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La Méditation de pleine conscience: L'envers du décor
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Livre électronique393 pages4 heures

La Méditation de pleine conscience: L'envers du décor

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À propos de ce livre électronique

Stress, angoisses, harcèlements, burn-out… Dans une économie très dure, l’être humain souffre et cherche des issues. La pleine conscience se propose comme une solution apaisante.
Depuis quelques années, cette institution bouddhiste fait l’unanimité : chez les Verts, au Parlement européen, mais aussi au Congrès des États-Unis et à Davos, haut-lieu des élites financières. Tous ensemble pour méditer zen ? Élisabeth Martens, enseignante de pratiques de santé taoïstes, ne conteste pas leur efficacité, mais dénonce l’imposture de cette institution religieuse qui s’est discrètement liée aux pouvoirs et aux élites.

Se résigner ou agir pour corriger les injustices ? Une véritable pleine conscience nécessite d’aller voir l’envers du décor.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Élisabeth Martens - Biologiste, a passé trois ans en Chine pour étudier la médecine chinoise. Elle y retourne régulièrement pour des voyages d'étude. Enseignante et écrivaine, elle est l'auteure de plusieurs livres sur le bouddhisme et la pensée chinoise.
LangueFrançais
Date de sortie19 janv. 2021
ISBN9782930827766
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    Aperçu du livre

    La Méditation de pleine conscience - Élisabeth Martens

    266

    Introduction

    En général, je suis assez discrète sur mes expériences passées, mais il s’agit ici d’un « cas de force majeure ». Il faut que je me secoue et que je sorte de ma réserve, car, comme me le disait un ami, je suis une personne « tout indiquée » pour aborder ce sujet délicat : l’impact du mouvement de la pleine conscience sur l’inconscient collectif. En disant cela, il se référait à ma familiarité avec la Chine où j’ai habité pendant trois ans et où j’ai voyagé de nombreuses fois, ainsi qu’à ma connaissance du Haut Plateau tibétain que j’ai parcouru du nord au sud et d’est en ouest sur quasi 10 000 km, en bus, en train, en 4x4, à pied. Il en appelait aussi à mon intérêt pour les religions et les philosophies, un intérêt qui est venu soutenir et enrichir une formation scientifique de biologie à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et de médecine traditio­nnelle chinoise (MTC) à l’Université de Nanjing, MTC que j’enseigne depuis trente ans. On peut ajouter à cela ma pratique quotidienne du Qigong et du TaiJiQuan, qui implique celle de la méditation, ainsi que leur enseignement depuis

    une vingtaine d’années.

    Au cours de mes soixante-deux années d’existence, j’ai rencontré en de rares occasions quelques personnes façonnées par les pratiques méditatives : un jeune moine cistercien, un pianiste de jazz-rock virtuose, un plongeur des grands fonds marins, une tisserande qui rafistolait des tapis d’Orient. Celles-ci avaient un point commun, elles avaient toutes acquis une sorte d’humilité de laquelle émanait une joie à la fois tranquille et jubilatoire. Les admirant, il me serait difficile de contester les bienfaits des pratiques méditatives. Telle n’est d’ailleurs pas mon intention, je suis assez convaincue de leurs bénéfices sur nombre de nos souffrances psychosomatiques ou existentielles. La méditation et la joie intérieure que procure sa pratique quotidienne font partie de notre paysage psychique et l’élargissent considérablement. Il ne s’agit donc pas de discuter ici de l’état de la pleine conscience, un état propre à la méditation, mais du mouvement

    de la pleine conscience.

    Depuis le début du XXIe siècle, le mouvement de la pleine conscience, ou « Mindfulness », s’est immiscé au cœur de nos vies. Se prévalant de sa « laïcité », il s’est introduit dans le corps enseignant depuis les écoles maternelles jusqu’aux universités, il s’est installé dans les fauteuils parlementaires accompagnant les nouveaux paradigmes imposés par le lobby transhumaniste, il est venu coloniser nos espaces publics et privés. De plus en plus de personnes fragilisées, dépressives, exténuées, essorées par un rythme de vie insoutenable se tournent vers ces pratiques méditatives afin de se maintenir à niveau, de ne pas sombrer, d’échapper à un quotidien destructeur. Dès lors que le mouvement de la pleine conscience a pris une telle ampleur, n’est-il pas temps de nous interroger quant à ses impacts sociétaux ?

