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Dia Linn - VII - Le Livre de Cathan (Slán)
Dia Linn - VII - Le Livre de Cathan (Slán)
Dia Linn - VII - Le Livre de Cathan (Slán)
Livre électronique404 pages5 heures

Dia Linn - VII - Le Livre de Cathan (Slán)

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À propos de ce livre électronique

États-Unis, 1969.
Cathan a 17 ans. Il est l’héritier de la fortune des O’Callaghan, arrachée aux mains des O’Brien par sa mère six ans plus tôt.
Il vit son adolescence en plein « flower power », éloigné de Maav à qui il n’a pas pardonné sa trahison, celle de sa relation avec Daemon, « l’homme sombre ».
Drogue, sexe et musique sont les seuls credo du jeune homme...
Mais le spectre de Liam O’Brien plane toujours sur les descendants des O’Callaghan : Dillon n’attend qu’une occasion pour entrer en lice. Cette occasion sera, pour Cathan, la fin de l’innocence.
Afin de sauver les siens, il devra devenir adulte et se rapprocher de celui qu’il considère comme son ennemi intime, Daemon. Mais il découvrira vite que « le Chat » a lui aussi des secrets... Un bras de fer oppose Dillon O’Brien et Daemon, l’un bénéficiant des appuis de la pègre, l’autre d’alliés surprenants et tout aussi puissants.
Aux côtés de Cathan, ses propres cousins : Tommy, bien sûr, le Cheyenne qui est de toutes les luttes dans cette Amérique en pleine mutation ; mais aussi Bres, ancien soldat de l’I.R.A fuyant le dimanche sanglant de Belfast et la terrifiante prison de Long Kesh.
Les trois cousins reviendront aux racines du mal, à l’endroit où leurs ancêtres, Wyatt et Aïdan, ont donné naissance à la Díoltas : dans les montagnes sacrées, là où la mine d’or de Dearfield alimente la fortune inépuisable des O’Callaghan.
Et Cathan découvrira que, pour mettre un terme à la violence, il faut parfois devenir soi-même un assassin...

LangueFrançais
Date de sortie17 juin 2016
ISBN9782370114730
Dia Linn - VII - Le Livre de Cathan (Slán)
Auteur

Marie-Pierre Bardou

Née en Afrique équatoriale dans une famille d’oiseaux migrateurs, Marie-Pierre Bardou a gardé de ses voyages précoces le goût des départs, même en imagination. Elle teste un peu tous les genres – poésie, nouvelle… - mais c’est avec le roman qu’elle peut, réellement, se laisser « embarquer ». Grande admiratrice du génie fiévreux d’un Dostoïevski ou de l’implacable plume d’un Ross Mc Donald ou d’un Liam O’ Flaherty, elle adore les romans historiques et les thrillers. C’est le plus souvent dans les drames familiaux qu’elle puise sa propre inspiration. Elle a une prédilection pour les grasses matinées et les séries TV, et de temps en temps se laisse séduire par quelques chutes libres – mais toujours avec un parachute. Sinon, son bureau ou son canapé seront les endroits où vous la trouverez la plupart du temps. L’avantage étant qu’ils sont dans la même pièce, pour une très agréable économie de mouvement.

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    Aperçu du livre

    Dia Linn - VII - Le Livre de Cathan (Slán) - Marie-Pierre Bardou

    cover.jpg

    DIA LINN

    7 : LE LIVRE DE CATHAN

    Slán

    Marie-Pierre BARDOU

    Published by Éditions Hélène Jacob at Smashwords

    Copyright 2016 Éditions Hélène Jacob

    Smashwords Edition, License Notes

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    © Éditions Hélène Jacob, 2016. Collection Littérature. Tous droits réservés.

    ISBN : 978-2-37011-473-0

    Résumé des tomes précédents

    Tome 1 : Irlande, 1848. La Grande Famine pousse Eileen et Wyatt O’Callaghan à s’exiler. Ils laissent derrière eux leur frère aîné Aïdan, expatrié en Australie pour s’être révolté contre les Anglais, et Liam O’Brien, leur frère de lait, qui a rejoint le parti révolutionnaire. Eileen est enceinte de Liam, et elle a hérité des dons occultes des femmes de sa famille.

