Un chemin de sagesse

Introduction

Il est nécessaire de comprendre les points essentiels au cœur de l’enseignement du Bouddha pour que la pratique bouddhique porte vraiment ses fruits. Ces points essentiels renferment des vérités profondes et importantes : le sens même du bouddhisme. Ils s’avèrent donc indispensables et cruciaux pour parvenir à une réelle assimilation du sens.

Ce livre constitue un chemin de pratique avec des mises en œuvre concrètes dans notre vie quotidienne qui nous conduiront ultimement à l’éveil. Lorsque nous cheminons, il s’agit de prêter une attention particulière au sens précis sous-jacent aux différents concepts, méthodes et pratiques bouddhiques. Le pratiquant de ce chemin doit essayer d’intégrer précisément la signification du refuge, des prières, de l’esprit d’éveil, des différentes méditations, du lien avec l’ami spirituel. Une compréhension du sens permet sa réelle mise en œuvre dans la méditation et la vie quotidienne. C’est ainsi que nous développerons et approfondirons la connaissance de notre fonctionnement et de ce qui donne du sens à notre vie. Nous recommandons comme lecture supplémentaire le livre de référence Le Précieux Ornement de la libération¹ de Gampopa Sönam Rinchen².

Les pratiquants ont différentes capacités en fonction de leur compréhension. En général, les plus expérimentés savent exactement ce qui est requis pour atteindre le but qu’ils se sont fixé : l’éveil. Ils ont déjà intégré les points clés de l’enseignement bouddhique, aussi appelé Dharma. Les pratiquants moins versés dans ce domaine gagnent en compréhension en étudiant et en réfléchissant attentivement à ces points essentiels. Le sens se clarifie au fur et à mesure de leur pratique méditative et devient utile à leur progression sur le chemin. Ces points clés peuvent s’avérer difficiles à appréhender par les néophytes qui n’ont pas encore l’entraînement d’une pratique méditative. Néanmoins, essayer de les comprendre autant que possible plutôt que de les rejeter en bloc sera utile. La moindre compréhension peut en effet offrir une perspective, une idée qui guidera pas à pas vers une pratique méditative. Et même une personne qui ne souhaite pas embrasser ce chemin trouvera des éléments aidants qu’il pourra utiliser.

L’étude du Dharma aborde de profondes notions telles la libération de la souffrance pour tous les êtres sensibles et la réalisation de la nature de l’esprit qui culmine avec le plein et parfait éveil. Ces buts sont fondamentaux dans le cadre de l’enseignement vaste et profond du Bouddha. Les thèmes centraux de cet enseignement sont présentés en points essentiels. Ils constituent ainsi les jalons de notre progression, pas à pas, dans la bonne direction. Sans cela, atteindre l’éveil ne serait pas envisageable et le chemin ressemblerait à une marche dans le désert : la fin du désert semble approcher à chaque pas, mais nous continuons de cheminer infiniment. Les enseignements du Dharma semblent souvent faciles et simples, mais en intégrer réellement les points clés requiert un entraînement et une mise en œuvre régulière. Comme dans le désert, il y a toute une étendue que l’œil seul ne peut appréhender.

Lorsque nous écoutons des enseignements, parfois le sens exact nous échappe au premier abord. En fait, très souvent, nous ne sommes pas conscients de notre manque de compréhension. N’étant pas habitués au genre d’explications données, nous ne pensons pas passer à côté de quelque chose. Il s’agit d’un processus naturel : nous écoutons et pensons avoir compris le sens de ce que nous avons entendu. Il est donc bon de savoir que notre compréhension peut nous jouer des tours.

Saisir le sens des enseignements du Dharma dépend de notre compréhension intérieure. Une véritable appréhension du sens se traduit immédiatement par un engagement plus fort envers le but ultime, l’éveil. En général, les débutants assistent aux enseignements puis s’en vont, convaincus d’avoir appris certaines méthodes alors qu’ils se retrouvent en fait submergés de détails techniques sans avoir pris le temps d’intégrer le sens ni le véritable objectif de ces méthodes. C’est ainsi que leurs attentes vis-à-vis des résultats de la pratique ne sont ni correctes ni réalistes. Fournir des efforts pour s’engager sur ce chemin apportera sans aucun doute certains résultats bénéfiques, mais ceux-ci passeront généralement inaperçus et l’éveil semblera très loin de la situation actuelle, voire même inatteignable. C’est ainsi que les débutants se découragent et abandonnent. Il est donc important de prendre tout d’abord le temps de comprendre le sens et d’intégrer individuellement les notions essentielles.