    Jusqu’à présent, le mouvement de la pleine conscience n’a pas été pointé du doigt comme le support d’une idéologie invasive, et pour cause, ce « petit dernier » du néobouddhisme, la version occidentalisée du bouddhisme, est un outil puissant capable d’agir en sourdine sur l’inconscient collectif avec d’autant plus de précision qu’il parle à nos couches profondes, celles de nos émotions et de nos valeurs, celles de nos besoins spirituels. S’appuyant sur les résultats bénéfiques des pratiques méditatives sur la santé, les instructeurs de la pleine conscience focalisent l’attention de leurs adeptes sur leur compétence au bonheur et, par là, ils anesthésient leur esprit critique qui s’aligne sans rechigner sur la pensée unique. La « Mindfulness » est actuellement un support efficace d’un prosélytisme bouddhiste qui installe ses églises

    au pied de l’idéologie dominante.

    En effet, si le bouddhisme peut se vanter d’avoir élargi le champ de la métaphysique et même celui des sciences physiques avec ses questions audacieuses quant à la nature du réel et de la conscience, en termes d’institution religieuse dogmatique et prosélyte, il n’a rien à envier aux autres religions. À leur image, il a emprunté les voies du pouvoir, ceci à minima pour ne pas s’éteindre, mais surtout pour défendre la « Bonne doctrine du dharma » et étendre son influence là où il s’est implanté. Cela n’enlève rien à la profondeur de l’enseignement du Bouddha ni à la sincérité de ses disciples. Les Évangiles aussi sont censés propager un message d’amour, cela n’a pas empêché les croisades, l’inquisition, les meurtres et les guerres au nom d’un « fils de Dieu ». Qu’il soit clair que mon analyse ne vise nullement les fidèles, quelle que soit leur obédience, bouddhiste ou autre, ni les adeptes des pratiques méditatives, mais uniquement les institutions religieuses, leurs leaders et leurs « tutelles étatiques ».

    Comme toute autre institution religieuse, le bouddhisme baigne dans son histoire, laquelle, en Asie, ne fut pas plus glorieuse que celle du christianisme en Europe. Pourtant, il s’en nourrit et n’a nulle intention de s’en tenir là. Entré chez nous dès le début de l’économie libérale, il s’est plié aux exigences de la bourgeoisie dont le socle constitue la classe moyenne d’aujourd’hui. Le bouddhisme poursuit son lent travail de pénétration, il s’adapte à la classe des « gens bien ». Ils ont voulu une philosophie de vie en lieu et place d’une religion ? Le bouddhisme a ouvert la voie. Ils ont recherché une spiritualité athée ? Le bouddhisme a répondu présent. Ils réclament une pratique pour rester zen en toute situation ? Le bouddhisme propose la pleine conscience.

    Ils ont besoin d’une thérapie soignant burn-out et dépressions ? Le bouddhisme invente des protocoles ad hoc.

    Depuis qu’il s’est développé chez nous, le bouddhisme s’est mis au service de la pensée dominante, celle du libéralisme, et encore plus, à la fin du XXe siècle, celle du néolibéralisme. C’est à ce moment-là que le mouvement de la pleine conscience a amorcé son envol aux États-Unis, pour ensuite venir envahir l’Europe et les autres pays industrialisés. Depuis lors, il soutient les efforts du capitalisme pour garder la tête hors de l’eau, il s’assied à son chevet pour panser ses plaies, il pose des mains fraîches sur son front brûlant, car oui, il existe un lien étroit entre l’institution bouddhiste, le mouvement de la pleine conscience et les ruées morbides du néolibéralisme.

    Alors qu’on aurait pu attendre du néobouddhisme et du mouvement de la pleine conscience qu’ils nous mènent vers plus de lucidité, ils se sont faits complices d’un système économique particulièrement pervers, néfaste pour les êtres humains et destructeur de la planète. Dans la campagne namuroise où je vis depuis plus de vingt ans, j’observe de jour en jour les sévices des bouleversements climatiques et, plus encore que les commentaires bienveillants ou parfois sarcastiques de mes proches, de mes amis ou de mes élèves à propos de l’engouement pour les pratiques de la pleine conscience, c’est la souffrance des forêts et de leurs habitants qui m’a poussée à mener ce travail jusqu’au bout.

