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Tu mangeras chez les juifs et tu dormiras chez les chrétiens
Tu mangeras chez les juifs et tu dormiras chez les chrétiens
Tu mangeras chez les juifs et tu dormiras chez les chrétiens
Livre électronique179 pages2 heures

Tu mangeras chez les juifs et tu dormiras chez les chrétiens

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À propos de ce livre électronique

« Tu mangeras chez les juifs et tu dormiras chez les chrétiens », telle est l’insistante consigne qu’un homme reçoit de sa famille avant son départ vers l’exil. Son périple du continent africain vers l’Occident, l’emmène, tel un Hannibal, à traverser la Méditerranée et les Pyrénées, à la découverte d’autres horizons, d’autres mœurs. C’est un départ inévitable, tragique vers une quête et une aspiration à un meilleur avenir avec toutes les promesses du courage... avec, en filigrane, cette obsession désespérée de s’amarrer à un glorieux passé en totale opposition à un présent dont le héros se sentait séquestré.
Moulay Hassan, issu d’une lignée de la dynastie Idrissides, première famille régnante de son pays, se retrouve manœuvre ouvrier dans une usine de carrelage en Europe. Il va cohabiter avec des hommes maghrébins, des bedeaux face à des fêtards invétérés. Ses croyances sont à l’opposé de ses cooccupants. Chaque groupe rival, tel un ange ou un diablotin, fera son possible pour le recruter dans son cénacle.
LangueFrançais
Date de sortie10 sept. 2019
ISBN9782312068336
Tu mangeras chez les juifs et tu dormiras chez les chrétiens

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    Tu mangeras chez les juifs et tu dormiras chez les chrétiens - Sidi Miloud Bel Asri

    chemin.

    1

    « Tu mangeras chez les Juifs et tu dormiras chez les chrétiens ».

    Il est temps de se dire adieu.

    Il n’y a rien plus cruel que l’instant qui précède sa propre mort alors qu’on est jeune et vigoureux, l’instant où toute chose ayant une résonance dans son cœur risque de disparaître à tout jamais.

    C’est Ulysse qui quitte Ithaque.

    De chaudes larmes inondent la terre des ancêtres. Membres de la famille, voisins et amis assistent, en s’essuyant les yeux, à la prière mortuaire du voyageur. Traverser les mers, c’est d’aller dans l’au-delà.

    Par la décision de partir et d’affronter le voyage, il lui est imposé de revenir à son état initial, à la biologie immaculée, à l’essentiel de son état de fœtus. Il doit se dépouiller de toute chose matérielle et de s’alléger des ramas de son existence. C’est la sentence infligée à celui qui s’en va. Le sacrifice de ses vestiges éculés et l’assainissement de ses silos émotionnels sont, aux yeux de tous, un préalable, une évidence. Quand le démembrement est prononcé et acté, l’apostat s’éteindra, au quarantième jour, à l’état brut, lisse et sans aspérités.

    Il sera rendu à Dieu.

    « Tu mangeras chez les juifs et tu dormiras chez les chrétiens », l’insistante consigne dyadique qu’un homme reçoit de sa famille avant son départ vers le nord du pays. Il empoigne avec appréhension un sac en toile qui fait office de valise. Il emporte de l’eau de source dans un bidon de cinq litres, des œufs durs et du pain de maïs. C’est tout ce qu’il lui est permis d’emporter. Dieu pourvoira le reste.

    En raison d’un ciel avare en pluie cette année, il est suivi sur une voie sèche et poussiéreuse par des enfants qui, une main en visière, lui font des signes d’adieu de l’autre jusqu’à la limite du domaine familial.

    Les deux chiens, qui furent de tout temps son ombre, l’accompagnent comme à leur habitude jusqu’au souk. Sans oser se tourner vers ses chiens ni s’attarder sur d’éventuels regards de curieux, il monte l’escalier avec vaillance comme le condamné à l’échafaud.

    Il est dans l’autocar en tenant fermement son sac tandis que l’autre main s’agrippe nerveusement à la barre du siège occupé par une vieille dame. Il s’approche instinctivement d’elle. Il pleure en silence.

    Le jeune homme se prénomme Moulay Hassan. Il est reconnu comme Chérif, c’est-à-dire d’extraction nobiliaire, par certains dans cette chevauchée de beaux et de tristes sires en partance vers leur occupation quotidienne. Son prénom soutenu par le titre de Moulay est réservé aux familles nobles du pays. Il ne fait pas l’effort de mettre un nom sur leurs visages tant il est absorbé par la raison qui l’amène à être parmi eux. Certains passagers qui le croient hors de portée de voix marmonnent qu’un homme de ce rang ne devrait pas être obligé de quitter sa terre et les siens, que c’est une honte.

    Il doit être à peu près six heures du matin, ce moment de l’aube qui invite à une nouvelle journée et peut-être à une nouvelle vie. Le véhicule est bondé à ne plus pouvoir respirer et la place du souk, au-dehors, grouille déjà de monde.

    Debout à la barre de l’autocar, il voit s’éloigner sa contrée, celle de ses ancêtres. Quelques mois auparavant, il a perdu la matriarche du clan. Celle qui l’a élevé et qui faisait le lien avec son père qu’il n’a jamais connu.