Il n’en va pas de même pour un pratiquant expérimenté. Ayant compris l’essence du Dharma, il ne nourrit plus aucun doute. Il peut voir et apprécier les améliorations progressives qui touchent sa vie quotidienne au niveau relatif³. Il peut toujours nourrir des incertitudes au sujet du but absolu, mais il est confiant que les méthodes du Dharma le conduiront jusqu’à cet objectif, tout en restant lucide quant à l’ampleur de la tâche. Il sait que personne ne peut lui donner l’éveil. Le chemin bouddhique est très différent d’un parcours universitaire jalonné d’examens et de diplômes. L’éveil se niche au sein de notre propre esprit. Un pratiquant entraîné sait que, jusqu’à l’obtention du fruit ultime, tout progrès dans cette direction est inestimable puisqu’il offre à l’esprit davantage de clarté et de paix, c’est-à-dire plus de compréhension, moins de souffrance et moins de prise à l’intensité des émotions qui le traversent. Nous acquérons aussi une plus grande compréhension des conditions dans lesquelles sont piégés les êtres sensibles⁴, et l’opportunité de nous ouvrir et de développer infiniment notre potentiel intérieur d’amour et de compassion en aidant les autres se révèle. En s’engageant dans des activités altruistes, de grands mérites sont accumulés qui viennent renforcer et soutenir notre pratique méditative et notre vie quotidienne. Tous ces facteurs sont interdépendants et ils propulsent le pratiquant vers l’éveil.

Les points essentiels des différentes théories et pratiques sont expliqués dans cet ouvrage afin d’offrir un lien direct avec le sens du Dharma. Nous nous arrêterons plus particulièrement sur certains termes spécifiques du bouddhisme tibétain et de ses pratiques méditatives. Il est important de noter qu’acquérir une véritable compréhension peut prendre du temps. Notre entendement s’approfondira au fur et à mesure d’un processus progressif de familiarisation, de mise en œuvre, d’introspection et de pratique. En cheminant pas à pas sur ce chemin de sagesse, notre esprit s’accordera naturellement avec le sens authentique du Dharma.

Les préparatifs

L’entrée sur le chemin de la sagesse est marquée par la prise de refuge. Le refuge est un havre sûr qui protège des chemins erronés⁵, des idées fausses et des actions néfastes. Nous prenons refuge dans le Bouddha, le Dharma et le Sangha, et ce jusqu’à devenir nous-mêmes des éveillés. Ces trois aspects du refuge sont aussi désignés par l’expression « les trois joyaux ».

Prendre refuge en le Bouddha signifie établir un lien avec les qualités spécifiques développées par le bouddha Shakyamuni. Le Dharma inclut tous ses enseignements et ses méthodes pour se relier aux qualités de l’éveil. Nous avons besoin de quelqu’un pour nous enseigner le Dharma, d’une personne qui, grâce à ses efforts, est parvenue à obtenir les résultats du chemin. En d’autres termes, une personne qui a appris les enseignements, les a mis en pratique et en a obtenu les fruits. Il s’agit donc d’un être accompli et très avancé sur le chemin. Même s’il n’a pas encore obtenu la pleine réalisation d’un bouddha, il a néanmoins actualisé certaines qualités qu’il peut transmettre à d’autres. Il s’agit d’un maître spirituel réalisé et d’un enseignant qualifié qui peut communiquer son savoir et son habileté. Nous prenons donc refuge en lui et en les autres personnes possédant ces qualités que nous appelons le Sangha extraordinaire. Le terme sangha signifie « rassemblement de ceux à l’aspiration vertueuse⁶ ». Cette communauté revêt deux aspects : le sangha ordinaire et le sangha extraordinaire. Le sangha ordinaire fait référence aux enseignants bouddhistes qui expliquent et transmettent les enseignements. Un rassemblement de pratiquants du Dharma peut aussi être nommé sangha, mais c’est dans le sangha extraordinaire que nous prenons refuge, tel qu’il a été décrit ci-dessus.

Pour commencer, nous envisageons le refuge de façon basique, comme une protection. Au fur et à mesure du développement de notre compréhension et de nos connaissances, nous appréhenderons le sens plus profond et plus vaste de cette notion, mais tout d’abord nous devons nous préparer. Que signifie se préparer dans le contexte bouddhique ? Il s’agit d’écouter, de contempler, et d’intégrer⁷ les enseignements afin d’atteindre une compréhension plus profonde de leur signification. À quoi faut-il se préparer ? Le but de tous les enseignements du Dharma est d’éveiller notre esprit, rien de plus. Nous sommes alors éveillés ou avons atteint l’état de bouddha. Il faut prendre garde, car ces mots s’avèrent parfois sources de confusion. En fait, l’éveil ne peut être limité à des termes. Pour l’instant, l’éveil ne représente pour nous que la projection d’une idée, nous ne discernons pas clairement ce que recouvre cette notion. L’éveil désigne un esprit clair et stable, libre de toute ignorance ou méconnaissance. Cet état d’esprit est appelé « bouddha » en sanskrit ou sang-gyé en tibétain. Sang signifie totalement clair, pur, sans aucune altération. Gyé fait référence à la connaissance à sa plénitude ou à une compréhension universelle. Il s’agit d’un état libre d’ignorance, de notions figées et préconçues, où l’esprit reste clair quant à lui-même.

