Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Les enquêtes du commissaire Roman - Vacances à Dieppe: Roman
Les enquêtes du commissaire Roman - Vacances à Dieppe: Roman
Les enquêtes du commissaire Roman - Vacances à Dieppe: Roman
Livre électronique406 pages5 heures

Les enquêtes du commissaire Roman - Vacances à Dieppe: Roman

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

« — Voilà… Il s’appelait Daniel Lecoeuvre… Il a dû grimper sur une vieille chaise qui traînait, puis se passer une corde autour du cou. Il devait tenir cinq minutes sans bouger… Ils sont allés fumer un bout de cigarette piquée aux parents avant d’aller s’offrir quelques bonbons. En courant, ils n’en avaient que pour deux ou trois minutes à peine. Manque de pot, le père de l’un d’eux est arrivé et la discussion a duré plus longtemps que prévu. Lorsqu’ils sont remontés à l’ancienne gare, le soir était presque tombé. Ils ont aperçu au loin le corps du petit Daniel qui gigotait encore au bout de sa corde. Ils ont eu peur et ont filé ! — Bande de salopiots ! s’exclama Quentin. Si j’en tenais un ! — Ils sont morts… et c’étaient des mômes… des mômes… T’as une suite ? »


À PROPOS DE L'AUTEUR


Auteur de plusieurs romans policiers, dont Les enquêtes du commissaire Roman, Vacances à Dieppe est le huitième d'une saga, René Cyr nous embarque pour une autre aventure policière palpitante.
LangueFrançais
Date de sortie21 déc. 2021
ISBN9791037745101
Les enquêtes du commissaire Roman - Vacances à Dieppe: Roman

En savoir plus sur René Cyr

Auteurs associés

Lié à Les enquêtes du commissaire Roman - Vacances à Dieppe

Livres électroniques liés

Mystère pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Les enquêtes du commissaire Roman - Vacances à Dieppe

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Les enquêtes du commissaire Roman - Vacances à Dieppe - René Cyr

    Du même auteur

    À mes enfants, Emmanuel et David-Alexandre.

    À mes petits-enfants, Mattéo et Mathias.

    Chapitre 1

    Peu habitué au travail manuel, Patrick Roman posa délicatement le rouleau à peindre sur le bord du bac à peinture. Quelques gouttes s’en échappèrent. Il les observa béatement qui s’élargissaient sur la bâche en plastique dont il avait couvert le sol. Heureuse initiative que celle-là.

    Un bruit de pas provenant de la cuisine détourna son attention, sans doute Valérie qui venait s’enquérir de l’état d’avancement des travaux.

    Il se précipita, un mouchoir en papier à la main. La trace de peinture fraîche s’élimina rapidement. Il se releva, essoufflé, et prit place sur l’unique chaise demeurée dans la pièce.

    Il se tapota le ventre. Voilà qui le rappelait aux dures réalités du quotidien, il avait très faim. Mais peut-être était-il temps de lever le pied sur la bonne chère, s’il voulait perdre les quelques kilos qu’il avait en trop.

    La veille, ils étaient allés dîner chez son collègue et ami Quentin. Le repas, composé de charcuteries et de pommes de terre cuites au four, avait été un véritable régal, surtout avec les vins servis en accompagnement.

    Sa montre indiquait dix-sept heures. Il s’était accordé une pause de trente minutes, durant laquelle il avait fumé un petit cigare, penché à la fenêtre donnant sur le jardin.

    Le ciel nocturne était bouché, pas moyen d’apercevoir la moindre étoile avec ces nuages qui se succédaient depuis quarante-huit heures.

    Il jeta son mégot fumant sur le gazon. Il était temps pour lui de reprendre sa tâche.

    Il prit une profonde inspiration d’air froid et humide et rejeta bruyamment par le nez un jet de vapeur.

    Un petit vent glacial lui amena un frisson, il referma vivement et revint s’asseoir.