    L’horizon de son village se rétrécit dans son regard au gré de la vélocité du véhicule et des balancements saccadés dus à la vétusté d’une route datant du protectorat français. Les occupants de l’autocar mémèrent encore un temps et malgré son abandon, instinctivement ils lui lancent des vœux de sincères condoléances pour son âme. Ils sont certains qu’ils ne le reverront plus. Il accepte bien volontiers leurs prières.

    À mesure que l’autocar s’éloigne de Rabat, les passagers deviennent clairsemés pour ne plus devenir qu’une poignée de voyageurs avant l’arrivée à Kenitra. La ville tire son nom de l’antique ponceau qui enjambait l’oued Sebou, connue des Romains et depuis un an de tout le Maroc pour tentation de régicide. Les années soixante et soixante-dix ont vu les monarchies d’Afrique du Nord tomber l’une après l’autre sous des putschs militaires. Le malheureux général Oufkir, qui crut pouvoir se conjurer et conspirer les mêmes révolutions sur une dynastie de mille ans, essaya d’abattre en vain l’avion du roi par des avions chasseurs. C’était sans compter sur la baraka des Alaouites. Oufkir n’est pas Nasser ni Kadhafi et le roi Hassan II n’est pas le roi Farouk ni le roi Idriss 1er.

    Sans se retourner vers l’autocar, il se dirige vers le lieu du prochain départ, après renseignements pris auprès du chauffeur de la ligne de Rabat. Ça sent fort la terre et le gasoil. Les vendeurs ambulants papillonnent autour des nouveaux arrivés en proposant des cigarettes en détail, des allumettes, des chewing-gums Hollywood, des graines de tournesol et des pois chiches grillés. Des crieurs s’acharnent à hurler les prochaines destinations… Fès, Rabat, Tanger, Meknès. Malgré les renseignements pris, Moulay Hassan interroge le crieur de Tanger qui l’amène immédiatement à la caisse pour l’inscrire et toucher sa commission. Le ticket de voyage en poche, une attente de plusieurs heures est prévue avant le départ, il profite de ce moment pour enfin trouver un moment de sommeil auprès de vendeurs de pacotilles et de deux sacs de blé qu’un voyageur amène à sa famille à Tanger. Les récoltes agricoles furent maigres et l’année s’annonce difficile pour beaucoup de gens.

    L’ascension des trois marches de l’autocar est lourde de sens et de conséquences. Par la fenêtre, il voit sur les routes la présence du drapeau rouge avec l’étoile de David, un pentacle magique qui procure à ses yeux, en ce moment particulier de sa vie, confort et protection, un emblème qui fédère en son cœur une appartenance, un sentiment d’unité avec le reste de ses semblables. Il prend soudainement, pleinement conscience de la valeur de ce bout de tissu coloré accroché à un mât. Il y a une part de lui qui flotte au vent.

    Le crépuscule tombe vite comme toujours dans la campagne. Dehors l’obscurité est totale : c’est le silence. Il aperçoit à travers la vitre, ici et là, quelques vagues et faibles lumières de bougies ou de lampes à pétrole des fermes comme de lointaines étoiles comme si le ciel se prolonge à la surface de la Terre.

    Voyager c’est avant tout la découverte du pays que l’on quitte. Il traverse des contrées mythiques du royaume évoquées le long de son existence. Environ deux cents kilomètres séparent Ksar el Kabîr et Tanger. L’autocar traverse des plaines, appelées le grenier du royaume, terres agricoles gorgées d’eau avec leur système d’irrigation unique et hérité du protectorat, entrecoupées de forêts de chênes et d’eucalyptus, de haies de cactus de figues de barbarie et de petites villes moyennes qui restent anonymes pour Moulay Hassan. En raison de l’encombrement de certaines routes déformées et des barrages de police où chaque voyageur est contrôlé, l’autocar arrive au matin alors que le soleil est bien haut. Sur le parcours à travers la vitre maculée par la buée de la respiration des passagers et l’amoncellement de la poussière dû aux croisements des charrettes cahotantes, croulant sous le poids et soulevant de la poussière, il ne peut s’empêcher de remarquer avec tristesse les fouets qui claquent sur le dos des chevaux décharnés.

    Elles sont chargées de voyageurs avec leurs victuailles. Ils sont si nombreux sur la charrette que celle-ci disparaît sous le grouillement de la populace entassée pêle-mêle près du cocher, agrippée aux banquettes latérales, à l’arrière-train, pressée les uns sur les autres comme les graines d’une grappe. Il tend l’oreille aux bruits des sabots sur la chaussée, aux hennissements des bêtes de somme, aux injures lancées par le cocher et se laisse happer dans la cahotante atmosphère de ce Maroc après l’indépendance, en eau saumure, entre féodalité du passé et tentative d’industrialisation du futur.

