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L’esprit du jeu
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L’esprit du jeu
Livre électronique393 pages5 heures

L’esprit du jeu

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À propos de ce livre électronique

Ils ont trois jours pour trouver un trésor. Mais aucun d’eux ne se doute qu’ils ont signé pour gagner ou mourir.
Le Centre d’Études « Psychopathogie et Psychanalyse » organise un test grandeur nature pour évaluer « les réactions émotionnelles innées et acquises selon le milieu social, l’âge et le genre ». Un mécène anonyme et richissime finance la mise en place de ce jeu très spécial.
Sept personnes sont réunies dans le château de Montrevault, entouré d’un domaine de plus de dix hectares et ceinturé d’un mur infranchissable. Chacune a signé un contrat de confidentialité en contrepartie d’une rémunération confortable et espère remporter la prime réservée au gagnant. L’objectif : découvrir un trésor caché dans la propriété.
Un couple de gardiens accueille le groupe et veille au respect des règles, dont l’interdiction de tout contact avec l’extérieur durant les trois jours de la compétition. Des indices, bonus et malus sont attribués aux participants, qui ont le droit de s’allier ou de faire cavalier seul, voire de se mettre des bâtons dans les roues.
Très vite, les joueurs se rendent compte que la plupart d’entre eux possèdent des capacités « hors normes ». Et que leur isolement n’est pas une simple figure de style...

LangueFrançais
Date de sortie15 juin 2020
ISBN9782370116864
L’esprit du jeu
Auteur

Marie-Pierre Bardou

Née en Afrique équatoriale dans une famille d’oiseaux migrateurs, Marie-Pierre Bardou a gardé de ses voyages précoces le goût des départs, même en imagination. Elle teste un peu tous les genres – poésie, nouvelle… - mais c’est avec le roman qu’elle peut, réellement, se laisser « embarquer ». Grande admiratrice du génie fiévreux d’un Dostoïevski ou de l’implacable plume d’un Ross Mc Donald ou d’un Liam O’ Flaherty, elle adore les romans historiques et les thrillers. C’est le plus souvent dans les drames familiaux qu’elle puise sa propre inspiration. Elle a une prédilection pour les grasses matinées et les séries TV, et de temps en temps se laisse séduire par quelques chutes libres – mais toujours avec un parachute. Sinon, son bureau ou son canapé seront les endroits où vous la trouverez la plupart du temps. L’avantage étant qu’ils sont dans la même pièce, pour une très agréable économie de mouvement.

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    Aperçu du livre

    L’esprit du jeu - Marie-Pierre Bardou

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    L’ESPRIT DU JEU

    Marie-Pierre BARDOU

    Published by Éditions Hélène Jacob at Smashwords

    Copyright 2020 Éditions Hélène Jacob

    Smashwords Edition, License Notes

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    © Éditions Hélène Jacob, 2020. Collection Mystère/Enquête. Tous droits réservés.

    ISBN : 978-2-37011-686-4

    Partie I

    – 1 –

    Journal de Stanislas, extrait 1

    C’est la sensation de froid qui ne me quitte plus. Depuis près de trente-cinq ans maintenant, j’ai l’impression d’être pris dans un étau de glace. Chercher l’air. Ne pas le trouver. Avaler un liquide gelé qui brûle mes poumons, m’étouffer en recrachant. Suffoquer. Mon corps qui s’engourdit, devient écrasant, pesant, incroyablement lourd pour la morphologie d’un petit de 5 ans.

    Il me semble que ce matin-là constitue mon premier souvenir concret. Selon les études en la matière, un enfant n’a, en général, de réelles réminiscences qu’à partir de 5-6 ans. Avant cela, il s’agit plutôt d’images, de sensations confuses, de flashes plus ou moins crédibles.

    Avant cela, pour moi, il n’y a presque rien. Je ne me souviens d’aucun événement, d’aucun visage. Seulement de quelques impressions. Étrange. Comme si j’étais né le jour où je suis mort.