    Ce travail de peinture commençait à lui porter sur les nerfs. Depuis qu’il l’avait commencé, dans l’unique but de faire plaisir à Valérie, sa principale préoccupation avait été d’éviter la moindre coulure.

    Cette traque permanente l’avait prodigieusement agacé. Mais il ne se voyait pas, après avoir nettoyé les pinceaux, à devoir décaper le plancher verni.

    Alors, temporisant sa nature impétueuse, il s’était obligé, avec ses grosses pattes velues, à faire preuve de minutie, ce qui n’avait pas toujours été facile. Malgré tout, il était parvenu à s’adapter et le résultat n’était pas pour lui déplaire.

    Un bruit provenant de l’extérieur lui fit brusquement tourner la tête. Sans doute, cette maudite branche d’aulne qui tapait encore contre la gouttière. S’il ne voulait pas la retrouver à terre, il allait devoir se décider au plus vite à faire intervenir un couvreur.

    Il se massa le cou et tourna la tête de gauche à droite à plusieurs reprises. Ce simple geste détendit sa nuque raidie par des heures de postures trop répétitives.

    Il n’était pas tard, il faisait pourtant déjà très sombre, en raison de la couverture nuageuse très épaisse.

    C’est à peine si la faible lueur blanche des lampadaires parvenait à éclairer le bitume mouillé.

    Il poussa un profond soupir d’exaspération. Aussi loin qu’il remontait dans ses souvenirs, la nuit l’avait toujours angoissé. Il faudrait un jour qu’il songe à se faire analyser.

    Cette idée le fit sourire.

    Si cela n’avait dépendu que de lui, il aurait demandé à certains collègues du commissariat de se charger des travaux de peinture. Il n’y manquait pas de gardiens désireux d’arrondir leur fin de mois.

    Ainsi, il aurait pu de son côté, profiter avec Valérie des trois jours de congé que le divisionnaire Favre lui avait généreusement accordés.

    Seulement voilà, elle avait souhaité demeurer chez elle afin de ranger son intérieur, tâche qu’elle remettait depuis de longs mois.

    Éreintée par ses nombreuses consultations psychiatriques à la maison d’arrêt de Sequedin et à son cabinet, elle avait préféré demeurer bien au chaud et vaquer à ses occupations ménagères.

    Il n’avait pas insisté. Après tout, ne ressentait-il pas lui-même parfois de ces coups de blues, de ces angoisses que rien ne vient justifier et qui pourtant vous ôtent toute envie de bouger ?

    En homme organisé, il s’était donc très tôt attelé à la première des tâches, celle consistant à bien ordonnancer son travail.

    Il avait d’abord vidé les meubles, dont il avait rangé le contenu dans une pièce contiguë, puis avait étalé une bâche sur le carrelage.

    Initiative dont il se félicita une nouvelle fois en observant les nombreuses gouttelettes disséminées à sa surface.

    Il avait également protégé les interrupteurs, les prises de courant et la cimaise, à l’aide d’un ruban adhésif spécial.

    Affalé sur sa chaise, il ne parvenait pas à se décider à reprendre le pinceau en main. Il avait beau se motiver, il en avait pire qu’assez. Il laissa retomber les bras le long de son corps.

    Il n’y pouvait rien, il avait toujours détesté peindre, même si le matériel avait considérablement évolué.

    Le vendeur avait vanté son matériel à Valérie, lui affirmant qu’il pourrait presque peindre en complet veston, tant l’outillage était parfaitement sûr et solide.

    Il esquissa un sourire en contemplant les gouttes qui continuaient à s’échapper lentement du rouleau. Pour ce qui était de l’étanchéité, ce vulgaire marchand de couleurs pouvait toujours repasser. Il bénit le ciel de n’avoir pas suivi ses conseils, mais plutôt sa méfiance. Autrement, dans quel état aurait été le plancher, il préféra ne pas y songer.

    Du regard, il fit un rapide tour de la pièce. Finalement, pour un néophyte, il ne s’en était pas trop mal tiré.

