Sept

Le trésor des Mandaris

Imposantes, puissantes, les sculptures s’élancent silencieusement vers le ciel. Quand les premiers rayons pointent à l’horizon et les caressent, elles s’animent, s’ébrouent, dévoilant lentement les arabesques des majestueuses cornes des watusi et des abigar. Dans l’aube jaune pâle et venteuse, de menues ombres s’activent autour des feux de bouses séchées pour se réchauffer et, surtout, pour éloigner les tiques, les mouches tsé-tsé et autres moustiques. La fumée blanche qui s’en échappe envahit peu à peu tout l’espace et me pique les yeux. Je distingue des tuniques aux motifs colorés qui claquent au vent, les femmes préparent le café; plus loin, de placides géants descendent de leurs lits de bambous surélevés. Accroupis, des garçonnets boivent discrètement aux pis des vaches avant de les traire, pendant que d’autres soufflent dans leur vagin pour stimuler leur production de lait. D’autres encore se déshabillent et se précipitent sous leur jet d’urine pour prendre une douche! «De la sorte tes cheveux vont devenir orange!» rigole Gabriel. Le colosse de 25 ans, au visage barré d’un large sourire en toute circonstance, qui a fui en 2012 les conflits interethniques soudanais pour se réfugier en Ouganda voisin, s’exprime dans un anglais parfait: «On s’en enduit aussi le corps pour empêcher les blessures de s’infecter. C’est délicieux dans un yaourt et ajoutée à l’huile de cuisson, ça donne du fumet à tes plats!»

Mon guide improvisé n’a pas hésité à laisser son épouse et son bébé né la veille pour venir s’occuper de son troupeau sur ce lieu d’hivernage situé à quelques minutes en bateau de Terekeka, un village poussiéreux à quatre heures de route au nord de Djouba, la capitale du jeune Soudan du Sud, indépendant seulement depuis 2011. C’est ici que les Mandaris, un petit groupe (vache, en mandari) les relient à Dieu, accomplissent les mêmes rituels: ils les massent vigoureusement avec la cendre de leurs bouses pour éliminer les parasites et éloigner les insectes, et aussi pour faire briller leur robe. Les cornes démesurées sont époussetées, celles des favorites ornées de pompons pour les magnifier et faire des envieux. Aux individus les plus faibles, comme cette grande brune watusi (un nom dérivé de , pluriel de Tutsi en swahili) qui ne mange plus depuis quelques jours, ils prodiguent des soins particuliers. Quatre solides gaillards, vêtus de simples tissus noués sur l’épaule qui laissent voir leur imposante musculature, sont nécessaires pour maintenir l’animal et permettre à un cinquième de pratiquer laborieusement, avec une sorte de poinçon, un trou dans la jugulaire pour une saignée. Le litre de sang recueilli dans un seau sera chauffé puis consommé sous forme de boudin. Les Mandaris mangent rarement de la viande: ils vivent du lait de leurs bovins, raison pour laquelle ils seraient si grands… Rares sont ceux qui ne dépassent pas 1m80. Si la saignée ne suffit pas, les éleveurs lui feront ingurgiter une décoction d’écorces «des arbres que l’on trouve là-bas» et, en dernier recours, lui administreront une dose d’antibiotiques d’origine douteuse. La brutalité des soins n’épargne pas les humains de l’Etat d’Equatoria-Central: la fièvre, par exemple, est traitée à coups de lames de rasoir sur le front, les tempes ou entre les omoplates. Après l’effort, le réconfort. L’occasion de partager une shisha entre hommes, legs des Arabes du nord, et de prendre des nouvelles de chacun, leurs voix se confondant dans une mélopée traînante ponctuée de (tout va bien, en arabe) qui résonnent de groupe en groupe.

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