    Je jouais avec Thémis dans le parc. Non, pas Thémis, elle n’était même pas encore conçue à ce moment-là. Il s’agissait sans doute de son père, Ouranos. Lui était de pure race, un immense dogue allemand dont la robe argentée étincelait sous le soleil d’hiver. Sa descendance était bien moins parfaite. Thémis puis Atlas sont nés de croisements hasardeux avec des bâtards, rencontrés au gré de leurs échappées au village et dans le coin. Ils y ont gagné une vigueur et, surtout, une longévité bien supérieures : les dogues allemands meurent jeunes, comme tous les canidés de haute taille et de lignée sans mélange.

    S’abaisser pour devenir fort. C’est une des leçons que j’ai apprises.

    Mais, ce matin-là, dans le parc, je n’étais qu’un petit garçon qui jouait avec son chien. Il avait neigé pendant des jours et des nuits sans discontinuer, et les grandes pelouses étaient d’une blancheur immaculée, les branches nues des platanes, habillées de glace et ployant, prêtes à se briser, sous le poids de la couche floconneuse.

    Il n’y avait personne pour me surveiller. Ouranos était un gardien très sûr et je suppose que mes parents n’estimaient pas que je pusse courir le moindre risque à m’ébattre devant les fenêtres du château.

    Je ne me souviens que de l’immense silhouette argentée que je poursuivais en riant, mes bottes s’enfonçant dans la neige. Aveuglé par la lumière du soleil qui se réverbérait sur la surface étincelante, je ne voyais pas où je posais mes pieds, tout était recouvert uniformément d’un blanc cotonneux et humide. Je ne me suis pas rendu compte que j’étais en train de courir sur la glace avant d’entendre un craquement. C’était une sorte de gémissement, sinistre, incongru au milieu de mes cris et des joyeux aboiements d’Ouranos. Je me suis arrêté, surpris, intrigué.

    Le sol s’est ouvert sous mes pieds et m’a englouti presque en silence. J’ai mis de longues minutes à mourir.

    ***

    Candice

    Jour 1 – 6 heures

    Le loquet de la fenêtre grinça sous ses doigts lorsqu’elle la déverrouilla. Aussitôt, un courant d’air glacé s’engouffra entre les interstices des volets encore fermés, l’enveloppant de son baiser mortel. Candice se pencha et dégagea les panneaux aussi vite que possible. Gestes sûrs, rapides, maintes fois répétés. Trois niveaux. Les chambres et les commodités du deuxième étage, réservées au personnel du château : quinze pièces, et même si quatre d’entre elles seulement étaient utilisées, il fallait toutes les ouvrir. Au premier, les dix suites avaient chacune leur salle de bains privée, et Candice devait également déclore tous les volets. Le rez-de-chaussée comprenait huit grandes pièces, comportant chacune deux ou trois portes-fenêtres, sans compter la cuisine et les dépendances – le domaine exclusif de Geneviève. Le salon d’apparat, le petit séjour, la bibliothèque, la salle à manger, le bureau du comte, un autre cabinet, la salle de bal – qui ne servait plus depuis des siècles – et, enfin, la salle de musique.

    Chaque matin, Candice ouvrait quarante-huit volets. Quarante-huit courants d’air qui lui glaçaient les os et figeaient son visage en un masque de cire, bloquant sa respiration et menaçant de l’étouffer.

    Elle referma la fenêtre de la dernière chambre avec un frisson. Regarda autour d’elle. Il faisait encore sombre et le lampadaire diffusait une lumière laborieuse dans la pièce confortable, qui serait celle d’un des participants. Elle avait déjà vérifié que les sept lits étaient faits, que des couvertures supplémentaires étaient à disposition dans les placards ; les radiateurs ronflaient en cliquetant ; les coupelles, contenant des petits sablés tout frais, déposées sur chaque table de nuit.

    Candice était seule à s’occuper du ménage quotidien et, dans cette immense baraque centenaire, c’était un travail éreintant.

