Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Dia Linn - V - Le Livre de Ryann (Is ait an mac an saol’)
Dia Linn - V - Le Livre de Ryann (Is ait an mac an saol’)
Dia Linn - V - Le Livre de Ryann (Is ait an mac an saol’)
Livre électronique363 pages4 heures

Dia Linn - V - Le Livre de Ryann (Is ait an mac an saol’)

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Chicago, 1920. La Prohibition vient d’être étendue à tous les États-Unis, pour le plus grand bonheur des clans mafieux, italiens et irlandais, qui se disputent le trafic juteux de la contrebande.
Ryann Noone, le parrain du Valley Gang inféodé aux Irlandais, découvre le cadavre de sa femme assassinée d’un poignard en plein cœur.
Commence alors une longue quête à la recherche du meurtrier, mais aussi de sa véritable identité.

Qui est Ryann Noone, dit « Le Corbeau », gamin abandonné et retrouvé quarante-trois ans plus tôt sur un trottoir de Chicago ?
Certainement pas « un homme bien ». Manipulateur, violent et sans morale, « Le Corbeau » a un goût prononcé pour le whisky et la drogue. Il s’est hissé au sommet de la hiérarchie des gangs mafieux par la ruse et la force, lui qui ne connaît de son propre passé que son prénom et d’étranges réminiscences...
Amis et ennemis, alliés et adversaires s’entremêlent et se confondent, dans un jeu explosif où chaque coup que l’on porte peut se retourner contre soi. Mais Ryann a un atout : il sait manier les cartes comme le mensonge, le poing et le revolver. Reste à savoir si cela lui suffira pour rester en vie...

Is ait an mac an saol’, Le livre de Ryann, est le cinquième tome de la saga Dia Linn : le destin du dernier descendant d’Eileen O’Callaghan, quand la noirceur d’un homme se répand, d’être en être, jusqu’à corrompre le cœur de plusieurs générations.

LangueFrançais
Date de sortie19 juin 2015
ISBN9782370113320
Dia Linn - V - Le Livre de Ryann (Is ait an mac an saol’)
Auteur

Marie-Pierre Bardou

Née en Afrique équatoriale dans une famille d’oiseaux migrateurs, Marie-Pierre Bardou a gardé de ses voyages précoces le goût des départs, même en imagination. Elle teste un peu tous les genres – poésie, nouvelle… - mais c’est avec le roman qu’elle peut, réellement, se laisser « embarquer ». Grande admiratrice du génie fiévreux d’un Dostoïevski ou de l’implacable plume d’un Ross Mc Donald ou d’un Liam O’ Flaherty, elle adore les romans historiques et les thrillers. C’est le plus souvent dans les drames familiaux qu’elle puise sa propre inspiration. Elle a une prédilection pour les grasses matinées et les séries TV, et de temps en temps se laisse séduire par quelques chutes libres – mais toujours avec un parachute. Sinon, son bureau ou son canapé seront les endroits où vous la trouverez la plupart du temps. L’avantage étant qu’ils sont dans la même pièce, pour une très agréable économie de mouvement.

En savoir plus sur Marie Pierre Bardou

Auteurs associés

Lié à Dia Linn - V - Le Livre de Ryann (Is ait an mac an saol’)

Titres dans cette série (8)

Voir plus

Livres électroniques liés

Sagas pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Dia Linn - V - Le Livre de Ryann (Is ait an mac an saol’)

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Dia Linn - V - Le Livre de Ryann (Is ait an mac an saol’) - Marie-Pierre Bardou

    cover.jpg

    DIA LINN

    5 : LE LIVRE DE RYANN

    Is ait an mac an saol’

    Marie-Pierre BARDOU

    Published by Éditions Hélène Jacob at Smashwords

    Copyright 2015 Éditions Hélène Jacob

    Smashwords Edition, License Notes

    This ebook is licensed for your personal enjoyment only. This ebook may not be re-sold or given away to other people. If you would like to share this book with another person, please purchase an additional copy for each recipient. If you’re reading this book and did not purchase it, or it was not purchased for your use only, then please return to Smashwords.com and purchase your own copy. Thank you for respecting the hard work of this author.

