La route, une histoire d’amour – haine
De tous temps et par tous types de temps, ce peuple avait toujours voyagé. Jamais l’opposition atavique des nomades et des sédentaires ne l’avait effleuré. Par monts et par vaux, tantôt sous un soleil de plomb, tantôt sous une pluie drue, ces montagnards aux pieds gris avaient escaladé des pics, dévalé les flancs de collines feuillues de bananiers, passé des rivières sans pont au fond des vallées encaissées de papyrus. Sans connaître Pythagore, ils n’en appliquaient pas moins sa célèbre maxime : « Délaisse les grandes routes, prends les sentiers ! » Forcément, est-on tenté d’ajouter, puisque de routes, il n’en était pas encore question dans le temps jadis. Sur des sentiers de chèvres, nos ancêtres faisaient leur chemin.
Ils rendaient visite à leurs relations, conformément au prescrit de la tradition selon lequel le meilleur moyen de cimenter l’unité consiste à passer souvent dans le sentier qui mène au parent, au risque que l’herbe y croisse et en recouvre le tracé. Poussant devant eux leurs vaches aux longues cornes en lyre, ils avalaient des distances pour joindre les lieux de transhumance, là où l’herbe était plus verte et plus abondante en fin de saison sèche. Emboîtant le pas à d’anonymes devanciers, ils affrontaient des forêts touffues vers le Buha, pays des mille sorciers et magiciens, en quête de cocktails de médicaments à rapporter à leurs congénères restés au pays. Sur des chemins rocailleux et rugueux, ils traversaient le pays des mille collines pour gagner le Buganda à la recherche d’un ailleurs meilleur. Changer de vie et d’air, ce luxe, ils se l’offraient aussi à la sueur de leurs pieds. Ils s’orientaient sans boussole, mais jamais ils n’avaient manqué leur destination.
En ce temps-là cependant, les voyages ne manquaient pas – lieu de choix et d’erreurs, incarnait l’insécurité au degré le plus élevé. Un proverbe prétendait que même la hyène, pourtant réputée tout-terrain, ne s’engageait pas sans appréhension dans un chemin débouchant sur plusieurs voies. Mais il n’y avait pas plus intrigant que l’, l’être hideux caché dans le carrefour, surtout à l’affût de ses proies toutes désignées : les jeunes filles seules à peine pubères. Mais une fois l’épreuve du carrefour surmontée, le sentier redevenait discret, rassurant. On l’empruntait pour aller à la cour des rois, des princes, des dignitaires et des grands notables
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