    Mais, la veille, une équipe de professionnels, spécialement embauchée pour l’occasion, avait investi le domaine pour nettoyer de fond en comble chaque recoin, sortir et épousseter chaque tapis, passer l’aspirateur, le plumeau et l’encaustique, récurer l’émail des antiques baignoires et des lavabos. La vieille maison avait craqué, gémi, tout étonnée par cette débauche d’activité qui la faisait émerger sans crier gare de sa léthargie hivernale. Tout reluisait de propreté.

    Satisfaite, Candice quitta la chambre et emprunta l’immense escalier qui reliait les deux premiers niveaux. On n’accédait au troisième étage que par celui de service, qui donnait sur les dépendances de la cuisine à l’arrière du château.

    Monstrueux, l’escalier d’apparat s’élevait en une élégante spirale de pierre, ses marches rendues silencieuses par le velours rouge qui les recouvrait. Les pieds de la jeune femme ne faisaient aucun bruit tandis qu’elle se glissait comme une ombre jusqu’au rez-de-chaussée, débouchant sur le hall majestueux, orné des portraits d’ancêtres : les Montrevault laissaient tomber des regards dédaigneux sur ceux qui osaient lever les yeux vers ces dignes personnages compassés, tout étonnés de n’être plus que des images dans un monde qui ne leur appartenait plus.

    Encore vingt et un volets à ouvrir. Candice pressa le pas.

    Elle finit par la bibliothèque, une vaste salle aux murs couverts, du sol jusqu’aux lambris, de rayonnages encastrés, meublée de fauteuils club en cuir et de canapés moelleux. Malgré sa hauteur sous plafond et son arrogance, c’était son endroit préféré. Elle aimait l’odeur des livres soigneusement entretenus, celle des matériaux nobles et de l’encaustique, les lueurs fauves reflétées sur le dos des ouvrages par la lumière du lustre. Candice alluma un feu et la pièce s’anima soudain, comme si elle lui donnait vie.

    C’était ici que devait se réunir le groupe. Ils n’allaient pas tarder à arriver, maintenant.

    La jeune femme se posta quelques instants face à l’une des portes-fenêtres. Au-delà des vitres embuées, le parc s’étendait dans l’obscurité aux faibles éclats gris. Elle distinguait à peine le lac en contrebas, les massifs qui encadraient la fontaine gelée devant le perron.

    — Mesdames et messieurs, bienvenue au château de Montrevault !

    Candice sursauta, se retourna brusquement : derrière elle, debout, dos à la cheminée, Michel répétait son discours. Il gonflait son torse et s’exprimait d’une voix de stentor. Elle eut l’image d’un coq de basse-cour et se mordit les lèvres pour ne pas ricaner.

    Le majordome tenait parfaitement son rôle. De taille moyenne, grisonnant, il accusait un sérieux embonpoint que sa livrée mettait étrangement en valeur. On l’aurait dit sorti d’un roman victorien.

    — Vous êtes ici, continuait Michel, pour participer à un essai scientifique organisé par le Centre d’Études de Psychopathologie et de Psychanalyse, et nous vous remercions de vous être portés volontaires ! Vous bénéficierez, pendant votre séjour, de tout le confort possible dans…

    … dans les courants d’air, les volets grinçants, les lames disjointes des parquets, le chauffage précaire et la plomberie aux caprices de diva…

    Candice n’écoutait plus le bonhomme et vérifiait machinalement la disposition des coussins, la propreté des guéridons. Elle s’approcha de la délicate crédence en acajou qui trônait près de l’un des canapés : elle devait l’apporter à Geneviève, car cette dernière préparait le petit déjeuner des invités. Au moins, ils mangeront bien, songea-t-elle. La cuisine de Geneviève était excellente. En témoignait le ventre proéminent de son époux.

    Candice commença à faire rouler la desserte vers la porte de la bibliothèque.

    — Pendant trois jours, pérorait Michel derrière elle, vous serez les hôtes du comte de Montrevault, qui est le généreux mécène de ce test d’un genre très particulier auquel vous êtes tous conviés à participer…

    Par les grandes fenêtres voilées de givre, une aube pâle et timide tentait de se frayer un passage parmi les ombres. Candice jeta un dernier regard derrière elle avant de franchir la porte de la bibliothèque avec sa desserte.