    Cet ebook est vendu pour une utilisation strictement privée. Cet ebook ne peut être revendu ou donné à d’autres personnes. Si vous souhaitez partager ce livre avec une autre personne, merci d’acquérir une copie additionnelle pour chaque bénéficiaire. Si vous lisez ce livre et ne l’avez pas acheté, ou s’il n’a pas été acheté pour votre utilisation personnelle, merci de retourner sur Smashwords.com et d’acheter votre propre copie. Merci de respecter le travail de cet auteur.

    © Éditions Hélène Jacob, 2015. Collection Littérature. Tous droits réservés.

    ISBN : 978-2-37011-332-0

    Résumé des tomes précédents

    Tome I : Irlande, 1848. La Grande Famine pousse Eileen et Wyatt O’Callaghan à fuir leur pays après la mort de leur famille. Ils laissent derrière eux leur frère aîné Aïdan, exilé en Australie pour s’être révolté contre la domination anglaise, et Liam O’Brien, leur frère de lait, qui a rejoint le parti révolutionnaire. Eileen est enceinte de Liam et elle a également hérité des dons occultes des femmes de sa famille.

    Tome II : Louisiane, 1848-1859. Désirée de Rocheclaire adopte les jumeaux d’Eileen, Neal et Neve, qui seront les héritiers de cette puissante famille créole. Eileen retrouve Liam, parti en quête des Irlandais exilés pour créer la Fraternité feniane. Lors d’une partie de poker, Eileen gagne une mine d’or : Liam la tue pour la lui voler.

    Tome III : Louisiane et Colorado, 1859-1861. Wyatt retrouve Liam pour venger sa sœur et lui reprendre la mine d’or. Mais, lors de leur affrontement final, c’est Aïdan, revenu de son exil, qui commet l’irréparable : il tue la petite Aisling, la fille de Liam. Wyatt s’enfonce dans le Nord sauvage, à la recherche de ses enfants qu’il a confiés à ses amis, laissant derrière lui son livre et son testament. À charge pour la lignée des O’Callaghan de veiller à ce que Liam n’ait jamais de descendance et ne puisse pas récupérer la mine de Dearfield.

    Tome IV : États-Unis, Irlande et Australie. 1861-1877. La guerre civile éclate. Neve se marie avec James Lyons et essaie de garder la plantation à flot grâce aux revenus de la mine. Neal parvient à se faire enrôler en mentant sur son âge, perdant la vie avec Aïdan pendant la bataille de Gettysburg.

    Liam, interné après le meurtre de sa fille, en ressort décidé à se venger : il finit par récupérer la mine de Dearfield et enlève Ryann, le fils unique de Neve et de James.

    Neve, qui a toujours refusé l’héritage maudit de Wyatt, réclame à son tour la vengeance pour son fils perdu.

    Préface

    « Seo dhibh a cháirde duan Óglaigh,

    Cathréimeach briomhar ceolmhar,

    Ár dtinte cnámh go buacach táid,

    ‘S an spéir go min réaltogach

    Is fonnmhar faobhrach sinn chun gleo

    ‘S go tiúnmhar glé roimh thíocht do’n ló

    Fé chiúnas chaomh na hoiche ar seol:

    Seo libh canaídh Amhrán na bhFiann.

    Nous chantons une chanson, la chanson d’un soldat

    Au cœur brave,

    Et alors que nous nous rassemblons sous

    Les cieux étoilés

    Impatients de combattre

    Attendant la lumière du matin,

    Ici, dans le silence de la nuit,

    Nous chantons la chanson du soldat.

    Sinne Fianna Fáil

    A tá fé gheall ag Éirinn,

    buion dár slua

    Thar toinn do ráinig chugainn,

    Fé mhóid bheith saor.

    Sean tír ár sinsir feasta

    Ní fhagfar fé’n tiorán ná fé’n tráil

    Anocht a théam sa bhearna bhaoil,

    Le gean ar Ghaeil chun báis nó saoil

    Le guna screach fé lámhach na bpiléar

    Seo libh canaídh Amhrán na bhFiann.