    Chapitre 1

    La pleine conscience,

    de la maternelle à Davos

    Pleine conscience, une technologie de l’attention

    « La Mindfulness, ou pleine conscience, peut être définie comme un état de conscience qui résulte du fait de porter son attention, intentionnellement, au moment présent, sans juger, sur l’expérience qui se déploie instant après instant¹. » Cette définition de la Mindfulness donnée par Jon Kabat-Zinn, initiateur et propagateur du mouvement, figure sur presque tous les sites consacrés à cette pratique méditative. « Mindfulness » a été traduit en français par « pleine conscience », bien que les termes de « pleine présence » aient également été proposés et soient sans doute plus appropriés². Cette « technologie de l’attention » est accessible à tous, elle s’apprend à n’importe quel âge à travers une pratique quotidienne de la méditation. En cultivant une attention

    non réactive, curieuse, réceptive, la pleine conscience facilite l’ouverture à la réalité présente.

    Selon ses instructeurs, elle contribue également à la santé physique, à l’équilibre émotionnel, à la clarté mentale et à l’éveil spirituel : « La pleine conscience est a priori utile à tout être humain et, par suite, à la société en général. Elle peut être utilisée à la fois par les professionnels et par leurs clients dans les secteurs suivants : santé, psychothérapie, coaching, éducation, travail social, management, sport, art³. » Les instructeurs de pleine conscience ont élargi leur éventail de formation : maintenant, on mange en pleine conscience, on éduque ses enfants en pleine conscience, on joue de la musique en pleine conscience, on pratique un art en pleine conscience, on fait l’amour en pleine conscience, on accouche en pleine conscience, on jardine en pleine conscience, etc. Cette méthodologie de l’attention répond à un besoin fort actuel de nous « recentrer » et de retourner à des « élémentaires » : le respirer, le manger, le dormir, le « vivre ensemble ». Le succès indubitable du mouvement serait-il l’expression d’une société en déroute, en surpression, en burn-out ?

    Toutefois, ces pratiques méditatives ne sont pas nouvelles. Que nous apportent-elles de plus que celles que nous connaissions dans nos traditions, celles des moines cisterciens ou des sœurs carmélites, par exemple ? Tel ce prêtre et psychologue clinicien qui s’est récemment vu confier la création d’un centre à l’écoute des attentes religieuses, il explique : « Des sessions de méditation de pleine conscience sont organisées pour apprendre à gérer pensées et émotions, à faire face à l’anxiété, la dépression, le stress, sans traitement médicamenteux. » Il s’appuie sur la pratique contemplative des Pères du désert qui « proposent des voies de méditation reposant non seulement sur la respiration, mais aussi sur l’assise, le silence et l’apaisement des pensées⁴. »

    Depuis toujours, la méditation a été associée à la médecine et aux soins thérapeutiques : le mot « méditer » dérive du latin « mederi » qui signifie « soigner, guérir ». L’amélioration de sa santé apporte au pratiquant un sentiment de paix intérieure qui augmente son empathie et facilite le recul face aux situations difficiles. La pleine conscience est pratiquée par beaucoup de ses adeptes pour ne pas être broyée par le stress. Pourtant, d’autres pratiques comme le yoga, le Taijiquan, une randonnée en montagne, un trip à vélo, l’apprentissage de la musique procurent des bénéfices similaires. Or, elles ne rassemblent pas autant de sympathisants. Alors, quelle est la clef du succès de la Mindfulness ?

    Pleine conscience en soins de santé

    La Mindfulness a été introduite aux États-Unis par Jon Kabat-Zinn. En 1971, il obtient un doctorat en biologie moléculaire au « Massachusetts Institute of Technology » honorant ainsi son père, Elvin Kabat, qui s’est distingué dans la recherche biomédicale. Comme beaucoup de jeunes Étasuniens à cette époque, il est influencé par la « Beat Generation », puis par la vague hippie. Après ses études, il se tourne vers un maître bouddhiste venu enseigner la méditation en Occident, S.N. Goenka à qui il restera attaché plusieurs années. Il a également suivi des séminaires de méditation zen avec le célèbre moine vietnamien, Thich Nhât Hanh, fondateur du « Village des Pruniers » devenu le principal centre européen de Mindfulness.

    Le beau-père de Jon Kabat, Howard Zinn, est un militant pacifiste étasunien devenu célèbre grâce à la parution, en 1980, du best-seller Une histoire populaire des États-Unis⁵, « une histoire qui parle de ceux qui ne parlent pas dans l’histoire officielle, les esclaves, les Indiens, les déserteurs, les ouvrières du textile, les syndicalistes et tous les inaperçus en lutte pour briser leurs chaînes⁶ ». Jon Kabat a-t-il dû jouer des coudes pour prendre sa place aux côtés d’une pareille sommité universitaire qui « élevait la désobéissance civile au rang de devoir » ?