    Tome II : Louisiane, 1848-1859. Désirée de Rocheclaire adopte les jumeaux d’Eileen, Neal et Neve, qui seront ses héritiers. Eileen retrouve Liam. Lors d’une partie de poker, Eileen gagne une mine d’or : Liam la tue pour la lui voler.

    Tome III : Louisiane, Colorado, 1859-1861. Wyatt traque Liam pour venger sa sœur. Mais c’est Aïdan, revenu de son exil, qui exécute Aisling, la fille de Liam. Wyatt laisse son livre et son testament. À charge pour les descendants des O’Callaghan de veiller à ce que les O’Brien ne puissent jamais récupérer la mine de Dearfield.

    Tome IV : États-Unis, Irlande, Australie.1861-1877. Pendant la guerre de Sécession, Neal meurt à Gettysburg avec Aïdan. Neve épouse James Lyons après la guerre et Wyatt disparaît dans les montagnes du Montana, après avoir sauvé son fils Aindreas à la bataille de Little Big Horn. Liam, interné après le meurtre de sa fille, récupère la mine de Dearfield et enlève Ryann, le fils unique de Neve et de James.

    Tome V : Chicago, Irlande, Louisiane. 1920-1921. Élevé par Liam, ignorant tout de son passé, Ryann est devenu chef de gang. Il retrouve ses racines et Neve a juste le temps de revoir son fils avant de mourir. Ryann revient à Chicago pour se venger ; mais il est terrassé par une crise cardiaque et Liam décède sous la lame d’un assassin inconnu. Sloan, le dernier fils de Liam, sauve son héritage grâce à ses relations avec la mafia.

    Tome VI : Australie, Irlande, États-Unis. 1948-1963. Maav, la descendante australienne d’Aïdan, assiste au suicide de son père. Son exil en Louisiane ne lui apporte pas la richesse espérée : la vieille plantation est ruinée. Du Sud jusqu’à Las Vegas, elle va suivre Daemon, un homme énigmatique qui la persuade de reconquérir la mine des O’Callaghan : les enfants de Sloan se sont reconvertis en patrons de casino dans la cité du péché. De leur affrontement, Maav ressort vainqueur, et la fortune d’Eileen revient aux mains de ses descendants. Mais Cathan, son fils, n’accepte pas de la voir partir avec Daemon, « l’homme sombre » qui les a manipulés. La fracture entre la mère et le fils semble irrémédiable. Et les O’Brien n’ont pas dit leur dernier mot…

    Préface

    « ‘There must be some kind of way out of here’,

    Said the joker to the thief.

    ‘There’s too much confusion

    I can’t get no relief.’

    Il doit y avoir un chemin pour sortir de là,

    Dit le bouffon au voleur.

    "Il y a trop de confusion

    Je ne ressens aucun soulagement."

    ‘Businessmen, they drink my wine,

    Plowmen dig my earth.

    None of them along the line,

    Know what any of it is worth.’

    "Les hommes d’affaires, ils boivent mon vin,

    Les laboureurs creusent ma terre.

    Personne à l’horizon

    N’en connaît la valeur."

    ‘No reason to get excited’,

    The thief he kindly spoke.

    ‘There are many here among us

    Who feel that life is but a joke.’

    Aucune raison de s’exciter,

    Dit calmement le voleur.

    "Beaucoup d’entre nous

    Pensent que la vie n’est rien qu’une blague."

    ‘But you and I, we’ve been through that

    And this is not our fate.

    So let us not talk falsely now,

    The hour’s getting late.’

    "Mais toi et moi, nous sommes au-dessus de ça

    Et ce n’est pas notre destin.

    Alors ne parlons plus à tort,

    Il commence à se faire tard."

    All along the watchtower

    Princes kept the view

    While all the women came and went,

    Barefoot servants too.

    Tout le long de la tour de guet,

    Les princes continuaient de surveiller.

    Pendant que toutes les femmes allaient et venaient,

    Ainsi que les serviteurs aux pieds nus.

    Outside in the distance

    A wild cat did growl.

    Two riders were approaching,

    And the wind began to howl.

    Dehors, au loin,

    Un chat sauvage gronda.

    Deux cavaliers approchaient,

    Et le vent commença à hurler… »I

    Personnages

    img1.jpg

    Prologue

    Le temps semblait s’être figé depuis des millénaires dans cette contrée de brumes et de tourbe. Dans les grands lacs aux eaux profondes, on ne pouvait s’empêcher de guetter les tours d’un château englouti, celui de quelque roi victime d’une malédiction ancienne et prêt à surgir des flots dans son armure rutilante.