    Nous sommes des soldats,

    Au service de l’Irlande,

    Quelques-uns sont venus

    D’une terre au-delà de la mer.

    Jurés d’être libres,

    De notre ancienne Patrie

    À l’abri du despote ou de l’esclavage.

    Ce soir nous défions le péril, et

    Au nom de l’Irlande, douleur ou blessure,

    Et au milieu des canons,

    Nous chantons la chanson d’un soldat.

    Cois bánta réidhe, ar árdaibh sléibhe,

    Ba bhuachach ár sinsir romhainn,

    Ag lámhach go tréan fé’n sár-bhrat séin

    Tá thuas sa ghaoith go seolta

    Ba dhúchas riamh d’ár gcine cháidh

    Gan iompáil siar ó imirt áir,

    ‘S ag siúl mar iad i gcoinne námhad

    Seo libh, canaídh Amhrán na bhFiann.

    Dans la verte vallée ou dans la montagne,

    Nos pères ont lutté avant nous

    Et ont vaincu sous le même étendard

    Qui flotte fièrement

    Nous sommes les fils d’une race de combattants

    Qui n’a jamais connu le déshonneur,

    Et pendant que nous marchons pour affronter l’ennemi

    Nous chantons la chanson d’un soldat.

    A bhuíon nách fann d’fhuil Ghaeil is Gall,

    Sin breacadh lae na saoirse,

    Ta scéimhle ‘s scanradh i gcroíthe namhad,

    Roimh ranna laochra ár dtire.

    Ár dtinte is tréith gan spréach anois,

    Sin luisne ghlé san spéir anoir,

    ‘S an bíobha i raon na bpiléar agaibh:

    Seo libh, canaídh Amhrán na bhFiann.

    Fils de Gaël ! Hommes du Pays !

    Le jour tant attendu approche ;

    Les rangs serrés

    Feront trembler le tyran.

    Nos feux se réduisent maintenant ;

    Regardez l’éclat argenté,

    Là attend l’ennemi saxon,

    Alors chantez la chanson du soldat ! »I

    Personnages

    img1.jpg

    Prologue

    Au fond d’une impasse, le bar le Lycanthrope se trouvait à l’extrême limite entre le No Man’s Land et le quartier des affaires. Une seule avenue séparait les deux mondes, barrière invisible et si aisément franchissable qu’on se demandait, parfois, pourquoi elle n’était pas davantage franchie.

    Mais, pour les résidents des taudis, il n’y avait aucun avantage à venir fourrer leur nez dans l’univers bien rangé des nantis, contrôlé par l’Autorité : les caméras aux yeux indécelables enregistraient chaque mouvement, balayant le moindre recoin de rue, d’immeuble, de parc. La garde civile, sur ses beaux chevaux aux robes luisantes, assurait la police de proximité. Et surtout, dans ce quartier de bureaux, de centres médicaux et de cabinets de traders, avocats, agents de com, il n’y avait rien à voler. Pour trouver les bijoux, les tableaux, les vêtements de marque et toutes ces choses que l’on pouvait refourguer, il fallait aller un peu plus loin, dans des rues tellement surveillées qu’une mouche ne pouvait pas y péter tranquille.

    D’un côté, il y avait la grande et belle avenue, qui s’étirait en animal alangui et dont le goudron n’était même pas effleuré par les navettes rutilantes, privées et publiques, glissant à quelques mètres du bitume dans de doux feulements. Un peu plus loin, dans les quartiers des Alphas, les chênes aux lourdes branches, hiératiques et centenaires ; les grilles électriques, faussement vieillies, des immenses maisons entourées de parcs et de jardins.

    De l’autre côté, des ruelles jonchées d’ordures, des silhouettes hâtives et pas un seul arbre qui puisse survivre. Des bicyclettes antiques, des murs à divers stades de moisissure et des piétons qui rasaient les murs. Pas de caméras de sécurité, pas de service d’ordre.

