Sur les traces des bodhisattvas: Enseignements bouddhiques sur l'essence de la méditation

Introduction

Il ne s’agit pas d’un livre abordant une forme unidimensionnelle d’entraînement à la méditation. Ce livre enseigne plutôt la façon dont l’essence intangible de la méditation se révèle lorsque nous alignons correctement les bonnes conditions de notre vie. Cette essence est empreinte de compassion et de félicité, mais totalement insaisissable ; pourtant, elle peut être actualisée. N’est-ce pas ce que vous souhaitez ?

Pour actualiser la réalisation de la réalité qui offre une liberté totale, nous devons pratiquer les enseignements fondamentaux du chemin bouddhique mahayana. Nous ne pouvons pas nous concentrer sur une technique unique de méditation et nous attendre à un résultat fécond si nous l’extrayons du cadre de la vue, de la méditation et de la conduite correctes. Nous devons plutôt aligner toutes les dimensions de notre vie sur une pratique authentique. C’est ce qui est appelé « cheminer » dans le bouddhisme. Si nous pouvons le faire, il ne fait aucun doute que nous actualiserons l’ouverture de la véritable méditation.

Comme dans d’autres livres du Dharma, nous trouverons ici des exercices et des méthodes de méditation, mais nous trouverons aussi les paroles du Bouddha, extraites du Soutra du roi des samadhis, qui sont organisées afin de constituer un chemin d’entraînement clair. Le soutra lui-même comporte quarante chapitres parmi lesquels j’ai sélectionné mes citations préférées que j’ai compilées dans ce texte. Si nous consacrons du temps à réfléchir à ces passages et si nous appliquons les instructions et les méthodes offertes dans chaque chapitre, nous éprouverons des résultats bénéfiques, sans l’ombre d’un doute. Après tout, nous étudions et pratiquons les paroles du Bouddha.

À moins d’être des érudits bouddhistes possédant une bibliothèque de soutras, combien de livres du Dharma nous délivrent vraiment les paroles du Bouddha ? Nous lisons de nombreuses citations de grands maîtres, mais combien de fois travaillons-nous avec des citations directement issues du Bouddha dans notre vie quotidienne ? En lisant et en savourant les paroles du Bouddha, nous gagnons une confiance et une dignité spéciales qui proviennent du fait de la connaissance de ce qu’il a spécifiquement enseigné. Lorsque je m’appuie sur les enseignements du Bouddha, émerge une lucidité concernant la réalité.

Le chemin mahayana

Ce soutra n’appartient à aucune lignée en particulier ; il appartient à tout le monde. Que vous vous intéressiez à la méditation de manière générale, que vous soyez un étudiant du Zen Soto, du bouddhisme tibétain ou de toute autre tradition bouddhique, cet enseignement pourra être utile à votre pratique. Le Soutra du roi des samadhis est cependant une source scripturaire de la tradition mahayana, ou grand véhicule, des enseignements du Bouddha. Le chemin mahayana est appelé « grand », parce que son but est la libération de chaque être sensible du mal-être et parce qu’il mène à l’actualisation des deux aspects de la vacuité, la vacuité du soi et celle des phénomènes.

La bodhichitta, ou esprit d’éveil empreint de compassion, est le coeur du chemin mahayana. La bodhichitta est divisée selon les deux vérités de la réalité – relative et ultime. La bodhichitta relative est ce à quoi nous nous entraînons sur le chemin ; elle comprend elle même deux aspects : la bodhichitta d’aspiration et la bodhichitta d’application. La bodhichitta d’aspiration fait référence au fait de cultiver un état d’esprit empreint d’amour bienveillant, de compassion, de joie et d’équanimité illimités. En s’entraînant à ces dispositions, notre esprit devient altruiste et stable. La bodhichitta d’application fait référence à la mise en oeuvre des six paramitas : la générosité, la conduite rafraîchissante², la patience, l’effort enthousiaste et l’absorption méditative qui sont tous inclus dans la sixième paramita, le discernement. En nous entraînant à ces paramitas, nous accomplissons le bien d’autrui et nous nous créons des conditions de vie favorables qui soutiennent notre pratique. Ce livre nous enseigne la façon d’unifier toutes ces pratiques afin de donner naissance à la bodhichitta ultime, qui n’est rien d’autre que le plein état éveillé, le samadhi suprême.