    Le dos et le fondement sans doute rôtis par le feu qui flambait joyeusement, Michel bombait le torse et continuait à répéter son discours, totalement investi dans son rôle. Candice hésita entre une certaine forme d’admiration, un soupçon de pitié et un zeste de mépris. Le majordome, sans cesser pour autant de parler, se tourna vers elle quelques secondes et lui adressa un clin d’œil.

    Elle sortit de la pièce, vaguement inquiète, un peu amusée. Il n’est peut-être pas si idiot, finalement…

    Dans le hall, la grosse pendule en chêne fit entendre ses lourds tintements, accompagnant les pas de Candice et le léger grincement des roues de la desserte sur le plancher lustré. Un, deux, trois… sept. Ils allaient bientôt arriver.

    Tandis que la jeune femme longeait le couloir vers la cuisine et les dépendances, il lui sembla que le château se préparait à une invasion soudaine. Il retenait son souffle de ses antiques murs, aussi épais que la hauteur de deux hommes, et prêt à se défendre contre l’assaut final. Dehors, les lourds nuages encore sombres de nuit commençaient à peine à laisser filtrer une pâle lumière.

    – 2 –

    Atlas

    Jour 1 – 7 heures

    Les brins d’herbe, figés de givre, craquaient comme des branches sèches sous ses pattes. Il avançait tranquillement, passant par le verger derrière le château, contournant le poulailler où toutes ces bêtes ridicules et criardes s’étaient terrées dans le petit bâtiment en bois. Le coq aurait dû chanter, au moins. C’était son rôle, après tout. Mais pas une plume ne bougeait ni ne frémissait dans l’air glacé et encore sombre de l’aube. Il aimait bien les gallinacés, faciles à croquer sous la dent. Mais il n’avait pas le droit de pénétrer dans l’enclos.

    Atlas dépassa donc l’appentis, puis le potager où des rangées de choux, de carottes et de patates s’alignaient dans la terre dure et blanche, protégées par des bâches en plastique. Le mur de la première enceinte était bas, entourant toutes les dépendances du domaine, et le chien se mit à courir dès que le grand pré s’offrit à sa vue : une mer de glace, immobile et baignée de brume, comme surgie d’un rêve. Atlas avait besoin de se réchauffer. Ses foulées s’allongèrent et il galopa, élastique et tranquille. Il était vieux maintenant. Il préférait rester au chaud entre les remparts du château, gardant un œil vigilant sur ce qui s’y passait, qui y entrait. Il tenait mieux son rôle que cet imbécile de coq trop frigorifié pour réveiller la maisonnée à l’heure.

    Il aimait les flambées qui lui roussissaient le poil et qui crépitaient dans l’air humide. Il aimait les craquements de la vieille bâtisse, ses chausse-trappes, ses recoins, les tapis moelleux sur lesquels s’allonger.

    Mais pour rien au monde il n’aurait manqué sa ronde matinale. Il était né ici, il y mourrait sans doute. Atlas avait semé quelques bâtards au village et Candice avait déjà discuté avec le propriétaire d’un de ses descendants pour le récupérer, une fois éduqué par sa mère. Il avait vu la boule de poils noire comme l’enfer – la génitrice était un terre-neuve –, l’avait considéré avec une indifférence polie. Sa relève était assurée, s’éloignant plus que jamais de la race élégante des dogues allemands dont, malgré son propre père peu orthodoxe, Atlas portait encore fièrement les caractéristiques.

    La haute silhouette grise et musclée traversait la brume comme un fantôme. On percevait à peine, quelques mètres aux alentours, les contours des arbres et des bâtiments proches ; tout était noyé dans le brouillard qui fondait l’horizon en un rêve vague et oppressant.

    Un bruit diffus le fit ralentir. Atlas s’immobilisa, dressa les oreilles. Cela venait du portail. Il se remit en route au petit galop dans cette direction.