    Le Lycanthrope servait de pont, de passerelle entre ces deux mondes. Les jeunes traders y venaient, après le boulot, s’encanailler quelques heures avant de retrouver leur appartement cossu. Les Bêtas y négociaient parfois de petites affaires louches avec les bouseux du No Man’s Land, offrant aux quelques Alphas accoudés au bar de délicieux frissons : des pics d’adrénaline à caresser, même de loin, l’infime possibilité d’un interdit.

    Mais, surtout, on y jouait au poker. Bien sûr, il ne s’agissait pas des tournois flamboyants qu’offraient les événements officiels ni des parties on line, jouées par des milliers d’internautes et qui brassaient des millions. Non, c’étaient souvent des parties minables, disputées par de petits truands et des blancs-becs en mal de sensations fortes, prêts à se faire plumer pour quelques heures de fausse insécurité. Ils pouvaient, le lendemain, afficher fièrement leurs cernes et leur gueule de bois en chuchotant à leurs collègues, l’air de rien, qu’ils avaient eu chaud aux fesses et que pour un peu, on ne les revoyait pas le lendemain…

    Bien sûr, personne n’était dupe. Il n’y avait jamais eu de disparition suspecte ni de meurtre au Lycanthrope. Major Coleman, le patron, officiait derrière son comptoir avec sa gueule cassée qu’il n’avait jamais voulu faire refaire et sa stature d’ours qui, quoi qu’on en dise, faisait la différence. Ouais, même dans un monde où l’intellect était roi, où les muscles étaient entretenus par pur esthétisme, un gabarit pareil, ça faisait réfléchir.

    On disait que le Major organisait, en douce, des combats de boxe « à l’ancienne », sans toutes ces règles qui avaient réduit ce sport à un pâle succédané du catch américain des siècles précédents. Qu’on pouvait y cogner dur, mettre ses adversaires K.-O. sans risquer une amende ou un « puçage » temporaire.

    Bon. On disait beaucoup de choses. Pour le moment, ce même Major surveillait du coin de l’œil la petite foule qui entourait les cinq joueurs assis au fond de sa salle, sans quitter l’arrière de son comptoir. Il était intrigué : pas un bruit, pas un mot, un silence totalement inhabituel qui ne lui disait rien qui vaille. Il jeta son torchon sur le bar et déplaça sa masse imposante jusque vers l’attroupement, se dégageant un passage à coups d’épaules douloureux.

    Des cinq joueurs, seulement deux étaient encore en lice. Les trois autres étaient toujours à table, mais s’étaient couchés. Le Major reconnut Ballantine, un vieux type rabougri qui avait toujours eu de l’or entre les mains – et qui serait devenu pro, si seulement il n’était pas alcoolique et incapable de se fondre dans le moule des Bêtas. Il le voyait souvent jouer ici, ratissant de ses mains tremblantes et de ses yeux larmoyants les jeunes loups de la finance qui ressortaient humiliés, dégoûtés d’avoir été nettoyés par une épave pareille. Le Major ne l’avait vu perdre que trois ou quatre fois et, à chaque coup, il était tellement bourré qu’il aurait confondu son trou de balle avec son oreille.

    Ça ne semblait pas être le cas ce soir : Ballantine était sobre, du moins autant qu’il pouvait l’être. Mais il était en mauvaise posture. Le vieux dévisageait son vis-à-vis avec un air d’enfant à qui l’on vient d’apprendre que le père Noël n’existe pas. Son regard d’un bleu pâle, comme délavé par les litres de gnôle qu’il s’enfilait depuis des lustres, allait du jeu qu’il avait entre les mains au gosse qui lui faisait face.

    Car c’était un mioche. Un putain de gamin, pas plus de 12 ans à vue de nez. Attifé de manière improbable, le morveux gardait son nez dans ses cartes, totalement insensible aux regards fixés sur lui, à la tension qui électrisait la pièce, au désespoir plein de surprise du vieux Ballantine. Entre les deux joueurs, les jetons amoncelés étaient tous de son côté. Le Major était impressionné. Il chopa l’un des spectateurs sur sa droite, murmurant à son oreille :

    — C’est qui, ce morveux ?