    Le cairn de Wyatt Mac Lochlainn était toujours là. Lorsqu’ils s’en approchèrent, ils virent que les pierres formaient un dôme solide, profondément enfoncé dans le sol dont il paraissait être devenu une prolongation : au fil des siècles, la terre du Kerry avait pris possession de l’autel, de ce témoignage de la vie et de la mort d’un homme assassiné – et vengé.

    Connor avait effleuré, religieusement, les cailloux du dessus, la mousse et le lichen incrustés dans la pierre grise, fasciné. Cyan avait choisi le galet que les très lointains descendants du fils du Viking allaient ajouter au cairn : ils l’avaient trouvé sur la rive du lac, au pied d’un arbre si grand, si imposant, qu’en levant la tête on ne pouvait en voir la cime. Le galet était complètement lisse, doux et chaud au toucher, d’un blanc pur qui accrochait la lumière. Au milieu des cailloux bruns, noirs, terreux, il scintillait doucement et les appelait.

    Ce serait leur pierre, pour le cairn de leur aïeul.

    De nombreux Livres parlaient de ce cairn. Après le testament de Cathan, ceux qui avaient suivi évoquaient surtout ce pèlerinage au pays de leurs ancêtres, la maison qu’avait construite Brian O’Callaghan sur les terres de Padaig, l’hospice que sa mère Roisin avait créé, lieux qui leur avaient survécu à tous, vivant leur propre existence, perpétuant la mémoire des anciens.

    Tout était intact. À leur tour, Cyan et Connor foulaient la terre antique et revenaient aux sources de la famille O’Callaghan. Ils se réappropriaient la vieille maison, occupée en permanence par un couple de métayers qui exploitaient les champs et maintenaient le tout en état. À chaque génération, les O’Callaghan venaient, de chaque coin de la Terre, reprendre temporairement possession de leur héritage, se frotter à leur mémoire. Puis ils repartaient poursuivre leur vie terrestre et leurs employés continuaient à semer, cultiver, moissonner les champs… Les fonds placés en fidéicommis assuraient que, jamais, le domaine du Kerry ne sombrerait dans l’oubli ni la ruine.

    Connor et Cyan étaient fascinés, troublés. Les grands lacs de Killarney faisaient partie de ces zones dites « préservées », aucune nouvelle habitation ne pouvait s’y créer depuis trois siècles. Ceux qui choisissaient de vivre ici, triés sur le volet, s’obligeaient à une existence laborieuse et austère, très loin du confort offert par la technologie moderne. Aucun moteur, pas même solaire ; l’eau courante et l’électricité étaient assurées par un générateur totalement invisible, sous terre, qui alimentait toute la région. Les paysans, comme leurs lointains ancêtres, se levaient avant l’aube pour se rendre dans leurs champs, les chasseurs armaient leurs vieux fusils pour partir dans les collines et améliorer l’ordinaire.

    Le temps était figé. Ici, à peu de chose près, on vivait comme en 1848, lorsque Eileen et Wyatt avaient quitté leur pays pour s’exiler aux États-Unis et fonder la lignée américaine des O’Callaghan. L’année 3071 était un mirage, un monde exotique qui s’arrêtait à une frontière invisible ; une frontière cachée derrière les crêtes pures des montagnes, là où les aigles à tête blanche jetaient de grandes ombres mouvantes sur la terre.

    Trois jours après leur arrivée dans le Kerry, s’arrachant à l’espèce de torpeur qui les tenait sous son joug comme un maléfice, Cyan et Connor partirent en quête d’un guide. Un pêcheur leur raconta qu’Eileen, puis Etar pendant la guerre d’indépendance avaient trouvé refuge dans un temple païen caché dans les collines ; une ruine, maintenant, mais qui, comme tout le reste ici, tenait encore debout par la grâce d’un sort divin. D’après les rumeurs, un homme vivait dans ces ruines. Un ermite, un original comme les Celtes savaient les produire, génération après génération. On le disait poète, ou ancien Alpha déclassé après quelque crime sordide, qu’une indulgence d’un dirigeant de l’Autorité avait préservé du puçage, en lui permettant l’exil. On apercevait parfois sa silhouette maigre dans les collines, dans les forêts, armée du shillelagh traditionnel ; mais personne n’avait pu se targuer de l’avoir vu de près. On ne connaissait même pas son nom.

