À BORD DU TRANSALGéRIEN
Dans ce train, les soldats sont jeunes et sourient, de ce sourire qu’on brandit quand on a peur
Mon père entend les mots « rébellion », « fellagha »
En ce temps-là, mon père entrait dans l’adolescence. Il avait 13 ans et n’avait jamais vécu ailleurs que dans sa ville natale, Oran, la radieuse, la joyeuse, la ville des lions, espagnole, ottomane et française, droite, un trois-pièces minuscule face à la mer, avec le ciel sur le toit entre les fils à linge. Mais ce jour-là, pour la première fois, l’attendait l’inconnu, l’imprévu : le train. Pas le tortillard, le « bouyouyou », comme on l’appelait, qu’il prenait avec ses parents en fin de semaine pour aller à la ferme à Misserghin, qui s’arrêtait partout et mettait des heures, si lent que les Arabes avaient le temps de descendre acheter des pastèques, des figues sur le bas-côté, et de remonter dans la rame en marche… Il me l’a raconté souvent. Ce train-là, le transalgérien, est différent. En Inox, plus sérieux, plus grave, sièges en cuir, wagon-restaurant… Il y a beaucoup de soldats avec des armes, des fusils-mitrailleurs, des sacs de sable. Ils sont jeunes et sourient, de ce sourire qu’on brandit quand on a peur et qu’on ne sait pas ce qu’on fait là, entre un vieil homme qui vend des cacahuètes, un autre endormi sous sa djellaba, et ce couple insouciant, elle coquette, joueuse, maquillée, bijoutée, avec leur petite fille et la fatma qui cache sa figure.
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