La froide, autoritaire et intransigeante Naomi était en train de laminer Padaig, celui qu’elle avait pourtant juré de servir et d’honorer toute sa vie.

    Maav adorait son père. L’homme doux et souriant qui lui avait appris à monter à cheval, à tirer au fusil ; avec qui elle partait chasser pendant des jours entiers dans le bush – leurs abris temporaires sur la terre sèche et rouge, les aurores grandioses accompagnées du chant mélodieux des minuscules alouettes, les histoires qu’il inventait à mesure, le soir, pour l’endormir…

    On disait que Padaig était le portrait de Seán, son père. De lui, il avait hérité sa blondeur, ses traits fins et mobiles, sa gentillesse. Maav lui ressemblait : menue, très blonde, fine et gracile… Seuls ses yeux, d’un bleu de lapis-lazuli, lui venaient directement d’Aïdan, son arrière-grand-père. Elle n’avait presque rien en commun avec la grande et hiératique Naomi, ni physiquement ni moralement – peut-être Maav était-elle un peu moins tendre que Padaig, plus tranchante, plus rancunière aussi. Mais elle était, résolument, la fille de son père : son unique enfant, son héritière.

    Allaient-ils être chassés de leurs terres, de leur domaine ? Maav était née dans cette maison, elle ne l’avait même jamais quittée. Naomi lui avait appris à écrire, à lire, à compter, Padaig s’était chargé de lui enseigner l’histoire, même le latin, la philosophie, les sciences. Tessa, sa grand-mère, vivait dans une petite résidence à deux ou trois kilomètres de là, sur la station, et Maav lui rendait visite chaque jour. Celle-ci s’occupait des chevaux et supervisait l’entretien du verger derrière les collines ; elle avait sa vie et pour rien au monde n’en aurait souhaité une autre.

    Naomi répétait souvent qu’il était temps qu’elle rencontre des jeunes gens de son âge, qu’il fallait penser à son futur mariage. Elle était une fille ; elle ne pourrait pas gérer la station toute seule. Maav ne voyait pas pourquoi. Elle n’avait pas envie de partager son domaine avec quiconque, hormis son père et sa grand-mère. Elle voulait les paysages immenses, les couleurs éclatantes des yuccas, la terre rouge et sèche sous ses pieds, les silhouettes des chevaux

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