    ***

    Mathilde

    Jour 1 – 7 heures

    Contre la paume de sa main, la vitre était glacée. Elle frissonna, resserrant autour d’elle, en un geste inconscient, son chandail en laine. Il avait un trou près du col. Elle ne l’avait pas remarqué avant que la petite blonde n’y fixe ses yeux, en la saluant au moment de monter dans le bus, dans les lumières jaunes et tristes du parking de la gare routière. L’attitude de la fille disait : miteuse. Mais la gamine avait levé le nez et croisé son regard sans rien oser ajouter, évidemment. Mathilde maîtrisait à la perfection l’art de faire taire autrui.

    Il y a un trou, et alors ?

    Elle n’avait jamais accordé beaucoup d’importance à son apparence. Il faisait encore nuit dehors et la vitre reflétait partiellement son image, un visage austère, vierge de tout maquillage, des cheveux sombres vaguement ramenés en chignon. Pourquoi s’intéresserait-elle maintenant à son allure, à 53 ans, alors qu’elle avait toujours dédaigné d’y prêter attention ? L’hygiène, cela suffisait largement.

    Mathilde chercha une position plus confortable sur le siège raide. Elle était seule sur sa rangée, le minibus pouvait transporter une quinzaine de personnes et ils étaient sept passagers, plus le chauffeur, évidemment. Quelle idée d’avoir décidé d’effectuer cet exercice en plein mois de janvier et au fin fond de la campagne ? À moins que cela fasse partie du test, justement. L’influence de l’environnement…

    Ils leur avaient parlé d’un château et d’une sorte de mise en quarantaine de trois jours. « Vous aurez une cuisinière, une bonne à tout faire et un majordome, avait déclaré madame Thomas. Vous n’aurez à vous occuper de rien d’autre que de votre mission ».

    Une mission… Mathilde sourit en fermant les yeux, essayant de dormir un peu avant d’arriver au domaine de Montrevault. Le ronronnement du moteur la berçait et, de toute façon, il faisait encore trop sombre dehors pour admirer le paysage qu’on devinait désertique et blanc de givre. Dans le véhicule, chacun se taisait. Depuis les quelques mots de salutations vagues échangés sur le parking, ils n’avaient pas été très prolixes. La fatigue, sans doute. Peut-être aussi un peu d’anxiété.

    Chacun des sept participants à l’expérience venait d’une région différente. Mathilde était partie la veille de Toulouse et avait pris le train nocturne à Paris pour rallier ce trou perdu, où le bus les attendait à 6 heures. Le chauffeur leur avait annoncé qu’ils en avaient pour une heure de trajet encore.

    Elle n’avait bien entendu pas pu fermer l’œil sur les rails, mais elle s’y était préparée. Elle avait choisi l’une de ces nouvelles couchettes réservées exclusivement aux femmes, puisqu’on vivait dans un monde où les hommes n’hésitaient plus à agresser publiquement toutes les proies potentielles qui croisaient leur chemin.

    De sa vie, Mathilde n’avait jamais été la victime de personne. Mais, même si elle savait déjà qu’elle allait passer une nuit blanche, elle tenait au moins à être tranquille.

    Oh, tranquille, elle l’avait été ! Les trois filles qui avaient partagé son compartiment avaient été aussi muettes que l’étaient ses compagnons de route actuels. Mais muettes ne signifiait pas silencieuses. Dieu ! Comment pouvait-on autant ronfler, marmonner, tousser, même hoqueter pendant son sommeil ? Malgré ses boules Quies, elle n’avait pas pu fermer l’œil.

    Mais ce n’était pas grave. Elle dormirait bien, cette nuit, et elle allait séjourner dans un château ! Elle avait hâte de commencer l’expérience, hâte de voir la monotonie de son existence se briser pour vivre une véritable aventure, et rémunérée en plus ! Le CEPP était plutôt généreux dans ses émoluments, cela lui permettrait peut-être de mettre enfin un peu d’argent de côté. Il y avait longtemps qu’elle rêvait de partir en voyage. Certes, l’adepte du bouddhisme qu’elle était méprisait les possessions matérielles… Mais un voyage ? Ce n’était pas vraiment une possession, n’est-ce pas ? Elle aurait dû se concentrer sur une retraite spirituelle dans les Pyrénées. Un stage, avec des partisans du jeûne et de la méditation, du yoga… Mais, quand même, un voyage… Les Bahamas, peut-être ? Sous ses paupières closes, Mathilde se mit à rêver, s’endormant enfin au bruit des vagues qui venaient mourir sur un sable doré. Elle plongeait avec ravissement ses orteils dans l’eau fraîche et…

    — Oh, mais c’est top !