    En dépit de la température extérieure proche des zéro degré, il faisait très chaud dans cette chambre. Le visage inondé de sueur, il se sentait comme dans une étuve sous la combinaison en plastique dont il s’était couvert.

    Cela faisait de longs mois que Valérie lui parlait de son envie de remettre cette pièce en état. Chaque fois, il s’était trouvé une complication les empêchant de mettre ce projet à exécution.

    Impossible, en effet, d’entreprendre des travaux de cette importance, sans un minimum de quarante-huit heures devant soi.

    Et voilà que le divisionnaire Favre lui avait accordé quelques jours de détente. Cette fois, impossible de remettre l’embellissement tant espéré. Même si, de son côté, il aurait préféré un séjour de quelques jours en Normandie et partagé son temps entre balades et plateaux de fruits de mer.

    De réelles vacances leur manquaient à tous deux. Et voilà que pour finir, il se retrouvait à jouer les artistes peintres.

    Dès que Favre lui avait annoncé la bonne nouvelle, oubliant l’idée de Valérie et ses travaux de peinture, il s’était mis à la recherche d’un hôtel à Dieppe.

    Pourquoi cette ville avec laquelle il n’avait aucune attache ? Cette idée lui était venue comme ça, sans réfléchir, il avait opté pour Dieppe.

    Les hôtels, quasiment déserts en cette période de l’année, annonçaient des prix de séjour particulièrement intéressants.

    Au cours du trajet le ramenant chez lui, tout à son plaisir d’annoncer la nouvelle à Valérie, il avait imaginé tous les contours de ce que seraient ces courtes vacances.

    Trois jours de farniente et de longues promenades sur les immenses plages normandes, totalement désertes en cette saison. Bien sûr, il y aurait le mauvais temps, pourtant, bien couvert, flâner sous la pluie possède également certains attraits, notamment celui d’être loin de toute agitation.

    Et puis, il y aurait le tour des nombreuses petites boutiques, pleines d’un charme désuet et les grogs dans la chambre ou le salon de l’hôtel, avec en bruit de fond celui des vagues.

    Bref, des petites vacances bien tranquilles, qui plus est, à un prix très abordable, ce qui l’avait mis de bonne humeur pour le reste de la journée.

    Derrière sa table de travail, les heures avaient passé lentement, occupées à étoffer son programme des réjouissances.

    Il n’avait rien laissé au hasard. Un sourire béat sur les lèvres, ravalant sa salive, chaque fois qu’il se voyait dévorant son comptant de crabes et d’huîtres, il n’avait pas cessé de lorgner en direction de la pendule.

    Pourtant, les événements n’allaient pas se dérouler selon ses plans.

    Au cours du déjeuner, tandis qu’il dévoilait son programme à Valérie, un large sourire sur les lèvres, il l’avait soudain vue froncer les sourcils et ses traits se figer en une contorsion gênée.

    Devinant confusément que quelque chose l’avait contrariée, son sourire s’était aussitôt mû en une grimace de dépit.

    Curieusement, de toutes les idées qui lui étaient aussitôt venues, pour expliquer le changement d’humeur de Valérie, c’est celle concernant les travaux de peinture qui avait surgi en premier dans son esprit.

    Ce maudit projet devait s’être inscrit profondément dans son subconscient pour ressortir aussi rapidement, à moins de pouvoir évoquer un pressentiment.

    Valérie avait affiché un petit air compatissant. La désolation se lisait sur ses traits. Désolation de le décevoir, lui ou à l’idée de le voir insister pour partir et ainsi devoir faire l’impasse sur les travaux auxquels elle tenait.

    Contrariée, elle s’était lancée dans un bref résumé des nombreux avantages à rester chez soi, notamment celui de pouvoir enfin entreprendre les travaux de la chambre.

    En même temps qu’il sentait fondre sa détermination, il s’était peu à peu rangé à son idée et avait fini par admettre le bien-fondé de travaux trop longtemps remis.

    Quelques heures plus tôt, dès que Favre lui avait confirmé la nouvelle, au cours de la matinée, il l’avait appelée. Peut-être aurait-il mieux fait de s’abstenir, car cela lui avait donné le temps de mettre au point son propre plan de bataille.