    Sa double formation en biologie moléculaire et en pratiques bouddhistes le pousse à étudier les effets de la méditation sur le cerveau et sur le système immunitaire. Dans les années 80, il met sur pied un protocole thérapeutique basé sur la méditation bouddhiste adapté aux patients occidentaux. Nommé « Mindfulness Based Stress Reduction », ou MBSR, ce protocole permettrait de traiter la plupart de nos troubles psychosomatiques. Les formations proposées au grand public se déroulent en général en 8 X 2 h 30 et une journée d’intégration. Après ce premier apprentissage, chaque participant est invité à pratiquer une méditation quotidienne individuellement, et à s’intégrer à un groupe de méditation pour des sessions hebdomadaires.

    La MBSR a rapidement porté ses fruits et Kabat-Zinn a inventé un second protocole qui vise à éviter les rechutes des dépressions. Il l’a nommé la « Mindfulness Based Cognitive Therapy », ou MBCT. Puis un troisième protocole fut mis sur pied : la « Mindfulness Based Interventions » (MBI), utilisée lors de consultations privées. Celui-ci fut suivi par la « Mindfulness-Based Childbirth and Parenting » (MBCP) qui prépare les futurs parents à la grossesse, à l’accouchement et à la parentalité, puis par la « Mindfulness-Based Eating Awareness Training » (MB-EAT) en cas de désordres alimentaires, et par la « Mindfulness-Based Relapse Prevention » (MBRP) qui prévient les rechutes des addictions, et encore par la « Mindfulness-Based Dialectical Behavior Therapy » (MBDBT) pour traiter des personnes en « borderline ». Les besoins thérapeutiques ne manquent pas et les protocoles peuvent se multiplier à l’infini de nos chaos intérieurs.

    Jon Kabat-Zinn dirige à présent le « Center for Mindfulness in Medicine, Health Care, and Society » de l’université médicale du Massachusetts. Le centre s’attache à former du personnel soignant et à intégrer ainsi les différents protocoles en milieu hospitalier. Depuis l’ouverture de son premier centre de réduction du stress en 1979, plus de 200 hôpitaux et facultés de médecine étasuniennes aussi prestigieuses que Stanford, Duke ou Harvard pratiquent et enseignent la Mindfulness. En Europe, les centres de pleine conscience se multiplient à grande vitesse depuis le début des années 2000. Après les pays scandinaves, ce fut le tour de l’Allemagne, puis de l’Angleterre, de la Suisse, de la France, de la Belgique, de l’Espagne, etc. Les rencontres hebdomadaires, les stages d’apprentissage et les semaines d’initiation sont pris d’assaut, et de plus en plus de centres hospitaliers font appel à des instructeurs de pleine conscience.

    Des résultats significatifs sur diverses pathologies expliquent que la pratique de la pleine conscience se soit d’abord répandue dans le domaine de la santé. Ses effets bénéfiques s’observeraient surtout sur les cas de stress, d’anxiété, d’angoisse, de burn-out, de dispersion attentionnelle, d’hyperactivité, d’insomnies, d’addictions, de douleurs, de difficultés relationnelles, de manque d’estime de soi, etc⁷. Un bémol toutefois : la plupart des chercheurs impliqués dans le sujet pratiquent eux-mêmes la pleine conscience. En un sens, tant mieux, ils savent de quoi ils parlent. Mais d’un autre côté, on peut se demander s’ils n’ont pas un parti pris favorable. Certains articles d’essais randomisés contrôlés⁸ ont même dû être rétractés pour des conflits d’intérêts⁹.

    En effet, en 2016, une méta-analyse concluait à un effet modéré des pratiques de pleine conscience. Signée par quinze chercheurs d’universités réputées de divers continents, l’analyse met en exergue un manque cruel de rigueur scientifique : absence d’essais randomisés, non-respect du protocole en double aveugle, utilisation d’images cérébrales sans nuances, etc. Selon ce rapport, les résultats de la Mindfulness à la mode de Kabat-Zinn sont surestimés, voire néfastes en cas de dépression ; ils ne conduiraient pas à davantage de compassion envers soi-même ou à davantage de flexibilité psychologique¹⁰.