    — Mais il y en a qui racontent qu’il est un des vôtres, avait ajouté le pêcheur.

    — L’un des nôtres ?

    Cyan avait beaucoup de mal à comprendre les mots du vieil homme. Il parlait pourtant le langage commun, celui que tous les gosses apprenaient à l’école et le seul à être utilisé partout dans le monde. Mais l’accent rugueux, les syllabes traînantes, le débit aussi rapide qu’une mitraillette lui faisaient avaler la moitié de ce qu’il disait.

    Le vieux pêcheur remonta d’un doigt sale la casquette qui masquait son front. Il était assis sur une grosse roche plate, ses bottes de pluie en caoutchouc noir bien calées dans la terre meuble et gorgée d’eau. Sa canne à pêche dans une main, l’autre posée sur son genou, il semblait faire partie intégrante du décor, des berges boueuses du lac, des pierres pleines de mousse, des eaux dont on ne voyait pas le fond et qui venaient lécher les rives dans un doux murmure. De ses prunelles sombres et perçantes, le vieil homme observa les deux jeunes gens qui se tenaient au-dessus de lui, minces et bien vêtus, les cheveux roux de la fille flamboyant sous le soleil. Les yeux verts du garçon, hypnotiques avec leur pupille allongée. Il avait déjà vu ces yeux-là, ces cheveux.

    Il grogna, désignant d’un geste vague les collines de l’autre côté du lac, les forêts denses et obscures éclaircies, de loin en loin, par des pâturages d’un émeraude éclatant où l’on voyait paître des moutons à tête noire.

    — Un O’Callaghan, petite. L’un des vôtres.

    Chapitre 1

    Louisiane, 17 août 1969

    Lorsqu’il gagna les côtes, ses vents hurlèrent d’une joie féroce. Il n’avait pas de nom, pas encore du moins. Pour le moment, il n’était qu’un ouragan de plus qui déferlait sur le delta, trop rapide, trop compact aussi pour que les spécialistes aient eu le temps de le détecter sur leurs écrans de contrôle.

    Les vents atteignirent presque deux cents kilomètres à l’heure. Il accéléra à nouveau, pour toucher enfin le sol qu’il convoitait. Lorsque ses souffles furieux rugirent sur les rivages de la Louisiane, ils avaient dépassé les deux cent quarante kilomètres à l’heure.

    À chaque point d’impact, tout était balayé. Soufflé comme une bougie d’anniversaire, tout simplement effacé de la surface de la Terre. Les maisons, bicoques misérables ou grandes bâtisses en pierres, s’envolaient dans un immense fracas de tôle et de roche, retombant plusieurs mètres plus loin, se brisant contre les arbres que le vent déracinait aussitôt.

    Le vacarme était assourdissant. Le sol semblait vaciller sous le hurlement des vents, l’ouragan le traversait comme une comète, un ange destructeur aveugle et déchaîné. Il passa au large du Mississippi, au-dessus de Ship Island qu’il coupa en deux, l’île s’ouvrant en son milieu comme un fruit trop mûr.

    Et l’ouragan parvint jusqu’au grand fleuve, le Vieil Homme aux eaux lourdes, l’immense cours d’eau indocile dont les flots fangeux, chargés des limons qu’il charriait depuis des kilomètres pour les rejeter dans le delta, s’agitaient de plus belle sous la furie qui approchait.

    Il résistait, le Grand Boueux, l’impétueux, l’antique fleuve. L’ouragan fondit sur le Mississippi comme un animal de chasse se rue sur sa proie et, dans une vague énorme, plus haute que toute autre, de mémoire d’homme, les eaux se soulevèrent, immenses, compactes comme un mur de briques. En redoublant de puissance, le hurricane se jeta à la conquête du fleuve. Autour du champ de bataille, dans les grands tourbillons de sable, d’arbres déracinés, de débris de toits et de corps d’humains ou d’animaux, la Terre cédait en hurlant de rage.

    ***

    Le militaire se préparait à l’attaque : il restait tapi dans les broussailles, retenant son souffle, observant entre les branches les adversaires qui avançaient, lentement, vers lui. C’était le moment : l’enfant tendit la main et s’empara du petit soldat de plomb, le précipitant avec un cri aigu vers la troupe des ennemis.