    Déjà, au téléphone, il ne s’était pas suffisamment méfié de son manque d’entrain qui l’avait quelque peu surpris. Il avait alors mis sa réaction mitigée sur le compte de la fatigue, se persuadant que le vent frais iodé lui rendrait son allant.

    En réalité, au cours du déjeuner, elle l’avait d’abord convaincu de la nécessité des travaux, avant de mettre l’après-midi à profit pour faire le tour des boutiques et acheter l’outillage et les matériaux nécessaires à la réalisation de son projet.

    Quant à Roman, la mine sombre, il avait passé l’après-midi à ranger les tas de papiers qui encombraient sa table de travail, avant de rentrer chez lui plus tôt, sachant combien son projet de vacances était désormais compromis.

    Après avoir dîné, entre chaque gorgée de café, les pieds allongés et le regard perdu au milieu des flammes dansant dans la cheminée, elle lui avait conté, folle de joie, ses nombreux achats.

    Il avait senti fondre en lui le peu d’allant qui lui restait. Son moral avait soudain plongé de manière vertigineuse dans la fange de ses déconvenues.

    Pas une seule fois de sa vie, il n’avait tenu un pinceau dans les mains. Or voilà qu’il allait devoir repeindre toute une chambre.

    Son projet de voyage désormais aux oubliettes, il ne s’était pourtant pas senti la force de briser la joie de Valérie, s’efforçant même à sourire, lorsqu’elle avait évoqué l’usage qu’elle ferait de cette chambre. Une salle de sport et de remise en forme.

    Voilà qui promettait des lendemains difficiles, avec le dos en marmelade et les membres envahis de courbatures.

    Son bonheur avait cependant suffi à faire sa joie.

    — Quand on aime… avait-il songé, quittant son fauteuil à regret. Que de stupidités, que de graves erreurs est-on amené à commettre, avait-il ajouté pour lui-même. En tout cas, adieu Dieppe, plages et fruits de mer !

    Il s’était dirigé lentement vers cette chambre où étaient désormais enterrés ses trois jours de vacances et l’endroit lui était aussitôt apparu odieux.

    Tandis qu’il était revenu s’allonger sur le divan, il l’avait entendue chantonner en débarrassant la table. Il avait aussitôt regretté son égoïsme et sa mauvaise volonté affichés durant la soirée, lorsqu’elle lui avait fait part de son projet.

    Peut-être avait-elle raison. Après tout, les femmes ne sont-elles pas souvent plus raisonnables que les hommes ? Finalement, durant ces trois jours, ses dépenses auraient atteint un niveau que son compte en banque aurait eu le plus grand mal à digérer.

    En premier lieu, son intention n’avait-elle pas été de lui faire plaisir en prévoyant ce voyage ? S’il pouvait atteindre le même résultat en repeignant la chambre, pourquoi la décevrait-il ?

    D’autant que ces travaux leur permettraient de rester chez eux et de profiter à deux de leur intérieur douillet. Une perspective suffisamment rare pour s’en contenter.

    Las, mais le cœur plein d’entrain, il s’était aussitôt mis à préparer la pièce, désirant commencer très tôt le lendemain pour ne rien perdre de la journée.

    Car il n’avait pas totalement abandonné l’idée d’une petite balade de détente. Même réduite à un seul jour, cela vaudrait peut-être le coup. La chambre étant peinte, elle n’aurait plus aucun argument à lui opposer pour refuser une promenade de détente. Il lui restait à trouver l’endroit, mais en cherchant bien.

    Réconforté par cette opportunité, il prit une forte inspiration et s’épongea le front. Il était maintenant pleinement décidé à reprendre les travaux.

    Il pouvait contempler son travail avec fierté. Le plancher était indemne, les murs étaient peints, sans aucune trace ni coulure et tout cela en deux jours à peine.

    La peinture ne laissait quasiment aucune odeur dans la pièce.