Le Soutra du roi des samadhis

J’ai commencé à étudier les méthodes de méditation lorsque j’avais dix ans, mais la véritable pratique n’a pas débuté pour moi avant l’âge de seize ans et il m’a fallu encore trois ans avant de commencer à en éprouver de réels bienfaits, comme le fait de devenir plus vigilant et plus empreint de compassion. À vingt et un ans, j’ai découvert le Soutra du roi des samadhis qui était au programme de mes études à l’université monastique de Dzongsar Shédra, en Inde. Cependant, ce n’est pas avant l’âge de trente et un ans que j’ai commencé une exploration intensive du texte, exploration qui a duré pendant les sept dernières années. Lorsque j’ai entrepris l’analyse détaillée du texte, j’ai vu que beaucoup de choses que j’avais étudiées, contemplées et pratiquées au cours de ma vie étaient directement reliées à ce soutra. J’ai aussi découvert que dans ce soutra du mahayana, le Bouddha enseigne des méthodes que nous utilisons dans le vajrayana, la tradition du bouddhisme tibétain. J’espère que lorsque les pratiquants du vajrayana reconnaîtront certains aspects des méthodes qu’ils utilisent dans ce livre, leur confiance en leur propre pratique en sera renforcée.

Certains parmi nous se pensent pratiquants de la tradition méditative connue comme étant le mahamudra. Si c’est ainsi que vous vous envisagez, sachez que le chemin du mahamudra est en fait le résultat des enseignements du Soutra du roi des samadhis. Le soutra lui-même n’est pas organisé comme un manuel traditionnel du mahamudra. De tels manuels sont apparus des centaines d’années après que ce soutra ait été couché par écrit et ils ont été développés sur sa base par des maîtres éminents. Les manuels du mahamudra expliquent traditionnellement soixante étapes successives de pratique. Ce n’est pas le cas dans ce soutra. Il inclut à la place des questions et des réponses entre le Bouddha et des bodhisattvas (les êtres qui progressent sur le chemin vers le plein éveil en cultivant la bodhichitta). Le Soutra du roi des samadhis contient des instructions sur la façon de se comporter habilement, de penser habilement et d’utiliser le monde qui semble matériel comme un support d’entraînement ainsi que des conseils clairs sur la manière de ne pas entraver la sagesse innée afin qu’elle se révèle naturellement.

Le soutra comporte de nombreuses histoires qui pointent directement l’essence de la méditation, ce qu’il appelle le samadhi. Pendant des millénaires, il a été le livre de chevet de moines, de moniales, de yogis et de pratiquants séculiers. Je souhaite que vous appreniez la méditation à partir de cette source, que vous vous reliiez au Bouddha et commenciez à vous entraîner comme les maîtres de méditation du passé.

Le message des soutras du mahayana

À l’image du Soutra du roi des samadhis, le Bouddha a enseigné de nombreux soutras au Pic des vautours. Nombreux sont les enseignements du Bouddha qui semblent disparates, mais ils se complètent en fait les uns les autres de manière stupéfiante. Par exemple, nous pouvons comprendre l’intention du Soutra du roi des samadhis en examinant la façon dont il fait référence au populaire Soutra du cœur.

Le Soutra du coeur décrit l’état de bouddha. Quand vous tenez le Soutra du coeur entre les mains, vous tenez en fait l’état du Bouddha. Quand vous lisez le Soutra du coeur, vous rencontrez des expressions comme : « Il n’y a ni chemin, ni sagesse, ni obtention, ni non-obtention », etc. En lisant cela, vous pouvez penser : « Qu’est-ce que cette folie ? Le Bouddha a clairement enseigné un chemin et des méthodes et il a donné divers enseignements nous permettant de nous affranchir de notre mal-être, alors qu’est-ce que cela signifie ? » Ce que dit le Soutra du cœur c’est que tout est esprit ; l’esprit est vide, la nature vide est clarté et la clarté est sagacité. La pure sagacité est l’éveil. L’état éveillé n’a pas de chemin ; cet état n’a pas d’obtention ; cet état est dépourvu de non-obtention. Cet état est affranchi des cinq agrégats de forme, de sensation, de distinction, de conditionnant³ et de conscience qui constituent notre expérience toute entière.