    « Sus aux traîtres ! » hurla-t-il avec une joie manifeste, faisant sursauter le chien gris qui, depuis plusieurs minutes déjà, semblait aux aguets : dressé, frémissant sur ses pattes courtaudes, oreilles pointées en avant, il scrutait une ligne invisible au-delà de la berge du fleuve et laissait échapper de petits gémissements plaintifs.

    Sammy était un bâtard âgé, un gros tas de poils longs, pataud, qui ne servait pas à grand-chose dans le domaine, mais que l’enfant adorait. Il ne le quittait pas d’une semelle, ayant décidé dans ses vieux jours que cette mission-là – le surveiller, l’observer, accepter ses câlins malhabiles – était bien suffisante.

    Son petit maître ne l’entendait pas. Il n’entendit pas davantage l’espèce de sifflement aigu et désagréable qui fit vibrer l’air tout autour de lui, se transformant en un grondement rauque. Il n’entendit rien, car il ne pouvait rien entendre : l’enfant était sourd depuis sa naissance.

    Le chien se mit à hurler à la mort, dressé sur ses pattes. Il ne l’entendit pas davantage mais, pendant qu’il ferraillait courageusement contre ses ennemis de plomb, il sentit, sous ses genoux qui foulaient la terre rouge, le sol trembler.

    Il leva le nez. Au-dessus de lui, le ciel n’était plus d’un bleu pâle et lumineux, traversé de nuages si évanescents qu’ils s’effilochaient aussitôt en gaze légère. Médusé, le garçon se redressa. Pourquoi le ciel était-il presque noir ? Pourquoi la terre vibrait-elle de plus en plus fort, l’obligeant à poser ses mains au sol pour ne pas vaciller ?

    À côté de lui, Sammy avait des yeux fous et sa gueule était grande ouverte sur un cri que l’enfant n’entendait pas. Quelque chose clochait. Il commença à trembler, comme le sol, envahi soudain par une terreur paralysante. Au-delà des collines, le ciel noir se teintait de rouge et le vent devenait plus fort, se mettait à le gifler en grandes bourrasques rageuses. Aveuglé, l’enfant tenta de se relever. Devant lui, les eaux grises du Mississippi étaient en train de monter en grondant.

    ***

    — Madame, le ciel a une drôle de couleur.

    Maav leva la tête, émergeant brusquement de la réflexion qui l’absorbait tout entière depuis presque une heure. Elle maudit la fille qui venait l’interrompre, poussant sans y être invitée la porte de son bureau. Pour une fois qu’elle se décidait à mettre le nez dans les comptes de la plantation, ne pouvait-on pas la laisser tranquille ?

    Elle soupira, abandonnant le livre comptable qu’elle avait étalé sous ses yeux. Maav détestait les chiffres plus que tout au monde. De vilains symboles secs et affreusement réalistes qu’il fallait manier avec rigueur et patience. Elle avait déjà mal à la tête après trois minutes de lecture, mais elle avait promis de s’y mettre, de vérifier elle-même le travail de leur expert-comptable. Pourquoi payer – et chèrement – les services d’un spécialiste, si c’était pour se coller la migraine ?

    — C’est toi la maîtresse du domaine, avait-il déclaré. Tu dois être en mesure, à chaque instant, de contrôler tous les aspects de sa gestion.

    Elle avait acquiescé en grimaçant. Il avait raison, bien sûr. Être riche ne la dispensait pas d’être prudente, bien au contraire.

    — Pense aux enfants.

    Oui, oui, les enfants.

    — Madame ?

    — Quoi ? Qu’y a-t-il, Mélie ? Tu ne vois pas que je travaille ?

    — Mais le ciel…

    Exaspérée, elle se tourna vers ce maudit ciel en grommelant :

    — Eh bien quoi, le ciel ?

    Elle s’arrêta net, ses derniers mots s’étranglant dans sa gorge. Le ciel était noir. Elle était tellement concentrée sur sa tâche qu’elle n’avait même pas remarqué que l’obscurité avait envahi la pièce. On se serait cru en pleine nuit, et il était 16 heures.

    Maav tendit le bras vers la radio portative posée sur le bureau, tourna le bouton.