    — Elle a vraiment choisi du très bon matériel, murmura-t-il avec un sourire.

    Il se leva et fit quelques pas vers la fenêtre. Une épaisse buée couvrait les vitres, lui masquant presque totalement toute vue sur le jardin.

    Pour autant, celui-ci se résumait à quelques arbustes desséchés et ne présentait en cette saison que peu d’intérêt. Les fleurs avaient totalement disparu pour ne reparaître qu’au printemps, pour celles qui auraient survécu aux rigueurs de l’hiver.

    Quant au gazon, couvert depuis quelques jours d’une couche de givre, il devait s’économiser, lui aussi, dans l’attente de la nouvelle saison.

    Il passa la main sur les vitres mouillées, la lumière de la chambre s’y reflétait, créant un écran qui masquait toute visibilité extérieure. Il colla son nez contre la vitre ruisselante, tout était triste et sombre.

    Avec un haussement d’épaules, il décida de reprendre sa tâche au plus vite. Après tout, plus vite fini, plus vite tranquille.

    Il reprit le rouleau en main, une moue de dégoût sur les lèvres. Décidément, il ne se ferait jamais à la peinture. Voilà que sa mauvaise humeur le reprenait, par la faute de ces travaux qui commençaient à l’irriter passablement. S’il voulait passer une soirée au calme, ainsi que le jour suivant, il avait intérêt à terminer rapidement le dernier mur.

    Valérie était passée le voir plusieurs fois au cours de l’après-midi, s’inquiétant de savoir s’il avait faim ou soif.

    Par deux fois, elle avait amené un thermos de café dont ils avaient bu chacun une tasse en silence.

    Le regard errant sur les murs fraîchement peints, elle avait esquissé un léger sourire, l’air satisfaite et apaisée, le stress du quotidien provisoirement oublié.

    Experte psychiatre, elle avait en ce moment la délicate occupation d’analyser le comportement d’un policier qui avait plusieurs fois tenté de mettre fin à ses jours.

    Fort heureusement, en raison de l’étroite surveillance discrète dont il était l’objet, quelqu’un était toujours arrivé à temps pour l’empêcher de commettre l’irréparable.

    Roman acheva de compléter le réservoir du rouleau. Le bidon était vide, pour ce qui lui restait, cela devrait suffire. Ensuite viendrait la pénible tâche de nettoyer le matériel et d’éliminer l’excès de peinture.

    Il avait d’abord achevé de peindre le plafond. Trois des murs l’étaient également. Quant au dernier, il ne lui restait que deux bandes pour le terminer. Voilà qui n’allait guère lui demander plus de vingt minutes, il pouvait donc considérer qu’il était parvenu à la fin de son pénible travail.

    La pendule indiquait dix-huit heures trente. Il commencerait les boiseries le lendemain de bonne heure. Il ne lui restait qu’à couvrir la porte d’entrée de la chambre et les deux du placard, il devrait donc avoir terminé aux environs de douze heures.

    L’après-midi passerait au nettoyage des outils et à la remise en état des lieux. Ce qui lui laisserait encore toute une journée pour un projet de sortie avec Valérie.

    Par un curieux raccourci, celui-ci lui était clairement apparu, en même temps que le gros chat roux des voisins traversait son jardin.

    Pourquoi n’iraient-ils pas visiter un zoo, il y en avait un de l’autre côté de la frontière.

    Il était même possible d’y séjourner une nuit dans un lodge. Le temps de prendre un petit-déjeuner aux aurores, de déposer Valérie et il arriverait au bureau sur le coup des neuf heures, c’était jouable.

    Chapitre 2

    Eugénie Lefol sauta à bas de la selle de son vélosolex avec l’agilité d’un félin. Malgré son âge, elle disposait encore de la souplesse nécessaire, ce dont elle s’amusait d’ailleurs, repoussant sans cesse ses limites, comme dans une course contre le temps.

    Elle ôta lentement la lanière de son casque, la fixa au guidon puis, d’un bras, repoussa sans effort le lourd portail métallique. Après avoir glissé mollement sur ses gonds bien huilés, il reprit sa place derrière elle avec un claquement sourd.

