Méditation Bouddhiste
Par Charles Genoud
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Aperçu du livre
Méditation Bouddhiste - Charles Genoud
Introduction
Le bouddhisme n’a pas de raison d’être si ce n’est d’éclairer la condition humaine: sa fragilité et sa liberté. Il n’est pas sa propre fin, pas plus que le radeau qui permet de traverser le fleuve; en faire un objet de vénération transforme le moyen en fardeau.
S’il peut être judicieux de mettre en question la tradition, il est également important de se laisser questionner par elle ; alors, s’embarquer sur les voies du bouddha, comme moyen d’explorer la nature humaine, peut conduire à des découvertes surprenantes.
De nombreux ouvrages contemporains décrivent les multiples avantages de la méditation, sa technique et son utilité ; plus rares sont ceux qui essaient de la dévoiler. La tâche n’est pas aisée, parce que la méditation est au cœur de l’expérience humaine avant que le langage ne s’en empare. La présente tentative reste nécessairement inachevée. Le langage est l’ombre de ce qu’il essaie de montrer. Il faut néanmoins passer par lui pour se dessaisir de son emprise.
La méditation ne peut être assujettie à une quête insatiable de bonheur, elle doit être rendue à elle-même.
L’ enjeu de la méditation est atemporel, elle ne saurait servir le dessein d’une époque particulière sans basculer dans le profane et le superficiel. En revanche le langage la décrivant doit sans cesse être revisité.
L’érudition, la réflexion et la méditation sont les trois sources de connaissance de la tradition bouddhique.
Dans ce schéma se dégage une progression vers l’intériorité. La première source, l’érudition, est une connaissance venue d’autrui.
La deuxième source, la réflexion, entraîne une réorganisation plus ou moins cohérente de ce qui a été entendu, gardant certaines notions et en rejetant d’autres. Ceci implique une compréhension sans faille des sources ainsi qu’une plus grande intimité avec sa propre pensée. La réflexion joue son rôle parce que dans le quotidien il faut constamment penser, planifier et prendre des décisions. Plus la réflexion est claire, plus judicieuses seront les décisions.
Une grande partie de la littérature bouddhique est consacrée à étayer ces réflexions. La tradition tibétaine, particulièrement riche en ce domaine, propose de nombreux exercices spirituels organisés selon une pédagogie judicieuse.
Ces deux premières sources de connaissance sont basées sur les concepts donc, sur une transposition des vécus.
Finalement, dernier élément de la trilogie, la méditation s’affranchit de la raison. Elle requiert le dépassement de tout concept, de toute croyance et de tout dogme.
Cette expérience intérieure à laquelle conduit la méditation, et non pas les textes doctrinaux, est l’autorité ultime dans la tradition bouddhique. Une expérience qui est sa propre autorité.¹
L’expérience intérieure doit être conduite avec discipline pour dépasser ce qui est personnel et imaginaire. Cette discipline relève de la suspension de toute activité et non pas de l’usage de techniques sophistiquées. Alors seulement, la méditation peut déboucher sur une indépendance d’esprit qui permet non seulement de penser par soi-même, mais plus encore, de se dégager de l’emprise de la pensée elle-même. Finalement, le méditant devra retourner dans le monde de la pensée et de l’action, motivé par une pensée éclairée par une expérience souveraine.
La réflexion permet d’intégrer à la vie quotidienne ce que la vision intérieure dévoile.
Au sein du bouddhisme il existe des divergences, de sorte qu’une perspective sera toujours partiale. Ce texte ne fait pas exception. Il y a toutefois des notions communes, incontournables.
Quatre sceaux authentifient une vision du monde comme étant bouddhiste:
- Tous les composés sont impermanents.
- Une vie sous l’emprise de la confusion laisse à désirer.
- Rien dans l’être humain ne correspond à un moi indépendant et substantiel.
- Il est possible de se libérer de la confusion et de l’insatisfaction de manière définitive.
Ce livre ne sort jamais, en tout cas de manière délibérée, de cette vision bouddhique du monde.
Un point de vue communément partagé par les maîtres bouddhistes et particulièrement significatif ici, pose que le chemin spirituel — et plus particulièrement la méditation — consiste essentiellement en une absence de saisie.
Sakya Pandita, le maître tibétain du XIe siècle enseignait que s’il y a saisie, il n’y a pas de sagesse. Au XXe siècle, le maître birman Mahasi Sayadaw expliquait que nous méditons afin de ne pas saisir, en parfait accord avec les paroles mêmes du bouddha enseignant que l’absence de saisie est liberté.