Si nous avons eu assez de chance pour recevoir des instructions sur la façon de rencontrer cet état libéré de pure lucidité par l’intermédiaire de la méditation, nous ne sommes pas capables de maintenir cet état pendant très longtemps, peut-être juste quelques secondes. Le Soutra du coeur décrit l’état éveillé, mais il ne nous enseigne pas comment y parvenir concrètement.

J’enseigne souvent un autre soutra intitulé le Soutra de la sagesse du bodhisattva au moment de la mort. Ce soutra est très court et offre des instructions abrégées sur la façon d’actualiser l’état décrit dans le Soutra du coeur. Un roi tibétain du passé avait l’habitude de lire le Soutra du coeur chaque jour afin de clarifier sa façon d’envisager la réalité, mais il lisait aussi le Soutra de la sagesse du bodhisattva au moment de la mort pour guider sa pratique méditative.

Voici à présent un point clé : tout comme le Soutra du coeur est la forme abrégée des 80 000 stances du Soutra de la prajnaparamita, nous pouvons dire que le Soutra de la sagesse du bodhisattva au moment de la mort est la forme abrégée du Soutra du roi des samadhis. Nous pouvons examiner cette citation du Soutra de la sagesse du bodhisattva au moment de la mort pour comprendre comment apprendre à méditer avec ce livre basé sur le Soutra du roi des samadhis :

Akashagarbha, au moment de la mort, le bodhisattva devrait

cultiver la sagesse du moment de la mort.

La sagesse du moment de la mort consiste en la chose suivante.

Puisque tous les phénomènes sont naturellement purs,

cultive bien la notion d’inexistence substantielle.

Puisque tous les phénomènes sont inclus dans l’esprit d’éveil,

cultive bien la notion de grande compassion.

Puisque tous les phénomènes sont naturellement luminosité et

clarté, cultive bien un esprit sans point de référence.

Puisque tous les phénomènes efficients sont impermanents,

cultive bien un état d’esprit qui ne s’attache à rien.

Ainsi, lorsque l’esprit est actualisé, il est sagesse.

Par conséquent, cultive bien la notion que le Bouddha

n’est à chercher nulle part ailleurs.⁴

Cette instruction est très profonde. Elle résume tous les points de l’entraînement du chemin mahayana. Par l’intermédiaire des enseignements du Soutra du roi des samadhis, nous apprendrons à appliquer ces paroles pleinement et directement.

L’essence de la méditation

Le monde du vingt et unième siècle devrait comprendre que la véritable méditation conduit à la liberté complète. Si nous ne le comprenons pas, nous courons le danger de réduire l’idée de la méditation à une simple session nous permettant de trouver le calme, assis sur un coussin. Si nous recherchons la libération du mal-être et que nous souhaitons une relation profonde avec la réalité, alors toutes les expériences de notre vie doivent devenir méditation. Je souhaite que les lecteurs prennent la vue et les pratiques méditatives exposées dans ce livre comme un chemin ou comme un fort soutien pour la tradition méditative authentique qu’ils pratiquent actuellement. Ces méthodes ont fonctionné pour d’innombrables pratiquants avant nous et elles fonctionneront pour nous également.

Tout ce que vous voyez, entendez et éprouvez peut être une méditation, sans qu’il n’y ait d’interruption. Je veux dire que ce texte vous offre de réelles instructions. J’espère que cela vous sera directement et immédiatement bénéfique. Personnellement, le Soutra du roi des samadhis m’a très profondément touché.

Je veux que ce livre rende vraiment les êtres heureux. J’espère que les mérites de ce livre seront une cause pour que se réalisent les aspirations pures des bouddhas et des bodhisattvas – ceux qui ont parachevé le chemin et qui éprouvent la méditation la plus élevée, le roi des samadhis.

2Souvent traduit par conduite éthique. Pourquoi cette conduite est-elle rafraîchissante ? Selon Padma Karpo : « parce qu’elle apaise/rafraîchit des tourments des obscurcissements affligeants ».