    Elle s’était arrêtée un instant, ne reprenant sa marche en direction de la maison, qu’après le déclic caractéristique de la gâche dans la serrure. C’est qu’il n’était pas question de laisser le portail entrouvert et permettre ainsi une intrusion malveillante.

    Elle se trouvait au cent quatre-vingt-quinze de la rue de Vendée, une adresse prédestinée pour une Bretonne de naissance.

    Très tôt, exilée de sa province qui ne pouvait offrir un avenir professionnel à chacun de ses enfants, elle travaillait chez l’avocat depuis bientôt huit années.

    Auparavant, elle avait accepté de nombreux autres petits boulots, qu’elle avait dû chaque fois quitter, après seulement quelques semaines.

    Soit que ses employeurs lui ajoutaient tâche sur tâche, sans que son salaire ne suive la même progression, soit que certains d’entre eux ne se méprennent sur son rôle.

    Garder les enfants, les pouponner, les éduquer, alors qu’elle-même avait un bagage scolaire plutôt réduit, pourquoi pas, mais satisfaire les caprices d’hommes en mal d’amour, pas question. Elle avait de la religion et envisageait de repartir au pays lorsqu’elle aurait amassé un petit pécule, pour y faire sa vie avec l’homme qu’elle choisirait.

    Un jour, elle avait été contactée par l’agence pour l’emploi. Maître Dompierre, avocat pénaliste associé, recherchait une bonne pour effectuer le ménage et préparer le repas du midi.

    L’imposante propriété, au milieu d’un parc immense, l’avait toujours laissée rêveuse.

    À la belle saison, il regorgeait de fleurs grâce aux soins prodigués par Albert, le jardinier, un retraité de la fonction publique qui adorait les fleurs.

    À l’arrière de la propriété, Me Dompierre avait fait ériger un bâtiment vitré et chauffé, comportant une immense piscine et un petit bassin équipé d’un système produisant des bulles. Elle entendait parfois madame y battre des pieds et glousser comme une gamine.

    Elle poussa un profond soupir et eut un haussement d’épaules dédaigneux. Tout cela n’était pas pour elle et ne le serait jamais.

    — On n’est pas obligé d’aimer ou d’apprécier ceux qui vous font vivre, n’est-ce pas !

    Remontant l’allée aux côtés de sa machine, elle rejoignit la maison et son large perron abritant une porte d’entrée à double battant.

    De chaque côté de celle-ci, madame avait fait planter un rosier grimpant, orné, dès le printemps, de roses somptueuses diffusant de puissants effluves odorants.

    Elle en était amoureuse de ces rosiers. Son attachement pour ces fleurs l’irritait, elle qui n’avait pour tout jardin qu’une potée d’aloès, devenant d’ailleurs chaque année, un peu plus envahissant.

    Aussi, lorsque madame s’absentait, elle déversait au pied de ses rosiers toutes les eaux usées qu’elle parvenait à récupérer, y ajoutant au gré de son humeur ou de sa fantaisie divers nettoyants ménagers, s’amusant par avance à l’idée de les voir se faner.

    Mais contre toute attente, ils étaient toujours là, bien vivants, reprenant vie et vigueur lors de chaque nouvelle saison.

    Elle sourit intérieurement, goûtant, comme chaque fois, au plaisir du crissement de chacun de ses pas sur les gravillons, qui lui chatouillaient la plante des pieds, tant était fine la semelle de ses chaussures.

    Parvenue à quelques mètres de la grande bâtisse, elle s’arrêta un instant pour prendre le temps de la contempler une nouvelle fois. Elle ne se lassait pas de détailler les statues et les gargouilles, les moulures et autres supports décoratifs ornant la façade de cette demeure, construite pour un magnat de l’industrie lainière, alors en plein essor, dès la fin du dix-neuvième siècle.