    « Le message d’alerte sera maintenant diffusé toutes les trois minutes. Un ouragan de force 5 arrive sur nos côtes. Les habitants sont priés de sortir immédiatement de leur maison et de se rendre soit dans le dispensaire le plus proche, soit dans leur cave ou leur abri antiatomique s’ils en disposent. Je répète… »

    Elle éteignit la radio.

    — Où est Artur ?

    — Je crois qu’il joue dehors, Madame.

    — Dis à Tom d’aller le chercher. Ou vas-y toi-même. Immédiatement !

    Mélie sursauta sous la voix métallique qui la poussa à quitter la pièce en courant. Maav la suivit dans le couloir, ses talons claquant sur le vieux plancher, tandis qu’elle se hâtait vers la nursery. Heureusement que la guerre froide avait provoqué une telle paranoïa chez les Américains qu’une grande partie d’entre eux avaient fait fabriquer des abris souterrains.

    Les fusées de Cuba n’étaient plus pointées sur la Floride, mais les abris étaient toujours là. Maav se précipita sur le berceau blanc, dans lequel sa fille dormait à poings fermés. Elle souleva délicatement le bébé qui, réveillé en sursaut, ouvrit de grands yeux verts et courroucés sur sa mère. Elle la serra contre elle et l’emporta, essayant de calmer les pleurs de la petite.

    — Là, ma chérie, ne t’inquiète pas. On va se mettre à l’abri avec ton frère.

    Lorsqu’elle sortit, une bourrasque la fit vaciller sur le seuil, l’aveuglant. Eileen se remit à pleurer.

    L’abri était juste à côté de la maison. Les domestiques s’y pressaient déjà, emportant avec eux eau et vivres, couvertures, objets précieux. Maav hurla pour se faire entendre malgré le vent qui leur mugissait au visage en les giflant.

    — Laissez tout ça !

    — Mais, Madame…

    — Ne prenez que l’eau et les vivres, laissez tout le reste ! Allez, entrez maintenant !

    Ils obtempérèrent et Maav agrippa l’épaule de Mélie.

    — Tu as trouvé Artur ? Il est en bas ?

    — Non, Madame, je suis désolée. Je sais pas où est Tom, j’ai cherché le petit mais il… je sais pas…

    Elle se tordait les mains, plaintive et terriblement agaçante. Maav aperçut alors le fleuve, le Mississippi dont les eaux avaient gonflé et montaient à l’assaut des berges, en de lourdes vagues de plus en plus hautes. Le débarcadère craquait et gémissait lugubrement. Elle tendit la petite Eileen à la servante, lui ordonnant :

    — Mets-toi à l’abri, veille sur elle. Et fermez la porte !

    — Mais, Madame ! Vous ne pouvez pas…

    — Vas-y ! Ne rouvre la porte que quand tu m’entendras frapper !

    Rudement, elle poussa la jeune fille, avec son bébé dans les bras, vers l’abri souterrain et fit volte-face. Elle claqua elle-même la porte en acier sur les hommes et les femmes qui s’y étaient réfugiés.

    Désormais seule devant la grande maison qui se tordait de douleur sous les assauts puissants des bourrasques, Maav ferma les yeux et répéta aussi fort que possible :

    — Artur ! Artuuuuuur !

    Elle savait que c’était inutile, que son garçon ne pourrait pas l’entendre. Mais elle hurlait quand même. Un chien, près des berges, se mit à hurler à la mort. Sammy. Luttant contre le souffle du vent qui menaçait de l’arracher au sol, elle commença à marcher, sans cesser de crier le nom de son fils.

    ***

    L’ouragan et le fleuve luttaient pied à pied. La tempête avait un nom, maintenant, les météorologues dépassés par sa fulgurance l’avaient baptisée Camille.

    Et Camille n’avait encore rien perdu de sa puissance. Plus tard, lorsque son souffle aurait ravagé la Louisiane, le Mississippi, l’Alabama et les deux Virginie, quand elle serait devenue vent parmi les vents, la pluie allait la suivre comme un chien suit son maître ; une averse diluvienne, des rideaux compacts et lourds qui noieraient, pendant des jours entiers, les épaves et les ruines qu’il avait laissées sur son passage.

