Le dernier conte
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À propos de ce livre électronique
Un enfant, à l’orée du siècle dernier, totalement désœuvré et ne sachant que faire de son insipide enfance, n’éprouve qu’un unique désir : aller vers l’adultie, l’âge des hommes. Pour cela, il s’imagine un rituel de passage, concocté par son imagination, pour prouver ses capacités à se métamorphoser en un adulte.
Cette épreuve le conduira à tous les dangers.
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Aperçu du livre
Le dernier conte - Sidi Miloud Bel Asri
Le dernier conte
Sidi Miloud Bel Asri
Le dernier conte
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
Du même auteur
La prière du pommier, roman 2014
Le peuple du seuil, roman 2016, prix France de la journée du Manuscrit 2016
La larme qui hésite a vu la mer, poésie 2017, Grand Prix de poésie de la francophonie du manuscrit 2017
Tu mangeras chez les juifs et tu dormiras chez les chrétiens, roman 2019.
© Les Éditions du Net, 2022
ISBN : 978-2-312-12640-1
À Fatouma Malou Amasmir
Partie trop tôt 1951-2003
Pour Fatima et Smahane
img1.pngÀ Rachid Guerazem,
parti trop tôt 1971-2021
pour Kamel
img2.png1
Une ogresse m’a capturé et j’ai figuré sur la carte de son menu et il faut le dire : je l’avais entièrement mérité.
Le destin n’est pas de ceux qui formulent de vaines promesses et qui renient leur parole. Il frappe et ordonne. Quand cette vérité avait éclaté sur mon visage, je m’étais tu, je m’étais prosterné, la face contre le sol et j’ai imploré mon ancêtre Sidi Azouz de son intercession.
Dès les premiers soupçons d’éveils de ma conscience, je me savais différent des autres enfants. La faute était, sans aucun doute, au débordement anormal de la sève printanière de l’enfance. Une activité hormonale qui avait hâtivement monté, trop tôt selon les mœurs ambiantes. Elle décuplait dangereusement l’incontrôlable imagination d’un enfant qui ne concevait aucune grâce aux camarades de son âge.
Après le tarissement du lait maternel, j’avais été dirigé vers cette période de l’enfance la plus détestable où je devais attendre que les années s’écoulent. C’était un moment si affligeant, si monotone et si ennuyeux. Las de cette existence uniforme où le désœuvrement tenait grande place, mon tempérament ne pouvait se résoudre à rester enfermé dans un enclos imaginaire. Chose déconcertante, toutes les femmes du village enfantaient presque au même moment à l’instar de nos bêtes domestiques. De ce fait, tout un troupeau d’enfants, abandonnés par le sein maternel, s’était formé et errait sur terre comme une nuée d’oiseaux dans le ciel. Une murmuration de bambins qui tournoyait de domicile en domicile à la recherche d’un quelconque béquée. Nous devions continuer à grandir sans se douter que nous fussions emprisonnés dans un enclos et gardés à vue par des adultes déterminés à ce que nous restions loin de leurs occupations quotidiennes, à ne pas traîner entre leurs pattes. Nous deviendrions immanquablement une gêne pénible ou une source d’intolérables ennuis.
Dès lors, pour être maintenus psychologiquement dans cette clôture, nous étions tous élevés par la notion de la peur d’être livré un jour à l’ogre.
« Si tu n’es pas obéissant, l’ogre viendra te chercher. »
« Si tu ne finis pas ta soupe, l’ogre te mangera. »
De ce fait, l’existence des ogres était une réalité quotidienne. Nous savions tous, dans notre monde paysan, qu’il existait des mondes, parallèles au nôtre, composés de djinns et d’ogres. Les djinns étaient plus visibles puisqu’ils sont mentionnés dans les Saintes Écritures, et de temps en temps, quelques actes d’exorcisme étaient pratiqués, ici ou là, où nous pouvions, si nous avions assez de courage, assister à la séance de délivrance, distinguer la voix de la créature qui parlementait avec le fkih. Le fiqh est un homme qui connaît parfaitement le Coran et de ce fait possédait le pouvoir de Salomon sur les démons.
Nous connaissions toutes les coutumes qui régissaient la vie des djinns. Nous savions qu’ils habitaient près de l’eau ; qu’ils se nourrissaient des restes des humains ; qu’ils appréciaient nos plus belles filles et que leur monde se composait de rois et de roitelets qui régnaient sur des individus de rang inférieur avec une autorité quasi dictatoriale. Quand un tourbillon de vent circulait près de nous, on savait qu’un djinn passait et il était de coutume de le faire décamper en saisissant un couteau ou une lame quelconque, que nous avions tous, et de la planter au sol.
Quant aux ogres, il était dit à leur propos qu’ils apparaissaient à des moments charnières pour quelques minutes avant le crépuscule et disparaissaient à l’aurore. À l’inverse, il n’y avait aucun sortilège – invocation coranique adaptée ou formule cabalistique juive connue – pour les combattre. Les menaces des parents puisaient leur pouvoir sur les enfants dans cette impuissance. On racontait tant de légendes et d’histoires invérifiables sur les ogres. Nous prenions les vociférations et les pantomimes ogresques des adultes pour des vérités divines.