    — C’est quand même beau l’argent, murmura-t-elle, méfiante de l’éventuelle présence du jardinier… dire que certains prétendent qu’il ne fait pas le bonheur. C’est écœurant !

    Le cabinet avait été construit sur la gauche de la maison, se prolongeant depuis, jusqu’à la rue des frères Larnould, une rue perpendiculaire à la rue de Vendée. Par ce moyen, il était possible de rejoindre le centre en traversant un parc planté d’arbres centenaires.

    Me Dompierre lui avait formellement interdit de pénétrer dans le cabinet, confiant à une société spécialisée le soin d’y effectuer le ménage.

    Elle posa son engin contre les poutres en bois du perron. Lors des beaux jours, celles-ci servaient de banc à monsieur qui venait y fumer la pipe. Madame ne voulait pas qu’il empeste la maison avec son tabac.

    Il lui était donc également interdit d’y appuyer son solex, afin de ne pas endommager les pieds de violette sauvage qui y poussaient çà et là.

    Elle se pencha vers le massif de terre noire, où ne séjournaient que quelques méprisantes tiges maigrelettes et prit plaisir à en écraser la plupart, ce qui la fit sourire intérieurement. De la pointe des pieds, elle prit soin d’effacer toutes traces de ses chaussures.

    — Tant d’histoire pour de si petites fleurs, je suis certaine que l’an prochain, il n’y songera même plus. Tout ce qu’il veut, c’est me rabaisser, parce que je suis une fille de la campagne !

    Sans plus se soucier de l’interdiction, elle mit en place la béquille. Le guidon vint reposer contre la poutre, dont il entama le vernis. Cette fois, elle rit à pleines dents. Innocente vengeance des faibles sur les puissants.

    De toute façon, à cette heure très matinale, les maîtres des lieux étant absents, elle n’avait pas grand-chose à craindre.

    Le fait d’appuyer sa bécane contre cette poutre n’avait donc aujourd’hui aucune importance.

    Comme chaque année, madame était partie la veille au soir chez sa maman, pour y passer les fêtes de la Toussaint. Quant à monsieur, il avait pris le train, également tard dans la soirée, pour se rendre à Strasbourg où il devait plaider. Il ne rentrerait probablement pas avant le lendemain.

    La maison lui appartenait donc pour les deux jours suivants.

    Dans cette éventualité, elle avait mis au point un programme de réjouissances. Depuis qu’elle rêvait de prendre un bain dans la magnifique salle de bains de madame, elle allait en profiter. Elle avait d’ailleurs amené des vêtements de rechange.

    Elle essaierait également les parfums, très peu pour que madame ne puisse pas le remarquer, peut-être même passerait-elle quelques-unes de ses toilettes.

    Elle gravit les trois marches du perron, quelques roses subsistaient, couvertes de moisissures. Elle se pencha pour en humer le parfum. Elle s’écarta aussitôt.

    — Elle pue vos roses, s’exclama-t-elle joyeusement. Ils en font des chichis pour quelques fleurs moisies et des massifs envahis de mauvaises herbes !

    Elle esquissa de nouveau un haussement d’épaules, vite réprimé. Elle venait soudain de ressentir comme un coup de poing au creux de sa poitrine. Son front se couvrit immédiatement d’une sueur froide, tandis que ses bras étaient parcourus de frissons, comme envahis par une multitude d’insectes piqueurs. Un doute affreux la saisit.

    Madame ou monsieur n’aurait-il pas soudain décidé d’ajourner leur voyage ? C’est qu’elle n’était pas censée arriver à cette heure. Quelle excuse inventerait-elle, si elle se trouvait face à l’un d’eux ?

    Elle s’empressa d’ouvrir la porte au moyen de la clé qui pendait désormais à sa ceinture à l’aide d’un mousqueton.

    Il y avait de cela trois mois, elle l’avait égarée. L’apprenant, monsieur était aussitôt entré dans une colère noire. Le jour même, il avait fait changer la totalité des serrures, ce qu’elle avait parfaitement compris, étant donné sa profession. Mais était-ce une raison pour s’emporter contre elle de la sorte ?