    Mais pour le moment, Camille se battait contre le Grand Fleuve. Celui-ci résistait, gonflant ses eaux épaisses, arrachant les digues, débordant des levées, déracinant les arbres, détruisant les fermes, dans ses tourbillons pleins de troncs, de cadavres et de branches. Il luttait, le Grand Boueux, il rugissait sa colère et refusait de se soumettre. Il tuait tout ce qui s’approchait, hommes ou animaux, concentré sur le souffle du hurricane qui, désormais à plus de trois cents kilomètres à l’heure, avait atteint son apogée.

    Lentement, patiemment, déployant toute sa puissance, l’ouragan obligea le Grand Fleuve à inverser sa course, à repartir à sa source. Les eaux du Mississippi refluèrent en rugissant sur plus de deux cents kilomètres au-delà de La Nouvelle-Orléans, détruisant absolument tout sur leur passage.

    Satisfait, Camille s’éloigna alors dans son ciel noir et rouge. Il avait gagné.

    Chapitre 2

    Bethel, près de New York, 17 et 18 août 1969

    Les pales de l’hélicoptère de l’US Army brassaient l’air saturé d’humidité, le grondement de son moteur presque inaudible tant la cacophonie produite par près d’un demi-million de personnes, sans compter la musique bien sûr, absorbait tout le reste.

    Il leva la tête vers le monstre en métal, insecte géant aux flans irisés d’or qui trouait la couche épaisse de nuages gris pour descendre, lentement, sur la piste d’atterrissage derrière la scène.

    — Ils amènent qui, cette fois ?

    Il se tourna vers Meredith, appuyée sur un coude, ses yeux bleus larmoyant sous la fumée du joint qu’elle lui passa d’un geste languide.

    — Je ne sais pas, répondit-il en prenant le pétard, tirant une bouffée doucereuse en se rallongeant près de sa compagne.

    La minuscule tente qu’ils avaient montée trois jours plus tôt, au milieu des milliers de campements sauvages et d’habitations en toile similaires, était jonchée de vêtements sales, de détritus, de canettes de bière vides et de mégots. Le grand sac de couchage sur lequel ils étaient étendus, pas plus que le sol en toile rêche de la tente, n’empêchait l’humidité de s’infiltrer jusqu’à eux, les enveloppant comme une caresse gluante et étouffante.

    Il faisait chaud et lourd, et il pleuvait depuis le début du festival.

    Par l’ouverture laissée béante, il apercevait leurs potes, Ronny et Sunny, qui essayaient tant bien que mal de faire brûler leurs boulettes de shit sur une petite table improvisée, bricolée avec un carton renversé. Les deux garçons n’étaient pas bien plus vieux que lui, 17 ou 18 ans. Sales, mal rasés, les fringues pleines de boue. Leurs pupilles minuscules disaient assez comment ils passaient le temps entre deux prestations sur scène – comme lui.

    — Il est quelle heure ?

    Mais quelles questions débiles elle pouvait poser, cette fille ! Qu’est-ce qu’on en avait à foutre, de l’heure qu’il pouvait bien être ?

    Il jeta le mégot du joint par l’ouverture de la tente, étouffant les protestations de Meredith en roulant sur elle, l’écrasant de tout son poids.

    — T’es con ! Il en restait encore !

    Ses lèvres étaient sèches, son haleine puait la bière, le tabac froid et les dents pas lavées depuis des lustres. Il ferma les yeux et, songeant que sa propre bouche devait elle aussi avoir l’odeur d’un caniveau, s’empara de la langue de sa partenaire. Ses mains glissèrent le long de l’espèce de robe qu’elle avait sur le dos, et sous laquelle elle était nue. Il remonta le tissu sur les hanches, écarta les jambes maigres d’un geste impatient.

    — Attends, protesta-t-elle, tu es trop pressé !

    Mais il ne l’entendit pas. Dans ses veines, la drogue et l’alcool charriaient des rêves lourds et flous, où parfois il voyait apparaître un coyote au-dessus d’une haute dune. Son cœur battait vite, il bandait à mort – comme on bande à 17 ans, pour pas grand-chose. La jeune femme geignit quand il la pénétra, arrêtant ses jérémiades et levant haut les genoux afin qu’il entre plus profondément en elle, posant deux mains nerveuses sur les reins de son partenaire pour le guider. Il éjacula avant même qu’elle puisse éprouver grand-chose.