    — Il s’appelle Diarmaid. Excusez-moi, Major, pourriez-vous… Mon bras…

    Le jeune gars était pâle, sans doute la poigne du patron qui écrasait son biceps. Le Major grogna en le relâchant :

    — Tu l’as déjà vu ?

    — Non, il est venu avec ce grand type, là-bas.

    Et sa victime lui désigna une silhouette maigre, enveloppée d’un manteau sombre, une capuche rabattue sur la tête. On ne distinguait pas son visage, seules ses mains étaient visibles. À la main gauche, il remarqua la deuxième phalange manquante. Le Major gronda :

    — Merde. Fírinne.

    L’autre lui jeta un regard étonné. Mais le Major tournait déjà les talons, pressé d’aller prévenir qui de droit que, pour leur plus grand malheur, Fírinne était de retour.

    Dans la salle sombre et enfumée, la haute silhouette faisait au gamin comme une ombre qui semblait l’avaler tout entier.

    Chapitre 1

    Chicago, 10 avril 1920

    Le corps de Meg était rigide, la peau cireuse et glacée ôtant les dernières bribes de beauté qu’à presque 40 ans elle conservait encore.

    Bras croisés, Ryann contemplait celle qui avait été son épouse durant les vingt dernières années. Il réfléchissait.

    La nuit, épaisse, avait plongé la ville dans ses brumes noires et puantes, relents des marais sur lesquels elle était construite. Comme un animal insaisissable, un fantôme impossible à chasser, le brouillard prenait possession de chaque rue, chaque banc, chaque trottoir de Chicago. À la nuit tombée, on circulait au milieu de ses caresses glacées, rendu aveugle et angoissé par ce que l’œil était maintenant incapable de reconnaître. Plus rien n’avait de forme ni de substance, aucun repère familier ne venait rassurer le promeneur nocturne qui, né dans cette ville et la connaissant par cœur, la découvrait étrangère : pleine de chausse-trapes et de surprises douloureuses – un lampadaire qui n’était pas là où il était censé être, une bouche d’égout surgissant soudain sous ses pas, un bâtiment qu’il ne parvenait plus à identifier… Le brouillard rendait l’intrépide promeneur vulnérable et malhabile, l’obligeant à maints allers et retours, tâtonnements et jurons, pour retrouver enfin le perron de sa maison.

    — Faut la bouger de là, intervint Eranann. Avant d’appeler la police.

    Ryann ne le regarda pas, ne sembla même pas l’entendre. Sa haute silhouette, ombre immense qui se détachait sur le mur blanc de la chambre, paraissait sculptée par la nuit. Le chapeau incliné sur le front, les bras croisés sur le torse, il observait la femme étendue au sol. Les jambes gainées de soie dont un bas avait filé – sur le mollet droit. Le visage levé vers le plafond, les yeux vitreux encore grands ouverts. La robe en laine d’un vert pâle, remontée sur le haut des cuisses, dévoilant les jarretières – dans la chute, ou délibérément ? Le corsage de Meg semblait intact, encore boutonné jusqu’en haut. D’ailleurs, Ryann ne voyait aucune marque de coups, pas de bleus ni d’ecchymoses et presque pas de sang non plus. La cause de la mort ne faisait aucun doute : plantée dans le sein gauche, la garde du poignard accrochait la lumière pâle de la lampe de chevet qui était restée allumée. L’unique tache rouge faisait à peine la taille d’une pièce de monnaie, autour de la lame profondément enfoncée dans le cœur.

    Le lourd collier d’or, celui qu’il lui avait offert pour leurs vingt ans de mariage l’hiver précédent, était toujours à son cou ; le meurtrier ne l’avait pas emporté. D’ailleurs, rien ne semblait manquer dans la chambre. Ryann détacha son regard du corps de Meg, fit le tour de la pièce : le lit à la courtepointe impeccable, les billets verts sur la table de nuit, la boîte à bijoux, le coffre-fort encastré dans le mur… tout semblait intact. Il faudrait qu’il vérifie, bien sûr, qu’il inspecte minutieusement toutes les pièces de la maison pour s’assurer que rien n’avait été volé ; mais a priori, il ne s’agissait pas d’un cambriolage. Le corps de sa femme était le seul élément perturbant de la maison.