À l’âge de onze ans, je ne me regardais plus comme un enfant. Je me considérais dorénavant et tacitement comme un être exonéré des ultimatums parentaux et libre de sortir de l’enclos. Je devais, dans mes croyances enfantines, démontrer au monde des adultes mon acte de passage à l’âge d’homme et le prouver en allant chercher le trésor le plus inestimable : l’eau. Pas n’importe quelle eau, mais celle de la source de Bender. Une source située aux confins de nos terres. Je devais entreprendre une expédition clandestine, sans aucun consentement ni le concours de personne, avant le crépuscule et vérifier par la même occasion l’absence ou l’existence des ogres. Comme si, dans ce passage vers l’adultie, sorte de porte à la quintessence, si espérée et si légitime, une promesse de métamorphose, de supplément dans la vie se révélerait à soi, qui nous laisserait à la fois riants d’aise et presque incrédules, comme lorsqu’en allant à la source, dans l’antre du danger, aux confins des contes des Mille et Une Nuits, l’histoire où le héros, chevaucheur épuisé, à califourchon, chargé de jarres d’eau, au retour au village trouverait devant lui tous les siens ébahis de surprise et d’admiration qui l’attendraient, pour enfin, boire l’eau magique tant attendue.
Jusqu’au siècle dernier, la population en général et paysanne en particulier ne se déplaçait guère, hormis pour les cadets des illustres familles désignées pour guerroyer pour le compte du sultan. Ils partaient batailler contre les envahisseurs et en particulier les Ottomans. Les hommes allaient, tout au plus, comme destination lointaine à un mariage ou un moussem de fantasia dans un autre village jusqu’au maximum dix kilomètres, à pied, pour voir du pays et souvent repérer une fille à marier et rapporter soigneusement, en secret absolu, les caractéristiques féminines à la maman… rarement plus loin, dans un rayon de vingt kilomètres pour les marchands. Il était plus sûr de rester sur le territoire de la famille régente des tribus… Le système féodal était pour la population un précepte protecteur et rassurant.
Au-delà, c’était de prendre des risques considérables. Aux confins de notre contrée, l’immense et redoutable forêt de Mamora s’y étalait à l’infini et était surnommée, jusqu’à nos jours, l’antre de la peur. Si jamais une personne, imprudemment téméraire, pénétrait, ne serait-ce, qu’une infime partie de ce bled coupe-gorge, pour gagner quelques heures à son trajet, assurément, y perdait la vie et ses biens. Cette immensité inextricable d’arbres de chêne-liège était, pour la population locale, à la fois une menace et une protection telle qu’un lion de barbarie attaché à nos frontières.
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Dans la paisible vallée de Sidi Azzouz, le paysage rocheux, assurément, était d’une beauté plaisante. On découvrait soudain un paysage qui renvoyait à notre identité profonde, une terre dans laquelle chaque habitant reconnaissait spontanément une contrée de spiritualité musulmane. Les contours des collines en écriture arabesque à grands traits imprimaient une part essentielle de soi. Ici, la vie était telle que l’éternité l’avait toujours faite : mystique et rude. Chacun, inconsciemment, y entrevoyait en lui le reflet du ciel et de la terre avec tous les autres mondes invisibles en perpétuelles interférences autant dans l’âme que les sens. Les versants escarpés de la vallée ocre en été et verdâtre en printemps se dressaient vers la forêt de liège. Les îlots d’habitation, très peu nombreux, étaient accrochés en évidence au flanc des collines avoisinantes. La terre arable, verdoyante et fertile, assurait leur subsistance depuis des temps immémoriaux. Une terre labourée avec la singulière puissance d’un duo inséparable du chameau et de l’âne. L’un était la force et l’autre la rectitude.
La technique du pisé et du torchis, en murs épais, avait donné des maisons simples et superbement conçues : édifiées presque entièrement avec un mélange comprimé de la terre et de la paille, elles constituaient un exemple étonnant d’architecture locale avec le savoir-faire des anciens. Les habitants avaient préféré ces habitations modernes aux tentes en poil de chameau, les khaïma traditionnelles, qui leur permettaient de bouger, d’emplacement en emplacement selon les saisons, pour la culture des champs ou la transhumance des animaux, dans le périmètre de leurs terres.
En effet, pour des raisons de surpopulation et d’économie de terres arables, les paysans bâtissaient des habitations sur des lopins argileux où rien ne poussait, séparés les uns des autres par des lignes de figuiers de barbarie. Cela donnait une proximité de voisinage, mais néanmoins atténuée par des feuilles d’épines infranchissables en dehors des portes expressément improvisées en forme d’entrée du domicile. Ils installaient des poulaillers, des étables pour leurs vaches et chevaux, des parcs, à moutons et à chèvres, circulaires formés d’épines d’acacias pour les protéger des loups et des chiens errants. Un des avantages de la sédentarisation était qu’ils vivaient désormais tout près de leurs silos où ils amassaient les récoltes de l’année. Ils croyaient en une destinée vers le divin et vivaient dans cette croyance, au jour le jour, jusqu’à rejoindre leur dernière demeure avec le devoir accompli en sueur et en prières.
Le village vivait comme à l’ombre d’une gloire que lui avait été acquise depuis les