Les méditations décrites dans ce livre sont fondées sur la tradition theravada telle qu’elle est enseignée en Birmanie ainsi que sur la tradition tibétaine avec quelques remarques provenant du zen. Ces approches se complètent. La tradition vipassana, en accord avec le Satipatthana soutra, est très attentive à inclure tous les vécus dans la méditation: le corporel, les sensations affectives, les pensées, les émotions et les états mentaux ; le calme comme l’agitation, le positif comme le négatif.
La tradition tibétaine analyse les pensées et les émotions avec une grande profondeur, s’appliquant à découvrir la nature insaisissable de la conscience et du monde ; le zen finalement approche la méditation d’une manière globale. Il intègre dans sa pratique les mouvements et les activités les plus simples de la vie quotidienne.
L’empathie doit être associée à la sagesse pour garantir un comportement responsable dans le monde, c’est pourquoi des méditations sur la bienveillance ont été incluses.
Les textes le plus souvent cités pour décrire la méditation sont les soutras du bouddhisme ancien, le Satipatthana soutra, le Bahia soutra, le Malunkyaputta soutra, le Sivaka soutra et le Kaccayanagotta soutra. En ce qui concerne les méditations sur les pensées et les émotions, ce sont les textes de la tradition tibétaine la plus ancienne ainsi que des enseignements oraux du Maître Dilgo Khyentse Rimpoché.
D’une manière générale le point de vue philosophique exprimé ici se conforme aux textes de Nagarjuna, le grand philosophe du bouddhisme indien ainsi qu’a l’enseignement de Vimalakirti l’un des premiers soutra exposant la philosophie du madhyamaka.
Des maîtres appartenant à d’autres traditions spirituelles sont également cités, comme Saint Augustin, Maître Eckhart, Martin Buber. Ils mettent en lumière certains aspects importants du chemin spirituel et représentent une grande source d’inspiration dont il convenait de souligner l’importance.
Tout système de pensée finit par se prendre à son propre jeu. L’étude d’autres points de vue permet d’éviter cet écueil, au moins en partie. La réification de la nature de bouddha par certains auteurs peut servir d’exemple. Maître Eckhart souligne précisément le danger de s’attacher à l’ultime lorsqu’il enseigne qu’il faut prier Dieu de nous libérer de Dieu.
Les réflexions exposées dans la deuxième partie du livre s’appuient sur des sources plus variées encore.
Le chapitre concernant l’investigation de la conscience s’est enrichi à la lecture des textes du premier Sartre: l’imagination, l’imaginaire, esquisse d’une théorie des émotions et la transcendance de l’ego. Les ouvrages de Nietzsche, de Simone Weil, de Martin Buber et de Sartre ont influencé profondément le regard porté sur la moralité.
Le texte concernant la méditation a été placé immédiatement après l’introduction pour aborder cette partie avec une certaine innocence. Les réflexions viennent en dernier et tentent d’étayer ce qui peut paraître péremptoire dans les textes traitant de la méditation.
Chaque partie présente une certaine autonomie. Des répétitions n’ont pas été exclues afin de ne pas imposer à la lecture un ordre séquentiel.
Ce livre est une invitation à une expérience intérieure plus qu’une présentation de la doctrine bouddhique. Présentation qui a déjà fait l’objet de nombreuses publications.
1 Un texte affirme que même si tous les bouddhas devaient se rassembler et mettre en doute son expérience, le méditant ne douterait pas.
Partie 1
Méditations
le passé
le passé n’a jamais été
ces quelques mots si simples de Maurice Blanchot
font naître un sentiment étrange
la phrase est presque anodine
elle pourrait passer inaperçue
et cependant lorsqu’on s’y arrête
le passé n’a jamais été ?
Joseph Campbell décrit l’itinéraire traditionnel du héros ou du chaman
sa naissance miraculeuse, signe d’un destin d’exception
puis il l’oublie et se fond dans un monde familier
jusqu’au jour où un événement vient le rappeler à son destin
un événement anodin en apparence
un léger dérangement dans l’ordre du monde
une chose pas tout à fait à sa place
une tasse qui se brise
des paroles surprenantes
une souffrance incompréhensible
la personne ordinaire passe
sans remarquer cette brèche dans la réalité du monde quotidien
le chaman lui, en est profondément troublé
il ne peut que s’engager dans cette ouverture
et n’aura de cesse d’avoir découvert une nouvelle vision du monde
plus vaste, rendant compte de l’incompréhensible
le passé n’a jamais été
je n’ai jamais retrouvé la source de cette citation
l’ai-je lue dans la traduction anglaise d’un texte de Blanchot
dans une librairie de San Francisco ?
je ne cesse de tourner ces quelques mots dans ma tête
que signifient-ils ?