    — Ryann, tu m’entends ? Il faut pas la laisser là. On doit appeler tes gars.

    Il se tourna enfin vers Eranann. Son mentor avait encore la main posée sur la poignée de la porte de la chambre, il n’avait pas avancé d’un pas. Ryann haussa les épaules.

    — Non, on n’y touche pas.

    — Enfin, la police… Burton va se régaler si tu l’invites à venir farfouiller ici, si tu le laisses découvrir le corps comme ça.

    — Et alors ? Qu’il se régale. Tu veux un verre ?

    Eranann s’écarta pour le laisser sortir de la chambre. Ryann descendit lourdement les marches de l’escalier ; de l’étage, Eranann entendit le tintement léger, cristallin, des verres que l’on déplace, de la carafe de whisky. Il laissa la porte ouverte pour le rejoindre dans le salon.

    Ryann n’avait pas enlevé son pardessus ni son chapeau. Il avait simplement ôté ses gants, ses longs doigts fins faisant couler le liquide ambré dans deux verres ; il lui en tendit un.

    — Si tu veux de la glace, il doit y en avoir quelque part.

    — Non, ça va. Tu n’as pas encore eu ta dose ? Tu as passé la journée entière à digérer ta dernière cuite.

    — Tu veilles sur ma santé, maintenant ?

    — Laisse tomber. Meg…

    — Quoi, Meg ?

    Eranann hésita. Les yeux gris de Ryann étaient posés sur lui, tranquilles et insondables.

    — Tu veux vraiment la laisser comme ça ?

    — Il n’y a pas beaucoup de risques qu’elle aille ailleurs, non ?

    — On pourrait l’emmener jusqu’au lac, discrètement. Tout le monde sait que vous êtes presque séparés. Personne s’étonnera qu’elle soit partie de Chicago… Il suffira de laisser entendre que vous vous êtes encore disputés. Une engueulade de trop. Burton pourra avoir tous les soupçons qu’il veut, il mangera son chapeau avant d’obtenir le début d’un indice. Et il viendra pas te tourner autour… Si on la laisse ici, il va devoir mener l’enquête, te casser les pieds.

    — Il ne pourra pas prouver que je suis coupable, puisque je ne le suis pas.

    — Ouais. Mais, le connaissant, il fera tout pour que tu lui sois redevable. C’est pas bon d’avoir des dettes envers Burton.

    — Ne t’inquiète pas pour mes dettes, Eranann. J’ai de quoi les honorer.

    Ryann leva enfin son verre, avalant son contenu d’un seul trait brûlant. Il le reposa d’un coup sec sur la table, faisant sursauter Eranann.

    Autour d’eux, le silence était presque absolu. 3 heures du matin : les ouvriers et les cols blancs n’avaient pas encore pris le chemin des usines et des bureaux, les fêtards n’étaient pas encore sortis des bouges et des bars clandestins, des salles de jeux et des tripots où ils achevaient de s’achever. Chacun était là où il devait être, dans son lit, perché sur un tabouret ou les mains dans l’entrejambes d’une pute.