L’esprit éveillé est donc parfaitement limpide, sans voile ni ignorance. L’adjectif « clair » est parfois mal compris. Il ne s’agit pas ici d’une clarté pareille à la lumière. Dissiper les voiles de notre esprit ne signifie pas non plus rejeter les bonnes choses. Nous n’avons pas besoin d’écarter les ressentis positifs, les apparences agréables, etc. Ils font partie de notre vie ordinaire, d’une façon de vivre, il faut simplement savoir qu’ils ne constituent pas le but principal de notre vie. La clarté d’esprit vient d’elle-même. Nous ne pouvons pas la trouver quelque part et personne ne peut nous la donner. Ultimement, tout se clarifie de soi-même. C’est le sens de sang-gyé. Toute tentative d’expliquer cet état est limitée par les mots, le sens profond doit être compris ou éprouvé par soi-même.

Grâce à une pratique méditative correcte et régulière, nous devenons plus ouverts et plus clairs. Un esprit ouvert conduit à davantage d’ouverture encore. Tant que l’esprit n’est pas totalement limpide, les résultats ne sont pas visibles. Certaines personnes ont reçu une très bonne éducation et acquis de vastes connaissances. Cependant, elles ne se satisfont jamais de leur savoir et continuent toujours à apprendre. Si nous croyons tout savoir, nous ne cherchons jamais plus loin. Le fait de vouloir en savoir davantage à propos de notre propre nature conduit au Dharma. Plus nous gagnons en compréhension au sujet de l’esprit et plus nous devenons clairs. Une fois que nous avons atteint un certain niveau de compréhension, nous n’avons plus besoin des nombreuses explications proposées, mais pour parvenir à ce stade, nous devons remettre en question et débattre de tous les détails afin d’en acquérir une compréhension précise. Lorsque le sens véritable est appréhendé, lorsque nous comprenons par nous-mêmes, alors tout est clair.

Pour nous préparer, nous commençons par écouter les enseignements. Nous pouvons pour cela recevoir de nombreuses informations et explications des enseignants bouddhistes. Nous pouvons également apprendre en lisant les textes. L’expression « écouter les enseignements » recouvre ces deux aspects.

Ensuite, il s’agit de se concentrer sur le but fixé. Le but ultime de tout pratiquant bouddhiste est d’atteindre un état de parfaite clarté, appelé l’état de bouddha, tel qu’il a été décrit auparavant. Nous essayons de progresser de manière correcte vers ce but, c’est ce que signifie mettre en œuvre les enseignements. Tous les enseignements et toutes les méthodes bouddhiques concourent à acquérir de la clarté. L’opposé est le manque de clarté, en d’autres termes la confusion ou la méconnaissance⁸. Nous pensons voir clairement alors que notre vision est défectueuse ; il s’agit d’une forme d’ignorance. L’ignorance ne désigne pas la stupidité, mais l’absence de compréhension précise de la nature des phénomènes. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas voir à travers un mur, car notre vision est obstruée. Lorsque l’esprit est clair, rien ne vient entraver sa vision. L’état de bouddha ne connaît ni obstacles ni voiles mentaux, l’ignorance est totalement dissipée. Un esprit clair voit sans limitation. Il demeure difficile de le comprendre actuellement, limités que nous sommes par la densité de notre corps et de notre monde physique, mais la véritable nature de l’esprit est complète clarté. Cette notion est constamment rappelée afin de nous familiariser avec cette réalité. Sans clarté, nous retombons immédiatement dans nos travers habituels.

La façon d’intégrer les enseignements dans la vie quotidienne est très importante. Les débutants peuvent trouver cela difficile à comprendre, car l’éveil n’est peutêtre pas leur but premier. Certaines personnes ne sont pas sûres de ce qu’elles cherchent; parfois elles souhaitent simplement acquérir une compréhension de la vie, par exemple. Mais quel que soit leur souhait, elles auront besoin du Dharma. Lorsque nous souhaitons acheter une maison, nous ne faisons peut-être pas immédiatement attention au jardin attenant qu’elle peut posséder, mais une fois l’achat finalisé et que nous sommes confortablement installés dans notre nouvelle demeure, nous commençons à réfléchir à son embellissement en créant un joli jardin, par exemple. Nous agissons de même lorsque nous nous référons au Dharma pour trouver des solutions à nos problèmes. Au début, nous mettons l’accent sur la façon de nous débarrasser de nos ennuis ou de devenir plus clairs et