la temporalité a troublé le plus grand des théologiens chrétiens
si on ne me demande pas, je sais,
si on me demande, je ne sais plus, Dieu aide-moi, confesse Saint Augustin.
il n’a pas échappé à son destin, Dieu merci
le passé n’a jamais été, prend l’allure d’un koan²
ces mots anodins ont une force de contestation similaire
selon le bouddhisme l’homme n’est pas captif de la réalité
mais de ses croyances
la méditation est libératrice dans la mesure où elle met en doute
la validité de ces croyances
penser qu’il serait possible de s’engager dans la méditation sans être
touché par sa force de contestation est absurde
comme de vouloir pénétrer dans l’eau fraîche d’une rivière sans
se mouiller
2 Terme qui dans le zen désigne une question insensée visant à dépasser les limites de la raison.
désacralisation
la désacralisation de la méditation la rend futile
comme les conversations d’une soirée mondaine
le sacré, atemporel, ne peut faire l’objet d’aucun calcul
il ne peut être réduit à l’utilitaire
il en est l’opposé
ancrée dans une culture, la religion est située dans le temps
elle a une histoire, un dogme, des croyances
cependant, elle est gardienne des valeurs sacrées
de l’atemporel, de l’inutilitaire
Maître Eckart appelle « marchands du temple »
ces fidèles qui louent Dieu
pour qu’il accède à leurs prières
demandant à Dieu une faveur en échange de leurs louanges
ils sont dans le temple, mais restent des profanes
réduire la méditation à une technique de bien-être
la limiter à l’utilitaire et au profit
c’est la désacraliser
le temple, dans la méditation, c’est le vécu du méditant
il s’agit de s’y livrer, de ne pas le contempler du dehors
ne pas observer la respiration, les sensations, les émotions
mais être chaque vécu
lorsque le méditant consent à se mettre en jeu
chaque position, chaque mouvement du corps est ce lieu sacré
où l’existence se révèle, dans sa totalité
alors se dévoile un corps de présence
le Satipatthana soutra l’exprime simplement
lorsqu’une méditante marche, elle est présente
lorsqu’elle tourne la tête, lorsqu’elle plie ou tend le bras,
elle est présente
ainsi en toutes positions toutes activités, les plus ordinaires
il s’agit d’être là
le mouvement ne ment jamais affirmait Martha Graham
le secret qu’il dévoile est celui d’un corps souverain
qui n’est pas réduit à un moyen pour accomplir une tâche
ceci ne veut pas dire que le méditant s’interdit toute activité
qu’il s’enferme dans une vaine passivité
mais que dans l’action
il ne se perd pas dans l’objectif à atteindre
devenu indifférent aux fruits des actes,
toujours comblé,
ne dépendant de rien;
celui-là, en réalité, n’agit pas,
si affairé qu’il puisse paraître. La Bhagavad-Gîta
le sacré est le lieu de la présence la plus dense, selon Mircea Eliade
le corps vécu est alors un sanctuaire
être assis, c’est être éveillé
enseigne Dogen, le maître Zen
toutes les activités, manger, boire, balayer l’allée du jardin
sont le lieu de la méditation et de l’éveil
conscience - connaissance
sans distinguer conscience et connaissance,
on ne peut comprendre en quoi consiste la méditation
dès son plus jeune âge l’enfant apprend à connaître le monde qui
l’entoure
à distinguer ce qui est dangereux de ce qui ne l’est pas
à nommer les choses
les études supérieures et les formations professionnelles
sont encore une accumulation de connaissances
concernant non seulement les choses
mais aussi les méthodes, les techniques
la connaissance transpose toutes les expériences en données
qui peuvent être conservées dans la mémoire
les concepts ou les noms sont le moyen de cette transposition
dès qu’un vécu surgit, la perception d’un son, d’une forme
il est interprété
tiens, j’entends le voisin mettre en marche sa voiture
et pourtant je n’entends qu’un vrombissement
nous entendons toujours plus que ce que nous entendons
j’entre dans mon bureau, je me déplace
à chaque instant ce que je vois est totalement différent
et pourtant je crois voir la même chose: le bureau
ce bureau immuable n’est qu’un concept
que le souvenir garde en mémoire
il y a une différence notoire entre
voir les couleurs du ciel au lever du jour
et se rappeler ces couleurs
quand le concept se substitue à l’expérience
il y a confusion entre ce qui est vu et ce qui est pensé
toute transposition opérée par la connaissance peut être fausse
il se peut que ce ne soit pas la voiture du voisin que j’entende
mais il est indubitable que j’entends
dans la connaissance, l’expérience singulière est délaissée
pour une idée générale
le mot fige l’événement
il lui donne une portée objective et universelle
par sa nature, le concept donne l’impression de