    — Merde, Cathan, tu es…

    — Les Grateful Dead !

    Les cris, dehors, se chargeaient d’hystérie, principalement de la part des filles qui émergeaient toutes des tentes improvisées, des sacs de couchage installés à même le sol, dans la boue. La foule se pressa vers la scène en contrebas. Ils ressemblaient tous à des zombis, mais des zombis pleins de fièvre et de désir, pleins de vie.

    — Hé, mec, tu vas pas rater ça ?

    Sunny, le plus petit des deux copains qui occupaient la place devant la leur, l’apostrophait. Cathan remonta en hâte son jean crasseux et se leva.

    — Attends-moi !

    Il se tourna vers Meredith, qui sortait de la tente en clignant des yeux sous la lumière soudain vive et puissante, comme si l’on avait allumé un projecteur braqué droit sur eux. Il leva la tête, surpris : la couche dense et opaque des nuages s’effilochait enfin, laissant apparaître des bouts d’azur. Le soleil, libéré de sa gangue, émergeait royalement comme un dieu païen et inondait les collines de sa lumière dorée et chaude.

    Torse nu, pieds nus dans la boue, Cathan tendit la main à sa compagne et entendit les notes aiguës, grinçantes des guitares électriques qu’on accordait. Un larsen puissant, amplifié par les immenses sonos de la scène, fit vibrer l’air comme un rire sous amphétamines.

    — Le dernier arrivé donne toute sa dope !

    Les trois garçons se mirent à courir dans la gadoue, slalomant entre les tentes, sautant par-dessus les corps affalés sur les matelas défoncés, les sacs de couchage crasseux, bousculant des filles échevelées et des mecs vacillant lentement vers l’estrade. Meredith, incapable de suivre le rythme, était restée en arrière et ils se frayèrent un passage à coups de coude dans la foule qui s’agglutinait juste devant la scène.

    Cathan se retourna vers Ronny et Sunny – le bon dernier de la bande, son visage rouge et transpirant sous l’effort.

    — Prem’s !

    — Putain, tu fais chier, Cathan, râlait Sunny et cherchant son souffle. On dirait que tu cours un marathon tous les matins !

    Sur l’estrade, juste au-dessus de leur tête, les Grateful Dead se mettaient en place. Les trois garçons s’installèrent dans l’herbe et dans la boue, s’allongeant à même le sol gorgé d’eau, savourant la caresse du soleil sur leur peau. Et ils attendirent l’extase.

    ***

    La journée, puis le soir, puis la nuit étaient passés au-dessus de l’immense champ en jachère investi par les festivaliers depuis trois jours, juste à côté du petit village de Bethel dont les habitants se terraient chez eux en attendant la fin de l’apocalypse.

    Les organisateurs du festival de Woodstock espéraient cinquante mille personnes. Après la première journée de concerts, ils étaient plus de cinq cent mille et les barrières ne servaient plus à rien : « From now on, this is a free concert », avaient-ils abdiqué. Des embouteillages terribles bloquaient complètement la circulation de la ville de New York jusqu’à ce champ loué par un fermier du coin qui devait s’en mordre les doigts jusqu’au poignet. Il avait fallu faire appel à l’armée pour permettre aux musiciens de rallier la scène à temps : les hélicoptères de l’US Army sillonnaient le ciel pour déposer les groupes de rock, mais aussi pour distribuer des vivres, de l’eau potable, des médicaments et des couvertures à ces hordes de jeunes gens qui se croyaient tous immortels.

    Mais il y avait eu trois démentis à cette certitude de la jeunesse : une crise d’appendicite, un accident de tracteur et une overdose avaient déjà prélevé leur dû – modeste, au regard de la foule. Et, comme pour compenser ces pertes, deux naissances : des paris fiévreux étaient lancés pour savoir quelles étaient les réincarnations concernées.

    Le festival de Woodstock – ils avaient gardé le nom du bled qui devait les accueillir à l’origine, mais les ploucs du coin s’étaient sagement désistés – devait durer trois jours, du 15 au 17 août. Il y eut du rab à cause du mauvais temps : une matinée supplémentaire.

    Lorsque l’aube se leva, en ce 18 août 1969, Cathan, Ronny et Sunny étaient toujours à la même place. Ils avaient dormi dans l’herbe, sur la terre humide qu’une journée de plein

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