    Mathilde s’éveilla en sursaut. Le jour s’était péniblement levé derrière les vitres du bus, qui poursuivait sa route chaotique en traversant un immense parc boisé. Arrachée à ses songes de lagunes et de plage délicieuse, elle frissonna : la silhouette gigantesque d’un château médiéval se découpait au détour d’un virage, massif et ombrageux comme une bête sauvage à l’affût. C’était… top !

    Mathilde se tourna vers la petite blonde dont le nez était écrasé sur la fenêtre. Comment s’appelait-elle, déjà ? L’un de ces prénoms modernes et clinquants, comme Cindy, quelque chose en I… Ah, oui, Jenny !

    Tous les participants étaient maintenant réveillés et chuchotaient entre eux. L’homme massif, aux cheveux noirs et au visage presque féroce, qui était assis devant elle maugréa :

    — Le genre de baraque impossible à chauffer. On va se geler les couilles sévère, je vous le dis !

    — En ce qui concerne trois personnes présentes, ne put-elle s’empêcher de rétorquer, il s’agira sans aucun doute d’une autre partie de notre anatomie qui risquera la froidure… Mais je vous le concède.

    L’homme se tourna vers elle et l’observa avec stupéfaction, tandis que Jenny et la troisième fille du groupe, Mélina, pouffaient de concert.

    Mathilde eut le temps d’apercevoir la structure globale du château – un corps principal, deux ailes de part et d’autre, trois étages et des dépendances derrière… ainsi que des remparts crénelés au sommet du bâtiment central – avant que le bus s’immobilise devant l’imposante entrée. En s’étirant, chacun se prépara à sortir du véhicule, et Mathilde s’enveloppa soigneusement dans son écharpe, sa parka, mit ses gants et son bonnet de laine pour suivre le dénommé JC – celui qui allait se geler les couilles – et descendre.

    En haut des marches du perron, un individu entre deux âges, sanglé dans un uniforme de majordome, s’inclinait gravement devant eux et déclamait d’une voix qui portait sans doute jusqu’à l’autre bout du domaine :

    — Mesdames et Messieurs, le comte de Montrevault vous souhaite à tous la bienvenue sur ses terres !

    Chacun s’immobilisa, figé comme une statue de pierre. L’homme semblait surgir d’un film d’époque.

    Derrière elle, Mathilde entendit Jenny et Mélina pouffer à nouveau.

    – 3 –

    Lulu

    Jour 1 – 8 heures

    Elle émergea prudemment du sac dont, heureusement, les lacets étaient assez lâches pour permettre son extraction. Lulu resta de longues minutes immobile, assise sur le matelas sur lequel Jenny avait posé ses affaires avant de ressortir. Elle l’avait laissée seule.

    Lulu détestait être seule.

    Elle détestait aussi les endroits qu’elle ne connaissait pas. Et cette chambre, avec ce décor bizarre, cette haute fenêtre par laquelle une aube grise tentait vaillamment de combattre les ombres, lui était définitivement étrangère. Des odeurs nouvelles, des craquements inquiétants… et quelle était cette lueur jaune, rouge, éblouissante, qui faisait du bruit et bougeait tout le temps près du mur, face au lit ?

    Lulu se décida à descendre du matelas et s’approcha à pattes précautionneuses. Ses longues moustaches frémirent devant le claquement sec d’une des lumières qui semblaient vivre toutes seules, comme animées d’une joie ardente. Ça sentait bon et c’était chaud, mais c’était également sonore et très étrange.

    Elle fit une toilette minutieuse sans quitter l’animal-lumière des yeux. On ne savait jamais. Il y avait une grille devant la bête, mais on ne savait jamais.