    La maison bourgeoise, compassée et parfaitement rangée de Ryann Noone semblait la seule à accueillir, à cette heure, des hommes debout et occupés à autre chose. Il regarda, dans la lumière pâle et jaune de l’abat-jour orné de franges, les murs chargés de tableaux – des copies déprimantes d’œuvres de peintres morts depuis des siècles –, les étagères avec leurs bibelots inutiles, le piano dont Meg ne savait pas jouer, mais qui faisait si respectable, les napperons en dentelle sur les appuis-tête des fauteuils. Le tout sans qu’un seul grain de poussière vienne s’y loger davantage que quelques heures. On aurait pu manger par terre. Le seul endroit de la maison qui lui ressemblait – à lui, Ryann, son mari – était le bureau, une pièce à l’étage où il conservait ses livres, ses trophées de boxe, ses objets personnels et, bien sûr, ses dossiers de travail. Du moins quelques-uns. C’était l’unique endroit où elle ne mettait jamais les pieds, la femme de ménage se contentant d’y faire la poussière et de secouer les tapis une fois par semaine. Durant leurs vingt années de mariage, Meg avait toujours refusé de pénétrer dans cette pièce. Elle semblait considérer le bureau de son mari comme un antre maléfique, un lieu de perdition où il tissait toutes les trames de l’enfer. Ça l’arrangeait. Et ça ne l’avait jamais dérangé que son intérieur soit à l’image unique de son épouse. En fait, il s’en foutait : il avait son bureau, le reste était à elle.

    D’ailleurs, il ne vivait pas vraiment là.

    Meg avait des goûts si communs, si banals. Ryann songea qu’il n’y avait aucun portrait d’eux, aucune photographie, comme s’il s’agissait d’une maison-témoin où personne n’avait jamais vraiment vécu.

    C’était un peu le cas, d’ailleurs.

    Au-dessus de leur tête, un grattement léger se fit entendre, à peine perceptible, mais que le silence environnant amplifiait désagréablement. Eranann leva le nez vers le plafond, son vieux visage gris encore plus gris. Ryann se resservit un verre.

    — Merde, Ryann… Ce n’est pas…

    Comme son compagnon se taisait, vidant à nouveau son whisky d’une seule gorgée, il posa son propre verre encore plein et se rua à l’étage.

    Eranann s’immobilisa devant la porte de la chambre, tétanisé.

    Une petite silhouette tournait autour du cadavre, sautillant sur le plancher. Il vit avec horreur l’oiseau noir, dont les plumes prenaient des reflets mauves et bleutés sous la faible lueur de la lampe de chevet, s’approcher des cheveux de Meg. Le chignon parfaitement ordonné de la femme s’était défait, probablement dans la chute, des boucles d’un blond clair strié de gris lui donnant maintenant un air défait qu’elle aurait détesté : Meg était si tatillonne, si parfaite. La mort lui ôtait cette dignité à laquelle elle tenait tant.

    La tête de l’oiseau penchait d’un côté puis de l’autre ; son bec, aussi noir que son plumage, à demi ouvert.

    — Ryann ! gueula-t-il dans le couloir.

    Le corbeau tourna ses yeux jaunes vers lui. Il lui semblait qu’il souriait, mais c’était sans doute un effet d’ombres.

    Derrière son épaule, Ryann examinait l’animal sans faire un mouvement. L’homme et l’oiseau parurent s’observer mutuellement pendant de longues minutes. Puis Ryann tourna les talons et le bruit de ses pas décrut lentement dans l’escalier. Eranann l’entendit décrocher le téléphone, parler avec l’hôtesse :

    — Mademoiselle, passez-moi le poste de police, je vous prie.

    Dans la semi-obscurité de la chambre, le corbeau était retourné au cadavre, se rapprochant jusqu’à le toucher. Lorsque le bec noir et acéré plongea dans l’œil droit de Meg, Eranann se détourna vivement, fermant la bouche pour ne pas se vomir dessus.

    Chapitre 2

    Chicago, 10 avril 1920

    Le gros flic l’observait entre ses paupières mi-closes, son faux sourire accroché aux lèvres. Burton avait tout de l’éléphant de mer, son corps semblait glisser irrémédiablement vers le sol en s’épaississant à mesure. Un crâne chauve et luisant, un bon tas de graisse enveloppant cette charpente d’ancien boxeur professionnel, des yeux noirs cachés par des paupières boursouflées.