    Réfugiée dans la cuisine où elle versait toutes les larmes de son corps, elle avait continué à entendre ses hurlements pendant un long moment, alors qu’il avait regagné son cabinet.

    Ce jour-là, elle avait cru perdre sa place, une catastrophe.

    Heureusement, madame avait plaidé sa cause et tout était rentré dans l’ordre.

    Depuis, elle avait pris la sage précaution d’attacher le trousseau à sa ceinture, mais également de se mettre à la recherche d’une autre source de revenus.

    Deux semaines plus tard, grâce à une relation, elle avait trouvé des ménages chez deux personnes âgées qui la rémunéraient grassement, le plus souvent, pour discuter ou jouer aux dominos ou encore leur faire la lecture.

    Comme elles s’endormaient dès les premières pages, elle était tranquille le reste de l’après-midi pour regarder la télé ou repasser son propre linge qu’elle amenait dans un sac. C’était toujours autant d’électricité qu’elle ne payait pas.

    Elle ôta son manteau et gagna la cuisine. Après avoir branché la radio, elle jeta négligemment ses gants et son sac à main sur la table, avant d’envoyer ses chaussures à travers la pièce.

    Elle fit quelques pas de danse en fredonnant un air de sa Bretagne natale.

    Elle qui adorait la musique n’avait jamais entendu la moindre chanson dans cette maison où régnait un silence oppressant.

    Parfois, monsieur mettait un disque de musique militaire, en l’honneur de son père, héros de la dernière guerre.

    Tandis qu’elle servait à table, il lui arrivait de surprendre des bribes de conversation. C’est ainsi qu’elle avait appris pour le père de monsieur. Engagé au sein des commandos Kieffer, il était mort au cours du débarquement des forces alliées sur les plages normandes.

    Ils avaient donc un héros dans la famille. Décidément, le destin s’était montré particulièrement généreux avec les habitants de cette maison.

    Essoufflée, autant par son excitation que par ce pas de danse, elle s’affaissa sur une chaise. Elle faillit tomber mais se retint à la table. Ce qui lui occasionna un immense éclat de rire, presque fou, qui se répercuta dans les étages.

    Envolées ses craintes d’il y a un instant. Évaporés son angoisse, ses peurs et ses scrupules. Elle allait profiter durant une partie de la matinée des plaisirs d’habitude réservés à madame. Elle se sentait en forme et de très bonne humeur, ce jour s’annonçait donc sous les meilleurs auspices.

    Elle se servit une tasse de café qu’elle se mit à déguster lentement, savourant chaque gorgée.

    Comme chaque fois qu’elle songeait à sa Bretagne natale, un voile de larmes brouilla son regard, tandis qu’un léger pincement prenait naissance au creux de sa poitrine.

    Conséquence cette fois d’une tendre émotion, en imaginant son village et ses parents demeurés au pays.

    Faute d’argent, elle ne pouvait malheureusement leur rendre visite qu’une ou deux fois par an. Et puis, le temps lui manquait également, surtout à présent qu’elle avait trouvé ces deux dames âgées dont elle devait s’occuper.

    Elle leva sa tasse pour avaler la dernière gorgée de café, c’est alors que son regard s’arrêta net sur la porte menant au cabinet professionnel.

    Elle sursauta et faillit s’étrangler en la voyant entrouverte. Son cœur prit aussitôt une allure plus rapide. Elle n’y avait pas immédiatement prêté attention, voilà qui était pour le moins étrange.

    Son visage se contracta en une grimace d’angoisse. Elle pâlit affreusement et ses yeux s’emplirent soudain de larmes, portant une main à ses lèvres qu’elle gardait ouvertes pour parvenir à respirer. Elle desserra le col de son chemisier. Curieusement, la température de la pièce venait de grimper de plusieurs degrés. Son cœur s’était soudain mis à battre à grands coups. Sa tension artérielle devait exploser tous les records.

    À deux doigts de se trouver mal, elle s’épongea le front.

    Une

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1