    Elle entendait des bruits lointains, des voix humaines réduites, par la distance, à des échos de murmures. Des gens. Lulu ne voulait pas être isolée.

    Elle avait passé les quarante-huit dernières heures dans cette maudite besace, trimballée sans ménagements dans des courants d’air glacés, étourdie par des claquements de portes, des cahots de route, des sirènes et des paroles issues de machines qui les rendaient plus fortes que des hurlements. Jenny l’avait laissé sortir une seule fois de ce sac, elles étaient toutes les deux dans une pièce minuscule qui bougeait tout le temps et Lulu était terrorisée.

    Des croquettes. Lulu les remarqua, deux écuelles posées dans le renfoncement d’un mur, l’une avec de l’eau, l’autre avec sa nourriture. Elle s’y précipita. Il s’y trouvait aussi sa litière, bien propre, prête à servir.

    Elle refit sa toilette sur l’un des fauteuils devant l’animal-lumière et hésita, observant l’entrée de la chambre mal fermée. Elle ne voulait pas rester seule ; mais peut-être y avait-il du danger, dehors ?

    La peur de la solitude fut plus forte que celle du risque. Lulu coula son corps minuscule et élastique par la porte entrebâillée et partit à la recherche des humains. Elle longea des couloirs déserts et sombres, éternuant dans la poussière incrustée depuis des siècles dans les lames du plancher. Les voix venaient d’en bas. Un escalier de géants y menait, dont chaque marche était tellement massive qu’elle était obligée de se laisser glisser de degré en degré, tremblante, avide de voir des gens, terrorisée à l’idée qu’il y avait peut-être…

    Un feulement strident sortit de sa propre gorge. Tétanisée, Lulu faisait face à un monstre. Immobile, immense, le titan penchait son énorme tête vers la chose minuscule, aux poils hérissés, qui crachouillait en couinant. Lulu avait parfaitement conscience qu’elle était ridicule. Elle avait compris depuis longtemps qu’elle était trop petite pour faire peur à quiconque. Mais son instinct était plus fort. Elle recula en feulant, toutes griffes dehors, sous l’œil indifférent du géant gris qui la regarda se carapater dans la première pièce accessible.

    Lulu entra dans une salle immense et s’arrêta net, à la fois terrorisée et soulagée. Des gens. Il y avait plein d’humains ici, regroupés autour d’un second animal-lumière, debout ou assis, mangeant et buvant en discutant. L’un d’eux, qui portait un costume bizarre – noir et blanc, comme une pie, et qui sentait la naphtaline – parlait très fort et les autres l’écoutaient, l’interrompaient, le questionnaient.

    Lulu vérifia que le monstre gris ne l’avait pas suivie et alla se cacher sous un fauteuil.

    ***

    JC

    Jour 1 – 8 heures du matin

    — Je vous rappelle les règles édictées par le CEPP durant ces trois jours d’expérimentation, pérorait le pingouin. Pas de communications téléphoniques, pas de connexion Internet, aucun contact avec l’extérieur. Le test prendra fin après-demain à minuit, que vous ayez ou non trouvé le trésor. En cas d’échec, vous…

    — Et si on est plusieurs à mettre la main dessus, à ce foutu trésor ? On a le droit de zigouiller les autres ?

    Le pingouin se pencha vers lui, le visage un peu congestionné. JC connaissait ça. Trop de levers de coude après dîner, mon coco. Mains croisées derrière son dos, le « majordome », comme il se présentait lui-même, le faisait halluciner. D’où il sortait, ce gus ? Soit c’était un acteur, et il était foutrement bon dans sa partie, soit il s’y croyait vraiment et il avait besoin d’un petit tour chez un psy. JC tendit le bras pour prendre sa tasse de café, posée sur la desserte que la fille toute voûtée avait installée à côté du canapé, et il attendit que l’autre réponde après s’être raclé la gorge pour manifester sa réprobation :

    — Non, bien sûr, personne ne zigouillera personne. Si plusieurs d’entre vous trouvent la cible dans les délais impartis, la prime exceptionnelle sera partagée équitablement entre les…

    — Et c’est quoi, cette putain de cible ? Vous parlez d’un trésor, c’est une chasse au trésor ? C’est quoi, hein ? Des pièces d’or ? Des bijoux ? Des…

    — Si vous laissiez Michel s’exprimer jusqu’au bout, sans doute pourrions-nous obtenir les réponses à vos judicieuses questions sans avoir à y passer la matinée.

