Assise à la terrasse du Gran Caffè del Globo, Clara regardait passer les gondoles. Trois arcades vitrées donnaient sur le rio qui renvoyait ses reflets sur la façade des palais vénitiens. Le soir approchait. Un parfum de vase et de rose flottait entre les colonnes du café. Le beau visage de Clara n’était éclairé que d’un côté par la lumière tamisée que diffusaient deux gros globes en opaline derrière la vitre du restaurant. Sur la chaise voisine reposait un magnifique manteau qu’elle avait retiré avec hésitation, inspectant le ciel incertain d’octobre avant que la nuit ne tombe tout à fait. Habillée en robe Alta Moda Renaissance, avec une coiffe vertigineuse d’où s’échappaient quelques mèches blanches qui retombaient sur ses épaules, Clara, malgré ses 60 ans, était d’une beauté sidérante.
Quelques touristes bruyants qui passaient, dans leur gondole, devant elle, la prirent sans doute pour une mystérieuse comtesse car, la découvrant attablée seule sur cette place et dans cette robe somptueuse, ils se mirent à l’applaudir et à la photographier.
Pourtant, Clara n’était qu’une simple vendeuse.
Elle vivait à Gênes et si elle se trouvait à Venise ce soir-là, parée de si beaux atours, c’était parce qu’elle avait fait le plus gros chiffre d’affaires de toutes les boutiques D. et G. de l’Italie du Nord.
Pour l’en féliciter, ses patrons l’avaient conviée au grand défilé Alta Moda qui devait avoir lieu le soir même au palais des Doges. Ils lui avaient prêté, à cette occasion, de magnifiques vêtements afin de représenter la marque.
Autour de Clara, les clients s’installaient pour le dîner. Elle commanda un verre de vin blanc et regarda autour d’elle. Un groupe de musiciens traversa alors la piazza et entonna une chanson mélancolique qui s’éteignit peu à peu sous les ponts. L’esprit de Clara se laissa emporter par les tristes accents de la chanson et elle plongea dans une douce rêverie, visage incliné sur l’épaule intacte de sa jeunesse que dénudait progressivement la manche désajustée de sa robe, sans