    Ryann le connaissait depuis très longtemps. Ils avaient eu leurs mots, enfants, quand ils partageaient les mêmes bancs d’école et les mêmes rues du quartier. À l’époque, lui-même n’était qu’un gringalet incapable de résister aux poings foudroyants de la petite brute qu’était alors Edward Burton, déjà puissant et musclé. Au fil des années, certaines choses avaient changé…

    Sa brève carrière de boxeur s’étant achevée sans gloire, Burton avait remisé ses gants et renié officiellement ses copains pour entrer dans la police. Il y avait grimpé les échelons tranquillement, l’air de rien : il ne fallait pas se fier à ses gestes pleins de lenteur, cette pesanteur qui semblait affecter jusqu’à sa diction. Les petits yeux noirs cachaient beaucoup de ruse.

    À cette heure, il le dévisageait sans un mot de l’autre côté de son bureau. Le poste de police bruissait de ses tonalités habituelles, de son vacarme assourdi et confus fait de piétinements, de conversations agressives, du vacarme des semelles lestées des agents et du tintement métallique des menottes.

    Ils étaient seuls. La fenêtre du bureau distillait une lumière de début avril pâle et grise, le soleil tentant péniblement de se frayer un passage à travers l’épaisse couche de nuages qui enserrait la ville, la casquant de coton humide et grisâtre.

    Ryann s’était présenté au poste de lui-même, dès l’aube, sans attendre que l’on vienne le chercher. Lorsque les flics avaient accompagné l’ambulance pour constater la mort de Meg et emporter son cadavre, il était déjà là et demandait à voir le Commissaire.

    — Tu n’as pas l’air trop désespéré, Ryann.

    Burton se pencha vers lui, tendant son paquet de Fatima{1} ouvert. Ryann prit une cigarette.

    — Tu sais qu’on était séparés, tout le monde le sait, répondit-il. Mais ça ne m’empêche pas de vouloir la justice.

    — Vraiment ?

    Les deux hommes allumèrent leur cigarette. Les paupières lourdes se plissèrent encore davantage dans la fumée qui les environna, ne lâchant pas les yeux gris de son vis-à-vis.

    — La justice… Ouais. Ton corbeau l’a bien amochée.

    Ryann hocha les épaules :

    — C’est un corbeau. Je n’ai pas pensé qu’il allait s’attaquer au corps.

    — Un peu morbide, non, de la part d’un veuf éploré ?

    — Je ne suis pas un veuf éploré, Ed. Quelqu’un a tué ma femme et, même si on vivait presque séparés depuis des années et si on ne s’entendait plus, je compte bien mettre la main sur son meurtrier.

    — D’après le légiste, elle est morte d’un coup de couteau en plein cœur, dans la nuit du 8 au 9 avril. Il n’a pas pu être très précis sur l’heure du décès, sans doute entre 22 heures et 5 heures du matin. Où étais-tu, Ryann, il y a deux nuits ? Entre 22 heures et 5 heures ?

    — Au Vestale. Je peux te donner les noms des types avec qui j’ai joué. Je ne suis pas sorti du bar avant le matin et j’ai passé la journée… ailleurs. Je ne suis rentré chez moi qu’hier soir. J’étais avec Eranann, il peut te le confirmer.

    Burton éclata d’un rire bizarrement aigu pour un homme de son gabarit.

    — Eranann ? Ton mentor ? Laisse-moi deviner le nom des types qui pourront témoigner de ta présence au Vestale… Attends… Pete O’Malee ? Martin McKay ? Rob « Le Rouge » O’Cleef ? Ce sont tes hommes, Noone. Ils sont sous ta coupe, tu es leur chef. Va falloir que tu trouves un peu mieux que ça.

    — Il va falloir que tu prouves qu’ils mentent. Que je sois leur patron ou pas, ce sont mes témoins. Carter, le patron du club, peut aussi témoigner et il ne fait pas partie du Valley Gang.

    — Bien sûr. C’est votre fief, tu ne me feras pas avaler que Carter n’est pas sous la coupe des Irlandais.

    — C’est ton problème, Burton. Pas le mien.

    Ed hocha la tête.

    — C’est vrai. Bon, passons aux suspects. Les types qui ont envie de t’égratigner, ça ne manque

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1