3Aussi traduit par formation.

4Extrait du ‘phags pa ‘da ‘ ka ye shes zhes bya ba theg pa chen po’i mdo, in sde dge bka’ ’gyur མདོ་སྡེ། ༼ ཐ ༽ (54) ནམ་མཁའི་སྙིང་པོ་བྱང་ཆུབ་སེམས་དཔའ་ནམ་འཆི་བའི་དུས་ཀྱི་ཚེ་འདའ་ཀ་ཡེ་ཤེས་བསྒོམ་པར་བྱའོ། །དེ་ལ་ འདའ་ཀ་ཡེ་ཤེས་ནི་ཆོས་ཐམས་ཅད་རང་བཞིན་གྱིས་རྣམ་པར་དག་པས་ན་དངོས་པོ་མེད་པའི་འདུ་ཤེས་རབ་ཏུ་བསྒོམ་པར་བྱའོ། །ཆོས་ཐམས་ཅད་ བྱང་ཆུབ་ཀྱི་སེམས་སུ་འདུས་པས་ན་སྙིང་རྗེ་ཆེན་པོའི་འདུ་ཤེས་རབ་ཏུ་བསྒོམ་པར་བྱའོ། །ཆོས་ཐམས་ཅད་རང་བཞིན་གྱིས་འོད་གསལ་བས་ན་མི་ དམིགས་པའི་འདུ་ཤེས་རབ་ཏུ་བསྒོམ་པར་བྱའོ། །དངོས་པོ་ཐམས་ཅད་མི་རྟག་པས་ན་ཅི་ལ་ཡང་མི་ཆགས་པའི་འདུ་ཤེས་རབ་ཏུ་བསྒོམ་པར་བྱའོ། །སེམས་རྟོགས་ན་ཡེ་ཤེས་ཡིན་པས་ན་སངས་རྒྱས་གཞན་དུ་མི་བཙལ་བའི་འདུ་ཤེས་རབ་ཏུ་བསྒོམ་པར་བྱའོ། །བཅོམ་ལྡན་འདས་ཀྱིས་ཚིགས་སུ་ བཅད་དེ་བཀའ་སྩལ་པ། ཆོས་རྣམས་རང་བཞིན་རྣམ་དག་པས། །དངོས་པོ་མེད་པའི་འདུ་ཤེས་བསྒོམ། །བྱང་ཆུབ་སེམས་དང་རབ་ལྡན་པས། །སྙིང་རྗེ་ཆེན་པོའི་འདུ་ཤེས་བསྒོམ། །ཆོས་རྣམས་རང་བཞིན་འོད་གསལ་བས། །དམིགས་པ་མེད་པའི་འདུ་ཤེས་བསྒོམ། །དངོས་པོ་ཐམས་ཅད་མི་ རྟག་པས། །ཆགས་པ་མེད་པའི་འདུ་ཤེས་བསྒོམ། །སེམས་ནི་ཡེ་ཤེས་ཡིན་པས་ན། །སངས་རྒྱས་གཞན་དུ་མི་བཙལ་བའི་འདུ་ཤེས་རབ་ཏུ་བསྒོམ་ པར་བྱའོ།

Chapitre 1 – Le roi des samadhis

སངས་རྒྱས་ཀྱི་ཡེ་ཤེས་ཀྱི་ལམ་དང་།

ཆོས་ཐམས་ཅད་ཀྱི་ཕྱག་རྒྱ་དང་།

ཐམས་ཅད་མཁྱེན་པའི་ཡེ་ཤེས་ཡོངས་སུ་གྲུབ་པ་དང་།

C’est le chemin de sagesse des Bouddhas ;

Le sceau de tous les phénomènes ;

L’accomplissement de la sagesse omnisciente.

Chapitre 1

Un jour, le Bouddha se trouvait parmi une grande assemblée de bodhisattvas, sur la montagne sacrée du Pic des vautours, dans le nord de l’Inde. C’est là qu’il aurait enseigné un grand nombre de soutras du mahayana, à ciel ouvert au milieu des rochers amoncelés. D’innombrables êtres se réunirent et prirent place devant lui pour recevoir sa sagesse.

Alors que le Bouddha était