    Les disciples de la pleine conscience semblent toutefois faire la sourde oreille à ces résultats contradictoires¹¹ et se sont immiscés jusqu’aux instances gouvernementales pour faire valoir leurs pratiques dans le monde du travail, si bien qu’en juin 2019, le ministère français des Solidarités et de la Santé a organisé à Paris un colloque « Pleine conscience » en partenariat avec la Santé publique. La vignette précisait : « Ce colloque, préparé avec un comité scientifique, s’attachera à présenter un état des lieux du développement des interventions basées sur la pleine conscience, à mettre en évidence les données scientifiques probantes, à questionner les enjeux éthiques et à lever les barrières et interrogations sur le sujet pour ouvrir de nouvelles perspectives de travail¹². »

    Pleine conscience dans le secteur éducatif

    et culturel

    Les pratiques de pleine conscience ont connu un tel succès dans le monde de la santé qu’elles sont entrées dans le secteur éducatif. « L’Association pour la Méditation dans l’Enseignement » (AME) intervient depuis quelques années au sein des établissements scolaires. Elle propose le programme « P.E.A.C.E. » (pour « Présence, Écoute, Attention, Concentration dans l’Enseignement ») en déployant les thématiques suivantes : amélioration des capacités d’attention et de concentration, régulation du stress et des émotions, confiance en soi et développement des compétences psychosociales comme l’empathie, l’écoute, le respect, la tolérance. En 2017, le programme P.E.A.C.E. avait déjà été suivi par 5000 élèves répartis dans plus de cent établissements scolaires en France, en Belgique et en Suisse. Il est passé en Belgique en 2018 via l’association « Émergences » implantée à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), très active dans la diffusion

    de la pleine conscience.

    La pratique semble aussi faire ses preuves en milieu scolaire : dix minutes de Mindfulness en début de cours suffisent pour obtenir des résultats tangibles, non seulement avec des enfants de maternelle et de primaire, mais aussi dans le secondaire. Les instructeurs de la pleine conscience se sont alors tournés vers l’enseignement supérieur et vers les milieux sportifs en vue d’améliorer les scores des étudiants et des athlètes.

    Les universités ne sont pas laissées pour compte. En Europe, des dizaines d’initiatives pour promouvoir la pleine conscience ont vu le jour en milieu universitaire : à l’université Pierre et Marie Curie de Paris, à l’université de Strasbourg, à l’université de Toulouse, à l’université de Genève, etc. Le centre de formation continue « Santé et sciences de la vie » de l’ULB propose aux professionnels de la santé et du secteur socio-économique une formation à la pleine conscience. Elle compte au total 235 h

    de cours et est certifiée par l’université. Le certificat ainsi obtenu est agréé par l’International Integrative Network (IIN), un groupe international de pleine conscience qui contrôle la qualité des programmes proposés. La formation est directement liée à l’association « Émergences » implantée à l’ULB et elle s’étale sur deux années académiques en vue de favoriser l’intégration d’une matière qui touche à plusieurs domaines des sciences humaines.

    En mars 2018, « Émergences » a proposé une soirée Mindfulness au Palais des Beaux Arts de Lille ; elle a rassemblé plus de 500 personnes¹³. Dans l’optique « slow art », les visiteurs se sont assis devant une douzaine d’œuvres présélectionnées et ont pris le temps de la découvrir, de s’y plonger. Cette « contemplation en pleine conscience » les déconnectant du monde extérieur, ils se recentrent et s’apaisent. Vu son succès, une nouvelle soirée a été organisée en janvier 2019 sur le thème de « méditer au service de la paix », avec déambulation silencieuse dans les galeries du musée. L’idée a fait ricochet et ce sont maintenant les Musées royaux des Beaux Arts de Bruxelles qui proposent des visites « Mindfulness ».

    D’autres instructeurs de pleine conscience vont frapper aux portes des centres culturels ou des académies. Tel est le cas de Fabrice Midal enseignant la photographie à l’université de Paris-VIII et fondateur de « l’école occidentale de méditation ». Dans ses conférences, il entend montrer comment la pleine conscience aide à retrouver le sens profond de l’art, de l’éthique et de la littérature, et comment elle peut s’incarner dans tous les moments de notre vie. Fabrice Midal est aussi l’auteur de nombreux livres de vulgarisation sur le bouddhisme et sur les pratiques méditatives.

    Pleine conscience en entreprises

    De plus en plus de grandes entreprises font appel aux pratiques de pleine conscience. Le phénomène a démarré dans la Silicon Valley avec des multinationales comme Google, Ford, eBay, General Mills, etc. Dès le début des années 2000, elles ont proposé des formations de Mindfulness à leurs cadres. Aux côtés de Google, « les cofondateurs de Twitter et Facebook ont fait des pratiques contemplatives une des caractéristiques clefs de leurs nouvelles entreprises, organisant des sessions régulières de méditation dans leurs bureaux et s’arrangeant pour que les habitudes de travail augmentent la vigilance¹⁴ ».