    Il ne se tourna même pas vers celle qui l’avait interrompu. La croulante revêche, avec son éternel balai dans le troufignon. Il connaissait le genre. Celle-là n’avait pas dû s’envoyer en l’air depuis des siècles, c’était là le nœud de l’affaire.

    — Hé ! Vous croyez peut-être qu’une vieille fille coincée va me claquer le beignet, vous…

    — N’étant ni vieille, du moins pas avant quelques années, ni fille, je ne…

    — Et si nous avancions ?

    La voix douce du type maigre qui avait pris place dans l’un des fauteuils à côté d’une fenêtre les interrompit. JC aurait bien aimé savoir ce que la vioque voulait dire avec son truc, mais il avait le temps d’y revenir – trois jours, bon Dieu ! – et il considéra le mec en souriant. Celui-là lui plaisait beaucoup. Il ne devait pas avoir plus de 30 ans, pourtant son crâne était déjà dégarni, et il avait manifestement été bercé trop près du mur : son visage était tordu, il marchait de biais en boitant, traînant une patte folle et un bras tout racorni qu’il gardait constamment replié contre sa poitrine. David, s’il se souvenait bien. Il hocha la tête d’un air conciliant. T’inquiète, mon gars, tu vas vite comprendre qui est JC. Même s’il ne remportait pas la prime en trouvant leur connerie de trésor, il comptait bien s’amuser. Il laissa donc le pingouin reprendre la parole et se leva, pour venir piocher dans le buffet mis à disposition du groupe sur la petite table, un peu plus loin dans la bibliothèque. Il y avait des muffins bien beurrés, des scones, des brioches tièdes et croustillantes. Dans des plats protégés par un couvercle pour les tenir au chaud, on leur proposait aussi des œufs brouillés, des haricots rouges… JC s’empara d’une assiette et se servit généreusement, tout en écoutant d’une oreille le monologue du dindon, qui poursuivait :

    — En cas d’échec, donc, vous repartirez chez vous en accord avec le contrat que vous avez signé : vous serez bien entendu rémunérés selon les accords passés, mais vous n’obtiendrez pas la prime. L’un de vous découvrira un indice pour trouver le trésor, dans la matinée. Vous pouvez choisir d’agir seuls ou de partager vos compétences. Vous avez le droit de mentir, de tricher, de faire tout ce que vous souhaitez, à l’exception des dommages physiques…

    Merde alors !

    Tout en dévorant ses scones, JC songea qu’au moins, il s’en mettrait plein la panse pendant ces trois jours. Le Centre d’Études Psychopathologie et Psychanalyse l’avait contacté un mois plus tôt pour lui proposer de faire partie d’une expérimentation originale ayant pour but de… de quoi, déjà ? Ah oui : « … d’étudier les comportements humains en situation de stress et d’émulation, de déterminer la tendance des participants à collaborer ou, au contraire, à privilégier leur intérêt personnel dans le cas d’une forte gratification. »

    JC n’avait pas compris grand-chose, sinon qu’on lui offrait de passer trois jours dans un château, payé grassement, pour participer à une chasse au trésor. Le test était financé par le comte Stanislas de Montrevault, généreux mécène qui mettait également à disposition son propre domaine et son personnel de maison pour l’expérience.

    Qu’on soit prêt à claquer du fric pour une histoire de comportement, ça le dépassait. Mais bon, ça le changerait de son taf où il s’emmerdait copieusement et il comptait bien en profiter un max. Il avala un muffin d’une seule bouchée, mâchant à grand bruit, et croisa le regard dégoûté de la jolie brune assise près du feu. JC lui sourit. Mélina. Un chouette morceau, poitrine avantageuse, jambes fines, longue chevelure brillante…

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