    Quelquefois, avant l’entrée de grandes villes, l’autocar traverse des sentiers en terre où des canaux charrient leurs eaux d’égout à l’air libre provenant d’étendues de bidonvilles surpeuplés par des vagues d’exodes ruraux. Les ruelles ne sont qu’un fourmillement humain. Un aller-retour continu est visible de femmes, d’enfants avec des bidons sur le chemin boueux de la fontaine installée par les autorités.

    Moulay Hassan est saisi par ces îlots de baraques, bancales, rafistolées, en bois, en tôle, en tout et n’importe quoi qui accrochent le ciel. De grosses pierres sont posées sur les toits pour éviter que les forts vents maritimes n’emportent tout.

    Au bout d’un jour et d’une nuit, il arrive à Tanger.

    La grande ville l’impressionne par le grouillement de la foule, le bruissement des odeurs, mais son esprit est ailleurs. Il sait qu’il doit prendre un bateau pour traverser la mer vers l’inconnu. Pour la première fois dans son existence, il fait face à la cohue qui apparaît et disparaît dans de mystérieuses venelles. Le flux et le reflux de la foule dans la médina, à l’instar de celle de la mer, charrie et emporte des sédiments de chimères. Il découvre ce silence face aux êtres et aux choses, ces visages que l’on croise et que l’on ne reverra plus, ces décors sur lesquels on ne se retourne pas, ces vies, ces existences sans réel impact sur sa destinée.

    Cette cohue compacte l’écrase, le broie. Moulay Hassan se dirige, telle une petite tortue émergeant du sable vers l’air marin. Il est surpris par cette Méditerranée d’un bleu intense en contraste avec l’ocre des plages et la blancheur des maisons de Tanger. Le spectacle inouï de la douceur de vivre des pêcheurs indolents qui dorment à l’ombre, près de leurs barques tirées au sec, tandis que leurs filets sèchent sur le sable chaud. Il n’a jamais vu un grand bateau de voyage. Il a beau regarder les barques de pêche et interroger les pêcheurs : ils lui répondent à la hâte et de façon incompréhensible. Il se met à courir dans toutes les directions, ne sachant où se diriger, il repart vers la médina. Moulay Hassan, étourdi par le sens giratoire des ruelles, se dirige vers les hauteurs pour voir la mer et les bateaux. Il avait pour habitude en cas d’égarement d’une bête de monter en haut de la colline pour mieux la repérer.

    Il arrive à un café nommé Hafa accroché à flanc de falaise. Il s’écroule sur une chaise tout près de trois hommes occidentaux, chapeaux et habits blancs. Le serviteur le voit et lui demande de partir. Un certain Paul Bowles accompagné de William Burroughs et d’Oliver Smith est attablé sur la terrasse. Paul Bowles, qui vient d’apprendre le décès de sa compagne Jane Auer, est perturbé par le ton et le geste agressifs du serveur envers l’indigène qui vient de s’asseoir et lui demande de cesser de malmener cet homme. Paul Bowles, américain, musicologue, écrivain et auteur de « Un thé au Sahara » s’est installé définitivement à Tanger en 1947 jusqu’à sa mort en 1999. Paul sourit et dit quelques mots en arabe à Moulay Hassan qui se rassoit tout surpris. Tout à coup, le serveur, suivant les instructions de Paul, apporte un verre de thé à la menthe et le sert à Moulay Hassan. Le serveur, tout éhonté, voit quelques moments plus tard Paul en train d’indiquer une direction à l’indigène et puis celui-ci dévale les ruelles pour se diriger vers le ferry.

    À la douane, Moulay Hassan fait la queue et attend son tour. Le tampon de sortie, précieux sésame, est nécessaire pour quitter le royaume. Apparemment, toutes les personnes avant lui n’ont eu aucun souci. Son tour arrive, il tend tous ses papiers. Le douanier prend le passeport et le contrat de travail. L’état civil l’interpelle. L’agent scrute attentivement Moulay Hassan, le dévisage, se gratte la tête. Il a l’impression que le patronyme ne cadre pas avec la physionomie du voyageur où le moindre signe de noblesse est totalement absent. Il regarde avec insistance la photo du passeport et celle du contrat du travail. Il est perplexe qu’un Chérif soit candidat à l’émigration. Il appelle son supérieur pour le consulter. Son supérieur lui dit : « Laisse-le passer, notre Maroc n’est plus ce qu’il était ! Et puis qui veut entrer en conflit avec un Chérif ? »

    Le périple, il le sait, va durer longtemps. Les contes populaires regorgent de récits maritimes où le héros est rejeté de l’autre côté dans un monde inimaginable. Il s’agrippe désespérément à la poupe alors que ses yeux fixent le soleil dans un halo d’aberration chromatique. Il est inconscient des lourdes et sourdes larmes de ses prunelles qui, malheureuses, fouillent les rivages du pays natal. Il repense aux trois hommes blancs et à leur délicatesse envers sa personne sur la terrasse du café.

    Il fait la connaissance avec des hommes qui lui ressemblent plus qu’il ne le pense. Ils l’invitent à entrer dans le bateau, en le poussant gentiment comme ils guidaient jadis leur bétail dans l’étable par un geste à la fois doux, mais ferme. Il se laisse faire, mais assez vite il est de nouveau, sur le

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