    En Europe, les entreprises se sont mises au goût du jour. Carlsberg fut une des premières entreprises à introduire la pleine conscience dans ses bureaux en vue d’offrir à ses employés un environnement propice à la détente pendant le travail. De grands groupes comme L’Oréal, Siemens, EDF, Sanofi ou Danone ont suivi le mouvement. Des espaces « détente et loisirs » sont créés sur les plateaux de travail, on y invite des instructeurs de pleine conscience pour animer des sessions de méditation. Ils intègrent l’équipe des « ressources humaines » (RH). L’engouement semble toutefois proportionnel à l’accélération du rythme de travail : « Quand on est tout le temps connecté à son BlackBerry, assailli d’e-mails et qu’on travaille quatre-vingts heures par semaine, on vit à la limite du décrochage physique et psychique », estime un coach de dirigeants et adepte de la méditation depuis une douzaine d’années.

    Depuis la mise en place du plan « Santé au travail » (2010-2014), les entreprises françaises ont une obligation de résultat en termes de réduction des risques psychosociaux, notamment en agissant sur le stress de leurs salariés et en menant des actions préventives contre l’épuisement professionnel et la dépression.

    De tels « accidents de travail » sont de plus en plus fréquents et coûtent de plus en plus cher à l’État. Ils engendrent une facture sociale d’environ 230 millions d’euros par an. Or, l’assurance maladie a relevé pour 2016 plus de 10 000 cas d’affections psychiques : troubles anxieux, troubles du sommeil, dépression, états de stress post-traumatique, etc. La France n’est pas une exception en ce domaine, l’agence européenne pour la santé et la sécurité au travail a évalué que 50 % à 60 % de l’absentéisme est lié au stress. Or la pleine conscience propose aux entreprises de « gérer le stress des employés de manière préventive, de transformer les modes de travail, de management ou encore de coopération des employés¹⁵ ».

    Les multinationales de la Silicon Valley sont devenues des modèles pour les petites « start-up » des pays industrialisés. À leur tour, ces dernières se sentent dans l’obligation d’installer dans leurs locaux des coins de relaxation et d’intégrer à leur agenda des tranches horaires pour des sessions de méditation. Rien de critiquable, certes, si ce n’est que cela répond aux exigences de l’ultralibéralisme. Une autre manière de répondre aux attentes du marché est la mise en place de « Chaires de pleine conscience », comme à l’école de Management de Grenoble où la chaire de « Mindfulness, bien-être au travail et paix économique » étudie le bien-être des salariés et l’amélioration de leurs performances : tout cela en vue d’une meilleure rentabilité des entreprises.

    On peut toutefois se poser la question : à qui cela profite-t-il, quel est le but des entreprises qui font appel aux coachs de pleine conscience ? Ces pratiques semblent répondre efficacement aux exigences du plan « Santé au travail » ; les équipes s’impliquent davantage et avec plus de souplesse, plus de créativité et d’enthousiasme, leur relation avec les cadres semble également s’être améliorée, ceci, aux dires des coachs. La pleine conscience est pourtant loin d’éveiller les salariés à leurs conditions de travail : inégalités homme-femme, discriminations, harcèlement, flexibilité, compétition, performance, etc., ne sont pas des sujets abordés lors des « debriefing ». Quand un salarié se permet d’interroger les chiffres d’affaires de l’entreprise, il est taxé d’élément « négatif », « perturbateur », par le « Chieff Happiness Officer » (CHO), les directeurs « new look » des RH des grandes multinationales comme Google, Lego, Ikea, etc. Il faut dire que nombre d’entre eux sont formés à la pleine conscience qu’ils pratiquent et propagent au sein de l’entreprise.  

    Pleine conscience à l’ère digitale, « Wisdom 2.0 »

    Depuis 2010, des séminaires « Wisdom 2.0 » sont organisés annuellement à San Francisco. Leur initiateur est Soren Gordhamer, auteur d’un livre du même nom : Sagesse 2.0¹⁶. Pendant quelques jours par an, ces rassemblements réunissent plusieurs milliers de professionnels des nouvelles technologies, de coachs de la pleine conscience et de chercheurs dans les domaines

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